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26/03/2014 | MONACO | N°12669

Monaco | Cour de révision, 26 mars 2014, SA Crédit du Nord c/ LA.


Motifs

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 23 mai 2002, M. LA. signait et remettait à M. MU., en vue d'un placement financier prometteur proposé par lui et conformément à ses indications, un chèque postal barré, libellé à l'ordre du Crédit Nord, d'un montant de 200.000 euros ; que cette banque, le 30 mai 2002, en portait le bénéfice au compte de la société cliente CEFIM, sur l'instruction de M. MU., son gérant et unique membre; que dès la fin de l'année 2002, à la suite de nombreuses plaint

es, dont celle de M. LA., deux informations étaient ouvertes à l'encontre de M. MU., pour ...

Motifs

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 23 mai 2002, M. LA. signait et remettait à M. MU., en vue d'un placement financier prometteur proposé par lui et conformément à ses indications, un chèque postal barré, libellé à l'ordre du Crédit Nord, d'un montant de 200.000 euros ; que cette banque, le 30 mai 2002, en portait le bénéfice au compte de la société cliente CEFIM, sur l'instruction de M. MU., son gérant et unique membre; que dès la fin de l'année 2002, à la suite de nombreuses plaintes, dont celle de M. LA., deux informations étaient ouvertes à l'encontre de M. MU., pour détournements de fonds, la Cour d'appel de Monaco ayant, le 12 décembre 2011, confirmé sa condamnation pour abus de confiance et escroquerie, notamment au détriment de M. LA., sans que M. MU., en fuite, ait jamais procédé au moindre remboursement ; que parallèlement, par assignation en date du 24 juin 2007, M. LA., en une instance reprise par Mmes fl. et f. LA., ses héritières, ont recherché la responsabilité civile de la société Crédit du Nord, lui reprochant, en lien de causalité avec leur préjudice, un manque de vigilance et de contrôle sur les chèques et les opérations de banque menées en son sein; que l'arrêt attaqué, infirmatif, accueillant leur demande, condamne le Crédit du Nord à leur payer la somme de 200 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2002, les intérêts échus devant produire intérêts à compter de la demande qui en été faite, soit à compter du 28 juin 2011, le tout jusqu'à parfait paiement ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que le Crédit du Nord fait grief à la Cour d'appel de l'avoir condamné à verser à Mmes fl. SC. Veuve LA. et f. LA., venant aux droits de M. LA. décédé, la somme de 200.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2012 jusqu'à parfait paiement et d'avoir dit qu'en application de l'article 1009 du Code civil, les intérêts échus produiront intérêts à compter de la demande qui en a été faite, soit à compter du 28 juin 2011, jusqu'à parfait paiement, alors, de première part, que ne commet pas de faute le banquier présentateur qui porte le montant d'un chèque émis à son ordre sur le compte ouvert dans ses livres par le bénéficiaire qui lui a remis ce titre ; que le Crédit du Nord s'est vu remettre par M. MU. un chèque de 200.000 euros tiré par M. LA. et établi à son ordre, M. MU. demandant que les sommes correspondantes soient portées sur le compte de la SCI Cefim dont il était le représentant légal ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tandis qu'à défaut de règle précise relative à la mention du bénéficiaire d'un chèque et en l'absence de tout élément lui donnant connaissance d'agissements illicites de la part de M. MU., représentant légal du titulaire d'un compte dans les livres de son agence à Monaco, le Crédit du Nord n'avait commis aucune faute en portant le montant du chèque de 200.000 euros régulièrement émis par M. LA. à son ordre sur le compte de la société légalement représentée par celui qui lui avait remis ce titre, la Cour d'appel a violé l'article 1229 du Code civil ; alors, de deuxième part, que le devoir de non-ingérence fait interdiction à un établissement de Crédit du Nord d'avoir encaissé au profit de M. MU. un chèque émis à son ordre par M. LA. aux motifs impropres que ce chèque s'inscrivait dans une série de 36 chèques dont 9 portaient la banque comme bénéficiaire, pour un total de 2.361.957 euros encaissés par le Crédit du Nord au profit de bénéficiaires pourtant désignés par M. MU., que ce chèque était d'un montant nécessitant une vigilance accrue et un contrôle particulier, que M. MU. avait procédé à de nombreux encaissements pendant plusieurs années, ce qui avait donné lieu à des poursuites ultérieures pour escroquerie, tandis qu'aucune de ces circonstances ne justifiait, au moment de l'encaissement, d'une immixtion de la banque dans les affaires de son client dont elle n'était pas tenue de prévenir les actes illicites, lesquels ne pouvaient résider dans l'encaissement d'un chèque régulièrement émis par M. LA. et volontairement remis à celui-ci à M. MU., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1229 du Code civil ; et alors enfin que ne peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice par un tiers, la victime dont le comportement fautif est la cause directe et certaine de son préjudice, qu'en retenant que la présentation au paiement par le Crédit du Nord d'un chèque non falsifié d'un montant de 200.000 euros était à l'origine du préjudice de M. LA., demeurant en France, qui avait régulièrement émis ce titre et l'avait volontairement remis à M. MU., lequel ne lui avait ensuite pas restitué les fonds, tandis que le comportement de M. LA. qui avait remis sans contrat à M. MU., lequel ne se présentait pas comme préposé du crédit du Nord, une telle somme sur la simple promesse d'un placement fortement rémunérateur auprès d'une société détenant un compte à l'agence de Monaco de cette banque, et ce dans un but évident d'évasion fiscale, était constitutif d'une légèreté blâmable constituant la cause exclusive de son propre préjudice, puisqu'à défaut d'une telle remise, M. LA. n'aurait pas perdu ces sommes, la Cour d'appel a violé l'article 1229 du Code civil ;

Mais attendu, sur les deux premières branches, que l'arrêt, après avoir rappelé le principe de non immixtion d'une banque dans les affaires de ses clients, relève néanmoins que le chèque litigieux, qui aurait dû transiter par un compte interne du Crédit du Nord, son bénéficiaire, s'insérait dans une série de trente-six autres, dont neuf à l'ordre de cette banque, pour un total de 2.361.957 euros encaissés par le Crédit du Nord au profit de M. MU. et non des bénéficiaires désignés, qu'ils avaient été présentés par le même individu dont l'activité, pas plus que celles de ses sociétés, n'était clairement identifiée, que l'intéressé se livrait en réalité à des détournements de fonds grâce à des placements fictifs de sommes considérables, en permanence ventilées par des mouvements bancaires anormaux, notamment sur des comptes étrangers, tout cela constituant en soi des anomalies apparentes, sur lesquelles la banque, expressément désignée comme bénéficiaire, aurait dû exercer un examen attentif au regard de la connaissance qu'elle avait de M. MU., qu'au contraire elle s'est simplement contentée, malgré l'importance de la somme de 200.000 euros, d'en appliquer les instructions, s'abstenant, malgré les dépôts répétés sur le compte Cefim, de vérifier en l'espèce les droits de son client auprès du tireur M. LA. ; qu'en l'état de ces constatations, la Cour d'appel a pu retenir une abstention fautive de la banque, dont le devoir de vigilance cesse de se limiter à la seule régularité matérielle de chaque chèque lorsque la remise et le montant de celui-ci s'inscrivent dans un contexte d'apparences anormales ;

Et attendu, sur la troisième branche, que l'arrêt, qui constate que le détournement opéré au préjudice de M. LA. par M. MU. n'aurait pas été possible si la banque avait respecté ses devoirs professionnels et procédé aux vérifications nécessaires, caractérise ainsi le lien de causalité entre ses défaillances et le préjudice établi ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1008 alinéa 3 du Code civil ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution, qui ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, ne sont dus que du jour de la sommation de payer, excepté dans les cas où la loi les fait courir de plein droit ; qu'en assortissant sa condamnation d'intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2002, sans faire état ni d'une sommation de payer à cette date, ni d'une disposition légale de nature à la justifier, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Casse et annule l'arrêt déféré, mais seulement en ce qu'il assortit la condamnation du Crédit du Nord d'avoir à payer aux consorts LA. la somme de 200.000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2012,

Renvoie la cause et les parties à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée,

Dit n'y avoir lieu au paiement de l'amende,

Condamne la société Crédit du Nord aux dépens, dont distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12669
Date de la décision : 26/03/2014

Analyses

Le devoir de vigilance de la banque cesse de se limiter à la seule régularité matérielle de chaque chèque lorsque la remise et le montant de celui-ci s'inscrivent dans un contexte d'apparences anormales. La négligence de la banque constitue une abstention fautive.Le détournement opéré au préjudice de la victime n'ayant été rendu possible que parce que la banque n'a pas respecté ses devoirs professionnels et n'a pas procédé aux vérifications nécessaires, est ainsi caractérisé le lien de causalité entre ses défaillances et le préjudice établi.Aux termes de l'article 1008 alinéa 3 du Code civil ce texte, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution, qui ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, ne sont dus que du jour de la sommation de payer, excepté dans les cas où la loi les fait courir de plein droit.En assortissant sa condamnation d'intérêts au taux légal à une certaine date, sans faire état ni d'une sommation de payer à cette date, ni d'une disposition légale de nature à la justifier, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

Banque - finance - Général  - Responsabilité (Banque - finance).

BanqueDevoir de vigilance - Faute - Absence de vérification - Lien de causalité - Préjudice.


Parties
Demandeurs : SA Crédit du Nord
Défendeurs : LA.

Références :

article 1009 du Code civil
article 1008 alinéa 3 du Code civil
article 1229 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.revision;arret;2014-03-26;12669 ?

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