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22/03/1973 | MONACO | N°25635

Monaco | Tribunal de première instance, 22 mars 1973, II. - CAISSE AUTONOME DES RETRAITES c/ ép. B.


Abstract

Baux d'habitation

Bailleurs - Renouvellement - Refus - Motivation - Nécessité (non) - Abus de droit (non)

Résumé

Le propriétaire d'un immeuble récent, non soumis aux règles légales concernant le droit au maintien dans les lieux mais relevant du droit commun en matière de location, n'est tenu ni à motiver son congé, ni à offrir une location plus brève.

Son comportement, conciliant sur ce point, n'est pas compatible avec un abus de droit qui ne saurait, d'ailleurs, se trouver caractérisé dans une espèce où le bailleur jouit d'une compl

ète liberté de contracter et où les baux consentis à certains locataires ne créent pas, pour l...

Abstract

Baux d'habitation

Bailleurs - Renouvellement - Refus - Motivation - Nécessité (non) - Abus de droit (non)

Résumé

Le propriétaire d'un immeuble récent, non soumis aux règles légales concernant le droit au maintien dans les lieux mais relevant du droit commun en matière de location, n'est tenu ni à motiver son congé, ni à offrir une location plus brève.

Son comportement, conciliant sur ce point, n'est pas compatible avec un abus de droit qui ne saurait, d'ailleurs, se trouver caractérisé dans une espèce où le bailleur jouit d'une complète liberté de contracter et où les baux consentis à certains locataires ne créent pas, pour les autres, un droit à l'identité de location.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que par acte sous seing privé du 24 octobre 1969, enregistré le 6 novembre, la Caisse Autonome des Retraites (C.A.R.), propriétaire de l'immeuble E., donnait en location aux époux B. l'appartement n° 1102 pour une durée de 3 ans, expirant le 30 septembre 1972, renouvelable par tacite reconduction à défaut de congé donné par l'une des parties 3 mois au moins à l'avance ;

Attendu qu'en raison d'une avarie de canalisation de chauffage, le carrelage du palier fut enlevé devant cet appartement sur une largeur de 2 mètres et que la persistance de cet état de choses, commencé fin 1971, fit l'objet de réclamations de B. par lettres des 17 janvier, 7 février, (cette dernière subordonnant à l'achèvement des réparations le règlement du loyer de l'appartement pour le 1er trimestre 1972), d'un constat du 9 février notifié le même jour et d'une lettre du 14 février, à laquelle était joint le chèque réglant le loyer ;

Attendu que par lettre recommandée A.R. n° 2714, non datée, mais antérieure au 29 mai 1972, jour où B. en accusait réception, la C.A.R. donnait congé du bail pour le 30 septembre en invoquant un règlement tardif des rappels de loyers, indiquant toutefois que si B. prenait l'engagement de respecter intégralement les clauses du bail, les règles générales de fonctionnement de l'immeuble et le règlement intérieur, elle serait disposée à conclure un nouveau bail pour la période du 1er octobre 1972 au 30 septembre 1973, avec tacite reconduction éventuelle ; qu'il était demandé une réponse avant le 15 juin, faute de quoi le congé dénoncé serait à considérer comme définitif ;

Attendu que les époux B. rappelaient le 29 mai les inconvénients prolongés qu'ils venaient de subir, protestaient contre les imputations désobligeantes contenues dans la lettre de congé et, ne prenant en considération que le 2e paragraphe de celle-ci, donnaient leur accord pour le renouvellement du bail en cours ; que la C.A.R. relevait, le 12 juin, que cet accord portait sur le renouvellement « du bail en cours », alors que l'offre faite ne concernait que l'éventualité, à compter du 30 septembre 1972, d'un bail d'un an et précisait que l'acceptation sans réserves de ces conditions devait parvenir avant le 25 juin ; que B. lui demandait le 14 juin, de bien préciser le motif pour lequel elle désirait conclure un bail d'un an seulement au lieu de 3 ans et confirmait son intention de renouveler le bail en cours au même titre que les autres locataires, soit pour 3 ans ; qu'en réponse à cette lettre, la C.A.R. par recommandée A.R. du 19 juin, notait que B. avait rejeté la proposition d'un bail d'un an et donnait un congé définitif pour le 30 septembre 1972 ;

Attendu que B. reprochait à la C.A.R., par lettre recommandée A.R. du 23 juin, de ne fournir aucun motif plausible de son refus de renouveler le bail pour 3 ans comme elle l'avait fait pour d'autres locataires, et aussi de lui avoir demandé d'accepter sans réserves un nouveau bail d'un an sans en avoir communiqué le texte ; qu'en refusant de donner son approbation à une nouvelle convention qu'il n'a pas lue, il déclarait charger son avocat de faire valoir ses droits ; que la C.A.R. se bornait, en accusant réception de cette lettre, à confirmer ses précédents courriers et à inviter les époux B. à libérer les lieux à la date du congé, après avoir satisfait à leurs obligations de locataires sortants ;

Attendu qu'en cet état les époux B. ont, suivant exploit du 10 août 1972, assigné la C.A.R. pour voir dire et juger qu'ils ont droit au renouvellement de leur bail pour une durée d'un an, puisque leur volonté de renouveler leur contrat de location a toujours été acquise et que seul le refus de la C.A.R. de communiquer ce bail en a empêché la signature, s'entendre condamner à régulariser ce contrat dans les plus brefs délais, voir dire qu'en refusant le renouvellement du bail de trois ans sans raison valable et dans une intention malicieuse elle a commis un abus de droit et doit être condamnée à 5 000 F. de dommages-intérêts ;

Attendu que la C.A.R. considérant cette assignation comme dilatoire, en ce qu'elle avait pour but de paralyser une demande d'expulsion en référé, a assigné les époux B., le 2 novembre 1972, pour s'entendre, en tant qu'occupante sans droit ni titre depuis le 1er octobre 1972, expulser sans délai, par décision assortie de l'exécution provisoire, sous astreinte de 100 F. par jour de retard, et pour s'entendre condamner, outre une indemnité d'occupation, à 5 000 F. de dommages-intérêts pour résistance abusive et malicieuse et abus de procédure ;

Attendu que la C.A.R., concluant une première fois le 15 novembre 1972, demande au Tribunal, après avoir joint les instances, de rejeter l'argumentation des époux B. qui se trouvent occupants sans droit ni titre du fait qu'après le congé incontesté ne s'est formée aucune nouvelle convention locative ; qu'en cette matière le bailleur n'a pas à justifier de sa décision et qu'il ne peut lui être fait grief de mauvaise foi ni d'intention de nuire, non plus que ne peut être retenue la notion d'abus de droit ;

Attendu que, le 10 janvier 1973, les époux B. s'opposent à la jonction, la procédure tendant à expulsion étant sans objet et ne pouvant, en tous cas, s'emplacer qu'après décision sur le litige engagé par eux, et ce d'autant que la demande d'expulsion, assortie d'exécution provisoire, aurait pour effet de les priver d'un degré de juridiction ; que la C.A.R. tenterait, selon eux, d'éviter d'avoir à justifier d'une attitude inadmissible et révélatrice d'une volonté de nuire, en une matière où la doctrine et la jurisprudence admettent que le droit de ne pas contracter est susceptible d'être reconnu comme abusif ; qu'en leurs motifs au moins, ils indiquent que le litige porterait sur le fait que les nouvelles conditions de location ne leur ont pas été communiquées ;

Attendu qu'en ses conclusions en réplique du 9 février, la C.A.R. maintient sa demande de jonction des instances dont la connexité résulte des conclusions mêmes des époux B. ; que ceux-ci en invoquant un prétendu droit au renouvellement de leur bail initial veulent ignorer la différence qui existe entre les locations de droit commun et le maintien dans les lieux pour certaines locations seulement ; que la théorie de l'abus de droit ne peut dit-elle, trouver application au cas de l'espèce ;

Attendu que la connexité des instances réciproquement engagées est évidente : qu'elles portent, entre les mêmes parties, sur les conséquences des mêmes faits et convention et que le sort de la première engagée conditionne nécessairement celui de la seconde ; qu'elles doivent être jointes et faire l'objet d'un seul jugement, toutes autres solutions ayant pour conséquence de renvoyer jusqu'à l'épuisement des voies de recours une mesure qui, dans la rigueur du droit, aurait pu être requise, dès l'achèvement de la période de location contractuelle devant le magistrat des référés, si les juges du fond n'avaient été antérieurement saisis ;

Attendu au fond qu'il n'existe pas de contestation sur le fait que le congé de mai 1972 confirmé encore le 19 juin, plus de trois mois avant l'échéance du trente septembre, a mis fin au bail initial ; que les époux B. n'ont d'ailleurs pas invoqué le bénéfice de la tacite reconduction mais un droit à obtenir, sans discrimination avec les autres locataires, un bail renouvelé pour la durée habituelle de trois ans ; que telle a été leur prétention pendant toute la durée d'échange des correspondances ci-avant analysées ; que dans leur assignation seulement ils demandent la délivrance du bail d'un an que la C.A.R. leur avait proposé mais sans lui en soumettre un exemplaire, soutenant que cette circonstance seule les a empêchés de donner leur accord à une nouvelle location ;

Attendu qu'en sa lettre n° 2714 de mai 1972, pour laquelle il semble qu'elle ait utilisé, en le complétant, un formulaire préétabli, la C.A.R. a estimé devoir donner un motif à la dénonciation du bail et proposer une éventuelle location de moindre durée, en limitant toutefois dans le temps l'acceptation de cette proposition ; qu'il doit tout d'abord être observé que l'immeuble E., de construction récente, n'est aucunement soumis aux règles légales concernant le droit au maintien dans les lieux, qu'il relève du droit commun en matière de location et que la propriétaire n'était tenue ni a motiver son congé (même sur un manquement temporaire mais réel) ni à offrir une location plus brève ;

Que son comportement, en ce point conciliant, n'apparaît pas dès le premier abord, compatible avec un abus de droit qui ne saurait, d'ailleurs se trouver caractérisé en l'espèce actuelle où la C.A.R. jouissait d'une complète liberté de contractation et où les baux consentis à certains locataires ne créent pas, pour les autres, un droit à l'identité de location ; que la doctrine citée par B., tirée du Juris-classeur Civil, n'est pas déterminante ;

Attendu en effet que les dérogations au principe selon lequel toute personne a toute liberté pour conclure ou non un contrat sont limitées à certains contrats non conclus intuitu personae et à la condition encore (Lille 11 juillet 1961) que l'abus du droit de ne pas contracter révèle la volonté délibérée de faire du tort à autrui sans profit pour soi-même ; que la référence que fait le même ouvrage à la matière locative (n° 84) se rapporte uniquement à la notion de renouvellement des baux dans les locaux d'habitation ou commerciaux, soumis à des lois dérogatoires au droit commun, créant des droits à prorogation ou à renouvellement ;

Attendu en fait que c'est surtout pour la résiliation des contrats à durée indéterminée que peuvent se trouver des applications de la théorie de l'abus du droit de ne pas contracter, et qu'il est considéré comme impossible de relever un tel abus de droit dans le refus d'une personne de contracter ou de renouveler un contrat (Paris 28 juin 1958), par exemple dans le refus de louer un immeuble (Cass. Civ. 15 novembre 1933) ;

Attendu que c'est également en vain que les époux B., réduisant actuellement leurs prétentions à une location d'un an, prétendent qu'ils n'ont pu contracter celle-ci pendant le temps qui leur avait été imparti, en raison du défaut de communication par la C.A.R. de l'instrumentum qui aurait consacré cette nouvelle location ; qu'il résulte en effet des correspondances échangées à cette époque qu'ils n'ont cessé de réclamer une justification, qui n'avait pas à être donnée, d'un motif valable de congé et un renouvellement pour trois ans ; que par ailleurs leur allégation de l'ignorance du texte d'un bail différent n'a été formulée pour la première fois que le 23 juin postérieurement au délai d'acceptation imparti et à la notification, le 19 juin, du congé définitif ;

Qu'il ne saurait donc être fait droit aux prétentions des époux B. de voir consacrer un droit à une location renouvelée ou nouvelle dans l'appartement 1112 de l'immeuble E. et qu'ils doivent être déboutés de toutes les fins de leur assignation ;

Attendu par voie de conséquence que la C.A.R. se trouve fondée sur le principe de sa demande en expulsion sous astreinte, les deux congés étant reconnus réguliers et ayant placé les époux B. dans la position d'occupants sans droit ni titre depuis le 1er octobre 1972 ; attendu cependant que cette situation résultant du rejet des prétentions des époux B. antérieurement manifestées par voie d'assignation, il ne peut être fait droit à la demande d'exécution provisoire qui priverait en fait ceux-ci de l'exercice éventuel du droit d'appel, le tout sous réserve du droit de la C.A.R. à une indemnité d'occupation à fixer ultérieurement ;

Attendu, par ailleurs, qu'il peut être considéré que les époux B. ont pu se méprendre de bonne foi sur la portée de leurs droits et qu'il n'y a pas lieu, quant à présent, de sanctionner leur comportement par des dommages-intérêts ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Accueille en la forme les époux B. en leur demande de renouvellement de bail et la C.A.R. en son action en expulsion dirigée contre ceux-ci, joint les instances ;

Déboute les époux B. de toutes leurs demandes, fins et conclusions ; constate la régularité des congés qui leur ont été donnés par la C.A.R. et qui les ont placés, à partir du 1er octobre 1972, dans la position d'occupants sans droit ni titre ; ordonne en conséquence leur expulsion.

Composition

MM. de Monseignat pr., François prem. subst. gén., MMe Marquilly et Marquet av. déf.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 25635
Date de la décision : 22/03/1973

Analyses

Baux ; Immeuble à usage d'habitation


Parties
Demandeurs : II. - CAISSE AUTONOME DES RETRAITES
Défendeurs : ép. B.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1973-03-22;25635 ?

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