Abstract
Société immobilière – Liquidation – Refus d'instrumenter – Devoir de prudence
Résumé
Les ms étant tenus d'assurer l'efficacité des actes qu'ils passent, ils sont tenus de garantir ce résultat aux parties qu'ils assistent, ce qui crée à leur charge un devoir de prudence qu'ils peuvent invoquer pour refuser d'instrumenter s'il existe un doute relativement à l'efficacité de l'acte qu'il s'agit de passer. Ayant relevé d'une part qu'il existait un conflit aigu entre associés, qui était propre à faire craindre des recours de la part de ceux qui n'avaient pas participé à l'assemblée ayant voté la dissolution et la désignation des liquidateurs, et d'autre part que les statuts ne précisaient pas clairement les pouvoirs des liquidateurs au regard de la clause limitative des pouvoirs des dirigeants sociaux qu'ils comportaient en subordonnant la vente d'un appartement appartenant à la société à la condition que la totalité des propriétaires de parts relatives à cet appartement donnent leur accord à la vente, la Cour d'appel a pu en déduire que cette incertitude était susceptible de nourrir un débat juridique non manifestement dépourvu de sérieux, étant observé à cet égard que le tribunal de première instance avait quant à lui considéré dans son jugement du 8 novembre 2018 que rien n'indiquait que dans le cadre de la dissolution amiable, l'article 56 des statuts ne serait pas applicable. Il importe peu à cet égard que ce jugement ait été par la suite réformé, le simple fait que les premiers juges aient ainsi statué suffisant à confirmer l'existence d'une difficulté relativement à l'appréciation des pouvoirs des liquidateurs. Si la Cour d'appel a, pour trancher le litige, appliqué la règle selon laquelle l'article 16 constituerait une disposition spéciale dérogeant à la règle générale de l'article 56, c'est après avoir mentionné que le conflit entre les deux textes n'avait pas été réglé par les statuts, preuve que la solution ne ressortait pas de l'évidence. En l'état d'éléments raisonnablement susceptibles d'interprétation, en l'absence de précédents jurisprudentiels éclairants, la Cour d'appel a pu, sans violer les textes précités, considérer que le devoir de prudence du m devait s'exercer pleinement et que m.C n'avait commis aucune faute en refusant d'instrumenter.
Pourvoi N° 2024-31 en session civile
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 17 JUIN 2024
En la cause de :
* La SRL A., société de droit italien en liquidation, dont le siège social est fixé au x1, Gênes 16129, Italie, prise en la personne de son liquidateur en exercice, g. B., domicilié et demeurant ès qualités audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la même Cour d'appel et plaidant par Maître Roland TAMISIER, avocat au barreau de Nice ;
DEMANDERESSE EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
* C. m. à Monaco, y demeurant en cette qualité, x2 de Castro ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
DÉFENDEUR EN RÉVISION,
d'autre part,
Visa
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
* l'arrêt rendu le 9 janvier 2024 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 17 janvier 2024 ;
* la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 15 février 2024, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SRL A. ;
* la requête déposée le 15 mars 2024 au Greffe général, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SRL A., accompagnée de 7 pièces, signifiée le même jour ;
* la contre-requête déposée le 15 avril 2024 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de C., accompagnée de 11 pièces, signifiée le même jour ;
* les conclusions du Ministère public en date du 17 avril 2024 ;
* le certificat de clôture établi le 3 mai 2024 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 12 juin 2024 sur le rapport de Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCA E. est une société d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé, propriétaire notamment de seize appartements en Principauté de Monaco ; que, le 21 juillet 2016, l'assemblée de cette société a voté sa dissolution anticipée et la désignation de deux co-liquidateurs qui ont contacté C. m. en Principauté de Monaco, pour qu'il procède à la vente des appartements appartenant à la société dissoute ; que, par courrier en date du 13 décembre 2016, ce m. a indiqué qu'il ne procéderait aux actes de vente que « quand ils seront régularisés avec l'intervention de tous les associés titulaires de toutes les semaines de jouissance du 1er janvier au 31 décembre » ; que la SCA E. a assigné m. C. devant le Tribunal de première instance aux fins de voir dire qu'il sera tenu de procéder à la vente des biens immobiliers sous la seule signature conjointe des deux co-liquidateurs ; qu'ayant été déboutée par le tribunal, la SCA E. a obtenu satisfaction devant la Cour d'appel qui, par arrêt en date du 14 janvier 2020, a infirmé le jugement et dit que m. C. sera tenu de procéder à la vente des biens immobiliers de la SCA E. sous la seule signature des liquidateurs ; que la SRL A., société de droit italien en liquidation se présentant comme un des principaux actionnaires de la SCA E., a fait assigner C. devant le Tribunal de première instance en sollicitant sa condamnation au paiement de différentes sommes à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1229 du Code civil au motif qu'il a commis une faute en refusant de prêter son concours pour passer les ventes par le biais des liquidateurs alors que les statuts de la société le prévoyaient, que l'assemblée générale des associés l'avait confirmé et qu'en qualité de professionnel du droit, il ne pouvait ignorer que les liquidateurs nommés par les associés disposaient de tous les pouvoirs nécessaires pour la signature des actes de vente ; que, par jugement en date du 26 janvier 2023, le Tribunal de première instance a débouté la SRL A. de l'ensemble de ses demandes, décision qui a été confirmée en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour d'appel du 9 janvier 2024 ; que la SRL A. a formé un pourvoi en révision contre cet arrêt ;
* Sur les deux moyens réunis :
Attendu que la SRL A. fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de condamnation du m., alors, selon le pourvoi, d'une part, que « l'acte dont la rédaction avait été demandée au m n'était prohibé par aucune loi et que le refus d'instrumenter n'était justifié par aucun des motifs limitativement énumérés par l'article 3 de l'ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat ; qu'ainsi, en refusant de condamner le m., la cour d'appel a ajouté une condition non prévue par la loi à savoir que le m. pouvait refuser d'instrumenter par prudence devant de prétendues incertitudes jurisprudentielles, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article précité » ; alors, d'autre part, « que C. ne pouvait, pour refuser d'instrumenter, tirer argument de l'existence d'un litige antérieur entre les associés qui ne saurait exonérer le m. de son obligation d'instrumenter, étant rappelé que des accords transactionnels votés ont permis la mise en liquidation amiable de la société et que, lors de l'assemblée générale du 21 juillet 2016, ont été votées à l'unanimité des membres présents et représentés, représentant 94,1% du capital, la dissolution de la société, la désignation de co-liquidateurs et l'autorisation qui leur a été donnée de procéder à la vente de tous les appartements de la société sous leur signature conjointe ; que ces décisions, adoptées à l'unanimité des membres présents et représentés, par l'assemblée générale, mettant fin au litige entre les associés, sont donc devenues opposables au m., lequel ne pouvait s'opposer à la vente sollicitée par les deux liquidateurs ; qu'en sa qualité de professionnel du droit, C. ne pouvait ignorer la portée des décisions prises en assemblée générale ; qu'en estimant que C. ne pouvait se voir reprocher aucune faute pour avoir refusé d'instrumenter en considération d'un prétendu litige aigu existant entre les associés alors que la désignation des co-liquidateurs et la vente des appartements avaient été votées à l'unanimité des associés présents ou représentés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale » ; alors, de troisième part, que « la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le jugement du Tribunal de première instance du 8 novembre 2018, qu'elle a elle-même infirmé, pour prétendre qu'il existait un débat juridique non manifestement dépourvu de sérieux puisque le tribunal avait considéré que rien n'indiquait que l'article 56 des statuts, imposant l'accord de tous les associés pour vendre les immeubles de la société, ne serait pas applicable ; que la cour d'appel ne pouvait prétendre que m. C. avait eu raison de refuser d'instrumenter en faisant prévaloir son devoir de prudence alors qu'elle avait considéré dans son arrêt du 14 janvier 2020 qu'il était tenu de procéder à la vente sous la seule signature des liquidateurs ; qu'en considérant que m. C. n'aurait pas commis de faute en refusant d'instrumenter, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 3 de l'ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat » ; et alors, enfin, que, « en sa qualité de professionnel du droit, m. C. est censé connaître les lois applicables et interpréter les contrats ; que, pour justifier sa décision, la cour d'appel a mis en avant les prétendues discordances entre les articles 16 et 56 des statuts qui auraient pu créer la confusion dans l'esprit du m. ; qu'aux termes de l'alinéa 1er du dernier de ces textes, "la vente d'un appartement sera possible dès lors que la totalité des propriétaires des parts relatives à cet appartement donneront leur accord" ; que l'article 16.2 des statuts prévoit que "si la collectivité des associés, réunis dans les conditions ainsi prévues, décide de ne point proroger la société, la collectivité des associés règle, sur proposition du gérant, le mode de liquidation et nomme un ou plusieurs liquidateurs dont elle détermine les pouvoirs. Cette nomination met fin au pouvoir de la gérance qui est tenue de remettre ses comptes au liquidateur avec toute justification utile. La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci. Le ou les liquidateurs auront les pouvoirs les plus étendus pour vendre de gré à gré ou aux enchères la totalité ou par lot aux prix, charges et conditions qu'ils jugeront avantageux les biens de la société, en toucher le prix, faire mainlevée de toutes inscriptions, saisies, oppositions et autres empêchements et donner désistement de tous droits, avec ou sans contestation de paiement" ; que ces articles ne sont pas contradictoires mais exclusifs l'un de l'autre, l'article 16 consacrant une règle spéciale applicable lorsqu'un liquidateur est désigné, ce qui était le cas en l'espèce ; qu'en estimant que le refus d'instrumenter de m. C. ne serait pas fautif alors que ce dernier a été causé par une mauvaise interprétation des textes et le refus d'appliquer le principe selon lequel ce qui est spécial doit déroger à ce qui est général, principe général du droit que tout professionnel du droit doit connaître, la cour d'appel de Monaco a violé les articles 1229 et 1230 du Code civil, ensemble le titre préliminaire du Code civil et notamment son article 1 » ;
Mais attendu que les ms étant tenus d'assurer l'efficacité des actes qu'ils passent, ils sont tenus de garantir ce résultat aux parties qu'ils assistent, ce qui crée à leur charge un devoir de prudence qu'ils peuvent invoquer pour refuser d'instrumenter s'il existe un doute relativement à l'efficacité de l'acte qu'il s'agit de passer ; qu'ayant relevé d'une part qu'il existait un conflit aigu entre associés, qui était propre à faire craindre des recours de la part de ceux qui n'avaient pas participé à l'assemblée ayant voté la dissolution et la désignation des liquidateurs, et d'autre part que les statuts ne précisaient pas clairement les pouvoirs des liquidateurs au regard de la clause limitative des pouvoirs des dirigeants sociaux qu'ils comportaient en subordonnant la vente d'un appartement appartenant à la société à la condition que la totalité des propriétaires de parts relatives à cet appartement donnent leur accord à la vente, la Cour d'appel a pu en déduire que cette incertitude était susceptible de nourrir un débat juridique non manifestement dépourvu de sérieux, étant observé à cet égard que le tribunal de première instance avait quant à lui considéré dans son jugement du 8 novembre 2018 que rien n'indiquait que dans le cadre de la dissolution amiable, l'article 56 des statuts ne serait pas applicable ; qu'il importe peu à cet égard que ce jugement ait été par la suite réformé, le simple fait que les premiers juges aient ainsi statué suffisant à confirmer l'existence d'une difficulté relativement à l'appréciation des pouvoirs des liquidateurs ; que, si la Cour d'appel a, pour trancher le litige, appliqué la règle selon laquelle l'article 16 constituerait une disposition spéciale dérogeant à la règle générale de l'article 56, c'est après avoir mentionné que le conflit entre les deux textes n'avait pas été réglé par les statuts, preuve que la solution ne ressortait pas de l'évidence ; qu'en l'état d'éléments raisonnablement susceptibles d'interprétation, en l'absence de précédents jurisprudentiels éclairants, la Cour d'appel a pu, sans violer les textes précités, considérer que le devoir de prudence du m. devait s'exercer pleinement et que m. C. n'avait commis aucune faute en refusant d'instrumenter ; qu'il s'ensuit qu'aucun des griefs du moyen ne peut être accueilli ;
Sur les demandes au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile :
Attendu que la SRL A. sollicite la condamnation de m. C. au paiement d'une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la SRL A. succombe en son pourvoi ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande ;
Attendu que m. C. demande la condamnation de la SRL A. au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que les circonstances de la cause n'impliquent pas de faire droit à cette demande ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi,
Rejette les demandes au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Condamne la SRL A. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Ainsi jugé et prononcé le 17 JUIN 2024, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Laurent LE MESLE, Président, François-Xavier LUCAS, Conseiller rapporteur et Jacques RAYBAUD, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.
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