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LA COUR DE RÉVISION,
VU :
* l'arrêt de la Cour de révision du 18 mars 2024 ayant cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel du 23 mai 2023, statuant en matière civile, et renvoyé l'affaire à la prochaine session de la Cour de Révision autrement composée ;
* les conclusions additionnelles déposées le 21 mai 2024 au Greffe général, par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de j.F, accompagnées de 11 pièces, signifiées le même jour ;
* les conclusions additionnelles déposées le 18 juin 2024 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de m F, accompagnées de 6 pièces ;
* le certificat de clôture établi le 26 juin 2024 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
* les conclusions après cassation du Ministère public en date du 2 juillet 2024 ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 17 mars 2025, sur le rapport de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu que g.E veuve F, de nationalité Suisse, domiciliée à Monaco, propriétaire d'un patrimoine mobilier et immobilier sis à Monaco, en Suisse et en Italie, est décédée le jma à Lausanne, laissant pour lui succéder ses deux fils, m et j.F ; que la succession s'est ouverte en Principauté de Monaco, en l'étude de Maître REY, notaire ; que le 3 novembre 2015, m F a donné mandat au notaire aux fins de renoncer purement et simplement à tous droits pouvant lui profiter dans la succession de sa mère, renonciation qui a été enregistrée le 24 novembre 2015 au greffe général et que le 19 février 2016, le notaire monégasque a dressé un acte de notoriété indiquant cette renonciation ;
Que suivant acte en date du 13 mars 2020, m F a fait citer son frère j.F devant le Tribunal de première instance de Monaco, sollicitant, aux termes de son acte introductif d'instance et de conclusions récapitulatives :
* que la pièce n°11 produite par le défendeur soit écartée des débats,
* qu'il soit jugé que la loi applicable à la succession de g.F est déterminée par les règles de conflit en vigueur à la date d'ouverture de la succession, soit le jma, et qu'en conséquence il soit dit que la loi applicable aux immeubles relevant de la succession est la loi de leur situation et que la loi applicable aux meubles est la loi de la nationalité de g.F,
* qu'il soit jugé que sa renonciation à la succession de sa mère a produit ses effets à la date où l'acte est intervenu, soit le 24 novembre 2015 et que cette renonciation ne produit aucun effet sur les biens immobiliers situés en dehors de Monaco et sur les comptes bancaires de la défunte,
* la condamnation de Jean l.F à lui payer une somme de 50.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'il subit et le débouté des demandes reconventionnelles du défendeur ;
Que j.F a conclu au débouté des demandes de m F et à sa condamnation reconventionnelle au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices financier et moral subis ; qu'il a également présenté une demande subsidiaire aux fins qu'il soit jugé que m F a perçu, du vivant de sa mère et après son décès, des sommes supérieures à celles auxquelles il aurait eu droit en qualité de cohéritier ;
Que par jugement en date du 3 mars 2022, le Tribunal de première instance a :
* rejeté la demande de m F de voir écarter des débats la pièce n°11 produite par j.F,
* dit que la loi applicable à la succession de g.F est déterminée par les règles de conflit de lois en vigueur à la date d'ouverture de la succession, soit le jma,
* dit que la loi applicable aux immeubles relevant de la succession est la loi de leur lieu de situation,
* dit que la loi applicable aux meubles est la loi Suisse du fait de la nationalité Suisse de g.F,
* dit que la renonciation n'a produit aucun effet sur les biens immeubles situés hors de Monaco, ni sur les biens meubles,
* débouté j.F de sa demande visant à statuer sur les droits de m F sur la succession de g.F au regard de ce qu'il aurait déjà perçu,
* dit que m F a démontré l'attitude fautive de Jean l.F à l'origine d'un préjudice moral,
* condamné j.F à payer à m F la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et débouté j.F de sa demande de dommages et intérêts ;
Que sur appel de j.F, la Cour d'appel, par arrêt du 23 mai 2023, a :
* constaté que le jugement rendu par le Tribunal de première instance est définitif en ce qu'il a rejeté la demande de m F de voir écarter des débats la pièce n°11 produite par j.F,
* infirmé le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a dit que la loi applicable à la succession de g.F est déterminée par les règles de conflit de lois en vigueur à la date d'ouverture de la succession, soit le jma et rejeté la demande en paiement d'une somme de 20.000 euros de dommages-intérêts présentée par j.F,
Statuant à nouveau, la Cour d'appel a :
* dit que le droit matériel monégasque doit régir les droits et obligations de la succession de g.F à Monaco, en Suisse et en Italie, tel qu'ils sont soumis par les parties,
* dit que la renonciation à la succession de sa mère formulée par m F, enregistrée le 24 novembre 2015, produira ses effets s'agissant des droits et obligations nés à Monaco, en Suisse et en Italie,
* rejeté le surplus des demandes des parties,
* condamné m F à payer à Jean- l.F la somme de 10.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Que sur pourvoi en révision formé par m F, la Cour de révision, par arrêt du 18 mars 2024, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel, renvoyant l'affaire à la session la plus proche de la Cour de révision autrement composée ;
Attendu que, devant la Cour de renvoi, chacune des parties a déposé des conclusions additionnelles aux termes desquelles : M. j.F demande :
À titre principal :
* dire et juger que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 est d'application immédiate au présent litige,
* dire et juger que le droit successoral monégasque est applicable à l'intégralité de la succession de g.F en vertu de l'article 56 du droit international privé instauré par la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,
* dire et juger que la validité et les effets de la renonciation à la succession sont régis par le droit successoral monégasque applicable à la succession en vertu de l'article 56 conformément à l'article 63 du Code de droit international privé instauré par la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,
* dire et juger que la dévolution s'opère sur le tout conformément au droit applicable et que la renonciation à la succession est indivisible en vertu de l'article 429 alinéa 2 du Code de procédure civile en raison de l'indivisibilité du litige,
* dire et juger en conséquence que la renonciation de m F produit ses effets sur l'intégralité de l'actif successoral où qu'il se situe et ce de manière indivisible,
* dire et juger en conséquence que m F, renonçant, est censé n'avoir jamais été héritier et qu'il ne peut donc pas participer aux opérations de liquidation-partage, j.F étant le seul héritier de la succession de g.F,
À titre subsidiaire, si, par impossible, la Cour refusait de faire application de l'arrêt de principe du 21 mars 2022 :
* dire et juger que la loi monégasque est applicable à l'intégralité de la succession, savoir les biens meubles et immeubles situés à Monaco, en Suisse et en Italie pour ces derniers par application du renvoi à la loi du dernier domicile,
* dire et juger que la dévolution s'opère sur le tout conformément au droit applicable et que la renonciation à la succession est indivisible en vertu de l'article 429 alinéa 2 du Code de procédure civile en raison de l'indivisibilité du litige,
* dire et juger en conséquence que la renonciation de m F produit ses effets sur l'intégralité de l'actif successoral où qu'il se situe et ce, de manière indivisible,
* dire et juger en conséquence que m F, renonçant, est censé n'avoir jamais été héritier et qu'il ne peut donc pas participer aux opérations de liquidation-partage, j.F étant le seul héritier de la succession de leur mère ;
À titre encore plus subsidiaire, si par impossible la Cour devait appliquer le droit Suisse et italien à la succession :
* constater que par acte notarié du 19 février 2016 portant dissolution de la SCI AA, m F a confirmé la portée générale de sa renonciation y compris sur la masse mobilière,
* dire et juger que le fait que la succession soit éventuellement soumise à des lois différentes, s'il autorise effectivement des partis différents quant à l'option successorale, ne s'oppose pas à ce qu'un même acte soit valable pour plusieurs masses ;
* dire et juger que la renonciation effectuée à Monaco s'applique aux biens immobiliers situés à Monaco, en Suisse et en Italie et à l'ensemble des meubles successoraux, a emporté les effets prévus par le droit successoral Suisse sur l'ensemble des biens meubles et a emporté les effets prévus par le droit successoral italien sur les immeubles situés en Italie,
En tout état de cause :
* condamner m F à payer à j.F la somme de 40.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier occasionné ainsi qu'à la somme de 60.000 euros au titre des frais irrépétibles en application l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Attendu que m F sollicite pour sa part de :
Vu l'article 3 de la loi n° 1.529 du 22 juillet 2022 comportant diverses dispositions d'ordre économique et juridique ;
Vu les articles 22 et 24 du Code de droit international privé ;
Vu les articles 87, 91 et 96 de la loi fédérale Suisse sur le droit international privé du 18 décembre 1987 ;
Vu le règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif aux successions internationales ;
Vu l'article 238-1 du Code de procédure civile,
* confirmer le jugement du Tribunal de première instance du 3 mars 2022 en toutes ses dispositions et préciser en tant que de besoin que l'objet de la renonciation de m F était strictement limité aux immeubles situés à Monaco,
* condamner j.F au paiement de la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ainsi qu'au paiement de la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
* débouter j.F de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Que le ministère public, par conclusions du 2 juillet 2024, a déclaré s'en rapporter ;
Que le certificat de clôture a été établi le 26 juin 2024 ;
SUR CE,
Attendu que l'arrêt de cassation rendu le 18 mars 2024 par la Cour de révision est motivée ainsi qu'il suit :
« Vu l'article 24 du Code de droit international privé, ensemble l'article 7-1 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que l'article 7-1 précité, inséré par la loi n° 1.529 du 29 juillet 2022 après l'article 7 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 et aux termes duquel les dispositions du chapitre V du titre II dudit code s'appliquent aux successions ouvertes postérieurement à son entrée en vigueur, soit le 12 août 2022, laisse en dehors de ses prévisions l'article 24 de la loi du 28 juin 2017, en inscrivant au chapitre IV "Conflits de lois" du titre I "Dispositions générales" et en limitant l'application du droit étranger à ses seules règles matérielles, à l'exclusion de ses propres règles de conflit et de tout mécanisme de renvoi ; que ledit article demeure donc d'application immédiate y compris aux successions ouvertes antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 28 juin 2017 ;
Attendu que pour soumettre au droit matériel monégasque les droits et obligations de la succession litigieuse, l'arrêt retient néanmoins, s'agissant d'une succession ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 juin 2017, que l'article 24 du Code de droit international privé issu de cette loi ne pourrait trouver application, de sorte "qu'il y a donc lieu à renvoi aux règles de conflit suisses et italiennes" ; qu'en statuant ainsi, il viole les textes visés au moyen » ;
* Sur la loi applicable à la succession de g.F :
Attendu que le décès de g.F survenu le jma est antérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé et qu'il résulte de l'article 7-1 de la loi n°1.529 du 29 juillet 2022 que les dispositions du Chapitre V Titre II intitulé : SUCCESSIONS, ne sont applicables qu'aux successions ouvertes postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi ; qu'il s'ensuit que la demande formulée, à titre principal, par j.F sollicitant l'application immédiate au présent litige des dispositions relatives aux successions prévues par la loi n° 1.448 ne peut être accueillie ;
Et, attendu en conséquence qu'il convient, ainsi que l'a relevé le Tribunal de première instance, de faire application des règles du Code civil et du droit international privé antérieures à la loi susvisée qui reposent sur le principe de la scission de la succession, les biens immeubles étant régis par la loi de leur lieu de situation et les biens meubles par la loi de nationalité du défunt ;
* Sur les règles du renvoi applicables :
Attendu que, selon l'article 24 de la loi n°1.448 qui figure au chapitre IV : CONFLITS DE LOIS : « Au sens du présent code, le droit d'un État s'entend des règles matérielles du droit de cet État, à l'exclusion de ses règles de droit international privé », excluant ainsi tout renvoi en matière successorale ;
Que j.F demande que soit écartée l'application de ce texte pour le règlement de la succession de sa mère, estimant que la détermination de la loi applicable à une succession ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi n°1.448 du 28 juin 2017 doit être faite en application de la règle de conflit de lois définie à l'article 56 du Code de droit international selon lequel, la succession est régie par le droit de l'Etat sur le territoire duquel le défunt est domicilié au moment de son décès et que l'article 63 du même code précise que la renonciation à la succession entre dans le champ d'application de la loi désignée par l'article 56 ; que selon lui, c'est donc le droit successoral monégasque du dernier domicile de la défunte qui doit s'appliquer à l'intégralité de la succession laquelle doit gouverner la portée de la renonciation formulée par m F ; qu'il ajoute que la succession est indivisible et qu'en conséquence les effets de la renonciation faite par-devant notaire à Monaco s'applique à l'ensemble des actifs successoraux où qu'ils se situent ;
Mais attendu que la Cour de révision a rappelé que l'article 24 de la loi n°1.448, relatif aux conflits de lois, ne figurait pas dans la loi n°1.529 du 29 juillet 2022 qui a uniquement prévu des dispositions transitoires pour les règles relatives au Chapitre V concernant les successions en précisant que celles-ci ne s'appliquaient qu'aux successions ouvertes postérieurement après son entrée en vigueur ;
Que le législateur monégasque a donc fait le choix de ne pas prévoir de dispositions transitoires s'agissant du Titre I « Dispositions générales » du Code de droit international privé, lequel doit en conséquence trouver application ;
Qu'il en résulte que tout mécanisme de renvoi est exclu et qu'en application du régime scissionniste, c'est à juste titre que le Tribunal a dit que les biens immeubles devaient être régis par la loi de leur lieu de situation, soit la loi monégasque pour les immeubles situés à Monaco, la loi suisse pour les immeubles situés en Suisse et la loi italienne pour les immeubles situés en Italie, sans possibilité de renvoi, l'application du droit étranger étant circonscrite, selon les dispositions de l'article 24, à ses règles matérielles ;
Que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
* Sur la portée de la renonciation de m F :
Attendu que par acte notarié du 3 novembre 2015 passé devant notaire, m F a déclaré : « RENONCER PUREMENT ET SIMPLEMENT à tous les droits de quelque nature que ce soit pouvant lui profiter dans la succession de sa mère, Mme g.E » ;
Que j.F revendique le caractère universel d'une telle renonciation tandis que m F affirme que cette renonciation ne concernait que la succession monégasque ;
Attendu que selon les articles 665 et 666 du Code civil « la renonciation à une succession ne se présume pas ; elle ne peut plus être faite qu'au greffe général sur un registre tenu à cet effet » et « l'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été héritier » ;
Que le droit de renoncer ou d'accepter une succession relève de la loi applicable au règlement de cette succession ; que le morcellement de la succession en plusieurs lois, ce qui est le cas dans un régime de scission, conduit à un morcellement de la succession en plusieurs masses, indépendantes les unes des autres ; que dès lors, des lois différentes interviennent pour réglementer l'option ; qu'il résulte de cette diversité des lois applicables, la possibilité pour l'héritier d'opter de façon différente selon les diverses masses successorales ;
Que c'est donc à juste titre que le Tribunal a retenu que la renonciation à la succession de m F, dans les formes de la loi monégasque, ne valait que pour la succession soumise à la loi monégasque ;
Qu'il convient de débouter j.F de l'ensemble de ses demandes et de confirmer le jugement déféré de ces chefs ;
* Sur les demandes de dommages-intérêts :
Attendu que j.F qui succombe ne peut se voir allouer aucune somme tant au titre des préjudices moral et financier allégués que sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Attendu qu'au vu des circonstances de l'espèce et notamment de la complexité du litige eu égard aux règles de droit international privé applicables, il convient de rejeter les demandes de condamnation de j.F formées par m F tant en réparation de son préjudice moral que sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu le 3 mars 2022 par le Tribunal de première instance, sauf en ce qui concerne la condamnation de j.F à payer la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts à m.F en réparation de son préjudice moral,
L'infirme de ce chef,
Déboute j.F de l'ensemble de ses demandes,
Déboute m F de ses demandes de dommages et intérêts ainsi que sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Condamne j.F aux dépens de l'entière procédure, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Ainsi jugé et prononcé le 25 MARS 2025, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Serge PETIT, Conseiller et Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.-
Le Greffier en Chef, Le Premier Président.
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