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14/02/2023 | MONACO | N°20963

Monaco | Cour d'appel, 14 février 2023, Société A. c/ Monsieur B.


COUR D'APPEL

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023

En la cause de :

* La société A., au capital de 1.286.500 euros, société anonyme monégasque inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro xxx dont le siège social se situait « X1 », X2 98000 Monaco, société en liquidation, représentée par son liquidateur, Monsieur C. désigné à cette fonction par l'assemblée générale extraordinaire des associés du 25 août 2017 ayant décidé la dissolution anticipée de la société ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défe

nseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice ...

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023

En la cause de :

* La société A., au capital de 1.286.500 euros, société anonyme monégasque inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro xxx dont le siège social se situait « X1 », X2 98000 Monaco, société en liquidation, représentée par son liquidateur, Monsieur C. désigné à cette fonction par l'assemblée générale extraordinaire des associés du 25 août 2017 ayant décidé la dissolution anticipée de la société ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

* Monsieur B., né le … à Rodez (France), de nationalité française, demeurant X3 le X4 06000 Nice ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉ,

d'autre part,

Visa

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail le 1er juillet 2021 ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 14 octobre 2021 (enrôlé sous le numéro 2022/000026) ;

Vu les conclusions déposées les 18 janvier 2022, 10 mai 2022 et 4 octobre 2022 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur B. ;

Vu les conclusions déposées les 24 mars 2022 et 5 juillet 2022 par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de la société A. ;

Vu l'ordonnance de clôture du 11 octobre 2022 ;

À l'audience du 18 octobre 2022, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Motifs

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par la société A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 1er juillet 2021.

Considérant les faits suivants :

B. a été employé par la société anonyme monégasque A. (ci-après A. appartenant au groupe D. suivant contrat à durée indéterminée, à compter du 10 décembre 1990, en qualité de responsable qualité et contrôle.

Suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 25 août 2017, les associés de la SAM A. ont décidé de procéder à la dissolution anticipée de la société avec effet immédiat et d'ouvrir les opérations de liquidation confiées à C. en qualité de liquidateur.

Par lettre datée du 29 novembre 2017, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour motif économique dans les termes suivants :

« Nous faisons suite aux entretiens en date des 12 et 22 septembre 2017 au cours desquels nous vous avons informé de la décision des actionnaires de procéder à la dissolution anticipée de la société et des raisons pour lesquelles cette décision a été prise.

Nous sommes donc au regret de vous informer par la présente de votre licenciement pour suppression de poste (...) »,

et a été dispensé d'exécuter son travail pendant la période de préavis de trois mois.

Par jugement du 1er juillet 2021, le Tribunal du Travail a :

* dit que la demande complémentaire de congés payés sur rappel de salaire présentée par B. est irrecevable,

* déclaré irrecevable la demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 500 euros figurant dans les conclusions de B.

* dit que le licenciement de B. par la SAM A. n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,

* condamné en conséquence la SAM A. à payer à B.la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de ladite décision,

* débouté B. du surplus de ses demandes,

* condamné la SAM A. aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré en substance que :

* en l'absence de comparution du défendeur devant le bureau de conciliation, le demandeur n'est pas recevable à formuler de nouvelles demandes sauf à nier le principe de la conciliation obligatoire sur toutes les demandes présentées à la juridiction sociale, en sorte que la demande complémentaire de B. concernant les congés payés sur rappel de salaire sera déclarée irrecevable,

* la demande additionnelle formée par B. aux termes de ses écritures judiciaires, en paiement de dommages et intérêts à concurrence de la somme de 500 euros, n'a pas davantage été soumise au préliminaire de conciliation, étant souligné que le fondement juridique portant sur une demande de congés payés et de dommages et intérêts est radicalement différent, alors que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer devant le bureau de conciliation sur la somme de 500 euros,

* l'employeur, auquel incombe la charge de cette preuve, n'apporte aucune précision sur la situation du groupe auquel il appartient, pas plus que sur le secteur d'activité du groupe,

* les seuls éléments comptables de la défenderesse sont insuffisants pour conclure à l'existence de difficultés économiques du groupe et/ou du secteur d'activité concerné, à la date de la rupture du contrat de travail, pas plus que pour démontrer une réorganisation nécessitée par la sauvegarde de la compétitivité du groupe,

* la cessation d'activité, alors que le groupe ne connaissait aucune difficulté économique avérée, ne suffit pas à caractériser un motif valable de licenciement,

* le salarié ne démontre pas qu'il aurait été licencié pour un motif autre que celui allégué par l'employeur,

* le présent licenciement économique qui s'inscrit dans un cadre collectif est soumis aux dispositions de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale sur la sécurité de l'emploi et en particulier son article 17 qui impose à l'employeur de rechercher de manière sérieuse, effective, loyale et individuelle des possibilités de reclassement sur l'ensemble des sociétés du groupe,

* en l'espèce, si un entretien est intervenu le 22 septembre 2017 entre B. et l'employeur, aucun élément de preuve ne permet de confirmer qu'une proposition de reclassement aurait été formalisée par ce dernier à cette date,

* les échanges de mails des 23, 24 et 29 novembre 2017 entre les parties démontrent que la tentative de reclassement s'est limitée à une seule proposition, alors que le groupe est composé de nombreuses sociétés (14.300 personnes réparties dans plus de 100 entités industrielles et commerciales implantées dans plus de 40 pays ; équipes commerciales et techniques basées à Mèze - 34 et Nemours - 77),

* la société défenderesse ne fournit aucun document sur la nature des emplois existants dans les différentes sociétés du groupe, ce qui ne permet pas d'avoir une vue objective de la situation générale de ce dernier et des efforts de reclassement opérés, alors qu'il n'est pas établi que le profil de poste de l'intéressé ait été adressé aux différentes sociétés du groupe permettant une recherche personnalisée d'emploi,

* l'employeur a dès lors fait preuve d'une légèreté blâmable dans le cadre de l'exercice de son droit unilatéral de rupture, conférant un caractère abusif au licenciement,

* B. qui était âgé de 47 ans au moment de la rupture et bénéficiait d'une ancienneté de 27 années, a incontestablement subi un préjudice moral dans un contexte où il avait connu une évolution de carrière très honorable, compte tenu de son investissement professionnel, ainsi qu'une perte de chance (à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif en son principe),

* le salarié ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un usage s'agissant du « bonus discrétionnaire » dont il sollicite le règlement à hauteur de 5.000 euros, dans la mesure où les critères de constance, généralité et fixité ne sont pas caractérisés,

* en effet, la prime n'a pas été accordée à l'intéressé tous les ans, alors que son montant a varié sans que ses modalités de calcul puissent être définies et qu'il n'est pas établi qu'elle ait été octroyée à l'ensemble des salariés ou à une catégorie déterminée d'entre eux,

* les conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire n'étaient pas réunies.

Selon exploit du 14 octobre 2021, la SAM A. a formé appel parte in qua à l'encontre du jugement du 1er juillet 2021, en sollicitant son infirmation en ce que le Tribunal du Travail a considéré que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif, en le condamnant à payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de ladite décision, ainsi qu'aux dépens. Elle a demandé à la Cour, statuant à nouveau, de dire et juger que le licenciement pour motif économique est valable et ne revêt aucun caractère abusif et de rejeter l'ensemble des demandes de B. en le condamnant aux entiers dépens distraits au profit de Maître Yann LAJOUX.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 5 juillet 2022, l'appelante a maintenu ses demandes initiales en sollicitant la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables la demande complémentaire de congés payés sur rappel de salaire ainsi que la demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 500 euros et en ce qu'il a débouté B. du surplus de ses demandes.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

Sur la validité du motif,

* le salarié a été parfaitement informé des difficultés rencontrées, leurs origines et les raisons pour lesquelles son licenciement revêtait une nécessité économique,

* une première réunion a été organisée avec les employés le 12 septembre 2017 au cours de laquelle la décision prise par les actionnaires a été exposée en leur faisant part desdites précisions,

* le 20 septembre 2017, elle a communiqué le bilan de l'exercice 2016 et recevait le 22 septembre 2017 l'intéressé ainsi que les cinq autres salariés afin de discuter du licenciement collectif engagé,

* l'intimé ne peut dès lors tirer aucune conséquence du fait que la lettre de licenciement n'aurait pas repris les précisions concrètes sur les difficultés économiques, seul l'énoncé du motif devant être repris dans la lettre de rupture, laquelle est conforme aux dispositions légales,

* le bilan de l'exercice 2016 constitue un élément objectif et probant démontrant le report à nouveau négatif d'un montant supérieur à 8 millions d'euros ainsi qu'une dette à l'égard d'un créancier supérieure à 7 millions d'euros, en sorte que la réalité des difficultés économiques est établie,

* le bilan comptable arrêté au 30 novembre 2017 établit que le bénéfice avait chuté de 834.643,61 euros, les actifs disponibles et recouvrables à moins d'un an avaient diminué de 967.897,37 euros et le chiffre d'affaires après impôts de 201.144,73 euros,

* la marge brute était de 1.717.264,96 euros pour 2016 et de 470.838,10 euros pour 2017, soit une baisse significative de 1.246.426,86 euros,

* si le résultat net du bilan liquidatif 2017 était de 1.376.376,50 euros, ce n'est qu'en raison du fait qu'il compte naturellement des postes qui sont la conséquence de la dissolution de la société et notamment la cession des actifs correspondant à la somme de 1.664.893 euros, alors que le résultat réel aurait été une perte de 288.516,50 euros,

* l'augmentation des rémunérations de l'administrateur en 2017 à hauteur de 129.201,38 euros s'explique par le fait qu'elles comprenaient l'indemnité versée suite à l'achèvement de sa mission laquelle était inévitable à la suite de la décision de dissolution,

* en tout état de cause, l'intégralité des indemnités attribuées à cet administrateur a été refacturée à D. société mère du groupe, pour le compte de laquelle ces fonctions ont été exercées et donc prises en charge financièrement par cette dernière,

* un tableau récapitulant les informations relatives à sa situation financière sur les années 2015 à 2017 (pièce n° 13) vient confirmer la chute du chiffre d'affaires, de la marge brute et des bénéfices, outre la dette de 7 millions d'euros sus-évoquée,

* aucune volonté de dissimulation ne peut lui être reprochée s'agissant des pages 1 et 2 des documents produits qui n'ont pas été enlevées ou supprimées par ses soins mais retirées suite à une simple erreur matérielle dont l'expert-comptable est à l'origine (déclaration écrite de E. en ce sens),

* à supposer qu'un « état des commandes futures » ait existé, lesdites commandes auraient en tout état de cause été insuffisantes pour redresser l'entreprise, tandis que le chiffre d'affaires qui aurait ainsi pu être généré n'aurait eu aucune incidence sur la réalité du motif économique tel que démontré,

* le Tribunal du travail s'est référé, en dehors de toute disposition légale et à tort, à la nécessité de démontrer que le secteur d'activité concerné par le groupe D.-auquel appartient l'appelante- subirait lui aussi des difficultés économiques,

* en tout état de cause, le secteur d'activité dans lequel travaillait la société monégasque, à savoir l'électro fusion et l'électro-soudage, connaissait depuis plusieurs années des difficultés importantes remettant en cause la pérennité de cette activité,

* le 13 juillet 2016, le contrôleur financier du groupe D. a d'ailleurs rendu un rapport sur l'activité Electro fusion duquel il ressort qu'entre 2010 et 2015, le chiffre d'affaires a baissé de 7,5 millions d'euros et la marge brute de 5,8 millions d'euros,

* s'ajoute une analyse de la situation comptable et financière de la division Electro fusion du groupe D. qui démontre ses mauvais résultats financiers (pièces n° 16 et 17),

* une autre société du groupe D. qui faisait partie de la même division a été également liquidée en 2015,

* il est ainsi établi que le groupe a été impacté par des difficultés économiques, alors qu'elle n'est aucunement tenue de divulguer des renseignements sur un précédent plan qui ne concerne pas le salarié,

Sur le caractère abusif du licenciement,

* par courriers des 8 et 18 septembre 2017, son conseil a informé l'inspection du travail des mesures octroyées et des reclassements envisagés,

* le 27 septembre 2017, son conseil a avisé l'inspection du travail que les termes du plan initial n'avaient pas évolué à l'exception de Monsieur B. ce dernier ayant fait connaître sa volonté de ne pas être licencié mais d'être muté avec reprise d'ancienneté au sein de la société française appartenant au groupe D. en tant qu'adjoint responsable technique (pièce n° 6),

* c'est au cours d'une conversation téléphonique avec l'intimé, le 22 novembre 2017, qu'elle a compris que ce dernier n'envisageait plus d'accepter la proposition de mutation faite le même jour à l'occasion d'une réunion avec les 5 autres employés,

* le lendemain, lui était malgré tout adressé un courrier précisant les conditions du reclassement proposé (pièce n° 7, responsable des normes France, 63.000 euros annuels bruts et bonus de 10 % du salaire) en lui demandant de prendre position au plus tard le 27 novembre 2017,

* le 24 novembre 2017, en réponse à cette proposition, B. indiquait ne pas rejeter en bloc la proposition mais souhaitait obtenir un rendez-vous pour discuter de ses prétentions,

* le 28 novembre 2017, ce dernier sollicitait une revalorisation de son salaire, ce à quoi elle répondait qu'elle ne pouvait accéder à sa demande mais qu'une prime brute exceptionnelle de 4.000 et 2.000 euros pouvait lui être versée en 2018 et 2019,

* au prétexte qu'il n'avait pas le temps nécessaire pour « examiner cette situation à tête reposée », le salarié a rejeté par mail du 29 novembre 2017 la proposition au motif qu'elle serait inacceptable,

* le 29 novembre 2017, soit trois mois après l'annonce de la dissolution anticipée, elle a notifié à l'intimé par courrier le licenciement pour suppression de poste avec dispense du préavis de trois mois, et l'a avisé par mail que les locaux devaient être libérés dès le lendemain au soir, soit le 30 novembre 2017 et qu'il devrait travailler en « home office » à compter du 1er décembre 2017,

* il s'ensuit qu'une proposition de reclassement a bien été soumise à B. que celui-ci a préféré décliner au motif qu'il estimait que ses compétences et connaissances justifiaient une augmentation de son salaire annuel,

* or, cette offre lui permettait de conserver son statut de cadre et son ancienneté ainsi que d'augmenter son salaire puisque le salaire brut proposé passait à 5.249 euros au lieu de 4.297,39 euros,

* aucun reproche ne peut être formulé quant au contenu de cette proposition même si l'intitulé du poste a fait l'objet d'une modification,

* cette offre était la seule qui pouvait lui être adressée puisque les recherches se sont avérées infructueuses pour d'autres postes équivalents,

* il ne peut davantage lui être fait grief de ne pas avoir respecté l'ordre de l'article 6 de la loi n° 629 puisque dans le cas d'une dissolution anticipée, aucune ordre de départ ne saurait être appliqué,

* de même, les dispositions de l'avenant n° 12 ont été appliquées puisqu'elle a avisé l'inspection du travail de la procédure de licenciement collectif et de son avancée, alors qu'aucune obligation de reclassement n'est imposée par les dispositions légales monégasques, ni même une obligation de recherche de reclassement au sein du groupe,

* l'intimé ne saurait prétendre avoir été choqué par la demande tendant à le voir quitter l'entreprise puisqu'il était avisé depuis trois mois de la dissolution anticipée,

* l'âge, l'ancienneté, le contexte dans lequel s'inscrit la carrière ou la perte de chance résultant de cette rupture contractuelle ne sauraient constituer des éléments suffisants à retenir un abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement,

* il est à noter que l'intimé a retrouvé un emploi et a perçu une indemnité de congédiement de 58.973,89 euros,

* l'irrecevabilité des demandes nouvelles non soumises à la conciliation devra être confirmée, sans que puisse lui être opposée une carence délibérée et intentionnelle.

Suivant conclusions récapitulatives du 4 octobre 2022, B. a sollicité :

* la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif, condamné la société A. à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter dudit jugement, et condamné la société A. aux dépens,

* la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que la demande complémentaire de congés payés sur rappel de salaire était irrecevable, a déclaré irrecevable sa demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 500 euros et l'a débouté du surplus de ses demandes,

et a demandé à la Cour, statuant à nouveau, de condamner la société A. à lui payer la somme de 5.000 euros au titre du rappel de salaire et du bonus discrétionnaire ainsi que la somme de 500 euros au titre des congés payés afférents, mais également de condamner l'appelante à lui payer la somme de 3.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA.

Il soutient en substance que :

* la demande de congés payés a bien été formée au stade de l'audience de conciliation à laquelle l'appelante, valablement touchée, a choisi de ne pas se présenter, alors que la demande de dommages et intérêts à hauteur de 500 euros n'existe pas s'agissant d'une erreur de plume,

* il n'est pas responsable de la non-présentation de la société défenderesse en première instance lors de l'audience de conciliation, alors qu'il serait abusif de lui opposer une irrecevabilité fondée sur la carence délibérée et intentionnelle de l'employeur,

* il a reçu paiement chaque année d'un bonus discrétionnaire depuis 1998, ainsi qu'il résulte de ses bulletins de paie (démontrant son caractère fixe, permanent et général), mais n'a rien perçu en 2017,

* aucun écrit n'a été formalisé et n'est venu encadrer le versement de cette prime, dont le montant était laissé à l'appréciation de l'employeur qui se réservait bien d'en divulguer les critères précis de calcul,

* le caractère fixe de cette prime ne s'applique pas au montant versé mais à sa périodicité,

Sur la validité du motif de licenciement,

* les pièces versées aux débats par l'appelante ne sont pas nouvelles et démontrent un résultat net positif de 546.127,11 euros en 2016, un chiffre d'affaires sensiblement identique entre 2016 (10.327.607,62 euros) et 2017 (10.314.026,40 euros),

* si ce n'est le report d'une dette de 993.841,36 euros pour laquelle il n'est donné aucune explication, la situation de l'employeur était relativement la même,

* le résultat net suivant bilan était en 2017 de 1.376.376,50 euros et non un déficit de 288.516,50 euros comme indiqué dans le tableau adverse,

* la rémunération conséquente de l'administrateur a été augmentée (2016 : 436.471,97 euros ; 2017 :

1. 673,35 euros), la tentative de justification non étayée notamment au titre des « tâches » accomplies étant floue,

* le plan mis en place sur plusieurs années et visant « à réduire les coûts » n'est pas versé aux débats malgré les demandes de communication en ce sens,

* il est également produit un bilan comptable (non vérifié) au 31 décembre 2015, tandis que les pages 1 et 2 « notes sur la présentation des comptes » ont été enlevées de la production, alors qu'il en est de même sur tous les autres bilans communiqués, le caractère systématique de cette prétendue erreur apparaissant pour le moins anormal,

* les difficultés doivent être réelles et non passagères, tandis que la « chute » de la marge brute n'est pas le plus révélateur et ce d'autant qu'elle était de 470.838,10 euros en 2017,

* de même, une baisse du chiffre d'affaires n'est pas suffisante pour démontrer que la survie de l'entreprise était impossible,

* la partie adverse démontre uniquement une baisse sur un an de ses résultats et non ses difficultés économiques,

* le groupe D.se présente lui-même dans une plaquette de décembre 2017 (pièce n° 14) comme un groupe en pleine croissance en annonçant une année record en 2015 et une année stable en 2016,

* le fait de venir alléguer que la division Electro fusion en Angleterre aurait été liquidée en 2015, soit deux ans auparavant, est dénué de toute pertinence et n'établit pas que le groupe aurait été impacté par des difficultés économiques,

* l'appelante n'a pas davantage produit l'état des commandes futures dont elle disposait à sa connaissance, et se contente de procéder par voie d'affirmation en indiquant qu'elles auraient été insuffisantes pour redresser l'entreprise,

* la surprise des employés à l'annonce de la fermeture de l'usine était largement due à leur connaissance de l'état des contrats en cours qui ne traduisait pas une situation catastrophique contrairement à la présentation faite,

* un courrier du 13 septembre 2017 des salariés interrogeait déjà sur les circonstances économiques ayant conduit à la situation (pièce n° 4) alors qu'il était simplement avancé en réponse une « situation financière délicate » (pièce n° 5),

* le motif ne pourra dès lors être considéré comme valable, même s'il ne peut prétendre à une indemnité de licenciement, au regard de l'indemnité de congédiement non cumulable perçue,

Sur le caractère abusif du licenciement,

* il a été informé verbalement le 22 septembre 2017 de ce qu'une proposition de reclassement allait lui être formulée, sans offre concrète,

* il n'avait à cette date aucune connaissance du poste envisagé et encore moins des conditions offertes qui ne lui seront communiquées que 2 mois plus tard,

* il avait toutefois indiqué à son employeur qu'il souhaitait se maintenir au sein du groupe, craignant de ne pas retrouver un emploi équivalent,

* le courrier adressé à l'inspection du travail (découvert à l'occasion de l'instance) ne fait état que d'un poste d'adjoint responsable technique avec reprise d'ancienneté, ce qui ne lui avait été nullement précisé, pas plus que les conditions financières qui y seraient attachées,

* il n'était cependant pas prêt à tout accepter, l'appelante se trouvant bien embarrassée par cette position, elle qui voulait éliminer le personnel, particulièrement les plus anciens,

* son salaire n'était aucunement plus avantageux puisqu'il perdait le bénéfice des allocations familiales monégasques plus intéressantes que celles versées en France,

* dans le même temps, il voyait ses collègues licenciés le 13 octobre 2017 et n'obtenait aucune nouvelle de sa hiérarchie si bien qu'il adressait un mail le 8 novembre 2017 pour connaître ladite proposition,

* il était répondu 6 jours plus tard, soit le 14 novembre 2017, lui demandant son numéro de téléphone pour le rappeler,

* les conversations téléphoniques n'ont en réalité débuter qu'après cette date, en dépit de l'annonce faite le 22 septembre 2017,

* la SAM A. se focalise désormais sur l'offre du 23 novembre 2017 sans revenir sur sa tardivité et les relances faites désespérément par ses soins pour être fixé sur son sort,

* si l'employeur avait réellement eu la volonté de le conserver, la proposition aurait été faite immédiatement après l'annonce de la fermeture, tandis qu'il s'est trouvé dans une incertitude totale quant à son avenir professionnel, ne sachant pas s'il devait rechercher un nouvel emploi ou attendre la proposition de reclassement,

* ce n'est que le 23 novembre 2017 à 16 heures 15 que l'offre officielle lui sera adressée avec une exigence de réponse pour le lundi 27 novembre 2017,

* il ne rejetait aucunement la proposition « en bloc » mais sollicitait une revalorisation de salaire, mettant en avant l'absence d'augmentation de sa rémunération en 10 ans et ses compétences,

* n'ayant en réalité aucune intention de le conserver au service du groupe, elle refusait de revoir son offre et proposait des primes brutes pour les années 2018 et 2019 seulement,

* il n'était pas possible dans ces conditions d'accepter une telle modification qui entraînait, outre la différence de charges sociales, une perte des aides familiales pour ses deux enfants,

* déplorant la précipitation et l'absence de temps pour réfléchir, il ne pouvait que décliner la proposition abstraite et imprécise qui aurait considérablement modifié sa situation,

* par la suite, le 29 novembre 2017, il était brutalement informé à 18 heures de ce que les locaux devaient être quittés le 30 novembre au soir, alors qu'il n'avait même pas réceptionné sa lettre de licenciement,

* le fait de savoir que la fermeture était annoncée et prévisible n'enlève en rien le caractère choquant et brutal de cette annonce,

* il lui avait même été demandé de travailler en « home office » au mépris des dispositions de l'arrêté ministériel du 1er juillet 2016 relatif au télétravail,

* ce n'est que par un courrier du 29 novembre 2017 avec la mention « second envoi » que lui sera notifié la rupture avec dispense de préavis, mettant un terme brutal à sa carrière, sans aucune forme de respect et avec une légèreté blâmable,

* en démontrant que son licenciement ne reposait sur aucun motif économique, il a établi que la rupture du contrat avait pour objectif de satisfaire les actionnaires du groupe, en sorte que le motif est faux,

* licencié à l'âge de 48 ans, il est suivi depuis janvier 2018 par un psychiatre pour « état dépressif réactionnel aux graves problèmes professionnels qu'il a rencontrés » et que « malgré une stabilisation de son état psychiatrique, la patient reste toujours fragile et un suivi reste nécessaire pour une période encore non déterminée » (pièce n° 11),

* pris en charge par Pôle Emploi, il a perçu entre le 4 juillet 2018 et le 4 janvier 2019 la somme de 14.065,69 euros, soit 2.009,38 euros au lieu des 4.334,45 euros représentant son salaire mensuel, pour un préjudice matériel de 16.275,46 euros,

* s'il a retrouvé un emploi grâce à ses compétences, la somme réclamée n'était nullement excessive au regard de sa grande fidélité et son dévouement, ainsi que des conséquences psychologiques et pécuniaires de la rupture.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels principal et incident respectivement formés par la SAM A. et B. lesquels respectent les règles de forme et de délai édictées par la loi, doivent être déclarés recevables ;

Sur la recevabilité des demandes formulées par B. au titre des congés payés sur rappel de salaire et dommages et intérêts

Attendu qu'en application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifié, toutes les demandes dérivant d'un contrat de travail, dont le Tribunal du travail est saisi, doivent être soumises au préliminaire de conciliation à l'occasion des audiences du bureau de conciliation ;

Que si le demandeur est autorisé, en vertu de l'article 42 de la même loi, à modifier ses demandes et en formuler de nouvelles lors de sa comparution devant le bureau de conciliation, cette faculté ne peut concrètement avoir de portée, au regard du caractère obligatoire de la tentative préalable de conciliation, que dans l'hypothèse de la comparution du défendeur à cette même occasion, lequel sera alors avisé de cette prétention nouvelle et aura ainsi la possibilité de se concilier sur elle ;

Qu'en conséquence, les premiers juges ont considéré à juste titre qu'en l'absence de comparution de la SAM A. lors de l'audience du bureau de conciliation au cours de laquelle B. a formulé une demande nouvelle à hauteur de 1.000 euros au titre des congés payés sur rappel de salaire, cette prétention, qui n'avait pas été soumise à la tentative de conciliation faute d'avoir été portée à la connaissance du défendeur, était irrecevable ;

Que la Cour note au surplus qu'en l'absence de comparution du défendeur devant le bureau de conciliation, le demandeur n'est pas privé de la possibilité d'introduire une nouvelle requête pour voir soumettre au Tribunal du travail une telle prétention, initialement omise, laquelle sera considérée comme recevable tant que la juridiction ne se sera pas prononcée en premier ou dernier ressort sur les chefs de la demande primitive, et ce, conformément à l'article 59 alinéa 2 de la loi précitée ;

Attendu par ailleurs que le bureau de jugement ne pouvant connaître que des demandes préalablement soumises au bureau de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, la demande en paiement de la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts -quand bien même elle correspondrait en réalité aux congés payés sur rappel de salaire- laquelle a été formulée par B. aux termes de ses diverses écritures judiciaires devant le bureau de jugement, a été à bon droit déclarée irrecevable par la décision de première instance ;

Sur la prime exceptionnelle ou le bonus discrétionnaire

Attendu que les prime ou gratification versées par un employeur ne caractérisent un usage d'entreprise pouvant revêtir un caractère obligatoire que si la constance, la généralité et la fixité de leur versement permettent d'étayer une volonté ferme et non équivoque de l'employeur d'octroyer au salarié un tel avantage financier, étant souligné que ces conditions sont cumulatives ;

Attendu en l'espèce qu'il ressort des bulletins de salaire de B. que celui-ci a perçu :

* au mois de mars 2010, une prime exceptionnelle brute de 4.949 euros,

* au mois de mars 2012, une prime exceptionnelle brute de 5.099 euros,

* au mois d'avril 2014, un bonus discrétionnaire brut de 4.641 euros,

* au mois d'avril 2015, un bonus discrétionnaire brut de 4.711 euros,

* au mois d'avril 2016, un bonus discrétionnaire brut de 4.758 euros ;

Attendu qu'il n'est pas démontré en premier lieu que ladite prime ou bonus « discrétionnaire » ait été octroyé à l'ensemble ou une catégorie des employés de la SAM A. ;

Attendu que cette gratification n'a pas été versée de manière constante ou continue à B. puisqu'elle a été initialement réglée tous les deux ans à compter de mars 2010 puis toutes les années à compter du mois d'avril 2014, en sorte qu'elle a changé de périodicité de règlement et par la même de dénomination et de niveau de montant ;

Attendu qu'aucun élément ne permet de déterminer les critères objectifs de son attribution, en particulier concernant son montant et son calcul ;

Attendu que les critères cumulatifs de l'usage n'étant pas remplis, le Tribunal du Travail a rejeté à bon droit la demande en paiement de la somme de 5.000 euros formée au titre du rappel de salaire ;

Sur la validité du motif de rupture

Attendu que la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence de difficultés économiques réelles ou l'existence effective de la restructuration de l'entreprise pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, constitue un licenciement économique ;

Qu'il incombe à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise ;

Qu'à cet égard, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration et l'effectivité de la suppression du poste ;

Qu'en l'espèce, la suppression de poste a été effective au regard de la dissolution de la société ;

Qu'il ressort des documents comptables communiqués par l'employeur que si le chiffre d'affaires et la marge brute de la société monégasque ont diminué entre la fin des exercices 2015 et 2016, passant respectivement de 10.535.161,57 euros à 9.654.639,10 euros et de 2.083.101,84 euros à 1.717.264,14 euros, le résultat est demeuré bénéficiaire même s'il est passé de 1.230.223,11 euros à 546.127,11 euros ; que les comptes arrêtés au 31 novembre 2017, qui ne concernent pas un exercice complet et s'inscrivent surtout dans le cadre de la liquidation de la société, apparaissent nettement moins exploitables en termes de marge brute et de résultat, bien qu'il convienne de souligner que le chiffre d'affaires s'est maintenu à un niveau confortable de 9.453.494,37 euros sur 11 mois malgré la décision de dissolution prise dès la fin août 2017 ;

Que le bilan passif fait apparaître un découvert bancaire qui s'est réduit avec le temps, soit de 9.062.369,86 euros au 31 décembre 2015, de 7.410.002,78 euros au 31 décembre 2016 et de 5.272.271,15 euros au 30 novembre 2017, lequel constitue l'essentiel du passif exigible à moins d'un an, tandis que le report solde antérieur était déjà négatif de 9.264.367,74 euros au 31 décembre 2014 et de 8.034.144,63 euros au 31 décembre 2015 ; qu'aucune explication concrète n'est apportée sur ces points, tandis qu'une dette à l'égard d'un créancier « cp. D. », du nom du groupe auquel la société appartient, est évoquée sans plus de précision ;

Qu'en conséquence, le maintien du chiffre d'affaires et de la marge brute à un niveau très acceptable ainsi que la réalité des bénéfices générés par la SAM A. même minorés, ne permettent pas de considérer que celle-ci faisait face dès la fin de l'année 2016 à des difficultés économiques ; qu'il n'est pas davantage démontré que l'éventuelle menace qui pesait sur la compétitivité de l'entreprise, au regard de la baisse de son chiffre d'affaires et de la marge brute, aurait justifié la réorganisation à laquelle il a été procédé, à savoir la dissolution anticipée de la société et la suppression de l'intégralité des emplois, dans un contexte où les dettes importantes révélées sont insuffisamment explicitées à la juridiction ;

Que par ailleurs, les développements de l'appelante concernant les difficultés rencontrées au niveau de la division Electrofusion du groupe D. (lequel est « un des leaders mondiaux dans la production et la distribution de systèmes de transport de fluides en matière plastique », pièce n° 14 de l'intimé) ne sont pas suffisants dès lors :

* que l'employeur ne fournit pas d'éléments permettant d'apprécier l'étendue du secteur d'activité du groupe auquel la SAM A. appartient,

* qu'il n'est pas établi que ce secteur d'activité se limiterait à la seule division Electrofusion,

* que les données chiffrées fournies (pièce n° 16 de l'appelante) qui ne sont que très peu commentées ne permettent pas de considérer que les éventuelles difficultés rencontrées par la division Electrofusion constitueraient une menace sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe D. dans lequel intervient la société monégasque,

* la pièce n° 17 produite par l'appelante a été établie le 10 octobre 2016 par F. administrateur délégué, sur un papier à entête A. Monaco, sans que la Cour puisse déterminer l'objectivité des propos qu'elle comporte au regard de la qualité de son auteur ;

Attendu en définitive, que la décision de première instance doit être confirmée en ce qu'elle a estimé que le motif de rupture n'était pas valable, faute de justification de la nécessité économique de la cessation d'activité de l'employeur ;

Sur le caractère abusif du licenciement

Attendu qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture ;

Attendu que la seule circonstance que la nécessité économique du licenciement n'ait pas été établie ne permet aucunement de considérer que le motif invoqué serait fallacieux, dès lors que l'intimé ne démontre pas quelle serait la cause effective ou le motif réel de cessation des relations contractuelles, ni même ne justifie d'une quelconque intention de nuire ; que la pièce n° 14 produite par le salarié concernant les résultats du groupe D. à savoir une année record en 2015, un chiffre d'affaires stable en 2016, malgré une baisse de 0,4 % à taux de change constants et une diminution du bénéfice net de 33,9 %, est d'ailleurs insuffisante à cet égard ;

Attendu par ailleurs qu'il n'est pas contesté que la rupture du contrat de travail de B. s'inscrit dans le cadre d'un licenciement économique collectif ;

Attendu que la SAM A. était dès lors tenue de respecter les dispositions de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale du travail sur la sécurité de l'emploi, rendu obligatoire par l'arrêté d'extension du 28 juillet 1970, pour tous les employeurs des entreprises industrielles et commerciales appartenant aux secteurs professionnels compris dans son champ d'application, et notamment ses articles 11 et 17 qui disposent respectivement que « Lorsqu'une entreprise est amenée à envisager un licenciement collectif d'ordre économique, elle doit (...) utiliser les possibilités offertes à cet égard par une politique de mutations internes, soit à l'intérieur de l'établissement concerné, soit d'un établissement à un autre établissement de l'entreprise (...) » et que « Les entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourrait être utilisés par eux (...) » ;

Que l'obligation de recherche de solutions de reclassement ainsi édictée n'impose toutefois pas une obligation de reclassement au sein des sociétés du groupe auquel appartient l'employeur, établies en dehors de la Principauté ;

Qu'en conséquence, il ne peut être reproché à la SAM A.de ne pas justifier d'une recherche effective de postes disponibles « équivalents » dans des sociétés étrangères du groupe D. ;

Attendu cependant, que l'employeur ayant envisagé de proposer une solution de reclassement au sein d'une société française du groupe (non identifiée) au profit du salarié, ainsi qu'il l'avait annoncé à l'inspection du travail dès le 8 septembre 2017 et réitéré le 27 septembre 2017 (pour un poste d' « adjoint responsable technique »), il lui appartenait, dans le cadre de l'obligation d'exécution de bonne foi des conventions, de formuler auprès de B. une offre formelle, claire et précise, assortie d'un délai suffisant de réflexion pour lui permettre de prendre position dans des conditions sereines sur son avenir professionnel en dehors de la Principauté de Monaco ;

Qu'à cet égard, la Cour constate que si les parties s'accordent sur le fait que cette solution de reclassement a été évoquée verbalement lors d'une réunion du 22 septembre 2017, le salarié a été contraint de relancer l'employeur pour l'interroger sur la poursuite de sa carrière professionnelle au sein du groupe au moyen d'un courriel du 8 novembre 2017, dans le contexte où les autres employés s'étaient déjà vu notifier leur licenciement trois semaines plus tôt ;

Que le supérieur hiérarchique contacté n'a ensuite sollicité que le 14 novembre 2017 les coordonnées téléphoniques de B. afin de discuter de cette question ;

Que ce n'est finalement que le 23 novembre 2017 que l'employeur a formulé officiellement par mail une proposition de mutation au sein du groupe D. en France en qualité de « responsable des normes France », en impartissant au salarié de faire un retour écrit au plus tard le 27 novembre 2017, évoquant un possible « refus » de l'intéressé au vu des échanges intervenus ;

Qu'en réponse, B. a indiqué le lendemain, par courriel du 24 novembre 2017, que ses « propos avaient été mal interprétés, mon idée n'était pas de rejeter en bloc la proposition, et encore moins par le simple fait d'avoir émis des prétentions. Ton courriel amène des questions que je souhaiterais discuter de vive voix, aussi je suis tout à fait disposé à convenir d'une rendez-vous » ;

Que le 28 novembre 2017 à 9 heures 57, faisant suite à une conversation téléphonique de la veille, le salarié a réitéré par mail son intérêt pour le poste de responsable des normes France, en sollicitant une revalorisation de sa rémunération sur trois années ;

Que le même jour, à 12 heures 44, la demande de revalorisation a été rejetée mais une proposition de paiement d'une prime brute exceptionnelle de 4.000 euros en 2018 et de 2.000 euros en 2019 a été soumise à B. ;

Que ce dernier, le lendemain, par courriel du 29 novembre 2017 à 13 heures 44, a déploré ne pas avoir « le temps nécessaire pour examiner cette situation à tête reposée » et a rejeté la proposition ;

Que le 29 novembre 2017 à 18 heures 01, B. a été avisé par mail que les bureaux devaient être définitivement quittés le 30 novembre 2017 au soir et qu'il devait travailler en home office à compter du 1er décembre 2017 ;

Qu'à la date du 8 décembre 2017, la lettre de licenciement datée du 29 novembre 2017 n'était pas encore parvenue au salarié, en sorte qu'il a été destinataire d'un second envoi posté le 12 décembre 2017 ;

Que l'ensemble de ces circonstances démontrent à suffisance que la SAM A. a fait preuve de légèreté blâmable dans la mise en œuvre de la rupture :

* en s'abstenant de fournir dans un délai raisonnable une proposition de reclassement officielle qu'elle avait annoncée dès le 8 septembre 2017, plaçant son salarié dans une position d'incertitude,

* pour ensuite le soumettre dès le 23 novembre 2017 à des délais de réponse contraints et des possibilités de discussion restreintes, en vue d'une évolution importante de carrière et des conditions de travail imposant notamment un travail « en home office », des déplacements réguliers « dans les sociétés françaises du groupe D. certaines usines du groupe en Europe selon besoin et aux divers comités de normalisation » ainsi que la perte des avantages sociaux monégasques (charges sociales, allocations familiales pour deux enfants),

* et enfin, en prévenant l'intéressé de manière brutale de la nécessité immédiate de quitter les locaux -dont il n'était manifestement pas avisé en dépit de l'annonce de la dissolution de la société- alors que la lettre de licenciement ne lui était pas encore parvenue ;

Que si B.ne peut solliciter l'indemnisation du préjudice matériel lié à la perte de son emploi, dès lors que le principe du licenciement n'était pas abusif, il n'en demeure pas moins que celui-ci a subi un préjudice moral important lié aux conditions de proposition d'un reclassement et de mise en œuvre de la rupture, après plus de 27 années de services, lequel est au demeurant étayé par :

* un certificat médical du 2 octobre 2018 du Docteur G psychiatre, évoquant une consultation dès le 23 janvier 2018 pour un état dépressif réactionnel et précisant que « malgré une relative stabilisation de l'état psychiatrique, la patient reste toujours très fragile et un suivi psychiatrique reste nécessaire pour une durée encore indéterminée »,

* une attestation du 1er juillet 2019 du psychologue clinicien et psychothérapeute, e. I. concernant la mise en place d'un suivi psychologique hebdomadaire en relation avec la perte de son ancien travail depuis le mois de juin 2019 ;

Qu'il n'a toutefois pas subi une perte de chance de conserver un emploi au sein du groupe, malgré le manque de sérénité des discussions menées rapidement avec l'employeur sur ce point, qui a concouru à son préjudice moral, au regard des divergences concernant les prétentions salariales de l'intéressé ;

Qu'en définitive, en l'état des éléments d'appréciation dont dispose la Cour, le préjudice moral doit être évalué à la somme de 70.000 euros et le jugement du Tribunal du Travail réformé sur ce seul point ;

Attendu que la SAM A. doit supporter les dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ; qu'il n'apparaît cependant pas inéquitable de rejeter la demande de l'intimé en paiement de la somme de 3.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les appels principal et incident respectivement formés par la société anonyme monégasque A. et B.

Confirme le jugement du 1er juillet 2021 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société anonyme monégasque A. à payer à B. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2021,

Statuant à nouveau,

Condamne la société anonyme monégasque A. à payer à B. la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2021,

Y ajoutant,

Déboute B. de sa demande en paiement de la somme de 3.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Condamne la société anonyme monégasque A. aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 14 FEVRIER 2023, par Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, Madame Marie-Hélène PAVON-CABANNES, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Julien PRONIER, Premier Substitut du Procureur général.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20963
Date de la décision : 14/02/2023

Analyses

Si le demandeur est autorisé, en vertu de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, à modifier ses demandes et en formuler de nouvelles lors de sa comparution devant le bureau de conciliation, cette faculté ne peut concrètement avoir de portée, au regard du caractère obligatoire de la tentative préalable de conciliation, que dans l'hypothèse de la comparution du défendeur à cette même occasion, lequel sera alors avisé de cette prétention nouvelle et aura ainsi la possibilité de se concilier sur elle. En l'absence de comparution du défendeur devant le bureau de conciliation, le demandeur n'est pas privé de la possibilité d'introduire une nouvelle requête pour voir soumettre au Tribunal du travail une nouvelle prétention, initialement omise, laquelle sera considérée comme recevable tant que la juridiction ne se sera pas prononcée en premier ou dernier ressort sur les chefs de la demande primitive, et ce, conformément à l'article 59 alinéa 2 de la loi précitée.Les prime ou gratification versées par un employeur ne caractérisent un usage d'entreprise pouvant revêtir un caractère obligatoire que si la constance, la généralité et la fixité de leur versement permettent d'étayer une volonté ferme et non équivoque de l'employeur d'octroyer au salarié un tel avantage financier, étant souligné que ces conditions sont cumulatives.La rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence de difficultés économiques réelles ou l'existence effective de la restructuration de l'entreprise pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, constitue un licenciement économique. Il incombe à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise. À cet égard, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration et l'effectivité de la suppression du poste.Il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture. La seule circonstance que la nécessité économique du licenciement n'ait pas été établie ne permet aucunement de considérer que le motif invoqué serait fallacieux, dès lors que l'intimé ne démontre pas quelle serait la cause effective ou le motif réel de cessation des relations contractuelles, ni même ne justifie d'une quelconque intention de nuire.L'obligation de recherche de solutions de reclassement n'impose pas une obligation de reclassement au sein des sociétés du groupe auquel appartient l'employeur, établies en dehors de la Principauté.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail – Tribunal du travail - Nouvelles demandes - RecevabilitéContrat de travail - Prime - Usage d'entreprise - Licenciement économique - Motif valable - Conditions - Licenciement abusif - Charge de la preuve - Obligation de reclassement - Portée géographique.


Parties
Demandeurs : Société A.
Défendeurs : Monsieur B.

Références :

article 238-1 du Code de procédure civile
articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2023-02-14;20963 ?

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