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28/02/1974 | MONACO | N°25689

Monaco | Tribunal de première instance, 28 février 1974, M. c/ Administrateur des Domaines et Cie U.A.P.


Abstract

Fonctionnaires publics

Accident en service - Législation sur les accidents du travail - Inapplicabilité - Convention contraire - Nullité

Résumé

La législation sur les accidents du travail est inapplicable aux fonctionnaires de l'État qui ne peut ni se décharger des obligations contractées envers ceux-ci, ni transférer cette obligation à une compagnie d'assurances ; même si un fonctionnaire renonce à la protection que lui confère son statut, en acceptant de signer une convention avec la compagnie d'assurances chargée de lui verser la rente que

lui doit l'État, une telle renonciation est frappée d'une nullité d'ordre public. En ...

Abstract

Fonctionnaires publics

Accident en service - Législation sur les accidents du travail - Inapplicabilité - Convention contraire - Nullité

Résumé

La législation sur les accidents du travail est inapplicable aux fonctionnaires de l'État qui ne peut ni se décharger des obligations contractées envers ceux-ci, ni transférer cette obligation à une compagnie d'assurances ; même si un fonctionnaire renonce à la protection que lui confère son statut, en acceptant de signer une convention avec la compagnie d'assurances chargée de lui verser la rente que lui doit l'État, une telle renonciation est frappée d'une nullité d'ordre public. En ce qui concerne la naissance, la conservation, la modification et l'extinction du droit à réparation ouvert aux fonctionnaires victimes d'un accident en service, cette réparation doit intervenir conformément au statut de la fonction publique et non en application de la loi sur les accidents du travail.

En se fondant sur le concept d'ordre public, le Tribunal peut de sa propre autorité rétablir les règles applicables en la matière.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que le sieur M., brigadier de police motocycliste à la Sûreté Publique de Monaco, a été victime d'un accident du travail, le 6 août 1956, et qu'à la suite du rapport déposé par le Docteur Orecchia, expert-commis en application de la loi n° 445 du 16 mai 1946, il a été reconnu atteint d'une I.P.P. de 45 % ;

Attendu que dans le cadre d'un contrat d'assurance passé entre l'Administration des Domaines, au nom de la Principauté de Monaco (sic), et la Compagnie l'Urbaine et Seine, le 5 octobre 1952, et ayant pour objet de garantir aux membres de la Sûreté Publique, victimes d'un accident du travail, tombant dans le champ d'application de la législation monégasque sur les accidents du travail (loi n° 445 susvisée) et entraînant une incapacité permanente, une rente égale à celle qui serait fixée par cette législation, M. signait, le 11 février 1959, avec cette compagnie, une convention aux termes de laquelle cette dernière s'engageait à lui verser une rente annuelle de 151 388 anciens francs, calculée sur le taux d'I.P.P. de 45 %, étant précisé que « ladite rente, dans les termes de la loi n° 445 du 16 mai 1946, était révisable en aggravation ou en diminution pendant un délai de 3 ans à dater de la signature de la présente convention » ;

Attendu que l'état de santé de M. s'étant aggravé courant janvier 1972, au point qu'il devait être amputé à hauteur de la cuisse droite, le 27 du même mois, le Juge des accidents du travail, saisi d'une demande d'aggravation, désignait le docteur Blanchi, en qualité d'expert avec mission de déterminer le nouveau taux d'I.P.P. ; que dans un rapport déposé le 1er août suivant, l'expert fixait ce taux à 80 % et concluait que M. devait être assisté par une tierce personne ;

Attendu cependant que la compagnie l'Urbaine ayant refusé de se concilier, motif pris de ce que la prescription de 3 ans prévue par la loi n° 445 était acquise lors de la demande d'aggravation, une ordonnance de non conciliation a été rendue par le juge des accidents de travail le 24 octobre 1973, à la suite de laquelle M., par l'assignation susvisée, a attrait l'Administrateur des domaines et la Compagnie l'Urbaine, devant le Tribunal aux fins d'homologation du rapport Blanchi, de fixation de l'I.P.P. à 80 % et de condamnation au paiement de la rente calculée sur ce taux en fonction d'un salaire de base de 8 372 F, et au paiement d'un complément de rente de 40 % représentant l'assistance d'une tierce personne ;

Attendu que M. fonde sa demande sur quatre moyens ; qu'en effet pour repousser la prescription triennale prévue par la loi n° 445 en matière de demande fondée sur l'aggravation de l'état de santé de la victime d'un accident du travail, il soutient :

* d'une part que lors de la signature de la convention du 11 février 1959, la loi n° 445 était abrogée et avait été remplacée par la loi n° 636 du 11 janvier 1958, qui avait supprimé toute prescription en matière de demande d'aggravation, et que c'est donc par erreur qu'il avait été fait référence, dans cette convention, à la loi n° 445 et à la prescription triennale qu'elle édictait ;

* d'autre part que la suppression d'un délai de prescription constitue une modification des règles de procédure, modification applicable de plein droit, sauf disposition contraire, aux litiges en cours ;

* en outre que, même si la loi n° 445 devait recevoir application, la convention du 11 février 1959 était nulle de plein droit, pour ne pas avoir respecté les formes prévues à peine de nullité par l'article 20 de cette loi, et que le point de départ du délai de prescription ne pouvait résulter que d'une ordonnance ou d'un jugement et non d'un acte sous seing privé ;

* enfin, que par sa participation active à l'expertise Blanchi, la compagnie l'Urbaine a implicitement renoncé à invoquer la prescription ;

Attendu que les défendeurs s'opposent à cette demande en se fondant sur deux moyens :

* le premier, tiré de la prescription triennale prévue par la loi n° 445 qu'ils estiment applicable en la cause, car la suppression de toute prescription résultant de la loi n° 636 n'a pu rétroagir, le principe de la rétroactivité étant consacré tant par l'article 2 du Code civil que par une jurisprudence constante ; que la circonstance que la convention ait été signée le 11 février 1959 c'est-à-dire postérieurement à la promulgation de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, et que référence expresse ait été faite à la prescription de 3 ans démontre que les parties, et notamment M., n'ont pu se méprendre sur la loi à appliquer ;

* le second, tiré de l'article 989 qui édicte que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que les défenseurs estiment en effet que l'obligation mise à leur charge par la convention du 11 février 1959 est d'origine contractuelle et non légale car les fonctionnaires ne bénéficient pas de la protection résultant de la loi sur les accidents du travail, en sorte que cette convention présentait un caractère de droit privé et n'avait pas à être soumise aux règles prévues par l'article 20 de la loi n° 445 et notamment pas à être entérinée par décision de justice ;

Sur l'ensemble des moyens développés par les parties, attendu que lors de l'accident du 6 août 1956, M. était agent de la Sûreté Publique de Monaco ; qu'en conséquence, il était soumis, en cas d'accident du travail, aux dispositions de l'article 47 de l'Ordonnance Souveraine n° 293 du 16 octobre 1950 constituant le statut des fonctionnaires et agents de la Sûreté Publique, cet article ne faisant que reprendre très exactement l'article 39 de l'Ordonnance Souveraine n° 84 du 11 octobre 1949 portant statut des fonctionnaires et agents de l'ordre administratif ; qu'aux termes de cet article 47, si le fonctionnaire, victime d'un accident du travail, ne peut reprendre de l'activité, il est admis à la retraite et, a droit, en application de l'article 5 de la loi n° 526 du 23 décembre 1950, modifiée par l'Ordonnance-Loi du 14 décembre 1959, sur les pensions de retraite des fonctionnaires, à une rente viagère, cumulable avec la pension de retraite et dont le montant est calculé comme en matière d'accident du travail ; que s'il peut reprendre son activité, une rente, fonction du taux d'incapacité, évalué par le médecin-conseil désigné par le gouvernement en vertu de l'article 41 du statut, lui est allouée dans les conditions prévues par la législation sur les accidents du travail ;

Attendu que les textes susvisés, dont le caractère d'ordre public ne peut être contesté, établissent que la législation sur les accidents du travail, conçue pour protéger des salariés ressortissant à un régime juridique de droit privé, est inapplicable à des fonctionnaires dépendant de l'ordre administratif ; qu'en effet, ces textes ne peuvent être interprétés comme ayant pour objet d'assujettir d'une manière générale ces fonctionnaires a la législation sur les accidents du travail, car non seulement les règles posées par cette dernière sont expressément écartées en ce qui concerne la détermination du taux d'incapacité qui est évalué par le médecin conseil du Gouvernement, aussi bien en ce qui concerne les agents de la Sûreté publique que les autres fonctionnaires, mais encore la référence faite par ces textes à la législation sur les accidents du travail ne concerne que la rente due aux fonctionnaires dont il est simplement indiqué qu'elle est, soit calculée comme en matière d'accidents du travail, soit allouée dans les conditions prévues par cette législation ; qu'il doit en être nécessairement déduit qu'en ce qui concerne le fondement même du droit à réparation ouvert à des fonctionnaires à la suite d'un accident du travail, qu'il s'agisse de la naissance, de la conservation, de la modification et de l'extinction de ce droit, la législation sur les accidents du travail ne peut recevoir application, et qu'ainsi l'État assume, à cet égard, directement et personnellement, la charge de cette réparation, selon des règles propres comparables, notamment pour le calcul de la rente, à celles de la législation sur les accidents du travail mais qui, d'une manière générale, ne sont pas celles de cette législation ;

Attendu dès lors que l'État ne saurait se décharger de l'obligation ainsi contractée envers ses fonctionnaires, ni transférer cette obligation à une compagnie d'assurances par le biais d'un contrat passé dans le cadre de la législation sur les accidents du travail et destiné à garantir la responsabilité encourue, en pareil cas, par un employeur privé ;

Attendu certes qu'en application du contrat du 5 octobre 1952, la compagnie l'Urbaine s'est engagée à payer à tout fonctionnaire, visé à l'acte et victime d'un accident du travail, la rente qui serait fixée en application de cette législation et qu'ainsi l'État a la faculté de faire prendre directement en charge par cette compagnie, la partie de la réparation à laquelle ce fonctionnaire aurait eu droit au titre des accidents du travail, s'il avait été un salarié du secteur privé, sous réserve cependant que ledit fonctionnaire adhère à la stipulation pour autrui que ce contrat constitue à son égard ;

Mais attendu qu'une telle adhésion, qui a pour résultat essentiel et pratique de faire que la victime perçoive sa rente directement de la compagnie d'assurances, au lieu de l'État, ne saurait avoir pour résultat de priver le fonctionnaire de la protection légale qui lui est conférée par son statut, pour tout ce qui est étranger aux conditions dans lesquelles la rente est allouée et en particulier pour ce qui est de la conservation ou de la modification de son droit ; que même si un fonctionnaire renonçait, en tout ou en partie, à cette protection, une telle renonciation serait frappée d'une nullité d'ordre public à raison du caractère d'ordre public du statut conférant ce droit ;

Attendu qu'en l'espèce, il apparaît que M., au regard de l'accident dont il a été victime le 6 août 1956 et relativement au taux d'I.P.P. fixé à 45 %, a adhéré à la stipulation pour autrui susvisée et a accepté que, par le versement de la rente à laquelle il avait droit, la compagnie l'Urbaine soit substituée à l'État ; que cependant, la partie finale de la convention du 11 février 1959 ainsi rédigée : « ...ladite rente dans les termes de la loi n° 445 du 16 mai 1946, révisable en aggravation ou en diminution pendant un délai de 3 ans à dater de la signature de la présente convention », apparaît être entachée d'une nullité d'ordre public, car d'une part, elle contrevient aux dispositions de l'article 47 du statut de la Sûreté Publique puisqu'elle soumet à la législation sur les accidents du travail la question de l'aggravation ou de la diminution du taux d'I.P.P., alors que cette question, qui touche au fond du droit à réparation, ne peut être appréciée dans le cadre de cette législation et, d'autre part, elle constitue une renonciation, au moins partielle, par M. aux conditions d'exercice du droit à réparation qu'il tient du statut susvisé ;

Attendu en conséquence que le problème actuellement soumis à l'examen du Tribunal, et qui porte sur l'aggravation du taux d'I.P.P. dont demeure atteint M. à la suite de l'amputation qu'il a dû subir, doit s'apprécier dans le cadre de l'article 47 de l'Ordonnance Souveraine 293 et de l'article 5 de la loi 526 du 23 décembre 1950 modifiée, mais qu'un tel débat nécessite la présence, dans l'instance dont s'agit, du représentant légal de l'État, l'Administration des Domaines n'ayant pas qualité pour assurer une telle représentation ; qu'il y a donc lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que M., à qui un délai sera imparti à cette fin, ait appelé en cause le représentant légal de l'État ; les dépens devant demeurer réservés ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Reçoit M. en sa demande ;

Prononce la nullité de la dernière phrase de la convention passée le 11 février 1959 entre M. et la compagnie l'Urbaine, et ainsi rédigée : « ...ladite rente dans les termes de la loi 445 du 16 mai 1946, révisable en aggravation ou en diminution pendant un délai de 3 ans à dater de la signature de la présente convention » ;

Composition

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Sanita, Clérissi av. déf., Michel Marquet av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25689
Date de la décision : 28/02/1974

Analyses

Public - Général ; Fonction publique


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : Administrateur des Domaines et Cie U.A.P.

Références :

Ordonnance-Loi du 14 décembre 1959
article 5 de la loi n° 526 du 23 décembre 1950
loi n° 636 du 11 janvier 1958
loi n° 445 du 16 mai 1946
article 47 de l'Ordonnance Souveraine n° 293 du 16 octobre 1950
article 39 de l'Ordonnance Souveraine n° 84 du 11 octobre 1949
article 2 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1974-02-28;25689 ?

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