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28/09/2023 | MONACO | N°30175

Monaco | Cour d'appel, 28 septembre 2023, Le Procureur Général D. c/ Monsieur E. et Monsieur r. A.


Visa

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 10 mars 2022 (R.2761) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 12 avril 2022 (enrôlé sous le numéro 2022/000087) ;

Vu les conclusions déposées les 29 juin 2022 et 7 février 2023 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de E. et de r. A. ;

Vu les conclusions déposées le 3 janvier 2023 par le ministère public ;

À l'audience du 4 avril 2023, ouï le conseil des parties en ses plaid

oiries ;

Ouï le ministère public ;

Motifs

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cou...

Visa

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 10 mars 2022 (R.2761) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 12 avril 2022 (enrôlé sous le numéro 2022/000087) ;

Vu les conclusions déposées les 29 juin 2022 et 7 février 2023 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de E. et de r. A. ;

Vu les conclusions déposées le 3 janvier 2023 par le ministère public ;

À l'audience du 4 avril 2023, ouï le conseil des parties en ses plaidoiries ;

Ouï le ministère public ;

Motifs

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par le Procureur général à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 10 mars 2022.

Considérant les faits suivants :

E., de nationalité monégasque, et r. A., de nationalité américaine, se sont mariés le 23 août 2019 à GRAND RAPIDS (État du Michigan, États-Unis d'Amérique).

Le 21 février 2020, les époux ont sollicité la transcription de ce mariage sur le registre des mariages monégasque.

Selon courrier du 27 mai 2020, le Parquet Général a fait connaître au Maire de Monaco, Officier de l'État civil, sa décision de refus de transcription estimant :

* « Sur le fond, je note que la loi personnelle de Monsieur E., en l'occurrence la loi monégasque de sa nationalité ou de son domicile, qui ne permet pas cette célébration a été écartée d'office par le célébrant américain. En effet, depuis un arrêt de la Cour Suprême des États-Unis, Obergefell v. Hodges, en date du 16 juin 2015, les unions homosexuelles sont valides.

* Pour autant, bien que valable, cette union ne saurait être transcrite sur le registre des mariages au regard de sa contrariété manifeste avec l'ordre public monégasque caractérisé par le principe constitutionnel selon lequel la religion catholique, apostolique et romaine est religion d'État. La conception catholique du mariage à Monaco, institution essentielle à la famille, se retrouve dans la définition donnée par le Code civil : l'article 116 de ce code prohibe les unions homosexuelles et son article 147 en fixe une cause de nullité.

* Je relève immédiatement que les couples homosexuels disposent, par une loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 relative aux contrats civils de solidarité, d'un dispositif de reconnaissance et de protection en droit monégasque.

* Je vous invite, en même temps que votre refus, à rappeler cette possibilité de protection civile offerte à l'intéressé dans son union avec Monsieur A. ».

Par exploit du 23 février 2021, E. et r. A. ont fait assigner le Procureur Général aux fins de voir reconnaître leur mariage sur le territoire monégasque et ordonner sa transcription sur le registre des mariages.

Le Ministère public a conclu au rejet des demandes.

Selon jugement du 10 mars 2022, le Tribunal de première instance a :

* dit que le mariage célébré entre E. et r. A. a été valablement conclu et n'est pas contraire à l'ordre public monégasque,

* l'a déclaré exécutoire en Principauté de Monaco avec toutes conséquences de droit,

* ordonné, avec toutes conséquences de droit, sa transcription en marge des registres de l'État-civil de la Principauté de Monaco ainsi qu'au besoin, en marge de tout acte d'état-civil déjà dressé sur les registres d'état-civil monégasques,

* laissé les dépens à la charge du Trésor.

Les premiers juges ont estimé pour l'essentiel que :

* il n'est pas contesté par le Ministère public que le mariage en cause a été valablement contracté et qu'aucune fraude ne le vicie compte tenu des faits en cause et notamment de la nationalité et de la résidence à l'époque de r. A.,

* le fait que l'autorité de célébration américaine n'ait pas tenu compte de la loi personnelle de E. est indifférent quant à sa validité, en sorte que ce mariage doit être considéré comme ayant été valablement conclu à l'étranger,

* il résulte notamment de l'article 34 du Code de droit international privé que le principe est celui de la reconnaissance des mariages valablement conclus à l'étranger sauf si le mariage conclu à l'étranger est contraire à l'ordre public monégasque, étant précisé que l'autre cause de refus n'est pas pertinente dans la présente instance,

* si les conditions de fond d'un mariage célébré à Monaco doivent répondre à la loi nationale de chacun des époux, l'accueil dans l'ordre juridique monégasque d'un mariage célébré à l'étranger apparaît le principe sans que le législateur ne distingue entre les personnes de nationalité monégasque et celles de nationalité étrangère, sauf les exceptions prévues à l'article 34,

* il ressort également des débats devant le Conseil national, lors du vote de la loi n° 1.448 portant Code de droit international privé, la confirmation que lors de l'accueil d'une décision ou d'un acte valablement conclu à l'étranger, doit s'exercer un contrôle de la contrariété à l'ordre public dit « atténué », tel que l'ont déjà jugé les juridictions françaises et monégasques notamment en matière familiale,

* ces éléments n'apparaissent pas en contradiction avec les dispositions de l'article 3 du Code civil, étant précisé que l'article 29 dudit code considère que relèvent de l'état et de la capacité des personnes en particulier, le nom, les prénoms, l'âge de la majorité et l'émancipation sans faire référence au statut marital,

* en conséquence, le législateur n'a pas entendu faire des conditions de fond du mariage prévues en droit monégasque, et notamment de la condition de sexe différent des époux, une loi de police qui permettait d'exclure dans ce cas la reconnaissance d'un mariage valablement conclu à l'étranger par une personne de nationalité monégasque,

* s'agissant de l'article 9 de la Constitution, qui doit être lu avec l'article 23 de cette même Constitution, si la région catholique, apostolique et romaine est religion d'État en Principauté et tient une part importante dans la vie de la société monégasque notamment au travers du statut des ecclésiastiques, de l'enseignement ou des cérémonies officielles, ce pays est ouvert aux autres confessions et ne condamne pas l'absence de confession,

* si les valeurs catholiques ont eu et conservent une influence sur la législation monégasque, le droit canonique n'est pas applicable à Monaco et ses valeurs ne sauraient prévaloir sur les règles posées par le droit positif monégasque et notamment les règles du Code civil et du Code de droit international privé,

* la Cour d'appel, dans une décision du 14 janvier 2020, a rappelé que la morale chrétienne ne s'assimile pas au droit civil du for qui reconnaît le divorce et donc la fin de l'union civile des époux, et ce, en contradiction avec les règles de l'Eglise catholique au titre desquelles le mariage est indissoluble,

* il ne peut être considéré que du seul fait de cette religion d'État, le mariage entre deux personnes de même sexe serait contraire à l'ordre public monégasque,

* il est important, comme pour toute appréciation de la notion d'ordre public, de prendre en compte les évolutions de la société au fil du temps,

* le législateur monégasque a reconnu, à travers l'adoption de la loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 créant les contrats civils de solidarité, l'existence de couples composés de personnes du même sexe et vivant sous la forme d'union libre, précisant à plusieurs reprises à l'occasion des débats précédant le vote que ces contrats n'avaient pas vocation à se substituer au mariage,

* si la Cour européenne des droits de l'Homme n'impose pas aux États d'autoriser le mariage entre personnes du même sexe compte tenu notamment de l'absence de consensus entre les États membres du Conseil de l'Europe (G. 24 juin 2010 n° 30141/04 §63 - H. c/ France 15 juin 2012 - n° 25951/07 - I. c/ France - 9 juin 2016 n° 40183/07), elle considère que la question de la reconnaissance des couples de même sexe ressort de l'application combinée des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales comme constituant un aspect du droit à la vie privée et familiale (J. et autres c/ Islande - 18 mai 2021 n° 71552/17 §56 sur l'existence d'une vie familiale pour les couples de même sexe - K. - 7 novembre 2013 n° 29381/09 et 32684/09 §73, L. 30 juin 2016 n° 51362/09 § 58),

* elle énonce à plusieurs reprises que les couples de même sexe ont besoin d'une reconnaissance légale et d'une protection de leur relation (CEDH 14 décembre 2017 M. n° 26431/12 §192 – N.21 juillet 2015 n° 18766/11 et 36030/11 §159 et suivants) et a jugé qu'« Incontestablement, l'orientation sexuelle, une des plus intimes parts de la vie privée de l'individu, est protégée par l'article 8 de la Convention » (§82) et dans le même arrêt qu'en matière de différence de traitement basée sur l'orientation sexuelle, la marge d'appréciation des États est étroite (O. 2 mars 2010 n° 13102/02 - K. - 7 novembre 2013 n° 29381/09 et 32684/09 §77),

* en matière de transcription d'un mariage entre personnes du même sexe, cette Cour reconnaît que les États disposent d'une marge d'appréciation étendue quant au choix de permettre ou non l'enregistrement de telles unions dès lors qu'ils reconnaissent une forme d'union civile (CEDH 14 décembre 2017 M. n° 26431/12),

* toutefois, cette marge de manœuvre est restreinte lorsque le sujet soulève une question liée à l'identité (§203),

* dans cette décision, la Cour reproche à l'Italie de n'avoir pas pris en compte la réalité de la situation sociale des requérants (§209 et 210) et considère qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention européenne,

* la Cour a rappelé cette marge d'appréciation étroite en matière de différence de traitement basée sur le sexe ou l'orientation sexuelle dans un arrêt P. du 23 février 2016 n° 68453/13 (§ 82),

* dans l'arrêt Q. du 20 juillet 2010 (n° 38816/07), cette Cour a énoncé qu'il convient de considérer que l'enregistrement d'un mariage est une reconnaissance du statut personnel civil qui indubitablement concerne la vie privée et familiale et entre dans le champ d'application de l'article 8 § 1 de la Convention (§48),

* elle a considéré que le refus d'enregistrement du mariage avait clairement eu un impact sur la vie privée du requérant et que le défaut d'enregistrement ou le délai mis pour ce faire constituent une ingérence dans la vie privée au sens de l'article 8 § 1 (§50),

* elle a indiqué qu'une telle ingérence ne pouvait être justifiée en application du § 2 de l'article 8 que si elle était prévue par la loi et poursuivait un but nécessaire dans une société démocratique (§51),

* dans son arrêt R. du 21 mars 2003 (n° 33290 §29), la Cour a considéré que « Conformément à la jurisprudence des organes de la Convention, une différence de traitement est discriminatoire au sens de l'article 14 si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime et s'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »,

* dans l'arrêt S., elle a rappelé « que l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Il peut engendrer, de surcroît, des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale (ou, comme en l'espèce, de la vie privée). La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l'État au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. À ces deux égards, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble : de même aux deux égards, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation » (voir également T. 21 juillet 2015 n° 18766/11 et 36030/11 §159 et suivants - U. 4 janvier 2013 n° 43361/09 §40, 44 et 46),

* dans l'arrêt V. du 2 novembre 2010 (n° 3976/05) la Grande chambre de la Cour européenne a rappelé que « Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables(…). La justification objective et raisonnable fera défaut si pareille distinction ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (§ 67) (…). En d'autres termes, l'article 14 n'empêche pas une différence de traitement si elle repose sur une appréciation objective de circonstances de fait essentiellement différentes et si, s'inspirant de l'intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention (§68) » et a ensuite énoncé que les États jouissaient d'une certaine marge d'appréciation lorsqu'ils prévoient un traitement différent selon qu'un couple est marié ou non (§72),

* s'agissant du lien entre mariage et procréation, la Cour européenne a, dans un arrêt G. du 24 juin 2010 (n° 30141/04), rappelé que « Quant au rapport entre le droit de se marier et le droit de fonder une famille, la Cour a déjà eu l'occasion de dire que l'incapacité pour un couple de concevoir ou d'élever un enfant ne saurait en soi le priver du droit de se marier (F. § 98). Cependant, ce constat n'autorise pas à en tirer une quelconque conclusion au sujet du mariage homosexuel » (§56),

* il ne saurait donc être fondé une cause de non-reconnaissance sur ce motif d'impossibilité de procréer, étant précisé qu'aucune obligation de la sorte n'existe à Monaco concernant les couples de sexe différent afin de les obliger, sauf impossibilité qui ne serait pas de leur fait, à procréer,

* concernant l'obligation de vie commune, la Cour a, dans les arrêts P. du 23 février 2016 (n° 68453/13, §73) et K. (7 novembre 2013 n° 29381/09 et 32684/09, §65), dit qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les couples ayant une relation stable selon qu'ils vivent ensemble ou non notamment pour des raisons professionnelles ou sociales, le fait de ne pas cohabiter ne les privant pas de la protection de la vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention,

* le fait que les demandeurs ne résideraient pas de manière continue ensemble notamment pour des raisons professionnelles est par conséquent indifférent à la reconnaissance de leur union stable,

* la Cour a estimé notamment dans ses arrêts W. du 13 juin 1979 (§52) et X.du 1er décembre 2009 (n° 63301/01 §125) que « la vie familiale ne comprend pas uniquement des relations de caractère social, moral ou culturel par exemple dans la sphère de l'éducation des enfants ; elle englobe aussi des intérêts matériels, comme le montrent notamment les obligations alimentaires et la place attribuée à la réserve héréditaire dans l'ordre juridique interne des États contractants. Par ailleurs, la Cour a déjà affirmé que le domaine des successions et des libéralités entre proches parents apparaît intimement associé à la vie familiale »,

* dans ce même arrêt K. (7 novembre 2013 n° 29381/09 et 32684/09 §92), elle a considéré que « Le Gouvernement n'a pas fait état de raisons solides et convaincantes pour justifier l'exclusion des couples de même sexe du champ d'application de la loi …(instaurant un pacte de vie commune) »,

* eu égard à ces éléments, il y a lieu de relever que le Parquet Général ne démontre pas en quoi la transcription du mariage des demandeurs heurterait l'ordre public monégasque, lequel doit être apprécié en tenant compte de la notion d'ordre public atténué et des critères européens ci-dessus exposés, permettant de justifier une différence de traitement entre les personnes valablement mariées à l'étranger de sexe opposé et celles se trouvant dans la même situation mais de même sexe, sans que cela ne constitue une discrimination fondée uniquement sur leur orientation sexuelle et une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale,

* en effet, le législateur ayant reconnu que le contrat civil de solidarité entre personnes vivant en union libre pouvait s'appliquer à des personnes de même sexe et que ce type de contrat ne pouvait avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, il s'en déduit que la Principauté de Monaco a nécessairement considéré que la vie commune de personnes de même sexe ne heurtait ni l'ordre public ni les bonnes mœurs, se distinguant ainsi de la conception « traditionnelle » du couple vu comme étant uniquement entre personnes de sexe opposé,

* il est constant que le statut de personne mariée est un élément essentiel de l'identité des requérants, en sorte que l'État monégasque dispose d'une marge d'appréciation restreinte pour faire obstacle à ce qu'un mariage produise effet sur son territoire au risque d'une violation des droits garantis par les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

* il n'est pas plus établi que la transcription sollicitée serait de nature à porter une atteinte grave à l'ordre social monégasque, lequel ne doit pas s'entendre uniquement des personnes monégasques de religion catholique mais de l'ensemble de la société en tenant compte des évolutions sociétales et de la diversité de la population du pays,

* aucune atteinte à l'ordre politique ou économique n'apparaît encourue,

* à supposer même que cette notion d'atteinte à l'ordre public monégasque puisse être retenue, l'atteinte portée à la vie privée et familiale des demandeurs qui ont conclu mariage à l'étranger sans fraude et sont donc en droit de le voir produire effet, quel que soit leur pays de résidence, serait disproportionnée au but à atteindre à savoir à la défense du mariage réservé aux couples de sexe opposé, et ce, dès lors que la reconnaissance de leur mariage ne porte aucune atteinte aux droits des couples de sexe opposé de bénéficier de la législation sur le mariage laquelle demeurera inchangée,

* ainsi, le Tribunal estime que la demande de E. et r. A. peut être accueillie et leur mariage déclaré exécutoire en Principauté de Monaco, la transcription de l'acte de mariage devant être ordonnée,

* à titre surabondant, il sera précisé que cette transcription apparaît le seul moyen d'éviter une violation des dispositions combinées des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme dans la mesure où il n'apparaît pas possible d'y remédier par la conclusion d'un contrat civil de solidarité, lequel ne comprend pas le socle de droits minimaux imposés par la Cour européenne des droits de l'Homme mais surtout ne peut être valablement conclu par les demandeurs dans la mesure où la condition essentielle de sa conclusion est qu'aucun des partenaires ne soit être marié selon l'article 1265 du Code civil,

* or, compte tenu de la validité du mariage conclu aux États-Unis, qui engendre de facto que le mariage est valable entre les époux (encore ne serait-il pas opposable aux tiers), le contrat qu'ils ont conclu encourt la nullité du fait de cette prohibition,

* la proposition de remédier à l'éventuelle violation par l'octroi de dommages-intérêts dans le cadre d'une procédure distincte n'apparaît pas plus de nature à permettre de remédier à la violation que ferait naître l'absence de reconnaissance du mariage des demandeurs.

Suivant acte d'assignation du 12 avril 2022, le Procureur Général a relevé appel de ladite décision, en sollicitant son infirmation et en demandant à la Cour de :

* dire et juger la contrariété d'un mariage entre personnes de même sexe, même valablement célébré à l'étranger, à l'ordre public international monégasque,

* dire et juger l'absence de contrariété de cette position avec la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que la loi monégasque connaît le contrat civil de solidarité qui permet à ce que l'union produise néanmoins certains effets à Monaco,

* dire et juger la possibilité pour un couple de même sexe de contracter un contrat civil de solidarité, nonobstant l'existence du mariage valablement célébré à l'étranger, dès lors que ce mariage ne peut être reconnu à Monaco en raison de sa contrariété à l'ordre public,

* et en tant que de besoin, dire et juger que l'article 1265 du Code civil, et plus précisément son 2), doit être interprété comme ne s'appliquant pas à la situation d'un mariage valablement conclu à l'étranger mais toutefois contraire à l'ordre public international monégasque et, partant, insusceptible de faire l'objet d'une reconnaissance dans l'ordre juridique interne par une transcription dans les registres de l'état civil,

* en conséquence, rejeter l'intégralité des demandes de Messieurs E. et A..

Aux termes de conclusions récapitulatives du 3 janvier 2023, le Procureur Général a maintenu ses prétentions.

Il soutient en substance, après avoir rappelé que sa position n'empreinte rien au droit canon, que :

* les juridictions monégasques ne sont pas saisies d'une demande tendant à faire produire des effets à un mariage valablement conclu à l'étranger mais d'une demande de reconnaissance de la situation d'un mariage homosexuel créé à l'étranger, cette distinction étant déterminante quant aux règles distinctes de chaque situation et tout particulièrement quant à l'application, atténuée ou pas, de l'ordre public international monégasque,

* plusieurs observations s'imposent sur la détermination de l'ordre public international monégasque, étant souligné qu'il appartient à chaque État de fixer le contenu de son ordre public international en observant ses règles d'ordre public internes et ses engagements internationaux,

* il n'existe pas de définition légale de l'ordre public international que les juridicions peuvent ainsi définir comme « les principes de justice universelle considérés dans l'opinion « monégasque » comme doués de valeur internationale absolue » (emprunt à l'arrêt Lautour de la Cour de cassation française du 25 mai 1948, Lautour),

* dès lors qu'ils poursuivent des finalités différentes, l'ordre public international et l'ordre public interne ne se confondent pas : alors que l'ordre public interne tend à organiser la vie en société des individus au moyen de règles impératives, l'ordre public international tend à empêcher que des situations créées à l'étranger ne viennent perturber les fondements de la société du for,

* en France, dans certaines situations, la Cour de cassation, depuis l'arrêt A 64.(17 avril 1953) invite les juges à moduler les effets de l'exception d'ordre public international en raison de la demande qui lui est présentée (ordre public atténué également évoqué par la jurisprudence monégasque, Cour de révision, 9 octobre 2009, Cour d'appel, 6 juin 2017, 24 novembre 2020, 15 décembre 2020 et trois décisions du Tribunal de première instance où aucune des parties n'avait la nationalité monégasque) ou à moduler le contenu de l'ordre public international en raison des liens que la situation entretient avec le for (ordre public de proximité),

* les solutions des décisions monégasques relatives à l'ordre public atténué ne peuvent être appliquées à un mariage homosexuel valablement célébré à l'étranger et concernant un ressortissant monégasque dont la loi nationale prohibe cette célébration,

* en effet, l'application de la théorie de « l'ordre public atténué » suppose que le for ne soit pas saisi d'une demande de reconnaissance de la situation mais seulement d'une demande tendant à faire produit des effets à cette situation,

* tel n'est pas le cas si l'objet de la reconnaissance (et c'est bien le cas en l'espèce), porte sur la validité même d'un mariage homosexuel et sa transcription dans l'ordre interne,

* on ne peut alors que considérer l'ordre public international doit jouer plus « fermement » qu'en présence d'une demande qui serait limitée à la production des effets sur le territoire monégasque d'un acte étranger,

* en l'espèce, l'ordre public international doit être d'autant moins atténué que non seulement l'objet de la reconnaissance porte sur la validité même, mais qu'au surplus, la situation présente des liens étroits avec Monaco, en raison notamment de la nationalité de l'un des membres du couple, si bien que la théorie de l'ordre public de proximité doit alors intervenir,

* si la situation présente un lien avec le for, l'organe de contrôle confrontera la norme à l'ordre public international plein, la jurisprudence française l'appliquant en matière de répudiations survenues à l'étranger qui ne sont pas reconnues lorsque les époux sont domiciliés sur le territoire français ou que l'un des époux (généralement l'épouse) est de nationalité française,

* or, dès lors qu'en l'espèce, l'un des membres du couple est un sujet monégasque, la situation présente des liens étroits avec la Principauté et l'ordre public international doit jouer pleinement,

* la demande de transcription du mariage homosexuel doit être confrontée à l'ordre public plein et non à l'ordre public atténué, dès lors qu'il n'est pas simplement demandé de faire produire des effets à un mariage homosexuel mais de le transcrire dans les registres de l'état civil,

* dans les décisions dans lesquelles la jurisprudence française a fait application de l'ordre public atténué, les demandeurs ne sollicitaient pas la modification de leur état civil mais simplement de tirer les conséquences d'une situation qui avait été valablement constituée à l'étranger,

* dans l'arrêt A64., il était ainsi simplement demandé de faire produire des effets à un divorce afin de permettre un remariage et non de transcrire un divorce,

* à propos des mariages polygamiques, la jurisprudence française admet que la seconde épouse puisse bénéficier de droits successoraux mais nullement de transcrire le second mariage dans les registres d'état civil,

* dans cette matière, la jurisprudence monégasque semble adopter la même approche puisqu'elle permet que l'épouse réclame le divorce et puisse ainsi se prévaloir des droits découlant de la rupture (TPI, 12 octobre 1995),

* en revanche, pour les divorces prononcés à l'étranger (TPI, 6 avril 1995), elle semble faire une application plus large de l'ordre public atténué puisqu'elle reconnaît des divorces prononcés à l'étranger et non pas seulement les droits qui en découlent,

* il s'agit là d'une situation isolée propre aux divorces dès lors que le prononcé du divorce est indivisible de ses effets de sorte que la décision étrangère doit être reconnue dans son intégralité ou ne peut pas l'être sur le tout,

* en l'espèce, il ne s'agit pas uniquement de faire produire des effets juridiques au mariage entre personnes de même sexe mais de modifier l'État civil des intéressés,

* faire une application de l'ordre public atténué à cette hypothèse reviendrait à admettre de transcrire l'ensemble des mariages qu'ils soient homosexuels ou polygames sans examiner la conformité de ces situations au regard des principes de valeur fondamentale qui constituent la société monégasque,

* les conclusions prises ont une portée générale, la situation, peu important l'identité des intéressés, portant atteinte à l'ordre public international monégasque,

* la Cour de cassation française raisonne d'ailleurs en termes parfois généraux pour apprécier la conformité d'une situation à l'ordre public international (répudiations notamment et mariages homosexuels),

* ainsi, si le contrôle doit s'effectuer in concreto, la question posée par l'affaire implique de déterminer si le mariage entre personnes de même sexe, quelle que soit sa configuration, est contraire à l'ordre public international monégasque, ce que d'ailleurs la juridiction de première instance a fait,

* l'intégration du mariage homosexuel dans l'ordre public international peut résulter de deux sources : soit d'une source interne, soit d'une source internationale, comme la CESDH et qui ne serait pas contraire à la Constitution,

* s'agissant des sources internes, la loi monégasque interdit le mariage entre personnes de même sexe (articles 116 et 147 du Code civil),

* deux arguments viennent valider l'affirmation que l'interdiction du mariage homosexuel est d'ordre public international : un de logique (l'autorisation n'étant pas d'ordre public interne, elle ne peut pas non plus l'être d'ordre public international), un de fond focalisé sur le terrain des mœurs et valeurs de la société monégasque (la CEDH relevant à propos du mariage homosexuel et des unions civiles que le sentiment populaire peut jouer un rôle dans l'appréciation de la Cour lorsqu'une justification reposant sur des motifs liés à la morale sociale est en jeu, 13 juillet 2021, Y.),

* dans les sociétés où la religion occupe une place importante, il ne peut être fait abstraction de la conception religieuse du mariage, comme c'est le cas en Principauté où la « religion catholique, apostolique et romaine est religion d'État » (article 9 de la Constitution),

* il ne parait pas inutile d'insister sur la valeur donnée au mariage dans le régime constitutionnel monarchique où c'est par le mariage du Souverain que la succession au Trône est possible, la filiation légitime occupant une part tout à fait prééminente (article 10 de la Constitution),

* dans le droit fil de la position des demandeurs qui se limitaient à tirer des conséquences strictement ecclésiales de cette inscription constitutionnelle du fait religieux, la position du Tribunal, qui ne tirait comme seules conséquences de l'article 9 « le statut des ecclésiastiques, l'enseignement ou les cérémonies religieuses » est erronée en droit,

* cette inscription constitutionnelle a nécessairement des conséquences sur les terrains humain, juridique, sociologique et anthropologique et limite le processus de déconstruction du droit des personnes et de la famille entamé par d'autres pays,

* sur la conception religieuse du mariage et son articulation avec celle de l'opinion publique, susceptible d'évolution, il doit être rappelé que le peuple monégasque n'est pas souverain, tandis que la référence à la spécificité monarchique peut avoir des conséquences sur la notion juridique « d'opinion publique » ou plus précisément « d'opinions des sujets du Souverain »,

* en outre, l'évolution de l'opinion publique/des sujets doit être objective et caractérisée,

* elle peut notamment se manifester par des propositions de réforme législative ou par des mouvements sociaux (multiplication des associations et manifestations destinées à élargir les droits des couples homosexuels par exemple),

* en l'absence de tels mouvements, rien ne permet d'établir que la conception du mariage aurait évolué : dans un État de droit, l'inertie d'une population démontre au contraire son adhésion aux règles et conceptions en place,

* aucun fait ne peut être avancé pour contredire qu'à Monaco, les sujets du Prince, dans leur immense majorité, ne remettent pas en cause les définitions classiques au mariage données par la doctrine citée par le Répertoire Dalloz de droit civil,

* dès lors que l'institution du mariage puise ses fondements dans une conception religieuse et qu'aucune évolution législative n'est envisagée, ni sollicitée par une part substantielle de la société monégasque, il ne peut être contesté que l'ordre public international est toujours composé de l'interdiction du mariage homosexuel,

* s'agissant des sources internationales, il convient d'examiner si les engagements de la Principauté de Monaco pourraient remettre en cause cette analyse, en lui imposant de considérer que le mariage homosexuel est conforme à son ordre public international,

* la CEDH n'a pas suivi les couples homosexuels qui se sont fondés sur l'article 12 de la CESDH pour solliciter l'intégration du mariage entre personnes de même sexe dans les ordres juridiques des États parties, rappelant que l'autorisation ou l'interdiction du mariage homosexuel doit être régie selon les lois nationales des États, faute de consensus européen sur la question du mariage homosexuel,

* la Cour a maintenu sa jurisprudence, tandis qu'à ce jour, aucun consensus ne s'est plus dégagé, la majorité des États parties n'ayant pas légalisé le mariage homosexuel,

* la CEDH a également été saisie de la conformité de la prohibition du mariage homosexuel aux articles 8 et 14 de la CESDH et a décidé que les couples homosexuels ont droit au respect de leur vie privée au même titre que les couples hétérosexuels mais a considéré que l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels ne peut se déduire des articles 8 et 14 de la CESDH,

* ainsi, les personnes de même sexe ont le droit de se marier mais le mariage homosexuel n'est pas un droit fondamental découlant de la CESDH, les États parties conservant le soin de déterminer leur propre politique législative en tenant compte de leurs particularités culturelles,

* la prohibition du mariage homosexuel n'étant pas contraire aux articles 8, 12 et 14, il n'est pas pertinent de se référer aux droits consacrés par la CEDH pour considérer que le mariage homosexuel doit être intégré dans l'ordre public international monégasque,

* en l'état du droit positif, c'est au regard des seules conceptions de l'ordre juridique qu'il faut déterminer si la prohibition du mariage homosexuel fait partie ou non de l'ordre public international,

* la CEDH restant vigilante à protéger le droit au respect de leur vie privée et familiale des couples homosexuels, elle a été amenée à déterminer si le refus de reconnaissance d'un mariage homosexuel valablement célébré à l'étranger ne portait pas une atteinte illégitime et disproportionnée au droit au respect de la vie privée,

* en telle hypothèse, la Cour laisse une large marge d'appréciation aux États parties et considère qu'ils peuvent refuser de le reconnaître afin d'éviter que cette prohibition soit contournée (CEDH, 14 décembre 2017, AV.),

* mais si les États parties peuvent refuser de transcrire le mariage, ils ne peuvent priver cette union de toute forme de reconnaissance et doivent dans le même temps reconnaître un statut juridique aux couples homosexuels, par exemple, au travers d'une union civile,

* la Cour européenne adopte ainsi un raisonnement similaire à celui qu'elle retient pour apprécier le sort des mariages hétérosexuels dans lesquels l'un des époux change de sexe,

* en telle hypothèse, la Cour considère que la législation de l'État partie qui prévoit que le mariage prend fin pour le transformer en union civile est conforme aux exigences de la CESDH, même si les effets de l'union civile ne sont pas identiques à ceux du mariage (CEDH, 16 juillet 2014, A 9. c/ Finlande),

* il résulte de ces éléments que le refus de reconnaître le mariage homosexuel célébré à l'étranger ne porte une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée des époux que si l'État refuse toute forme de reconnaissance de leur union,

* pour que le refus de transcription soit conforme aux exigences de la CEDH, il faut que la Principauté admette de faire produire des effets au mariage célébré à l'étranger, soit en le transformant en contrat civil de solidarité, soit en permettant au couple de conclure un contrat civil de solidarité, soit encore en lui faisant produire d'autres effets sur le territoire monégasque (accès aux prestations sociales réservées aux couples mariés etc),

* c'est la raison pour laquelle il convient de déterminer si le contrat civil de solidarité monégasque répond à cet objectif et est conforme aux exigences posées par la CEDH,

* la Cour européenne laisse une marge d'appréciation aux États pour déterminer les droits qu'ils entendent attacher à une union civile,

* elle considère que le fait que ces unions présentent des conséquences un peu différentes s'agissant des effets matériels et d'importantes différences s'agissant des droits parentaux n'est pas en soi contraire aux articles 8 et 14 de la CESDH (CEDH, AS. c/Autriche),

* dans le même sens, la Cour admet que la législation des États parties décide de ne pas octroyer aux couples homosexuels unis par une union civil un droit à la pension du survivant (CEDH, 21 septembre 2010, A 63.c/ France),

* en l'état du droit actuel, la Cour européenne n'exige ainsi pas que les droits reconnus aux personnes mariées soient identiques à ceux reconnus aux personnes liées par un contrat civil de solidarité,

* le contrat civil de solidarité introduit en Principauté par la loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 prévoit un régime similaire à celui du mariage, en mettant à la charge des partenaires des obligations pécuniaires réciproques mais exclut les droits et devoirs des époux (articles 1272 et 1273),

* la loi prévoit que le contrat produit des effets en matière fiscale, de logement, sociale et sécurité sociale, d'emploi et de travail, de santé, civile et de procédure civile, pénale et de procédure pénale,

* le seul fait que les effets de ce contrat ne soient pas identiques à ceux du mariage n'est donc pas contraire aux articles 8 et 14 de la CESDH,

* si la législation monégasque n'ouvre pas aux partenaires dudit contrat la prestation de survie, cette exclusion, en l'état du droit positif, n'est pas contraire aux exigences posées par la CEDH,

* par ailleurs, il existe des différences de régime pour les droits de mutation par décès et entre vifs, ainsi que sur le plan fiscal, mais compte tenu de la large marge de manœuvre laissée aux États parties, ces différences n'apparaissent pas nécessairement contraires aux exigences posées par la CEDH,

* s'agissant de l'article 1265 du Code civil, le législateur n'a à l'évidence pas envisagé la situation d'une contrariété à l'ordre public international, le couple, valablement marié à l'étranger mais dont le mariage ne saurait être accueilli dans l'ordre juridique interne, par sa contrariété avec l'ordre public international, doit être mis en mesure de conclure un contrat civil de solidarité,

* dans le silence de la loi, ce texte doit être interprété comme ne s'appliquant pas à la situation d'un mariage valablement célébré à l'étranger mais insusceptible de faire l'objet d'une reconnaissance dans l'ordre juridique interne par une transcription dans les registres de l'état civil.

Par des conclusions récapitulatives au 7 février 2023, E. et r. A. demandent la confirmation de la décision appelée en ce qu'elle a :

* constaté que le mariage célébré à l'étranger entre eux a été valablement conclu et n'est pas contraire à l'ordre public international monégasque,

* constaté que le refus de reconnaissance opposé par le Parquet provoquait une atteinte disproportionnée aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et contrevenait donc aux engagements internationaux de l'État monégasque,

* constaté que le contrat civil de solidarité tel que prévu par la législation monégasque n'offre pas une protection satisfaisante au regard des critères énoncés par la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour européenne des droits de l'homme et qu'il y a donc violation de l'article 8 de ladite convention,

* constaté que l'ensemble des conditions tant substantielles que formelles de reconnaissance et d'exécution à Monaco de l'acte de mariage sont réunies,

* déclaré exécutoire en Principauté de Monaco ledit acte de mariage, avec toutes conséquences de droit,

* ordonné la transcription du mariage en marge des registres de l'état civil de la Principauté et au besoin de toute acte d'État civil déjà dressé sur les registres d'État civil monégasque,

* laissé les dépens à la charge du Trésor.

Ils font valoir pour l'essentiel que :

* ils ne demandent pas aux juridictions monégasques de juger que l'interdiction du mariage entre les couples de même sexe en droit interne serait contraire aux droits fondamentaux garantis par la CESDH mais uniquement de statuer sur la reconnaissance de leur mariage célébré à l'étranger conformément aux règles de droit international privé monégasques,

* le droit monégasque a en effet opté pour la méthode de la reconnaissance (article 34 du Code de droit international privé), laquelle vise à coordonner les ordres juridiques et à tenir le droit créé à l'étranger pour acquis dès lors qu'il l'a été en conformité avec les règles de droit international privé du pays d'origine,

* cette méthode répond au besoin de cohérence et de stabilité des statuts individuels, dans un contexte de globalisation et de mobilité internationale des individus, dont la Principauté est la parfaite illustration (exposé des motifs du projet de la loi ayant donné lieu au Code de droit international privé se référant à « l'internationalisation des échanges »),

* cette méthode est aussi une réponse adaptée aux exigences de la CEDH qui n'hésite pas à sanctionner, au nom du respect au droit à la vie privée et familiale, la mise en œuvre par les autorités nationales de règles de droit international privé conduisant à refuser la reconnaissance de liens familiaux préexistants de facto, en se dispensant d'un examen concret de la situation (Arrêt Z., 28 juin 2007),

* la méthode de la reconnaissance vise à éviter cet écueil en ce qu'elle se détache des règles de conflit du for pour favoriser le respect des droits acquis et des prévisions des parties,

* elle est particulièrement adaptée dans le cadre de l'accueil des mariages célébrés à l'étranger, puisque les individus qui entrent dans le statut du couple marié en vertu d'un acte dressé par une autorité publique n'imaginent pas ensuite être privés de ce statut selon qu'ils se trouvent dans un pays plutôt qu'un autre,

* dans ce contexte législatif, l'argument soulevé par le Parquet qui invoque les articles 116 et 147 du Code civil, lesquels interdisent le mariage entre couples de même sexe est hors sujet,

* la méthode de la reconnaissance invite les autorités nationales à ne s'attacher ni à leurs propres règles de droit interne, ni au droit appliqué par l'autorité étrangère mais seulement aux conditions de la reconnaissance dans leur ordre juridique et ce, au regard des seuls impératifs de l'ordre public international et de la fraude à la loi, comme cela ressort clairement de l'article 34 du Code de droit international privé,

* corrélativement, la règle de conflit de lois de l'article 33 du même code désignant les lois nationales des époux comme applicables aux conditions de fond du mariage est énoncée comme ne s'appliquant qu'aux seuls mariages « célébrés à Monaco » et non aux mariages célébrés à l'étranger,

* le Parquet a renoncé à son argument de première instance selon lequel l'article 147 du Code civil constituerait une loi de police, aucune disposition législative ou jurisprudence n'ayant qualifié cette disposition de loi de police,

* mais surtout et en tout état de cause, la méthode de la reconnaissance exclut par nature la recherche d'éventuelles lois de police, lesquelles n'interviennent que pour faire obstacle à une règle de conflit de for, la recherche du droit applicable étant sans objet en l'espèce,

* le Parquet ne peut pas non plus se réfugier derrière une prétendue constitutionnalité du mariage hétérosexuel, tandis qu'une telle consécration serait en tout état de cause rendue inefficace par les exigences de la CESDH (arrêt récent 13 juillet 2021, AA. et autres contre la Russie ; la Constitution russe qui consacrait la protection du mariage comme une « union entre un homme et une femme » n'empêchait pas d'admettre les unions entre personnes de même sexe dans la mesure où celles-ci ne posent aucun risque pour le mariage traditionnel ; analyse confirmée par un arrêt de la Grande Chambre du 17 janvier 2023 dans la même affaire),

* quand bien même le mariage hétérosexuel serait reconnu à Monaco comme ayant une valeur constitutionnelle (ce qui n'est pas le cas à ce jour), la Principauté resterait tenue d'assurer la reconnaissance des unions homosexuelles y compris le cas échéant par la reconnaissance d'un mariage célébré à l'étranger,

* si un principe à valeur constitutionnelle ne suffit pas à empêcher d'admettre la célébration d'unions entre couples de même sexe, a fortiori, l'article 147 du Code civil, qui n'a pas une valeur constitutionnelle, ne saurait permettre de s'opposer à la simple reconnaissance d'unions valablement célébrées à l'étranger,

* deux motifs seraient susceptibles de s'opposer à la non-reconnaissance d'un mariage valablement célébré à l'étranger : une éventuelle fraude à la loi, une éventuelle contrariété à l'ordre public monégasque,

* il ne fait aucun débat sur le fait que le mariage célébré est conforme au droit de l'État de la célébration (le mariage homosexuel étant considéré comme un droit constitutionnel aux États-Unis depuis une décision du 26 juin 2015),

* il n'est pas non plus contesté qu'ils n'ont pas cherché à éluder les dispositions du droit monégasque en célébrant leur mariage dans l'État du Michigan aux États-Unis puisque le couple entretient des liens étroits avec ce pays, Monsieur A. de nationalité américaine résidait aux États-Unis jusqu'à son mariage avec Monsieur E. et y a conservé un lieu de résidence pour les besoins de son activité professionnelle, tandis que ce dernier se rendait également régulièrement aux États-Unis pour y rejoindre son époux,

* ainsi, seule la contrariété à l'ordre public international monégasque serait susceptible de justifier un refus de reconnaissance dudit mariage, sans que la place de la religion catholique au sein du régime constitutionnel puisse s'opposer à une telle reconnaissance,

* d'un point de vue juridique, le principe constitutionnel énoncé en son article 9 ne se traduit que par une Bulle Pontificale du 15 mars 1886 portant Convention entre le Saint-Siège et la Principauté pour l'élection et l'organisation du Diocèse de Monaco, modifiée par la Convention conclue entre le Saint-Siège et la Principauté le 25 juillet 1981,

* ces traités ne sauraient avoir de portée vis-à-vis des personnes privées, tierces à ces conventions, en Principauté, en l'absence de mesure de publication officielle effectuée à Monaco (articles 68 et 69 de la Constitution),

* en tout état de cause, aucune des dispositions de ces conventions n'est relative au droit civil monégasque,

* le statut de religion d'État de la religion catholique se traduit uniquement par l'implication de la Principauté dans la nomination de diverses instances ecclésiastiques et l'engagement pris par le Gouvernement Princier d'aider à la création, l'entretien et la gestion des œuvres paroissiales et religieuses et de contribuer à leur réalisation,

* cette liste doit s'interpréter de manière d'autant plus limitative que la Convention du 25 juillet 1981 s'inscrit dans un contexte de distanciation entre l'Église et le pouvoir exécutif,

* dès lors, prétendre que le principe constitutionnel conférant à la religion catholique le caractère de la religion d'État signifierait que l'ordre public international monégasque, qui s'inscrit dans la sphère du droit civil, inclut une « conception religieuse du mariage » revient à conférer à ce principe une portée qu'il n'a pas,

* par ailleurs, à supposer que le principe constitutionnel conférant à la religion catholique le caractère de religion d'État ait pour conséquence les règles de succession au Trône, cela ne concerne en rien la reconnaissance d'un mariage valablement célébré à l'étranger ou les intimés,

* cette nouvelle position est symptomatique de conceptions purement internes et institutionnelles, complétement déconnectées du présent litige, là où la méthode de la reconnaissance invite à s'extraire de ce type de considérations pour se concentrer sur les valeurs universelles,

* si l'institution civile du mariage était indissociable de la conception religieuse de celui-ci, compte tenu de la place importante de la religion en Principauté, il est permis de s'interroger sur les raisons pour lesquelles le droit civil monégasque autorise et régit le divorce, institution pourtant fermement rejetée par l'Église catholique et contraire à sa conception du mariage, ou n'impose pas une condition tenant à la volonté/possibilité de procréer aux couples souhaitant se marier (qui n'est pas une condition de nullité ou de cause de divorce), ni même un empêchement à mariage au-delà d'un âge où il serait biologiquement impossible de procréer,

* en réalité, les systèmes religieux d'une part et civil d'autre part sont complètement étanches : le simple fait que le mariage religieux ne suffise pas sur le plan civil à conférer le statut d'époux le confirmant, ce qui n'est pas le cas dans les pays de la charia notamment où la religion fait partie de la Constitution et où le mariage religieux suffit,

* cette étanchéité entre la morale chrétienne et le droit civil a également été affirmée par la Cour d'appel dans un arrêt du 14 janvier 2020,

* s'ils ne nient pas que le mariage peut avoir une dimension religieuse, ils estiment qu'elle ne doit pas faire obstacle à la reconnaissance de leur mariage célébré à l'étranger,

* en tout état de cause, la CEDH n'admet pas les atteintes aux droits fondamentaux fondées sur des considérations religieuses (arrêt AB., 3 mai 2011),

* la Cour d'appel ne pourra dès lors que confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a jugé qu'il ne peut être déduit de la religion l'État ou de la place de la religion/morale catholique dans le Principauté que la reconnaissance d'un mariage entre deux personnes de même sexe serait contraire à l'ordre public international monégasque,

* par ailleurs, le Tribunal a valablement mis en œuvre l'ordre public international atténué au terme d'une appréciation in concreto et conforme au principe d'actualité,

* conformément aux principes généraux du droit international privé, lorsqu'il est question d'accueillir une situation juridique valablement constituée à l'étranger (instance indirecte), l'exception d'ordre public international a vocation à être actionnée dans des cas plus restreints (effet atténué de l'ordre public international), cette notion ayant été explicitée par l'arrêt A64.,

* l'effet atténué de l'ordre public impose la reconnaissance des situations créées valablement à l'étranger quand bien même elles résulteraient d'une loi qui aurait été écartée si elle avait eu à s'appliquer directement sur le territoire du for,

* le seuil de tolérance est plus élevé en matière de reconnaissance que dans l'instance directe,

* la mise en œuvre de l'ordre public atténué dans le contentieux de la reconnaissance s'explique par les exigences tenant au respect des situations valablement créées à l'étranger et des droits acquis, ainsi que par la recherche d'une certaine harmonie des solutions,

* les illustrations jurisprudentielles témoignent de tels impératifs : la jurisprudence française ayant permis d'accueillir et de faire produire des effets à des mariages polygamiques valablement conclus à l'étranger, malgré leur évidente contrariété avec l'ordre public interne et alors même qu'ils n'auraient jamais pu naître sur le territoire national en raison de leur contrariété à l'ordre public plein ; la jurisprudence monégasque ayant admis les effets d'unions bigamiques qui auraient été déclarées nulles si elles avaient été célébrées directement à Monaco, ayant admis les effets à Monaco d'un jugement étranger ayant prononcé le divorce par consentement mutuel ou pour altération définitive du lien conjugal avant une séparation de plus de trois années,

* le Tribunal a valablement écarté les arguments du Ministère public à l'encontre de la mise en œuvre de l'ordre public atténué,

* cette mise en œuvre n'est pas limitée aux hypothèses mettant en présence des personnes de nationalités exclusivement étrangères,

* les jurisprudences invoquées emploient des formules d'ordre général sans que la nationalité ou le domicile des parties entrent en ligne de compte, cette position du Parquet étant même contredite par un certain nombre de décision rendues en matière de reconnaissance (à propos d'un sujet monégasque, CA 29 mars 1985, d'une personne morale de droit monégasque, CA 30 mars 2021),

* outre qu'il reviendrait à instituer une discrimination à rebours au détriment des sujets monégasques, le moyen développé est contraire au droit positif et à la jurisprudence monégasques,

* en effet, la mise en œuvre d'un ordre public de proximité n'a aucunement fondement textuel ou jurisprudentiel en matière de reconnaissance d'un jugement ou un acte étranger,

* la jurisprudence française rendue en matière de répudiations a mis en œuvre l'ordre public de proximité comme un ordre public de protection visant à préserver les droits fondamentaux de l'épouse répudiée et non à l'en priver,

* aucune jurisprudence monégasque n'existe en matière de reconnaissance mettant en œuvre l'ordre public de proximité, alors que le Ministère public demande de l'introduire en invoquant la nationalité monégasque de l'un des époux pour faire rempart et non préserver les droits fondamentaux de ce dernier,

* ce n'est, en tout état de cause, pas le choix du législateur tel qu'il ressort des règles de droit international privé qu'il a édictées, le Code de droit international privé faisant une distinction très claire entre les situations dans lesquelles est en jeu l'application de la loi étrangère devant une juridiction monégasque (instance directe, article 27), pour lesquelles la proximité avec la Principauté de la situation en cause peut jouer un rôle, et celles dans lesquelles il est question d'accueillir une situation étrangère valablement créée à l'étranger (instance indirecte article 34), soumise au seul ordre public atténué,

* le Ministère public créé une distinction artificielle entre « reconnaissance d'une situation » juridique créée à l'étranger et une « demande tendant à faire produit des effets à cette situation », aucun texte n'y faisant référence,

* il en est de même de la distinction entre transcription et le fait de faire produire effet, la transcription n'étant pas source de droit mais source d'opposabilité d'un droit déjà acquis aux tiers et aux autorités de l'État concerné,

* l'article 171-5 du Code civil français rappelle que la transcription du mariage d'un français célébré à l'étranger permet à celui-ci de produire ses effets à l'égard des tiers, là où les effets d'un mariage non transcrit se limitent aux époux et aux enfants,

* la transcription prend donc acte d'un droit qui existe déjà et lui permet de produire pleinement ses effets vis-à-vis des tiers,

* les jurisprudences visées par le Parquet général ne révèlent aucunement la distinction dont il souhaiterait se prévaloir, alors que dans l'arrêt A64., il ne s'agissait pas de faire produire des effets à un divorce pour permettre un remariage mais de demander la nullité d'un second mariage au nom de la non-reconnaissance, revendiquée par le demandeur, du jugement de divorce étranger ayant dissout son premier mariage, la Cour de cassation ayant approuvé le rejet de la demande de nullité du second mariage dès lors que la décision étrangère de divorce était reconnue de plein droit en France et y produisait ses effets,

* dans l'arrêt AC., s'il n'y a pas eu de transcription du mariage polygame dont le juge français a admis les effets successoraux, c'est dans un contexte où cette transcription n'était pas demandée par les parties et où elle n'était pas possible (toutes les parties étant de nationalité algérienne et le mariage ayant été célébré en Algérie), alors que pour autant, la seconde épouse a pu bénéficier des droits du conjoint survivant en France, l'ordre juridique français ayant bien reconnu son statut de femme mariée,

* en synthèse, lorsqu'il s'agit de faire produire des effets à une décision ou un acte étranger en matière d'état des personnes, cela passe nécessairement par le véhicule juridique de la reconnaissance qui implique par la suite la transcription en matière d'état civil lorsque l'une des personnes concernées a la nationalité du pays dans lequel cette institution étrangère a vocation à déployer ses effets,

* comme le Ministère public le précise pour le divorce, son prononcé est indivisible de ses effets, la reconnaissance du statut d'époux est indissociable des effets qui s'y attachent,

* le rapport sur le projet de loi n° 912 relative au droit international privé fait un lien indissociable entre reconnaissance et production d'effets d'une institution étrangère, tout comme les juridictions monégasques, qui sont passées par la reconnaissance pour faire produire des effets à une institution étrangère y compris un mariage (TPI 12 octobre 1995, le Tribunal ayant accepté de prononcer la dissolution à Monaco d'un mariage bigamique célébré à l'étranger au nom de l'ordre public atténué qui a permis de reconnaître l'existence d'un mariage polygamique ; TPI 23 février 1995, à propos de la reconnaissance d'un acte de renonciation à la réserve légale successorale et d'un testament olographe conjonctif),

* leur demande ne porte pas sur la validité du mariage homosexuel mais sur la reconnaissance de leur mariage valablement célébré à l'étranger dans l'ordre juridique monégasque et ne vise pas davantage à introduire la légalisation du mariage entre personnes de même sexe dans le droit interne monégasque,

* pour conclure à la conformité de la reconnaissance du mariage des époux à l'ordre public international monégasque, le Tribunal a opéré une véritable analyse in concreto de la situation (Cour de Révision, 9 octobre 2009) conduisant à s'attacher à vérifier si le résultat concret de la reconnaissance aurait pu porter atteinte à l'ordre international, tandis que l'analyse du Ministère public révèle l'absence de toute appréciation factuelle de la situation juridique ou toute référence à la situation concrète des époux ou aux conséquences qu'ils auraient à subir si leur mariage n'était pas reconnu,

* le parti pris du Parquet Général de l'atteinte à l'ordre public international monégasque, peu important l'identité ou la situation des intéressés, est contradictoire avec le fait d'avoir ouvert le contrat civil de solidarité aussi insatisfaisant et insuffisant soit-il aux couples de même sexe,

* en faisant évoluer sa législation, le législateur monégasque a exprimé le fait que la société monégasque ne considérait pas l'union de personnes de même sexe comme « inacceptable » dans l'ordre juridique interne mais au contraire comme un fait social qu'il convenait d'encadrer,

* cette position du Ministère public est également directement contraire aux principes gouvernant le droit international privé et ceux gouvernant le contrôle de l'ordre public international, mais aussi révélateur d'un jugement moral qui ne devrait pas avoir sa place dans la problématique soumise à la Cour,

* le Parquet Général assume de faire de leur couple une question générale et politique, sans aucun égard pour leur droit au respect de la vie privée et familiale, et ce, pour la seule raison de leur homosexualité, ce qui est de toute évidence discriminatoire,

* si le Ministère public mentionne l'exemple de la contrariété à l'ordre public international d'une part, de la répudiation, et d'autre part, l'interdiction du mariage homosexuel, c'est au nom du combat contre les discriminations que les Tribunaux français ont rejeté les jugements et lois étrangers,

* dans la présente affaire, par opposition, c'est en faveur d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle des demandeurs que le Ministère public demande à la Cour de trancher sans même examiner les circonstances, ni les conséquences pour le couple,

* le Tribunal s'est bien intéressé à l'éventuelle atteinte à l'ordre social monégasque pour l'écarter (contrat civil de solidarité, en tenant compte de l'ensemble de la société monégasque, des évolutions sociétales et de la diversité de la population du pays, absence d'atteinte portée aux droits des couples de sexe opposé de bénéficier de la législation sur le mariage) et a estimé que l'atteinte portée à la vie privée et familiale des demandeurs serait disproportionnée,

* par ailleurs, l'appréciation de l'ordre public international doit se faire conformément au principe d'actualité, en se référant aux conceptions actuelles du droit du for, ce qui apparaît conforme aux prescriptions de la CEDH,

* le Ministère public oppose à cette nécessaire prise en compte de l'évolution de l'opinion publique la souveraineté du Prince, l'absence de réforme législative ainsi que les définitions classiques du mariage,

* la question de la souveraineté n'a pas sa place dans la prise en compte des évolutions sociales exigée par la CEDH pour l'appréciation de l'ordre public international en ce qu'il comprend les droits fondamentaux garantis par la CESDH, cette nécessité s'imposant quel que soit le système politique,

* il ressort du rapport sur Monaco publié très récemment (mars 2022) par l'ECRI (Commission européenne contre le racisme et l'intolérance) que l'avancée que peut constituer le contrat civil de solidarité est insuffisante au regard de la société monégasque et que le « cadre législatif n'a pas évolué au même rythme » que celle-ci, la délégation de l'ECRI ayant recueilli des témoignages de personnes homosexuelles ou bisexuelles « confirmant l'absence d'intolérance ou de discrimination à Monaco en raison de leur orientation sexuelle, que ce soit dans la sphère publique ou privée »,

* ainsi contrairement à ce que soutient le Ministère public, la société monégasque, non seulement, adhère à l'amorce d'évolution législative concernant la situation des couples de personnes de même sexe, mais est également en avance sur le législateur puisque la population est favorable à un traitement égalitaire entre couples hétérosexuels et homosexuels, étant souligné que la Cour européenne a rappelé récemment que « la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d'une position dominante », et qu'elle a « constamment refusé d'avaliser des politiques et des décisions qui incarnent un préjugé de la part d'une majorité hétérosexuelle à l'encontre d'une minorité homosexuelle »,

* le Tribunal a pris en compte les exigences de la CEDH pour conclure à la nécessaire reconnaissance de leur mariage,

* la CESDH a une autorité supérieure à la loi et est d'applicabilité directe,

* les juridictions monégasques ont très récemment mis en œuvre les droits fondamentaux garantis par la CESDH et plus précisément le droit au respect de la vie privée pour accepter une demande de rectification de sexe et de prénom à l'état civil monégasque (TPI, 4 juillet 2022), s'écartant du cadre législatif interne pour garantir l'effectivité des droits protégés par la CESDH et la continuité du statut personnel des individus,

* c'est un ordre public enrichi de normes supranationales qui commande de reconnaître un lien matrimonial valablement établi à l'étranger,

* l'applicabilité directe emporte l'obligation de respecter les articles 8 et 14 de la CESDH,

* la mise en œuvre du contrôle de l'ordre public inclut le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales (arrêt AD. 20 juillet 2001), tandis que l'incidence du droit des libertés fondamentales quant à l'accueil d'institutions et de décisions étrangères s'apprécie au travers du principe de proportionnalité (arrêt Z., 28 juin 2007), le droit au respect de la vie privée visant à prévenir les individus contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics et obligeant ces derniers à ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (arrêt S., 29 juin 1995),

* la CEDH considère que la capacité à s'engager dans des relations stables couvertes par les notions de vie privée et familiale protégées par l'article 8 ne se limite pas aux couples de sexe opposé,

* la Cour est allée plus loin en affirmant à plusieurs reprises que les couples de même sexe ont besoin d'une reconnaissance légale et d'une protection de leur relation (arrêt M. 14 décembre 2017) et que cette question relève d'une application combinée des articles 8 et 14 de la CESDH,

* cette reconnaissance ne se limite pas à la reconnaissance du couple en tant que tel mais englobe plus largement les intérêts matériels et notamment les « obligations alimentaires » ou encore le « domaine des successions et libéralités entre proches parents (qui) apparaît intimement associé à la vie familiale » (arrêt AE. 13 juin 1979),

* la Cour européenne a eu l'occasion de préciser que le fait de ne pas cohabiter pour des raisons professionnelles ou sociales ou encore l'impossibilité de procréer ne prive pas les couples engagés dans une relation stable de cette protection,

* la Cour a rappelé que la notion de vie privée couvre non seulement les aspects les plus intimes de la vie des individus mais aussi « le droit de mener une vie privée sociale, à savoir la possibilité pour un individu de développer son identité sociale »,

* dès lors, la reconnaissance officielle et l'octroi d'un régime juridique de reconnaissance et de protection aux couples de même sexe « participe non seulement du développement de leur identité personnelle mais aussi de leur identité sociale que l'article 8 de la Convention leur garantit » (arrêt Y., 17 janvier 2023),

* la Cour européenne ne se contente pas d'imposer aux États de prévoir au sein de leur législation des outils de reconnaissance des situations familiales, et elle les condamne également lorsqu'ils refusent de reconnaître des liens familiaux constitués à l'étranger et préexistant de facto,

* concernant la transcription d'unions conjugales, la Cour a eu l'occasion d'affirmer que l'enregistrement d'un mariage, en tant qu'il reconnaît l'état civil d'un individu, relève du champ de l'application de l'article 8 et que la marge de manœuvre en la matière est restreinte dès lors que le sujet soulève une question liée à l'identité, les autorités étatiques devant tenir compte de la réalité de la situation sociale des individus (arrêt Q., 20 juillet 2020 concernant les retards excessifs de transcription d'un mariage célébré dans un autre pays constituant une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit au respect de l'identité personnelle protégé par l'article 8),

* la différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle serait traitée au titre de l'article 14 de la CESDH pour laquelle la Cour affirme depuis de longue date que la marge d'appréciation des États en la matière est étroite,

* dans ce cas, la Cour estime que le principe de proportionnalité impose non seulement un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, mais aussi que la différence de traitement soit nécessaire pour atteindre le but recherché,

* en l'espèce, la reconnaissance de leur mariage ne cause aucune atteinte à l'ordre public international monégasque, alors qu'en tout état de cause, le refus de le reconnaître constituerait une violation disproportionnée de leur droit garanti par l'article 8 de la CESDH et 22 de la Constitution, ainsi qu'une discrimination au sens de l'article 14 de cette Convention combiné aux articles 8 et 12,

* le statut de personne mariée est un élément essentiel de l'identité des époux en sorte que l'État monégasque dispose d'une marge d'appréciation restreinte pour s'opposer à ce que leur mariage produise effet sur son territoire,

* l'opposition du Ministère public leur fait subir un retard fautif dans la transcription de leur union, les privant ainsi d'une facette importante de leur identité personnelle sur le territoire monégasque,

* le Parquet Général ne peut s'abriter derrière l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe en droit interne pour refuser de reconnaître leur mariage, la jurisprudence européenne invitant les États à faire produire des effets à des situations non admises en droit interne si l'inverse devait causer une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale,

* le Ministère public ne peut faire valoir une violation à l'ordre public international monégasque dès lors que celle-ci n'est pas démontrée,

* quand bien même il y aurait atteinte à cet ordre public international, l'atteinte portée à leur vie privée et familiale est disproportionnée au but recherché, à savoir la défense du mariage réservé aux personnes de sexe opposé, dès lors que cette reconnaissance ne porte aucune atteinte aux droits des couples hétérosexuels,

* l'absence de reconnaissance juridique de leur mariage a pour effet de les priver des droits qui découlent du statut marital, ce qui impacte directement leur vie privée et familiale (rapport ECRI concernant la carte de résident, la couverture sociale, le droit à pension de réversion, droits familiaux et parentaux, y compris le droit à l'héritage),

* la différence de traitement revendiquée par le Ministère public n'est fondée que sur leur orientation sexuelle, alors qu'il n'est pas justifié d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé, soit le refus de reconnaissance et le but visé, de la protection de l'institution juridique du mariage réservée aux couples hétérosexuels, ni encore du caractère nécessaire de cette différence de traitement dans la mesure où la reconnaissance n'aura pas pour conséquence de remettre en cause la législation interne monégasque,

* enfin, la décision de première instance doit être confirmée en ce qu'elle a considéré que la conclusion d'un contrat civil de solidarité ne permettait pas de préserver leurs droits fondamentaux compte tenu des insuffisances de la législation monégasque, eu égard aux exigences de la CEDH,

* dans l'arrêt AF., la Cour a relevé que la question du cadre juridique offert aux couples de même sexe, en ce qu'elle relève du besoin des couples de voir leur statut reconnu et de bénéficier d'une protection dans leurs droits, concerne une facette essentielle de leur existence et identité, les États ayant une marge d'appréciation étroite en la matière, qui l'est d'autant plus qu'un consensus se dégage progressivement sur la nécessité d'offrir aux couples de même sexe un statut alternatif impliquant une réelle reconnaissance sociale de leur union et garantissant des droits équivalents à ceux dont bénéficient les couples mariés,

* sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 30 offrent une reconnaissance civile des couples de même sexe (dont 19 ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe) et au sein des 14 pays n'ayant pas encore avancé sur le terrain du mariage, 13 d'entre eux offrent aux couples de même sexe un statut alternatif garantissant une reconnaissance sociale véritable et un solde de droits solide, conforme aux exigences de la CEDH, la législation monégasque insuffisante et lacunaire apparaissant comme isolée au sein des membres du Conseil de l'Europe,

* si la Cour européenne n'oblige pas à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, elle impose d'offrir à ces couples une forme de reconnaissance et de protection juridique de leurs relations remplissant un certain nombre de critères,

* elle vise, aux termes de l'arrêt AF., les droits et obligations mutuels existant au sein du couple, lesquels incluent une assistance morale et matérielle, des obligations alimentaires et des droits successoraux, étant relevé que les jurisprudences citées par le Parquet Général, dont l'interprétation est très personnelle, sont toutes antérieures à cette jurisprudence,

* l'arrêt le plus « récent » de 2014 concernant la Finlande n'est pas pertinent en l'espèce puisque la législation permettait de continuer à bénéficier dans un autre cadre de la même protection juridique que le mariage,

* le socle des droits garantis par le contrat civil de solidarité est insuffisant puisque les partenaires ne peuvent se prévaloir des droits et devoirs respectifs des époux (article 1272 du Code civil), n'ont aucune obligation alimentaire (s'agissant d'une simple contribution aux besoins courants de la vie commune et à la solidarité à l'égard des tiers pour les dettes contractées pour les besoins de la vie courante, article 1274 du Code civil), sont privés de toute vocation successorale dans la succession de l'autre (donations rapportables à la succession du donateur/vocation légale ab intestat du conjoint à hauteur du 1/4, même en présence d'enfants), sont soumis à une imposition de 4 % contre une exonération en cas de mariage, et n'ont pas droit à une pension de réversion (lacunes constatées par l'ECRI et améliorations hautement souhaitables sur la qualité d'héritier, l'autorité parentale, la tutelle, les droits familiaux, la réversion de la pension), étant souligné que l'année ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi, seuls neuf contrats ont été conclus,

* par ailleurs, le contrat civil de solidarité est dénué de toute dimension sociale et symbolique dès lors qu'il n'est pas réservé aux relations de couples (unions libres ou membres d'une même famille vivant sous la forme d'une communauté de toit),

* le Haut Commissariat à la Protection des droits, des libertés et à la médiation avait alerté sur le fait que cette extension avait pour effet de dénaturer profondément l'objet de ces contrats et de les faire sortir radicalement du domaine de la conjugalité initialement visé, ce qui a affaibli la réponse à l'attente réelle des couples homosexuels de pouvoir bénéficier d'une reconnaissance et d'une protection effective de leur relation,

* cette position est révélatrice de la forte réticence de l'État monégasque à accorder une reconnaissance juridique spécifique aux couples en dehors du mariage, et va à l'encontre du choix fait par une très large majorité des États européens qui ont réservé les formes légales de partenariat et d'union civile aux seuls couples,

* seuls de très rares pays comme la Belgique ont fait le choix de faire exister dans le même objet juridique un statut conjugal et un statut de simple cohabitation bien qu'elle ait ouvert depuis le mariage aux couples de même sexe,

* l'effacement symbolique du couple et du lien moral et affectif se traduit par l'emploi du terme « contrat » plutôt que de « pacte » et par sa place dans le livre III du Code civil relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété, tandis que les droits conférés sont de caractère purement patrimonial et financier, qu'il n'y a aucun effet sur l'état civil, que sa conclusion consiste en une simple déclaration conjointe devant notaire, que ce contrat n'a aucune conséquence sur la dévolution du nom de famille, ne créé pas de liens d'alliance entre les partenaires, ce qui se traduit par une absence d'obligation alimentaire,

* cette exclusion est d'autant plus incohérente que dans le traitement administratif des couples vivant en concubinage, notamment pour l'octroi d'aides sociales ou l'accès aux logements sociaux, les revenus de la personne avec laquelle le demandeur vit sont pris en compte, l'État admettant ainsi un devoir d'assistance au premier rang,

* c'est dans ce contexte que l'ÉCRI a invité la Principauté à reformer sa législation pour supprimer toutes les différences de traitement,

* enfin, la décision sera confirmée en ce qu'elle a jugé que la conclusion d'un contrat civil de solidarité ne permettrait pas de préserver les droits fondamentaux des époux compte tenu de la fragilité d'un tel contrat en ce qui les concerne,

* l'article 1265 du Code civil qui ne précise pas si la nullité est encourue en cas de mariage ou de mariage reconnu en Principauté créé un doute et une insécurité juridique attentatoire à leurs droits fondamentaux,

* l'argument du Ministère public est particulièrement contestable en ce que le législateur a envisagé l'internationalité des situations en faisant référence à des personnes de nationalité étrangère et/ou domiciliées à l'étranger ainsi qu'à des partenaires liés par un contrat civil de solidarité conclu à l'étranger (articles 1267 et 1278),

* plutôt que de partir du principe que le législateur n'a pas réfléchi à la question, on pourrait à l'inverse penser que l'absence de précision est liée au fait qu'il a considéré que les époux valablement mariés à l'étranger verraient leur mariage reconnu et n'auraient donc aucune raison de conclure un tel contrat,

* ils ont ainsi conclu un contrat civil de solidarité le 12 janvier 2021 devant notaire qui a émis des réserves sur la validité du contrat,

* quand bien même leur contrat ne ferait l'objet d'aucune demande d'annulation, il n'en reste pas moins qu'un refus de reconnaissance de leur mariage les placerait dans une situation boîteuse tant sur le plan interne qu'international quant à la continuité de leur statut personnel, susceptible de changer suivant le pays dans lequel ils se trouvent,

* l'infirmation de la décision de première instance les placerait dans une position de vulnérabilité absolue tant sur le plan symbolique que matériel,

* la Cour européenne fait également peser sur les États une obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la préservation des droits fondamentaux et notamment du droit au respect de la vie privée et familiale,

* cette obligation incombe à l'État mais aussi aux pouvoirs publics, si bien qu'en l'absence d'une législation suffisamment protectrice d'un droit fondamental en raison d'une carence des autorités législations/gouvernementales, les juridictions ont l'obligation positive de préserver, par leurs décisions, le respect dudit droit,

* la mise en balance des intérêts en présence conduit, dans l'exercice du contrôle de proportionnalité exigé par la CEDH, à constater qu'un refus de reconnaissance causerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale dans leur situation particulière et que cette atteinte va au-delà de la prétendue contrariété à l'ordre public international (non démontrée),

* face à l'insuffisance manifeste du cadre légal monégasque, les juridictions ont l'obligation positive de reconnaître leur mariage pour éviter une atteinte supérieure au droit au respect de la vie privée et familiale.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures récapitulatives ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel du Ministère Public formé par acte d'assignation du 12 avril 2022, qui est conforme aux conditions de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable, le jugement ayant été signifié le 16 mars 2022 ;

Attendu que les demandes « de dire et juger » du Procureur Général ou de « confirmation » de constatation des intimés, qui ne portent pas sur le dispositif de la décision de première instance querellée, ne constituent pas des prétentions mais des moyens auxquels il sera répondu dans le corps de l'arrêt ;

Attendu que la présente instance concerne la reconnaissance en Principauté de Monaco du mariage de E., de nationalité monégasque, et de r. A., de nationalité américaine, célébré aux États-Unis d'Amérique, si bien qu'il convient de faire application de l'article 34 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé aux termes duquel « Le mariage conclu à l'étranger valablement selon le droit de l'État de célébration est reconnu comme tel dans la Principauté, sauf s'il est contraire à l'ordre public monégasque, ou s'il a été célébré à l'étranger dans l'intention manifeste d'éluder les dispositions du droit monégasque » ; que le législateur a réservé l'application des lois nationales de chacun des époux, quant aux conditions de fond, aux mariages célébrés à Monaco (article 33 de la loi n° 1.448), en sorte qu'il n'y a pas lieu de s'y référer s'agissant d'un mariage célébré à l'étranger ;

Attendu qu'il est constant que le mariage en cause, entre personnes de même sexe, a été valablement conclu dans l'État du Michigan aux États-Unis d'Amérique, conformément à la loi de l'État de célébration, puisqu'une décision de la Cour Suprême des États-Unis d'Amérique du 26 juin 2015 (AG.) a reconnu le droit constitutionnel du mariage entre personnes de même sexe ;

Attendu qu'il n'est pas davantage établi que les époux ont manifestement et intentionnellement cherché à éluder les dispositions légales monégasques puisque r. A. est de nationalité américaine, résidait aux États-Unis lors de la célébration du mariage et y a même conservé une adresse pour des raisons professionnelles, tandis qu'il n'est pas contesté que E. se rend régulièrement aux États-Unis pour l'y rejoindre, en sorte qu'aucune fraude à la loi monégasque n'apparaît caractérisée ;

Attendu que les juridictions monégasques saisies de la question de la reconnaissance dudit mariage doivent déterminer, au jour où elles statuent et de manière concrète (principe d'actualité et d'appréciation in concreto), si ce mariage, valablement célébré à l'étranger sans fraude, est ou non contraire à « l'ordre public monégasque » et plus précisément à l'ordre public international monégasque, lequel est plus restreint que l'ordre public interne et en constitue le noyau dur ; qu'il s'ensuit que la référence aux articles 116 et 147 du Code civil interdisant le mariage de personnes de même sexe est insuffisante à l'égard de l'appréciation de la contrariété à l'ordre public international monégasque ; que le Ministère public a également renoncé à ses arguments de première instance concernant les lois de police en sorte que la Cour ne les examinera pas ;

Attendu en outre, que si les États parties à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (ci-après CESDH) n'ont pas l'obligation d'intégrer dans leur ordre public international les droits fondamentaux issus de cette convention internationale, il n'en demeure pas moins qu'ils ont l'obligation d'assurer le respect de ces droits fondamentaux à toute personne relevant de leur juridiction ;

Attendu qu'aux termes de l'arrêt récent, AA. et autres c/ Russie du 17 janvier 2023, la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après CEDH), évoquant sa jurisprudence concernant la reconnaissance et la protection juridiques des couples de même sexe, énonce :

«141. La Cour rappelle que la « vie privée » au sens de l'article 8 de la Convention est une notion large non susceptible d'une définition exhaustive qui englobe le droit à l'épanouissement personnel (K. A. et A. D. c. Belgique, n° et, § 83, 17 février 2005), que ce soit sous la forme du développement personnel (AH. no, § 47, CEDH 2001-I, et F. c. Royaume-Uni [GC], no, § 90, CEDH 2002-VI) ou sous celle de l'autonomie personnelle, qui reflète un principe important dans l'interprétation des garanties de l'article 8 (AI. no, § 61, CEDH 2002-III).

142. L'orientation sexuelle relève de la sphère personnelle protégée par l'article 8 de la Convention (AJ., 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, E. B. c. France [GC], no, § 43, 22 janvier 2008, et H. c. France, no, § 37, CEDH 2012).

143. Par ailleurs, la Cour a considéré qu'il serait trop restrictif de réduire la notion de « vie privée » aux aspects les plus intimes de la vie des individus (voir notamment AK., 16 décembre 1992, § 29, série A no 251-B). Ainsi, l'article 8 garantit un droit à la « vie privée » au sens large, qui comprend le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l'individu de développer son identité sociale. Sous cet aspect, ledit droit consacre la possibilité d'aller vers les autres afin de nouer et de développer des relations avec ses semblables (AL.[GC], no, § 70, 5 septembre 2017 et jurisprudence y citée). Par conséquent, la « vie privée » d'une personne recouvre de multiples aspects de son identité sociale (AM., précité, § 87, et AN.[GC], no, § 95, 25 septembre 2018). La Cour a notamment jugé que l'état civil d'une personne, qu'elle soit mariée, célibataire, divorcée ou veuve, relève de son identité personnelle et sociale protégée par l'article 8 (AO., no, § 48, 20 juillet 2010).

144. En l'occurrence, la Cour admet que l'absence d'un régime juridique de reconnaissance et de protection ouvert aux couples de même sexe affecte l'identité tant personnelle que sociale des requérants, en tant que personnes homosexuelles désireuses de voir leurs relations de couple légitimées et protégées par le droit. L'article 8 trouve dès lors à s'appliquer sous son volet « vie privée ».

* b) Vie familiale

145. La « vie familiale » au sens de l'article 8 de la Convention est d'abord une question de fait, qui dépend de l'existence de liens personnels étroits (AP., 13 juin 1979, § 31, série A no 31, et K. et T. c. Finlande [GC], no, § 150, CEDH 2001‑VII). La notion de « famille » visée par l'article 8 concerne les relations fondées sur le mariage mais aussi d'autres liens « familiaux » de facto, notamment lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital (AP. c. Irlande, 18 décembre 1986, § 55, série A no 112, AQ., 26 mai 1994, § 44, série A no 290, et AR.[GC], no, § 140, 24 janvier 2017).

146. Concernant les relations entre personnes de même sexe, la Cour a considéré dans l'arrêt AS1.qu'eu égard à l'évolution rapide dans de nombreux États membres quant à la reconnaissance juridique des couples de même sexe, il était artificiel de continuer à considérer qu'au contraire d'un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne saurait connaître une « vie familiale » au sens de l'article 8. Elle a dès lors estimé que la relation qu'entretenaient les requérants, formant un couple homosexuel cohabitant de facto de manière stable, relevait de la notion de « vie familiale » au même titre que celle d'un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation (AS., précité, § 94).

147. Dans l'affaire AT., la Cour a confirmé ce principe et a ajouté que l'absence de cohabitation, pour des raisons professionnelles et sociales, ne prive pas les couples concernés de la stabilité qui les fait relever de la « vie familiale » au sens de l'article 8 (AT. [GC], nos et, § 73, CEDH 2013 (extraits)). À cet égard, la Cour a noté dans l'arrêt AF. et autres c. Italie que dans le monde globalisé d'aujourd'hui, de nombreux couples connaissent des périodes pendant lesquelles ils vivent leur relation à distance, dès lors qu'ils résident dans différents pays pour des raisons professionnelles ou autres. L'absence de cohabitation n'a donc pas en soi d'incidence sur l'existence d'une relation stable ni sur la nécessité de la protéger (AU. précité, § 169).

148. La Cour a par la suite confirmé à plusieurs reprises que l'article 8 de la Convention trouvait à s'appliquer tant en son volet « vie privée » qu'en son volet « vie familiale » dans des affaires portant sur le défaut allégué de reconnaissance et/ou de protection juridiques de couples de même sexe (AV., nos et 3 autres, § 143, 14 décembre 2017, AW., no, § 68, 23 février 2016, I. c. France, no, § 44, 9 juin 2016, et AX., no, § 58, 30 juin 2016).

(…)

156. La jurisprudence de la Cour relative à la protection due aux personnes homosexuelles sous l'angle de l'article 8 n'a cessé d'évoluer et de gagner en consistance au fil du temps. Si la Cour a initialement été amenée à se prononcer sur des ingérences touchant aux aspects les plus intimes de la vie privée de ces personnes (voir AY., 26 octobre 1988, série A no 142, et Modinos c. Chypre, 22 avril 1993, série A no 259, à propos de la criminalisation des actes homosexuels commis en privé entre adultes consentants ; voir également AZ., nos et, CEDH 1999-VI, et A1. nos et, 27 septembre 1999, concernant la révocation de personnes homosexuelles des forces armées), elle a progressivement été amenée à connaître de griefs portant sur l'absence ou l'insuffisance de la protection des couples constitués de personnes de même sexe (voir, par exemple, A2. concernant la transmission du bail à une personne homosexuelle en cas de décès de son partenaire ; H., précité, à propos de l'accès à l'adoption simple par un couple de même sexe ; A3. précité, et A4. précité, à propos de l'octroi au partenaire homosexuel d'un permis de séjour pour raisons familiales).

157. Aussi la Cour a-t-elle eu progressivement à connaître de plusieurs affaires portant sur l'absence de reconnaissance et de protection juridiques des couples de même sexe.

158. Ainsi, dans l'affaire AS., précitée, les requérants alléguaient une discrimination au motif que, étant tous deux de même sexe, ils ne pouvaient ni se marier ni faire reconnaître juridiquement d'une autre manière leur relation. Examinant sous le seul angle de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention les griefs des requérants, la Cour a commencé par affirmer que ceux-ci se trouvaient dans une situation comparable à celle d'un couple hétérosexuel pour ce qui était de leur besoin de reconnaissance et de protection de leur relation (AS., précité, § 99). Ensuite, concernant le grief tiré d'une absence d'une autre forme de reconnaissance juridique que le mariage, la Cour a observé que le législateur autrichien a adopté une loi sur le partenariat enregistré, entrée en vigueur le 1er janvier 2010, après l'introduction par les requérants de leur requête. Dans ces circonstances, la question à trancher n'était pas, selon la Cour, celle de savoir si l'absence de reconnaissance juridique des couples homosexuels aurait emporté violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 si telle était encore la situation au moment de l'examen de la Cour, mais seulement si l'État défendeur aurait dû fournir aux requérants un mode de reconnaissance plus tôt qu'il ne l'avait fait (A4., § 103). À cet égard, la Cour a estimé qu'en permettant, à partir de 2010, aux partenaires de même sexe d'obtenir un statut juridique équivalent ou similaire au mariage à de nombreux égards (A4., § 109), l'Autriche n'avait pas enfreint l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention (A4., § 106).

159. L'affaire A5.se présentait de manière différente. Les requérants se plaignaient de ce que le « pacte de vie commune » instauré en Grèce par la loi no 3719/2008 était réservé uniquement aux couples hétérosexuels. La Cour a relevé que le partenariat civil prévu par cette loi, en tant que forme de vie commune officiellement reconnue autre que le mariage, avait en soi une valeur pour les requérants, indépendamment des effets juridiques, étendus ou restreints, que celui-ci produisait. Elle a souligné que la vie en commun des couples de même sexe implique les mêmes besoins de soutien et d'aide mutuels que ceux des couples de sexe opposé. Les couples de même sexe auraient dès lors tout particulièrement intérêt à être admis au bénéfice du « pacte de vie commune » car celui-ci leur offrirait, à la différence des couples de sexe opposé, la seule base juridique en droit grec pour revêtir leur relation d'une forme reconnue par la loi. En outre, l'extension du pacte de vie commune aux couples de même sexe leur permettrait de réglementer les questions patrimoniales, de pension alimentaire et de succession non pas à titre de simples particuliers concluant entre eux des contrats de droit commun mais en tant que couple officiellement reconnu par l'État (A6., précité, §§ 81 et 90). Le Gouvernement n'ayant pas fait état de raisons solides et convaincantes susceptibles de justifier l'exclusion des couples de même sexe du pacte de vie commune (A4., § 92), la Cour a conclu à la violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention.

160. La Cour note que dans les affaires AS. et A6., elle ne s'est pas prononcée au regard de l'article 8 de la Convention pris isolément. En outre, dans l'affaire A6., le grief des requérants ne portait pas sur un manquement de l'État grec à une obligation positive qui lui aurait été imposée de prévoir une forme de reconnaissance juridique des couples de même sexe (A6., précité, § 75). Il concernait l'exclusion des couples de même sexe d'un régime juridique mis en place par le législateur en plus du mariage et dont seuls les couples hétérosexuels pouvaient bénéficier.

161. La Cour a toutefois statué ultérieurement sur des griefs pris de la violation de l'article 8 de la Convention dans d'autres affaires qui concernaient directement l'impossibilité d'obtenir une reconnaissance et une protection juridiques des couples de même sexe.

162. Ainsi, dans l'arrêtAF. et autres, la Cour a affirmé qu'il incombait à l'État défendeur d'assurer le respect de la vie privée et familiale des couples homosexuels par la mise en place d'un cadre juridique garantissant la reconnaissance et la protection de leurs relations en droit interne (AU. précité, § 164). Élle a rappelé que les couples homosexuels sont, à l'instar des couples hétérosexuels, capables de s'engager dans des relations stables et ont un besoin comparable de reconnaissance juridique et de protection de leurs relations (A4., § 165). Se tournant ensuite vers le cas d'espèce, la Cour a pris note de la position de la Cour constitutionnelle italienne, laquelle avait appelé à la reconnaissance et à la protection juridiques des droits et devoirs propres aux couples de même sexe (A4., § 180) et elle a observé que ladite position reflétait le sentiment de la majorité de l'opinion publique italienne (A4., § 181). Après avoir examiné les intérêts des requérants dépourvus d'un régime de protection de leur couple et les arguments invoqués par l'État défendeur au titre de l'intérêt général, la Cour a conclu qu'en l'absence d'un intérêt prépondérant de la communauté susceptible d'être mis en balance avec les intérêts des requérants, l'Italie avait excédé sa marge d'appréciation et n'avait pas satisfait à son obligation positive de fournir aux requérants un cadre juridique spécifique assurant la reconnaissance et la protection de leur couple de même sexe (A4., § 185).

163. La Cour a réitéré ces mêmes constats dans l'arrêt A8., en rappelant la nécessité d'accorder au titre de l'article 8 de la Convention une reconnaissance et une protection juridiques aux couples de même sexe (A8., précité, §§ 192 et 210). Dans le cas d'espèce, la Cour a de nouveau considéré que l'Italie avait failli à ménager un juste équilibre dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, compte tenu de l'absence d'un cadre juridique spécifique garantissant une reconnaissance juridique et une protection effective des couples de même sexe avant 2016, date de l'entrée en vigueur de la législation sur le partenariat civil ouvert également aux personnes de même sexe (A4., § 210).

164. Il ressort dès lors de la jurisprudence de la Cour que l'article 8 de la Convention a déjà été interprété comme imposant à un État partie la reconnaissance et la protection juridiques des couples de même sexe par la mise en place d'un « cadre juridique spécifique » (AU. précité, § 185, et A8., précité, § 210).

165. En revanche, l'article 8 de la Convention n'a pas été interprété à ce jour comme imposant aux États parties une obligation positive d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe. Dans l'arrêt A9. la Cour a expressément indiqué que l'article 8 de la Convention ne pouvait être compris comme imposant une telle obligation (A9. précité, § 71). Cette interprétation de l'article 8 rejoint celle donnée de l'article 12 de la Convention par la Cour. Celle-ci a, en effet, constamment affirmé à ce jour que l'article 12 de la Convention ne saurait être compris comme imposant aux États contractants l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe (AS., précité, § 63, A9., précité, § 96,AF. et autres, précité, § 191, et A8., précité, § 192). La Cour est parvenue à une même conclusion sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, considérant que les États contractants demeurent libres de n'ouvrir le mariage qu'aux couples hétérosexuels (AS., précité, §§101 et 108, H., précité, § 66, et I., précité, § 48).

* ii/ Le degré de consensus observable au niveau national et international.

166. La jurisprudence précitée de la Cour relative à l'article 8 de la Convention, dont découle une obligation positive incombant aux États parties de reconnaître et de protéger juridiquement les couples de même sexe, s'avère en phase avec l'évolution tangible et continue des droits internes des États parties comme du droit international.

167. La Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les États démocratiques (voir, entre autres, A10 25 avril 1978, § 31, série A no 26, A11, précité, § 41, et F., précité). La Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l'homme, la Cour doit tenir compte de l'évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no, § 68, CEDH 2002-IV,- A12 c. Italie (no 2) [GC], no, § 104, 17 septembre 2009, et A13 c. Arménie [GC], no, § 102, CEDH 2011). Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence précitée, si la Cour devait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration (voir en ce sens F., précité, § 74 où la Cour a jugé qu'en vertu des obligations positives découlant pour eux de l'article 8, les États parties étaient désormais tenus d'assurer la reconnaissance des changements de sexe des transsexuels opérés, notamment en permettant aux intéressés de faire modifier leur état civil ; voir également A12, précité, § 104, concernant l'interprétation de l'article 7 de la Convention, et A13, précité, § 98, en ce qui concerne l'article 9 de la Convention).

168. Un grand nombre d'arrêts rendus par la Cour illustre cette démarche interprétative prenant appui sur l'évolution des droits des États membres du Conseil de l'Europe pour interpréter la portée des droits garantis par la Convention (voir, par exemple, A14., no, § 52, CEDH 2000‑II où, après avoir constaté « une nette tendance à la disparition des discriminations à l'égard des enfants adultérins » au sein des États membres du Conseil de l'Europe, la Cour a considéré qu'« elle ne saurait négliger une telle évolution dans son interprétation nécessairement dynamique des dispositions litigieuses de la Convention »).

169. Concernant plus spécialement les personnes de même sexe et leur protection due au titre de l'article 8 de la Convention, la Cour a indiqué, il y a plus de quarante ans, dans l'arrêt A31. précité, à propos de lois incriminant les actes homosexuels accomplis en privé par des hommes consentants, qu'« on comprend mieux aujourd'hui le comportement homosexuel qu'à l'époque de l'adoption de ces lois et l'on témoigne donc de plus de tolérance envers lui: dans la grande majorité des États membres du Conseil de l'Europe, on a cessé de croire que les pratiques du genre examiné ici appellent par elles-mêmes une répression pénale; la législation interne y a subi sur ce point une nette évolution que la Cour ne peut négliger (voir, A45., l'arrêt A11, précité, p. 19, par. 41, et l'arrêt Tyrer, précité, § 31) ».

170. En d'autres termes, ce qui pouvait passer pour « licite et normal » au moment où la Convention fut rédigée, peut s'avérer par la suite incompatible avec celle-ci (A11, précité, § 41).

171. En l'occurrence, la Cour a pris note, au fil de sa jurisprudence, d'une tendance continue en faveur de la reconnaissance et de la protection juridiques des couples de même sexe au sein des États parties.

172. Ainsi, en 2010, dans l'affaire AS., la Cour constatait que « se fait jour un consensus européen tendant à la reconnaissance juridique des couples homosexuels et que cette évolution s'est en outre produite avec rapidité au cours de la décennie écoulée. Néanmoins, les États qui offrent une reconnaissance juridique aux couples homosexuels ne constituent pas encore la majorité. Le domaine en cause doit donc toujours être considéré comme un secteur où les droits évoluent, sans consensus établi, et où les États doivent aussi bénéficier d'une marge d'appréciation pour choisir le rythme d'adoption des réformes législatives » (AS., précité, § 105). Dans le cas d'espèce, la Cour estima que la loi autrichienne sur le partenariat enregistré, entrée en vigueur le 1er janvier 2010, reflétait l'évolution décrite ci-dessus et « [s'inscrivait] (...) dans le cadre du consensus européen qui [était] en train d'apparaître » (A4., § 106).

173. En 2013, dans l'arrêt A6., la Cour releva que « bien qu'il n'y ait pas de consensus au sein des ordres juridiques des États membres du Conseil de l'Europe, une tendance se dessine actuellement quant à la mise en œuvre de formes de reconnaissance juridique des relations entre personnes de même sexe » (A6., précité, § 91). À l'époque, neuf États membres autorisaient le mariage entre personnes de même sexe, tandis que dix-sept États membres prévoyaient des formes de partenariat civil pour les couples de même sexe. Au total, dix-neuf États membres autorisaient une forme de reconnaissance (mariage et/ou partenariat enregistré) pour les couples de même sexe (A4., § 25).

174. En 2015, dans l'affaire AF. et autres, la Cour constata que la tendance à la reconnaissance juridique des couples homosexuels « avait continué à se développer rapidement en Europe depuis l'arrêt AS. ». En effet, une « petite majorité » d'États membres du Conseil de l'Europe (vingt-quatre sur quarante-sept) avait légiféré à l'époque pour accorder une reconnaissance légale aux couples de même sexe, que ce soit par l'institution du mariage ou la mise en place d'une autre forme d'union. Le même développement rapide pouvait d'ailleurs être identifié dans plusieurs pays au-delà du Conseil de l'Europe (AU. précité, §§ 65, 135 et 178).

175. La dynamique déjà observée par la Cour dans ces affaires se confirme clairement aujourd'hui. Selon les données en possession de la Cour, trente États parties prévoient actuellement une possibilité de reconnaissance légale des couples de même sexe. Dix-huit États ouvrent le mariage aux personnes de même sexe. Douze autres États ont institué des formes de reconnaissance alternatives au mariage. Parmi les dix-huit États autorisant le mariage des couples de même sexe, huit États offrent également la possibilité à ces couples de conclure d'autres formes d'union (voir paragraphes 66 et 67 ci-dessus). Dans ces conditions, il est permis de parler actuellement d'une tendance nette et continue au sein des États parties en faveur de la reconnaissance légale de l'union de personnes de même sexe (par l'institution du mariage ou d'une forme de partenariat), une majorité de trente États parties ayant légiféré en ce sens.

176. Cette tendance nette et continue observée au sein des États parties se voit consolidée par les positions convergentes de plusieurs organes internationaux. La Cour rappelle à cet égard que la Convention ne peut s'interpréter dans le vide (A15. [GC], no, § 123, 8 novembre 2016). Elle tient compte des éléments de droit international autres que la Convention et des interprétations faites de ces éléments par les organes compétents (A16 [GC], no, § 85, CEDH 2008, A13, précité, § 102, et A17 (A17) et autres c. France, nos et, § 181, 18 janvier 2018). Elle prend en considération les instruments et rapports internationaux pertinents, en particulier ceux d'autres organes du Conseil de l'Europe, pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s'il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune (A18 [GC], no, § 176, CEDH 2010).

177. En l'occurrence, plusieurs organes du Conseil de l'Europe ont souligné la nécessité d'assurer la reconnaissance et la protection juridiques des couples de même sexe au sein des États membres (paragraphes 48-56 ci‑dessus). La Cour prend également note des développements intervenus au niveau international (voir notamment paragraphes 46 et 61 ci-dessus). Elle relève enfin que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a estimé dans son avis consultatif OC-24/17 que les États parties à la Convention américaine des droits de l'homme étaient tenus de garantir l'accès à tous les dispositifs existants dans leur droit interne afin d'assurer la protection des droits des familles constituées par les couples de même sexe, sans discrimination par rapport à celles qui sont formées par des couples de sexe différent (paragraphe 64 ci-dessus).

* iii/ Conclusion

178. Au vu de sa jurisprudence (paragraphes 156-164 ci-dessus) consolidée par une tendance nette et continue au sein des États membres du Conseil de l'Europe (paragraphe 175 ci-dessus), la Cour confirme que ceux‑ci sont tenus, en vertu des obligations positives leur incombant sur le fondement de l'article 8 de la Convention, d'offrir un cadre juridique permettant aux personnes de même sexe de bénéficier d'une reconnaissance et d'une protection adéquates de leurs relations de couple.

179. Cette interprétation de l'article 8 de la Convention est dictée par le souci d'assurer une protection effective de la vie privée et familiale des personnes homosexuelles. Elle s'avère également en harmonie avec les valeurs de la « société démocratique » promue par la Convention, au premier rang desquelles figurent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture (A19, 13 août 1981, § 63, série A no 44, A20 [GC], nos et 2 autres, § 112, CEDH 1999-III, et A21. [GC], no, § 128, ECHR 2014). La Cour rappelle à cet égard que toute interprétation des droits et libertés garantis par la Convention doit se concilier avec son esprit général qui vise à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d'une « société démocratique » (A22., 7 juillet 1989, série A no 161, A23., précité, et A24.[GC], nos et, 24 janvier 2017).

180. En l'occurrence, permettre aux couples de même sexe de bénéficier d'une reconnaissance et d'une protection juridiques sert incontestablement ces idéaux et valeurs en ce que pareilles reconnaissance et protection confèrent une légitimité à ces couples et favorisent leur inclusion dans la société, sans égard à l'orientation sexuelle des personnes qui les composent. La Cour souligne que la société démocratique au sens de la Convention rejette toute stigmatisation fondée sur l'orientation sexuelle (A25., nos et 2 autres, § 83, 20 juin 2017). Elle a pour socle l'égale dignité des individus et elle se nourrit de la diversité qu'elle perçoit comme une richesse et non comme une menace (A26. [GC], no et, § 145, CEDH 2005‑VII).

181. La Cour observe à cet égard que de nombreux organes et instances considèrent que la reconnaissance et la protection des couples de même sexe constituent un outil de lutte contre les préjugés et la discrimination à l'égard des personnes homosexuelles (paragraphes 46, 48 et 125 ci-dessus).

182. Il convient à présent de déterminer la marge d'appréciation dont les États parties disposent dans la mise en œuvre de l'obligation positive énoncée ci-dessus.

* b) Sur l'étendue de la marge nationale d'appréciation

183. Dans la mise en œuvre de leurs obligations positives inhérentes au respect de l'article 8 de la Convention, les États parties disposent d'une marge d'appréciation dont l'étendue varie en fonction de différents facteurs. La Cour rappelle à cet égard les principes se dégageant de sa jurisprudence (A27. [GC], no, § 77, CEDH 2007-I, A28. [GC], nos et, § 178, 15 novembre 2016, A29., précité, § 182 ; A33. c. Autriche, [GC], no, § 94, CEDH 2011, A9., précité, § 67, et A30. [GC], nos et cinq autres, § 273, 8 avril 2021). Lorsqu'un aspect essentiel ou particulièrement important de l'existence ou de l'identité d'un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l'État est d'ordinaire restreinte (voir par exemple A31., précité, § 60, F., précité, § 90, et A32., no, § 80, CEDH 2014 (extraits)). En revanche, lorsqu'il n'y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l'Europe, que ce soit sur l'importance relative de l'intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, la marge d'appréciation est plus large, en particulier lorsque l'affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates (voir par exemple A33., précité, § 97, A29., précité, §§ 194-195, et A34., précité, §§ 182-184).

184. Sur le premier point, la Cour a déjà affirmé que des aspects essentiels ou particulièrement importants de l'identité de l'individu étaient en jeu dans des affaires portant sur sa filiation (A35.[GC], no, § 78, CEDH 2007-V, et A36., précité, § 80), l'accès aux informations concernant ses origines et l'identité de ses géniteurs (A37., précité, § 29), son identité ethnique (A38. [GC], nos et, § 58, CEDH 2012) ou encore son identité sexuelle (A39., nos et 2 autres, § 123, 6 avril 2017).

185. En l'occurrence, la Cour considère que la revendication par des personnes de même sexe de la reconnaissance et de la protection juridiques de leur couple touche à des aspects particulièrement importants de leur identité personnelle et sociale.

186. Ensuite, quant à l'existence d'un consensus, la Cour a déjà constaté une tendance nette et continue au niveau européen en faveur d'une reconnaissance et d'une protection juridiques des couples de même sexe au sein des États membres du Conseil de l'Europe (paragraphe 175 ci-dessus).

187. Par conséquent, dès lors que des aspects particulièrement importants de l'identité personnelle et sociale des personnes de même sexe se trouvent en jeu (paragraphe 185 ci-dessus) et qu'en outre, une tendance nette et continue est observée au sein des États membres du Conseil de l'Europe (paragraphe 175 ci-dessus), la Cour estime que les États parties bénéficient d'une marge d'appréciation sensiblement réduite s'agissant de l'octroi d'une possibilité de reconnaissance et de protection juridiques aux couples de même sexe.

188. Néanmoins, ainsi qu'il ressort déjà de la jurisprudence de la Cour (AS., précité, § 108, H., précité, § 66 ;AF. et autres, précité, § 177 et I., précité, § 48), les États parties bénéficient d'une marge d'appréciation plus étendue pour décider de la nature exacte du régime juridique à accorder aux couples de même sexe, lequel ne doit pas prendre nécessairement la forme du mariage (voir paragraphe 165 ci-dessus). En effet, les États ont « le choix des moyens » pour s'acquitter de leurs obligations positives inhérentes à l'article 8 de la Convention (A11, précité, § 53). Cette latitude reconnue aux États porte tant sur la forme de la reconnaissance à conférer aux couples de même sexe que sur le contenu de la protection à leur accorder.

189. La Cour observe à cet égard que si une tendance nette et continue se manifeste en faveur de la reconnaissance et de la protection juridiques des couples de même sexe, il ne se dégage pas un consensus semblable quant à la forme de cette reconnaissance et le contenu de cette protection. Aussi, conformément au principe de subsidiarité qui sous-tend la Convention, il incombe avant tout aux États contractants de décider des mesures nécessaires pour assurer la reconnaissance des droits garantis par la Convention à toute personne relevant de leur « juridiction » et il n'appartient pas à la Cour de définir elle-même le régime juridique à accorder aux couples de même sexe (voir F., précité, § 85, et A11, précité, § 58).

190. Toutefois, la Convention ayant pour but de protéger des droits concrets et effectifs et non théoriques ou illusoires (A40., 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et A41. [GC], no, § 162, 9 juillet 2021), il importe que la protection accordée par les États parties aux couples de même sexe soit adéquate (paragraphe 178 ci-dessus). À cet égard, la Cour a déjà pu faire référence dans certains arrêts à des questions, notamment matérielles (alimentaires, fiscales ou successorales) ou morales (droits et devoirs d'assistance mutuelle), propres à une vie de couple qui gagneraient à être réglementées dans le cadre d'un dispositif juridique ouvert aux couples de même sexe (voir A6., précité, § 81, etAF. et autres, précité, § 169).

(…) Les intérêts individuels des requérants

La Cour a déjà affirmé qu'une forme de vie commune officiellement reconnue autre que le mariage a en soi une valeur pour les couples homosexuels, indépendamment des effets juridiques, étendus ou restreints, que celle-ci produit (A6., précité, § 81). Ainsi, la reconnaissance officielle d'un couple formé par des personnes de même sexe confère à ce couple une existence ainsi qu'une légitimité vis-à-vis du monde extérieur (AU. précité, § 174).

Au-delà du besoin essentiel d'une reconnaissance officielle, un couple homosexuel a également, à l'instar d'un couple hétérosexuel, des « besoins ordinaires » de protection (AU. précité, § 169). La reconnaissance du couple ne peut, en effet, être dissociée de sa protection. La Cour a indiqué à plusieurs reprises que les couples homosexuels se trouvent dans une situation comparable à celle des couples hétérosexuels pour ce qui est de leur besoin de reconnaissance officielle et de protection de leur relation (voir notamment AS., précité, § 99, A6., précité, §§ 78 et 81, etAF. et autres, précité, § 165).

* a. La protection de la famille traditionnelle

206. Le Gouvernement plaide, tout d'abord, la nécessité de préserver les institutions du mariage et de la famille traditionnelles, qui constituent des valeurs fondamentales de la société russe protégées par la Constitution (voir paragraphes 115 et 116 ci-dessus). Il avance que le but de protéger les valeurs familiales traditionnelles n'est pas critiquable en soi puisque la Cour reconnait dans sa jurisprudence l'importance de préserver les traditions et la diversité culturelle (A4.).

207. La Cour rappelle qu'il est en soi légitime, voire méritoire, de soutenir et encourager la famille traditionnelle (A11, précité, § 40). Elle a affirmé que la protection de la famille au sens traditionnel du terme constitue, en principe, une raison importante et légitime qui pourrait justifier une différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle (A42., § 40, A43. précité, § 99, et A6., précité, § 83).

208. Toutefois, le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme demeure assez abstrait, et une grande variété de mesures concrètes peut être utilisées pour le réaliser (A42., § 41, A43. précité, § 98, et A6., précité, § 139). En outre, la notion de famille est nécessairement évolutive (A44., précité, § 52), comme en attestent les mutations qu'elle a connues depuis l'adoption de la Convention.

209. Étant donné que la Convention est un instrument vivant qui doit s'interpréter à la lumière des conditions actuelles, l'État doit choisir les mesures à prendre au titre de l'article 8 pour protéger la famille et garantir le respect de la vie familiale en tenant compte de l'évolution de la société ainsi que des changements qui se font jour dans la manière de percevoir les questions de société, d'état civil et celles d'ordre relationnel, notamment de l'idée selon laquelle il y a plus d'une voie ou d'un choix possibles en ce qui concerne la façon de mener une vie privée et familiale (A6., précité, § 84 et la jurisprudence y citée).

210. Ainsi, dans l'arrêt A11, concernant la distinction qui était opérée en droit belge entre la famille « légitime » et la famille dite « naturelle », la Cour a considéré que s'« il est en soi légitime, voire méritoire de soutenir et encourager la famille traditionnelle », « encore faut-il ne pas recourir à cette fin à des mesures destinées ou aboutissant à léser, comme en l'occurrence, la famille « naturelle »; les membres de la seconde jouissent des garanties de l'article 8 à l'égal de ceux de la première » (A11, précité, § 40).

211. S'agissant plus précisément des couples de même sexe, la Cour a jugé sous l'angle de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 que l'exclusion des partenaires homosexuels du bénéfice de la transmission du bail en cas de décès de l'un d'eux ne pouvait se justifier par la nécessité de protéger la famille traditionnelle (A42., § 41 et A43. précité, § 99). La Cour est parvenue à une même conclusion concernant l'impossibilité pour un partenaire homosexuel de bénéficier d'un permis de séjour pour raisons familiales dans l'affaire AX. (précité, § 98). Dans l'affaire X et autres c. Autriche, la Cour a pareillement considéré qu'il n'avait pas été démontré que l'exclusion des couples homosexuels du champ de l'adoption coparentale ouverte aux couples hétérosexuels en Autriche pouvait être justifiée par la protection de la famille traditionnelle (X et autres c. Autriche [GC], no, § 151, CEDH 2013).

212. (…) la reconnaissance des couples homosexuels n'empêche aucunement les couples hétérosexuels de se marier ni de fonder une famille correspondant au modèle qu'ils se donnent de celle-ci. Plus largement, la reconnaissance de droits aux couples de même sexe n'implique pas, en soi, un affaiblissement des droits reconnus à d'autres personnes ni à d'autres couples. Le Gouvernement n'est pas en mesure d'établir le contraire.

* b) Le sentiment majoritaire de l'opinion publique russe

(…)

215. La Cour note d'emblée que, dans l'affaireAF. et autres, elle a certes pris en compte le sentiment de l'opinion publique italienne, majoritairement favorable à la reconnaissance des couples homosexuels (AU. précité, § 181). Cependant, il ne peut être considéré que cette circonstance fut déterminante dans le raisonnement de la Cour. Cette dernière a conclu, dans cette affaire, à la violation de l'article 8 de la Convention en prenant en considération les conclusions des hautes juridictions nationales, restées sans suite législative, et en soulignant, plus largement, l'absence d'un intérêt supérieur de la collectivité susceptible de primer sur les intérêts individuels des requérants (A4., § 185).

216. En outre, la Cour a tenu à rappeler à maintes reprises que, bien qu'il faille parfois subordonner les intérêts d'individus à ceux d'un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d'une position dominante (voir, A45., A48, A.49, précité, § 63, A50.et autres, précité, § 112, A51. et autres c. Pologne [GC], no, § 90, CEDH 2004 I, et A52.et autres c. Turquie [GC], no, § 109, 26 avril 2016).

217. Il importe d'observer que la Cour a constamment refusé d'avaliser des politiques et des décisions qui incarnent un préjugé de la part d'une majorité hétérosexuelle à l'encontre d'une minorité homosexuelle (A53. et autres, précité, § 68, A54., précité, § 97,R. c. Portugal, no, §§ 34-36, CEDH 1999-IX, et L. et V. c. Autriche, nos et, § 52, CEDH 2003-I). Elle a par ailleurs indiqué sous l'angle de l'article 14 de la Convention que des traditions, stéréotypes et attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne peuvent, en soi, passer pour constituer une justification suffisante d'une différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle (A55. précité, § 78).

218. Aussi, la Cour a déjà écarté l'argument du Gouvernement selon lequel la majorité des Russes désapprouvent l'homosexualité, dans des affaires en matière de liberté d'expression, de réunion ou d'association des minorités sexuelles. À l'instar de la chambre (§ 52), la Grande Chambre considère qu'il serait en effet incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention qu'un groupe minoritaire ne puisse exercer les droits qu'elle garantit qu'à la condition que cela soit accepté par la majorité. En pareil cas, le droit des groupes minoritaires à la liberté de religion, d'expression et de réunion deviendrait purement théorique et non pratique et effectif comme le veut la Convention (A56. no, § 31, 26 juillet 2007, A53. et autres, précité, § 70, et A57., nos et 2 autres, § 81, 21 octobre 2010, voir, au-delà de l'État défendeur, A58, no, § 82, 30 janvier 2018, etA59 c. Lituanie, no, § 123, 14 janvier 2020) (…) » ;

Attendu que le guide sur la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme concernant les droits des personnes LGBTI (§ 76 à 80) mentionne que « si dans l'arrêt AS. c. Autriche, 2010, §§ 61 et 63, la Cour a estimé sous l'angle de l'article 12 qu'elle ne pouvait plus considérer que le droit de se marier devait en toutes circonstances se limiter au mariage entre deux personnes de sexe opposé, elle a toutefois estimé que l'article 12 n'imposait pas aux États contractants l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe. L'article 8, dont le but et la portée sont plus généraux, ne saurait pas davantage être compris comme imposant une telle obligation (AS. c. Autriche, 2010, § 101). Il en va de même de l'article 14 combiné avec l'article 12 (A60.et autres c. Italie, 2015, 193). Dans un tel contexte, la Cour a observé que le mariage possédait des connotations sociales et culturelles profondément enracinées susceptibles de différer notablement d'une société à une autre. Elle a ainsi rappelé qu'elle ne devait pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, qui sont les mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre (AS. c. Autriche, 2010, § 62). Confirmant sa jurisprudence antérieure, dans l'arrêt AS. c. Autriche, 2010, § 58, la Cour a dit que s'il était vrai qu'un certain nombre d'États contractants avaient ouvert le mariage aux partenaires de même sexe, ce choix reflétait leur propre conception du rôle du mariage dans leur société et ne découlait pas d'une interprétation du droit fondamental en cause tel qu'énoncé par les États contractants dans la Convention en 1950 (A65. c. Royaume-Uni (déc.), 2006 ; R. et F. c. Royaume-Uni (déc.), 2006. Ainsi, en l'état des choses (à l'époque considérée, six États membres seulement sur quarante-sept autorisaient le mariage entre personnes de même sexe), la question de l'autorisation ou de l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe était régie par les lois nationales des États contractants. La Cour a répété la même conclusion dans l'arrêt A61. c. Finlande [GC], 2014 (§ 96). De même, dans l'affaireAF. et autres c. Italie, 2015, § 192, malgré l'évolution progressive des États sur la question (le mariage entre personnes de même sexe étant alors autorisé dans onze États membres), les conclusions rendues dans les affaires susmentionnées ont été réitérées, comme ce fut le cas dans l'arrêt I. c. France, 2016, §§ 37-38, prononcé ultérieurement. (…).

Concernant l'enregistrement des mariages entre personnes de même sexe contractés à l'étranger, dans l'arrêt AV., 2017, § 210, la Cour a dit que l'État italien ne pouvait pas raisonnablement ignorer la situation des requérants (un couple de personnes de même sexe mariées selon la loi d'un État étranger), laquelle correspondait à une vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention, et s'abstenir d'offrir aux requérants un moyen de protéger leur relation. Étant donné que, jusqu'en 2016, les autorités italiennes s'étaient abstenues de reconnaître cette situation (à savoir un mariage contracté à l'étranger) et d'offrir la moindre forme de protection à l'union des requérants, la Cour a conclu que l'État n'avait pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. En particulier, il n'avait pas accordé aux requérants un cadre juridique spécifique apte à reconnaître et à protéger leurs unions entre personnes de même sexe, en violation de l'article 8 de la Convention. L'obligation à laquelle l'État était tenu n'allait toutefois pas jusqu'à exiger que le mariage contracté à l'étranger fût enregistré comme un mariage en Italie, ce pays ne reconnaissant pas le mariage entre personnes de même sexe. (…)

Selon la jurisprudence, les partenariats civils présentent un intérêt intrinsèque pour les couples de personnes de même sexe engagées dans une relation stable, indépendamment des effets juridiques, étendus ou restreints, qu'ils produiraient. L'extension du pacte de vie commune aux couples de personnes de même sexe permettrait à ceux-ci de régler les questions patrimoniales, de pension alimentaire et de succession non pas à titre de simples particuliers concluant entre eux des contrats de droit commun mais en se prévalant du régime juridique du pacte de vie commune, donc en bénéficiant d'une reconnaissance officielle de leur relation par l'État (A5.c. Grèce [GC], 2013, §81). Faute de mariage, les couples de personnes de même sexe ont particulièrement intérêt à être admis au bénéfice du « pacte de vie commune » ou du « partenariat enregistré », car cela constituerait le moyen le plus approprié pour eux de faire reconnaître légalement leur relation, qui leur garantirait de surcroît la protection requise - sous la forme des droits essentiels pertinents pour un couple engagé dans une relation stable et sérieuse - sans obstacles inutiles (A60.et autres c. Italie, 2015, § 174). (…).

Dans l'arrêt AF. et autres c. Italie, 2015, la Cour a considéré que la protection juridique consentie aux couples de personnes de même sexe, à l'époque considérée (2015) en Italie, ne répondait pas aux besoins essentiels qui étaient ceux d'un couple engagé dans une relation stable et sérieuse. L'enregistrement des unions entre personnes de même sexe auprès des autorités locales revêtait une valeur purement symbolique, sans conférer le moindre droit aux couples concernés. Ces pactes de vie commune avaient une portée limitée et ne répondaient pas à certains impératifs élémentaires de la réglementation d'une relation de couple stable, tels que l'entraide matérielle, l'obligation alimentaire mutuelle et les droits successoraux. De plus, ils obligeaient le couple concerné à cohabiter, alors que la Cour avait déjà admis que la cohabitation ne constituait pas une condition préalable à l'existence d'une union stable. Dès lors, la réalité sociale des requérants qui menaient ouvertement une vie de couple entrait en contradiction avec l'impossibilité juridique pour eux de faire reconnaître officiellement leur relation. La Cour n'a pas considéré qu'il serait particulièrement pesant pour l'Italie d'assurer la reconnaissance et la protection des unions entre personnes de même sexe. Elle a par ailleurs relevé une tendance internationale à la reconnaissance juridique des couples de personnes de même sexe. La Cour constitutionnelle italienne avait également mis en avant le besoin d'adopter pareille législation, qui correspondait aux aspirations d'une majorité de la population italienne. Ainsi, le gouvernement italien n'ayant pas fait valoir l'existence d'intérêts collectifs justifiant cet état de fait, la Cour a estimé que l'Italie avait manqué à son obligation d'offrir aux requérants un cadre juridique spécifique apte à reconnaître et à protéger leur union. Partant, elle a conclu à une violation de l'article 8 de la Convention.

(…) Les États bénéficient néanmoins d'une certaine marge d'appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré par les autres modes de reconnaissance juridique ainsi que des droits et obligations découlant de pareille union ou du partenariat enregistré (AS. c. Autriche, 2010, §§ 108-109 ;AF. et autres c. Italie, 2015, § 177 ; H. c. France, 2012, § 66). La Cour a déjà dit, au sujet de diverses législations nationales, que les unions civiles offraient la possibilité d'obtenir un statut juridique équivalent ou similaire au mariage à de nombreux égards (voir AS. c. Autriche, 2010, § 109, concernant l'Autriche, A61. c. Finlande [GC], 2014, § 83, au sujet du système finlandais ; I. c. France, 2016, §§ 49 et 51, concernant la France ; AV., 2017, § 194, s'agissant de l'Italie) et qu'en principe, ce système suffirait à première vue à satisfaire aux normes de la Convention (A4.) (…) » ;

Attendu que le guide sur l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme - droit au mariage précise que « Dans l'affaire AV., 2017, les requérants, des couples homosexuels qui s'étaient mariés à l'étranger, avaient tenté de faire inscrire leurs mariages à l'État civil en Italie. La Cour a observé qu'il n'y avait pas de consensus en Europe sur la reconnaissance des mariages homosexuels contractés à l'étranger et que le refus d'inscrire à l'État civil les mariages des requérants n'avait pas privé ceux-ci de tout droit antérieurement reconnu en Italie et qu'en outre ils pouvaient toujours bénéficier, dans le pays où ils avaient contracté mariage, de chacun des droits et obligations matrimoniaux. La Cour a toutefois ajouté que les refus d'inscrire les mariages des requérants sous une forme quelconque en Italie avaient entraîné les intéressés dans un vide juridique et que l'État n'avait donc pas ménagé un juste équilibre au regard de l'article 8 entre les intérêts concurrents, en ce qu'il ne s'était pas assuré que les requérants disposent d'un cadre légal spécifique offrant une reconnaissance et une protection aux unions homosexuelles. Elle a jugé qu'il n'y avait pas lieu d'examiner séparément le grief sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 12 de la Convention » ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la CEDH estime qu'en l'absence de consensus à cet égard, la Convention n'impose pas aux États parties d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe ou de le reconnaître lorsqu'il a été contracté à l'étranger (marge d'appréciation étendue) ; que par ailleurs, si les États parties bénéficient d'une marge d'appréciation sensiblement réduite s'agissant de l'octroi d'une possibilité de reconnaissance et de protection juridiques adéquates aux couples de même sexe, ces mêmes États se voient reconnaître une marge d'appréciation plus étendue concernant tant la forme de la reconnaissance à conférer aux couples de même sexe que le contenu de la protection à leur accorder, en termes de droits et obligations en matière matérielle (alimentaire, fiscale ou successorale) ou morale (droits et devoirs d'assistance mutuelle), la CEDH ne se prononçant pas sur chacune des différences de manière détaillée ;

Attendu que la Principauté s'est dotée d'une législation à travers la loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 relative aux contrats civils de solidarité (objets d'un titre V bis faisant suite, au sein du livre III du Code civil relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété, aux titre I relatif aux successions, titre II relatif aux donations entre vifs et testaments, titre III relatif aux contrats ou aux obligations conventionnelles en général, titre IV relatif aux engagements qui se forment sans convention et titre V relatif aux contrats de mariage et régimes matrimoniaux) permettant aux personnes de même sexe vivant sous la forme d'une union libre, dénommées « partenaires », de conclure un « contrat de vie commune », lequel se distingue sur le plan symbolique, du « contrat de cohabitation » concernant deux membres d'une même famille vivant sous la forme d'une communauté de toit, dénommés « cohabitants » ;

Que si ces deux contrats, qui constituent les deux sous-catégories des contrats civils de solidarité, comportent des droits et obligations identiques en matière sociale, successorale, de logement et de santé, il en va différemment en matière fiscale où les droits de mutations par décès sont limités à 4 % pour le partenaire survivant et sont supérieurs pour d'autres membres de la famille et les mutations entre vifs à titre gratuit entre partenaires sont assujetties à un droit proportionnel de 4 %, mais surtout en matière de couverture maladie - sécurité sociale et d'emploi, une indemnité-décès étant même prévue pour les fonctionnaires et agents publics au profit de leur partenaire survivant ;

Que bien que le « contrat de vie commune » se distingue clairement du mariage, il offre une possibilité de reconnaissance officielle aux couples homosexuels et une protection par l'octroi de différents droits répondant à des impératifs élémentaires pour régir une relation stable ;

Que dès lors que la CEDH considère que les Etats parties disposent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer la forme et le contenu de la reconnaissance et de la protection juridiques des couples de même sexe et ne se prononce pas de manière détaillée sur les différences avec le mariage, la circonstance que E. et r. A. aient eu la possibilité de souscrire et aient conclu un tel « contrat de vie commune » le 12 janvier 2021, avec les droits et obligations précités qui en découlent, permet de considérer que la Principauté, qui disposait du choix des moyens sur ce point, a rempli ses obligations positives inhérentes à l'article 8 de la CESDH et a ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents, et ce, quand bien même le mariage valablement contracté à l'étranger par les intimés ne serait pas reconnu à Monaco ; que la Cour souligne à cet égard que les intéressés ne s'expliquent pas sur les difficultés concrètes auxquelles ils auraient été confrontés du fait de la seule conclusion du contrat civil de solidarité, en dépit des critiques générales qu'ils formulent à l'encontre de cette nouvelle institution ;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins que les juridictions monégasques doivent apprécier si le mariage en cause porte atteinte à la conception monégasque de l'ordre public international ;

Attendu tout d'abord, que contrairement à la position adoptée par le Ministère public selon laquelle « l'application de la théorie de « l'ordre public atténué » suppose que le for ne soit pas saisi d'une demande de reconnaissance de la situation mais seulement d'une demande tendant à faire produire des effets à cette situation » ou « la demande de transcription du mariage homosexuel doit être confrontée à l'ordre public plein et non à l'ordre public atténué dès lors qu'il n'est pas simplement demandé de faire produire des effets à un mariage homosexuel mais de le transcrire sur les registres d'état civil », de telles distinctions ne résultent aucunement du droit positif monégasque ;

Qu'en effet, l'article 36 du code civil dispose que « Tout acte de l'Etat civil dressé en pays étranger fait foi s'il a été reçu dans les formes usitées dans ce pays » ; que l'article 37-1 de ce Code précise que « Tout acte de l'Etat civil d'une personne de nationalité monégasque dressé dans un pays étranger, conformément aux articles 36 ou 37, est transcrit, à Monaco, par l'officier d'Etat civil, soit d'office, soit à la réception de l'expédition prévue à l'article précédent, soit encore à la requête de l'intéressé.

La transcription est effectuée dans l'un des registres de naissance, de mariage ou de décès, spécifiquement tenus à cet effet par le service de l'Etat civil de la Mairie, dans les meilleurs délais si elle intervient d'office ou au moment de la réception en cas d'expédition ou de requête.

Elle figure sur lesdits registres à la date de son intervention.

Un arrêté ministériel fixe les modalités de la transcription ainsi que celles de la conservation des actes étrangers mentionnés au premier alinéa » ;

Que l'article 2 de l'arrêté ministériel n° 2005-492 du 30 septembre 2005 précise que « La transcription à Monaco de l'acte de mariage d'une personne de nationalité monégasque dressé dans un pays étranger donne lieu à l'établissement d'un acte comportant les éléments suivants :

* la date et l'heure de la transcription, le nom de l'officier de l'état-civil et sa qualité,

* la date, l'heure et le lieu de mariage,

* les prénoms, nom, profession, date et lieu de naissance de la personne, ainsi que sa nationalité,

* le domicile des époux,

* les prénoms, noms, professions et domiciles des parents, ainsi que des témoins,

* les énonciations relatives au régime matrimonial,

* les nom et qualité de la personne ayant célébré et enregistré le mariage,

* les mentions marginales figurant dans l'acte étranger » ;

Qu'il en résulte que le législateur n'a pas entendu donner à la transcription d'un acte d'Etat civil, et notamment l'acte de mariage, dressé dans un pays étranger concernant une personne de nationalité monégasque, la portée que le Parquet Général tente de lui conférer ; qu'ainsi que le soulignent justement les intimés, la transcription est ici une source d'opposabilité d'un droit mais non de création d'un droit ;

Attendu en outre, que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 sur le droit international privé n'a intégré le concept de « proximité » qu'à travers son article 27 relatif à l'exclusion de l'application du droit étranger par le juge monégasque (instance directe) « si elle conduit à un résultat contraire à l'ordre public monégasque », dont la « contrariété s'apprécie en tenant compte, notamment, de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique monégasque », sans aucunement s'y référer en matière de reconnaissance de mariage célébré à l'étranger ou plus généralement d'actes ou de jugements étrangers (instance indirecte) ;

Qu'au demeurant, « l'ordre public de proximité », largement admis par les juridictions françaises en matière de statut personnel, est un mécanisme tendant à protéger un droit subjectif de l'individu et donc à assurer la protection des personnes de nationalité française ou domiciliées en France ; qu'en l'espèce, le Ministère public invoque la nationalité de l'un des époux pour s'opposer à la reconnaissance d'un mariage valablement conclu à l'étranger, plaçant le sujet monégasque dans une situation plus défavorable que les personnes de nationalité étrangère, en sorte que ce moyen apparaît inopérant ;

Attendu que la jurisprudence monégasque relative au « principe de l'effet atténué de l'ordre public lorsqu'il s'agit de droits acquis sans fraude à l'étranger » est confortée par les termes du rapport de t.C, rapporteur au nom de la Commission de Législation du projet de loi n° 912 relative au droit international privé, lequel mentionnait qu'« il ne faut pas confondre la constitution de situations juridiques en Principauté en application d'une loi étrangère et la reconnaissance en Principauté de situations valablement constituées à l'étranger. En effet, la réaction de l'ordre public du for n'est pas identique » ;

Que l'accueil dans le for d'une décision étrangère ou d'un acte valablement conclu à l'étranger (instance indirecte) - qui se distingue de l'accueil dans le for d'une loi étrangère (instance directe) - conduit à l'application de l'effet « atténué » de l'ordre public international ; que l'exception d'ordre public doit toutefois être déclenchée si la situation régulièrement née à l'étranger porte atteinte à une valeur intangible de l'ordre juridique du for et ne peut dès lors donner lieu à la moindre tolérance ;

Attendu qu'à cet égard, la circonstance que la religion catholique occupe une place importante en Principauté, en particulier à travers l'article 9 de la Constitution, ou que les règles de succession au Trône se fondent sur la filiation légitime avec priorité masculine (et donc sur le mariage du Souverain), ne peut avoir d'incidence sur l'ordre public civil international monégasque dès lors que la morale chrétienne ne s'assimile pas au droit civil du for qui reconnaît le divorce et donc la fin de l'union civile des époux, et ce, en contradiction avec les règles de l'Église catholique au titre desquelles le mariage est indissoluble ;

Que sur ce point, la Cour rappelle également que le Tribunal de première instance a reconnu, par un jugement définitif du 12 octobre 1995, les effets d'unions contractées sous l'empire d'une loi étrangère sénégalaise autorisant la conclusion de mariages polygamiques, alors que la seconde épouse sénégalaise sollicitait le prononcé du divorce en Principauté, où elle était domiciliée avec son mari bigame ; que cette décision établit incontestablement que la morale chrétienne ne relève pas de la conception monégasque de l'ordre public international puisqu'elle n'a pas donné lieu au déclenchement de l'exception d'ordre public dans cette hypothèse ;

Attendu par ailleurs, que si le Ministère public mentionne que « le peuple monégasque n'est pas souverain » en l'état du régime monarchique constitutionnel de la Principauté, il apparaît, en application du principe d'actualité et d'appréciation in concreto susvisé, que l'opinion objectivée des sujets ou « citoyens » monégasques (article 53 de la Constitution) ou de leurs élus (composant le Conseil National), tout comme celle plus générale de la population demeurant en Principauté, peut être prise en considération pour déterminer si, à l'heure actuelle, il serait porté atteinte à une valeur fondamentale par la reconnaissance d'un mariage homosexuel, valablement contracté à l'étranger et sans fraude, et justifié d'actionner l'exception d'ordre public ;

Que dans cette perspective, il convient de se référer au rapport du 29 novembre 2019 sur le projet de loi n° 974 relative au contrat de vie commune pour comprendre l'opinion des élus des citoyens monégasques, conseillers nationaux, sur les couples de personnes de même sexe :

« Le projet de loi relative au contrat de vie commune (…) est issu de la transformation de la proposition de loi, n° 207, relative au pacte de vie commune, laquelle avait été adoptée par le Conseil National le 27 octobre 2016. Précisons, à ce titre, que la dénomination de cette proposition de loi avait été modifiée, en cours d'examen, pour devenir la proposition de loi relative au contrat de vie commune.

(…) la nouvelle législature (…) estimait tout d'abord que ce texte ne pouvait qu'être la concrétisation d'une importante avancée sociétale, laquelle permettrait à la Principauté d'être à la fois cohérente avec l'évolution de ses mœurs, et respectueuse de ses spécificités, en reconnaissant, enfin, l'union libre sous toutes ses formes, hétérosexuelle comme homosexuelle, sans porter atteinte au mariage (…).

Ensuite, les élus considéraient que cette réforme serait l'occasion pour la Principauté de témoigner de son ouverture sur le monde, en rejoignant la quasi-totalité des Etats, notamment européens, qui se sont dotés d'une législation permettant d'organiser les aspects patrimoniaux de l'union libre, sous la forme d'un contrat ou d'un partenariat civils.

Enfin, ils relevaient que la Principauté se montrait respectueuse de ses engagements internationaux, notamment vis-à-vis de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). En effet, rappelons que, par un arrêtT., du 21 juillet 2015, la CEDH reconnaissait l'obligation, pour les Etats, d'offrir un cadre juridique permettant d'encadrer les relations patrimoniales des couples de même sexe, et paraissait insister sur la nécessité que ledit cadre puisse contenir les éléments protecteurs de base.

(…) la Commission a formalisé un premier texte consolidé transmis au Gouvernement le 4 mars 2019. Cohérente avec elle-même, et dans le scrupuleux respect des dispositions constitutionnelles, la Commission avait ainsi choisi de réserver le contrat de vie commune aux couples désireux de vivre en union libre.

Elle avait également substantiellement complété les droits susceptibles d'être accordés aux partenaires (…).

Sans retour de la part du Gouvernement, le Conseil National l'a relancé (…). Deux réunions de travail eurent lieu par la suite, l'une, le 14 mai 2019, en présence de représentants du Conseil National et du Gouvernement, l'autre, le 6 juin 2019, en présence de délégations du Conseil National, du Gouvernement et de l'Archevêché.

Lors de ces réunions de travail, les principaux points abordés ont concerné le champ d'application du projet de loi et les droits nouveaux que la Commission souhaitait conférer aux partenaires.

S'agissant du champ d'application du projet de loi, un désaccord persistait entre le Conseil National et le Gouvernement, puisque le contrat de vie commune devait, pour le Gouvernement, régir tant la communauté de lit, que la communauté de toit, position non partagée par les élus. Toutefois, et dans le souci de parvenir à l'accord des volontés prévu par notre Constitution, la délégation du Conseil National, par la voix du Président de notre Institution, indiquait que l'Assemblée ne serait pas opposée à l'étude et au vote concomitants d'un texte qui concernerait la protection des familles.

En ce qui concerne les droits nouveaux, si la première réunion de travail laissait entrevoir une issue plutôt positive, la seconde ne permettait pas de disposer d'une vision très claire des droits que le Gouvernement serait enclin à accepter, et donc sans que cela conduise au retrait du projet de loi.

Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre des points de désaccord qui viennent d'être évoqués, le principal grief qui était fait au Conseil National était de consacrer « un mariage bis ».

À ce stade des développements, il est important de rappeler l'attachement de l'ensemble des élus du Conseil National à nos Institutions et à notre Constitution, ainsi qu'ils l'ont démontré lors du vote du projet de loi n° 999 portant dépénalisation de l'avortement pour la femme enceinte. C'est dans ce même esprit que la Commission a travaillé.

(…) force est de constater que, si le dialogue institutionnel n'était pas interrompu, il n'en demeurait pas moins quelque peu ralenti, si ce n'est paralysé. Le risque de ne pas parvenir au vote du projet de loi, et donc à la reconnaissance officielle de l'union libre, était réel, puisque le Gouvernement aurait alors procédé à son retrait, comme il en a le droit et ainsi que cela avait été indiqué de manière informelle à notre Assemblée.

C'est dans ce contexte incertain que deux initiatives, quasi-concomitantes, des deux partenaires institutionnels que sont le Conseil National et le Gouvernement, ont permis de relancer le processus législatif.

Votre Rapporteur évoquera, en premier lieu, la proposition de loi, n° 245, relative au contrat de cohabitation familiale, en date du 23 octobre 2019, et adoptée en Séance Publique le 30 octobre dernier. Cette proposition de loi, d'ordre contextuel, reflétait la démarche d'apaisement du Conseil National, lequel demeurait, de plus, pleinement cohérent avec les observations effectuées dans le cadre du présent projet de loi, en ce qu'il proposait la création d'un mécanisme spécifique à la protection de la famille. Cela permettait, ainsi, de dissocier clairement l'union libre, de la cohabitation familiale, tout en témoignant de la bonne volonté des élus qui reconnaissaient la possibilité de disposer d'un cadre contractuel permettant de protéger les membres d'une même famille.

Le rapport élaboré à cette occasion, au nom de la Commission des Droits de la Femme et de la Famille, était, en outre, l'occasion pour le Conseil National d'attirer spécifiquement l'attention du Gouvernement sur un certain nombre de difficultés identifiées dans le cadre de la cohabitation familiale, et dont il l'invitait à tenir compte pour la suite du processus législatif devant conduire à l'adoption du projet de loi n° 974 (…).

Toujours est-il que l'adoption de cette proposition de loi s'est ainsi substituée, lors de la Séance Publique du 30 octobre précitée, à celle du projet de loi n° 974 ; cette décision ayant été prise afin de laisser un temps supplémentaire à la concertation institutionnelle.

En second lieu, le Conseil National recevait, le 28 octobre 2019, soit deux jours avant la Séance Publique qui aurait normalement dû être consacrée au vote du contrat de vie commune, une réponse du Gouvernement sur les amendements qui avaient été adressés au Gouvernement le 4 mars 2019.

Après examen de cette réponse et des contre-propositions qu'elle présentait, la Commission n'a pu que constater un changement important dans le positionnement du Gouvernement, tant sur le champ d'application du contrat de vie commune, que sur les droits susceptibles d'être octroyés aux partenaires. À cet égard, on aurait même pu douter, en première lecture, qu'il s'agisse du même projet de loi, puisque les modifications apportées allaient jusqu'au changement du titre même dudit projet de loi, de sorte que, d'un projet de loi relative au contrat de vie commune, il est désormais question d'un projet de loi relative aux contrats civils de solidarité. On notera d'ailleurs que, si le présent projet de loi est adopté ce soir, il deviendra la « loi relative aux contrats civils de solidarité ».

Ce changement terminologique est bien plus significatif qu'il n'y paraît, puisque, cette référence aux « contrats civils de solidarité », au pluriel, reflète bien l'idée, défendue par le Conseil National depuis le début de l'étude du projet de loi, que la solidarité des couples qui vivent en union libre doit être distinguée de la solidarité en matière familiale. Ainsi, sous cette appellation plurielle de « contrats civils de solidarité », le projet de loi comporte désormais deux contrats clairement distincts :

* l'un, relatif à l'union libre et qui s'appellera contrat de vie commune ; la vie commune est ainsi ramenée à sa définition première de communauté de vie, entendue comme une communauté de lit, avec ceci de spécifique que, contrairement au mariage, elle concernera toute personne, quelle que soit l'orientation sexuelle,

* l'autre, relatif à la communauté de toit entre deux membres d'une même famille, qui s'intitulera contrat de cohabitation (…) » ;

Qu'il en ressort que le Conseil national, lequel représente les citoyens de nationalité monégasque, était avant tout favorable à l'institution d'un contrat de vie commune (finalement distingué, selon son vœu, du contrat de cohabitation ), qui relevait de « la concrétisation d'une avancée sociétale majeure (…) cohérente avec l'évolution des mœurs », en reconnaissant une union libre y compris homosexuelle, témoignait d'une ouverture vers le monde - la quasi-totalité des Etats notamment européens s'étant déjà dotés de législations en ce sens - et d'une volonté de respecter les engagements internationaux de la Principauté en particulier la CESDH ; que ce dernier point ne constituait toutefois qu'un des éléments militant en faveur du vote du texte, tandis que la Principauté n'avait pas fait l'objet, à la différence d'autres pays (Italie, Fédération de Russie), d'une condamnation (concernant l'obligation positive des Etats parties aux fins de reconnaissance et de protection juridiques des couples homosexuels) de la part de la CEDH, qui l'aurait incité à modifier ses textes internes (comme ce fut le cas en Italie) ; que le Conseil national a également été à l'origine d'avancées importantes concernant les droits octroyés aux partenaires vivant en union libre (couverture maladie en particulier), notamment homosexuels, même s'il note que des différences notables persistent avec l'institution du mariage ;

Qu'ainsi que l'ont souligné les premiers juges, l'adoption de la loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 démontre que la Principauté, qui a permis la reconnaissance juridique des couples composés de personnes de même sexe vivant sous la forme d'une union libre, a admis une dérogation à la conception « traditionnelle » du couple en tenant compte de ses réalités actuelles ; qu'en effet, le Haut Commissariat à la Protection des Droits, des Libertés et à la Médiation, le rappelait, dans un avis sur le projet de loi n° 974 relative au contrat de vie commune - dont les recommandations ont été particulièrement prises en compte par les Conseillers Nationaux - « les nouvelles formes de conjugalités qui se sont faites jour au fil du temps constituent (…) l'une des transformations majeures du lien de couple contemporain auquel la Principauté n'échappe pas bien entendu (choix de se marier ou non, couples homosexuels, automatisation des enjeux propres du couple sur ceux de parentalité qui demeurent le centre et la finalité du mariage » ;

Qu'en outre, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) a adopté un rapport sur Monaco (sixième cycle de monitoring) le 29 mars 2022 publié le 9 juin 2022 aux termes duquel :

« L'ECRI se félicite des pratiques prometteuses visant à promouvoir l'égalité et la lutte contre le racisme et l'intolérance dans le domaine de l'éducation. Non seulement les questions de tolérance sont abordées dans le cadre des programmes d'éducation à la sexualité et de l'enseignement moral et civique, mais des actions ciblées sont également menées en faveur de la tolérance, comme celles menées en collaboration avec la fondation « Peace Jam » dans le cadre d'un projet mis en œuvre chaque année. L'Association « Action Innocence » intervient au niveau de l'enseignement primaire jusqu'à la fin du collège pour aborder des thèmes liés aux dangers du numérique, tels que le cyberharcèlement. Pendant ces activités, la question de l'homophobie n'est abordée qu'en fonction de ce que les jeunes soulèvent. L'Association « Fight Aids Monaco » traite des questions LGBTI dans le cadre d'initiatives telles que les « Après-midi du zapping » organisées afin de sensibiliser les lycéens sur la santé sexuelle (…).

À Monaco, il n'existe pas de communauté organisée de personnes LGBTI ou d'organisations les représentant. L'ECRI note avec une certaine préoccupation que, selon la carte Rainbow Europe 2021, Monaco ne remplit que 12 % des indicateurs concernant la protection des droits et libertés des personnes LGBTI en droit et dans les faits. En outre, l'ECRI constate avec regret qu'il n'existe aucune donnée statistique ou étude nationale sur la situation de ces personnes et les discriminations qu'elles peuvent subir. Or, en l'absence d'études et statistiques sur la situation des personnes LGBTI, les autorités ne disposent pas d'éléments permettant d'évaluer en connaissance de cause les mesures à prendre. L'ECRI encourage vivement les autorités monégasques à demander une étude sur les problèmes auxquels les personnes LGBTI sont confrontées et sur les éventuelles mesures à prendre pour y remédier.

En ce qui concerne le niveau de tolérance de la société monégasque à l'égard des personnes LGBTI, la délégation de l'ECRI a recueilli avec satisfaction, lors de sa visite, plusieurs témoignages de personnes homosexuelles ou bisexuelles confirmant l'absence d'intolérance ou de discrimination à Monaco en raison de leur orientation sexuelle, que ce soit dans la sphère publique ou privée. D'après les informations portées à l'attention de l'ECRI, Monaco offre un environnement relativement sûr et tolérant. Toutefois, le cadre législatif n'a pas évolué́ au même rythme que la société monégasque en la matière.

Sur le plan législatif, l'ECRI relevé avec intérêt que, depuis 2011, les couples homosexuels sont protégés par les dispositions relatives à la prévention de la violence domestique. En outre, une nouvelle loi qui est entrée en vigueur le 27 juin 2020, permet à tous les couples, de même sexe ou de sexe diffèrent, de s'unir par un contrat d'union civile nommé « Contrat de vie commune » (CVC). L'ECRI a été informée qu'au 1er juin 2021, neuf contrats de vie commune (toutes catégories confondues) avaient été conclus. Ce type de contrat permet de bénéficier d'un taux d'imposition réduit (de 4% au lieu de 16%) sur les droits de succession ou de donation, tout en sachant que pour les couples mariés, ce taux est de 0%. D'après les autorités, les personnes ayant conclu un contrat de vie commune verront leurs droits reconnus en cas de maladie, d'héritage et de copropriété d'un bail. L'ECRI estime qu'il s'agit là d'une avancée dans le domaine des droits des personnes LGBTI qui constitue une pratique prometteuse au sein de la Principauté.

L'ECRI constate néanmoins que des améliorations sont encore hautement souhaitables. Le CVC ne confère pas la qualité d'héritier désigné par la loi, ni l'autorité parentale, ni la tutelle, et il ne permet pas de se prévaloir des droits familiaux. Par ailleurs, la Principauté ne reconnaît ni les mariages homosexuels légalement contractés à l'étranger, ni les droits légaux des couples homosexuels mariés à l'étranger. De même, si un couple de même sexe a des enfants à l'étranger (par voie d'adoption ou dans le cadre d'une procréation médicalement assistée, par exemple), ils seraient inexistants au regard de la loi monégasque. L'ECRI estime par conséquent que des améliorations restent à prévoir, notamment en ce qui concerne les droits relatifs à la réversion de la pension au survivant, les droits à l'héritage, ainsi que les droits familiaux et parentaux. En outre, il reste à clarifier la situation des couples de même sexe ayant contracté un mariage à l'étranger et les questions qui pourraient se poser en cas de filiation issue de ces couples. Sur ce point, les autorités ont informé l'ECRI que, en novembre 2021, les services de l'Etat ont confirmé la possibilité accordée aux couples homosexuels mariés à l'étranger de conclure un CVC à Monaco et ainsi bénéficier des droits attachés à la qualité de partenaire en matière d'emploi, de logement et de sécurité sociale, ou encore en matière de santé ou de fiscalité. L'ECRI estime que cette démarche va dans le bon sens. Toutefois, elle estime également que des questions restent en suspens pour les couples concernés, notamment en ce qui concerne d'éventuelles différences injustifiées entre le statut offert par le mariage et le statut relevant du CVC.

L'ECRI recommande aux autorités monégasques de revoir la législation en vigueur dans l'optique d'offrir de nouveaux aménagements concernant les couples de même sexe. Dans ce contexte, il convient pour les autorités de réexaminer s'il existe une justification objective et raisonnable à toute différence de réglementation entre les couples de même sexe et les couples de sexe opposé (y compris les couples mariés à l'étranger) et supprimer toute différence injustifiée » ;

Que ces éléments objectifs, indépendamment de l'absence de mouvements sociaux ou « manifestations » tels qu'évoqués par le Parquet Général (avant tout liée à l'absence d'associations organisées autour des personnes LGBTI), témoignent de la tolérance et de l'ouverture d'esprit de la société monégasque prise dans son ensemble à l'égard des couples homosexuels ;

Que le Tribunal de première instance a également relevé à juste titre que la reconnaissance du mariage des intimés ne porte aucune atteinte au droit des couples de sexe opposé de bénéficier de la législation sur le mariage laquelle demeure inchangée ;

Qu'en conséquence, l'ensemble de ces considérations ne permet pas de considérer que l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe serait aujourd'hui une valeur intangible en Principauté justifiant que l'exception d'ordre public soit actionnée pour le mariage valablement contracté par E. et r. A. à l'étranger, en particulier sans fraude (référence faite dans l'arrêtA62.à l'intérêt légitime de l'Etat de s'assurer que ses choix ne soient pas détournés) ;

Attendu qu'en définitive, la décision de première instance doit être confirmée en toutes ses dispositions ;

Qu'il convient toutefois de souligner que les dispositions de l'article 1265 du Code civil, qui prévoient que :

« À peine de nullité, les contrats civils de solidarité ne peuvent être conclus :

* 1° si au moins l'un des partenaires ou des cohabitants est lié par un autre contrat civil de solidarité ou par un mariage,

* 2° si au moins l'un des partenaires ou des cohabitants est lié à un tiers par un autre contrat civil de solidarité valablement conclu à l'étranger en application de la loi étrangère,

* 3° si aucun des partenaires n'est domicilié sur le territoire de la Principauté au moment de la conclusion du contrat civil de solidarité ou n'est de nationalité monégasque,

* 4° si les cohabitants ne peuvent justifier, sur le territoire de la Principauté, d'une communauté de toit préalable à la conclusion du contrat de cohabitation »,

en se référant aux contrats de solidarité valablement conclus à l'étranger et en n'apportant aucune précision concernant le mariage, impliquent que le mariage contracté à l'étranger ne peut faire obstacle à la conclusion d'un contrat civil de solidarité à Monaco mais qu'à l'inverse, le mariage célébré à Monaco ainsi que le mariage valablement conclu à l'étranger puis reconnu en Principauté rend nul le contrat de solidarité ;

Attendu enfin, qu'il convient de laisser les dépens du présent arrêt à la charge du Trésor ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

par mise à disposition au greffe,

Déclare recevable l'appel formé par le Procureur Général,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de première instance du 10 mars 2022,

Laisse les dépens du présent arrêt à la charge du Trésor,

Composition

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 28 SEPTEMBRE 2023, par Madame Claire GHERA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30175
Date de la décision : 28/09/2023

Analyses

Droit de la famille - Mariage ; Contentieux et coopération judiciaire


Parties
Demandeurs : Le Procureur Général D.
Défendeurs : Monsieur E. et Monsieur r. A.

Références :

loi n° 1.481 du 17 décembre 2019
article 2 de l'arrêté ministériel n° 2005-492 du 30 septembre 2005
Code de procédure civile
Code civil
article 53 de la Constitution
article 3 du Code civil
article 1272 du Code civil
Code de droit international privé
article 1265 du Code civil
article 36 du code civil
article 34 du Code de droit international privé
article 1274 du Code civil
loi n° 1.448 du 28 juin 2017
article 147 du Code civil
articles 116 et 147 du Code civil
article 10 de la Constitution
article 34 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017
articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 9 de la Constitution
articles 68 et 69 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2023-09-28;30175 ?

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