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09/11/2021 | MONACO | N°20123

Monaco | Cour d'appel, 9 novembre 2021, SAM TOP NETT c/ m. L.


Motifs

LA COUR,

En la cause de :

- La société anonyme monégasque TOP NETT, dont le siège social se situe 5 rue Louis Notari, 98000 Monaco, au capital de 152 000 euros, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n° 87S02339, agissant poursuites et diligences de son Administrateur Délégué, demeurant et domicilié es-qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Maeva ZAMPORI, avocat-stagiaire en cette même cour, substituan

t ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE, d'une part,

contre :

- Madame m. L., née le 30 déce...

Motifs

LA COUR,

En la cause de :

- La société anonyme monégasque TOP NETT, dont le siège social se situe 5 rue Louis Notari, 98000 Monaco, au capital de 152 000 euros, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n° 87S02339, agissant poursuites et diligences de son Administrateur Délégué, demeurant et domicilié es-qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Maeva ZAMPORI, avocat-stagiaire en cette même cour, substituant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE, d'une part,

contre :

- Madame m. L., née le 30 décembre 1968 à La Tronche (38700), de nationalité française, demeurant à Cap-d'Ail (06320) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE, d'autre part,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 17 septembre 2020 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 4 novembre 2020 (enrôlé sous le numéro 2021/000053) ;

Vu les conclusions déposées les 30 mars 2021 et 14 juillet 2021 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Madame m. L. ;

Vu les conclusions déposées le 31 mai 2021 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque TOP NETT ;

À l'audience du 5 octobre 2021,

ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société anonyme monégasque TOP NETT à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 17 septembre 2020.

Considérant les faits suivants :

Madame m. L. a été embauchée par la société anonyme monégasque TOP NETT suivant contrat à durée indéterminée, à compter du 5 avril 2004, en qualité de Secrétaire Accueil/Standard, puis nommée en 2008 Assistante de Direction.

Suivant courriel en date du 2 mai 2017, l'employeur a convoqué cette salariée à un entretien pour évoquer l'avenir de leurs relations contractuelles.

Par courrier en date du 9 mai 2017, m. L. a été licenciée sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 749 du 16 mars 1963.

Aux termes d'une requête en date du 28 mars 2018, m. L. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

- constater que l'employeur a eu un comportement fautif à son égard, tant dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, que dans sa rupture,

- constater que m. L. a fait l'objet, avant la notification de son licenciement, d'une « mise au placard »,

- dire et juger que le licenciement notifié le 9 mai 2017 n'a pas reposé sur un motif valable, qu'il a été mis en œuvre de manière légère, brutale et vexatoire, le rendant par là même doublement abusif,

En conséquence,

- condamner la SAM TOP NETT à régler à m. L. la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du Tribunal du travail.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement où m. L. a réitéré les termes de sa demande initiale.

La société TOP NETT, s'est opposée à l'ensemble de telles demandes, estimant en substance que cette salariée avait été remplie de ses droits, qu'elle ne justifiait pas avoir été victime d'un quelconque harcèlement, ayant simplement été incapable de s'adapter aux besoins de l'entreprise.

Suivant jugement en date du 17 septembre 2020, le Tribunal du travail a :

- rejeté des débats les conclusions déposées au greffe le 20 février 2020 par la société anonyme monégasque TOP NETT et la pièce communiquée par cette dernière sous le numéro 51,

- dit que le licenciement de m. L. par la SAM TOP NETT est abusif,

- condamné la SAM TOP NETT à payer à m. L. la somme de 78 000 euros (soixante-dix-huit mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral causé par le caractère abusif de la rupture et le harcèlement moral dont elle a été victime,

- condamné la SAM TOP NETT aux dépens.

Les premiers juges ont pour l'essentiel considéré que même si le retrait de l'essentiel de ses fonctions n'apparaissait nullement établi, la rupture avait été mise en œuvre de manière brutale et le harcèlement moral était établi à l'encontre de cette employée en l'état du mépris et de l'attitude désobligeante dont elle était publiquement victime au sein de l'entreprise.

Suivant exploit en date du 4 novembre 2020, la société TOP NETT a interjeté appel du jugement susvisé, signifié le 5 octobre 2020, demandant à la Cour de :

- déclarer recevable son appel,

- infirmer le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le Tribunal du travail de Monaco en ce qu'il a :

* jugé abusive la rupture du contrat de travail de Madame L. jugé que cette dernière a subi un harcèlement moral,

* condamné la société TOP NETT à payer 78 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral de Madame L.

Statuant à nouveau,

- débouter m. L. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner m. L. aux entiers dépens de l'instance.

La société TOP NETT excipe des moyens suivants aux termes de l'ensemble de ses écritures :

- si elle a convoqué m. L. par un courriel du 2 mai 2017 au matin pour un entretien le même jour à 11 h 30, aucun délai n'est légalement prévu ni davantage imposé par la jurisprudence entre la remise de la convocation et la tenue de l'entretien, pas plus qu'il n'est nécessaire de mentionner l'objet de l'entretien,

- c. L. était présent au cours de cet entretien en sa qualité de Délégué du Personnel représentant le collègue Cadre, mais m. L. s'est très vite emportée en interrompant l'entretien, tout en refusant de réceptionner une convocation pour un nouvel entretien le 9 mai 2017,

- f. H. lui a alors indiqué qu'elle était dispensée de présence au sein de l'entreprise afin qu'elle puisse réfléchir ou prendre conseil, ce qui ne s'est pas apparenté à une mise à pied disciplinaire, cette dispense n'ayant aucun impact sur son salaire et n'ayant présenté aucun caractère vexatoire,

- suite à cet entretien, la salariée a fait parvenir un arrêt maladie à son employeur outre un courrier reçu le 4 mai 2017 aux termes duquel elle évoquait son sentiment de harcèlement et de mise au placard,

- le second entretien du 9 mai 2017 a été organisé en fonction des heures de sorties autorisées par la CCSS et m. L. s'étant présentée seule, la lettre de licenciement lui a été remise en main propre,

- l'employeur ayant exposé par écrit ce qui était reproché à m. L. l'entretien a alors permis de répondre aux questions de cette salariée pour lui expliquer les raisons de son licenciement,

- la jurisprudence est constante pour établir que l'employeur dispose bien d'un droit unilatéral de résiliation permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci pour autant qu'il supporte les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de rupture en versant l'indemnité de licenciement,

- les premiers juges ont à tort considéré que la rupture du contrat de travail était intervenue de manière fautive alors qu'aucune proposition de modification du contrat de travail n'avait été présentée à m. L.

- cette salariée n'a pas été victime de harcèlement de la part de son employeur, les éléments mentionnés dans les attestations prises en compte par les premiers juges n'étant pas circonstanciés et ne faisant pas état de faits précis,

- ces attestations ne font référence qu'au ressenti d'anciens salariés et n'établissent aucune attitude vexatoire ni la volonté d'isoler la salariée qui aurait été imputable à Monsieur H.

- si ce dernier ne répondait en effet pas systématiquement aux courriels de cette salariée, il lui donnait toujours des réponses directes puisque leurs bureaux étaient voisins,

- le courrier de Monsieur H. en date du 4 mai 2017 a été dénaturé par les premiers juges dès lors que ce dernier s'excusait simplement de ses propos humoristiques et de ses plaisanteries qui ne se voulaient pas désobligeantes pour Madame L.

- l'employeur n'a dès lors aucunement fait preuve de harcèlement envers cette salariée et la décision déférée sera réformée en ce que celle-ci a obtenu la réparation de son préjudice moral.

m. L., intimée et appelante incidente, entend pour sa part voir confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 17 septembre 2020 en ce qu'il a :

- confirmé le jugement rendu par le Tribunal du travail le 17 septembre 2020 en ce qu'il a :

- relevé le préjudice moral subi par la salariée à la suite du harcèlement moral dont elle a été victime en cours d'exécution de contrat,

- dit que le licenciement de m. L. par la SAM TOP NETT était abusif,

- condamné la SAM TOP NETT à payer à m. L. la somme de 78 000 (soixante-dix-huit mille) euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral causé par le caractère abusif de la rupture et le harcèlement moral dont elle a été victime,

- Y ajoutant et réformant partiellement la décision attaquée, notamment du chef du quantum des dommages et intérêts :

* écarter des débats la pièce n° 51 produite par la SAM TOP NETT,

* dire et juger que le licenciement notifié à m. L. a été irrégulier, en ce qu'il a été notifié à salariée alors que celle-ci avait déjà remis à son employeur son arrêt maladie initial, tandis que la SAM TOP NETT n'avait pas encore pris de décision ferme sur l'avenir de leur relation contractuelle,

* dire et juger que le licenciement n'aurait pas dû être notifié à cette date du 9 mai 2017, eu égard à son arrêt maladie préalable,

* dire et juger que les droits et prérogatives de la salariée licenciée sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 n'ont pas été respectés en intégralité,

* dire et juger que m. L. a fait l'objet d'une mise au placard du fait de son employeur, au sens de la jurisprudence monégasque,

* condamner la SAM TOP NETT à régler à Madame L. la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, pour tous ces préjudices supplémentaires, porter ainsi à la somme totale de 78 000 + 25 000 = 103 000 (cent trois mille) euros la somme totale des dommages et intérêts à allouer à Madame L. en réparation de tous les préjudices subis par elle,

- condamner en tant que de besoin l'employeur à régler à m. L. cette somme totale de 103 000 euros (cent trois mille euros),

- condamner la SAM TOP NETT aux dépens, ainsi qu'à ceux de première instance, distraits au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, aux offres de droits.

m. L. expose pour l'essentiel aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires que :

- au regard des circonstances dans lesquelles le licenciement est intervenu la rupture du contrat de travail est apparue brutale et abusive,

- les propres écrits de f. H. révèlent que celui-ci a fréquemment tenu des propos qu'elle a ressenti comme déplacés sans qu'il ne réagisse ou cesse toute familiarité envers elle, les divers mails reçus démontrant au contraire son mépris et sa volonté de l'isoler,

- elle n'a pas pu anticiper la rupture qui lui a seulement été annoncée dans le cadre d'un entretien organisé sans aucun délai de prévenance et dont elle ignorait l'objet le jour de son retour de congé,

- le sujet de l'entretien consistant en l'évocation de l'avenir des relations contractuelles ne pouvait lui permettre d'imaginer qu'elle était convoquée à un entretien préalable au licenciement et ce d'autant que la présence de Monsieur L. en sa qualité de responsable d'exploitation ne lui permettait pas de penser qu'il s'agissait d'un délégué du personnel,

- la convocation à cet entretien préalable est intervenue le jour de son retour de congé et l'entretien a eu lieu une heure après cette convocation,

- il lui a été demandé le jour même de quitter immédiatement l'entreprise sans qu'il lui soit remis le moindre document ou la moindre convocation pour le second entretien,

- la mise à pied ainsi ordonnée ayant précédé un licenciement fondé sur les dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 a clairement traduit la volonté de nuire de l'employeur et le caractère vexatoire du licenciement,

- c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que la rupture du contrat de travail était intervenue de manière abusive,

- elle a par ailleurs incontestablement été victime de harcèlement puisque f. H. a lui-même reconnu avoir tenu des propos à son encontre qui se voulaient humoristiques mais qui étaient tout à fait déplacés,

- il résulte de la chronologie des faits qu'au 2 mai 2017, à l'issue de l'entretien lors duquel elle a été mise à pied, elle s'est rendue chez son médecin qui a fait état de nombreuses pressions morales émanant de sa direction qui l'avait mise de côté durant les mois précédents,

- l'arrêt de travail alors dispensé a eu pour effet de suspendre le contrat de travail par application des dispositions de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, une telle disposition étant d'ordre public et rendant irrégulière la mesure de licenciement,

- l'arrêt maladie avait en effet débuté avant la notification de la rupture puisque l'employeur avait reçu un feuillet délivré par le médecin de Madame L. tout en s'abstenant de déclarer cet arrêt maladie, en sorte qu'elle se trouve lésée au niveau de la mutuelle entreprise dont elle bénéficie en sa qualité de cadre, n'ayant pas reçu le complément de salaire dû, en plus de celui versé par la CCSS,

- cette irrégularité complémentaire devra être constatée et donner lieu à une condamnation de ce chef à la charge de l'employeur,

- l'employeur a failli à ses obligations à plusieurs égards puisque le bulletin de salaire établi pour le mois de mai 2017 est entaché d'une erreur, le 1er mai n'ayant pas été rémunéré,

- elle a été victime d'une mise au placard dont elle se réserve de justifier par des documents probants en l'état de la suppression de ses nombreuses tâches et sans qu'elle ait jamais signé la moindre modification portant sur sa fiche de poste,

- l'employeur devait avant toute modification de tâches obtenir sa signature sur une fiche de fonction pour acter la modification en vertu des nouvelles normes ISO auxquelles l'employeur était soumis,

- elle a donc subi une modification d'un élément substantiel de son contrat de travail sans en avoir accepté le principe,

- la pièce n° 51 versée en cause d'appel par l'employeur sera écartée des débats en l'état des signes laissant présumer l'existence d'un montage,

- si cette pièce n'était pas retirée, elle entend répliquer par le dépôt d'une nouvelle pièce aux termes de laquelle c. B., prédécesseur de Monsieur H. fait état de ses qualités professionnelles et s'étonne des attestations produites par l'employeur émanant d'anciens collègues de travail et présentant une version mensongère des faits.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels principal et incident ont été formés dans les conditions de forme et de délais prévues par la loi et doivent être déclarés recevables ;

Sur la demande de rejet de la pièce n° 51 produite par la société TOP NETT

Attendu qu'il est demandé de déclarer irrégulière et de rejeter des débats la pièce n° 51 produite par la société TOP NETT en l'état des mentions apparaissant sur les échanges de mails laissant, selon m. L. présumer l'existence d'un montage ;

Qu'il est répondu par la société TOP NETT que ce document édité le 1er septembre 2015 n'a pas pu être modifié ou créé pour les besoins de la cause puisqu'il émane du logiciel quadratus qui n'est plus utilisé par la société TOP NETT ;

Attendu que le document considéré provient de la messagerie professionnelle interne de l'entreprise TOP NETT et ne caractérise pas une attestation au sens des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que cette pièce qui apparaît correspondre à des échanges intervenus entre Madame L. et Monsieur B. ne présente pas dans la forme des éléments suffisants pour en garantir l'authenticité dès lors que figure avant la ligne horizontale séparant l'expéditeur et le destinataire du mail l'identité d'une tierce personne n'ayant aucune raison de se trouver là et que si le premier feuillet du mail établit que m. L. en est l'expéditrice, le corps du courriel démontre qu'elle en est au contraire la destinataire, tous éléments conduisant à voir rejeter des débats une telle pièce ;

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu d'écarter des débats la pièce n° 51 dont la régularité n'est pas établie ;

Sur le caractère abusif du licenciement

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 que l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci pour autant qu'il supporte les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;

Qu'un tel droit n'apparaissant ni discrétionnaire ni absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits du salarié concerné comme les circonstances présidant à la rupture, lesquels doivent être exempts de tout abus dommageable à ce dernier ;

Attendu qu'il incombe au salarié qui se prétend victime d'un licenciement abusif et qui prétend à l'octroi de dommages intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 d'établir l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est pour lui résulté ;

Qu'il en résulte que même dans le cadre de l'exercice par l'employeur de son droit unilatéral de résiliation, il relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge saisi de procéder à un contrôle indirect du motif sous-tendant en réalité la rupture à l'effet de déterminer si celui-ci procède d'une volonté insidieuse de tromperie de l'employeur, s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté et même si le recours à ce droit unilatéral de résiliation n'a pas été détourné de sa finalité, tel pouvant être le cas lorsqu'une procédure disciplinaire était en cours ;

Attendu que m. L. reproche en substance à l'employeur le caractère brutal et vexatoire du licenciement, son caractère irrégulier en considération de son arrêt maladie, la volonté de nuire de l'employeur à son égard, outre le harcèlement moral dont elle aurait été victime au cours de l'exécution du contrat de travail, tous éléments justifiant selon elle une majoration des dommages-intérêts alloués ;

Attendu qu'il résulte à cet égard des pièces produites que m. L. était légalement en congé jusqu'au 2 mai 2017, date à laquelle f. H. Directeur Général, lui a adressé un courriel à 10 h 18, ainsi libellé :

«  Madame,

Je vous informe que je souhaite avoir un entretien afin d'aborder avec vous l'avenir de nos relations contractuelles.

À cet effet, vous voudrez bien vous présenter à mon bureau ce jour, le mardi 2 mai 2017 à 11 heures 30 minutes.

Je serais accompagné de Monsieur c. L. en sa qualité de responsable d'exploitation.

Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes salutations distinguées » ;

Attendu que la salariée concernée répondait à 10 h 30 à ce mail pour confirmer sa présence à l'entretien du même jour à 11h30 pour évoquer tout sujet relatif à l'organisation du travail en présence de Monsieur L. chef d'exploitation ;

Mais attendu qu'à l'issue de ce même entretien, la société TOP NETT remettait à m. L. un courrier de convocation à un nouvel entretien le mardi 9 mai 2017 à 11 heures avec dispense immédiate d'exécution du contrat de travail et de présence dans les locaux, sans conséquences sur la rémunération de cette salariée ;

Attendu que le courrier de licenciement en date du 9 mai 2017 se réfère expressément à l'entretien du même jour et aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 dispensant l'employeur de l'évocation d'un motif ;

Qu'à cet égard, le fait qu'un arrêt de travail ait été adressé à l'employeur par m. L. après l'introduction le 2 mai 2017 de la procédure de licenciement par la société TOP NETT n'apparaissait pas de nature à interrompre sa mise en œuvre, ni à rendre irrégulière la notification ultérieure de la rupture, les premiers juges ayant à bon droit considéré que la maladie ne caractérisait pas la cause de la résiliation unilatérale et sans motif retenue par l'employeur ;

Mais attendu qu'il apparaît incontestable que la rupture du contrat de travail de cette salariée qui disposait d'une ancienneté de 13 ans dans l'entreprise a été mise en œuvre de manière brutale dans la mesure où celle-ci n'a pas été en mesure d'anticiper cette mesure lors de l'entretien organisé le jour de son retour de congé sans délai de prévenance et dont elle ignorait l'objet, étant aussitôt dispensée de présence au sein de l'entreprise et ce, sans aucun motif jusqu'à la notification officielle de son licenciement lors du second entretien du 9 mai 2017 ;

Attendu que les premiers juges ont à bon droit retenu que le contexte dans lequel est intervenue cette dispense de présence dans l'entreprise apparaissait de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur la salariée et à lui conférer un caractère vexatoire et abusif justifiant d'autant plus la réparation du préjudice moral que le bulletin de salaire du mois de mai 2017 n'avait pas été remis à m. L. ;

Que m. L. évoque par ailleurs l'intention de nuire de son employeur par sa mise à l'écart progressive durant l'exécution de la relation de travail et des comportements humiliants et dégradants caractérisant selon elle une attitude de harcèlement manifeste ;

Attendu qu'il a été justement retenu par les premiers juges que la notion de harcèlement moral reconnue par la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relatif au harcèlement et à la violence au travail n'était pas consacrée par le législateur au moment du licenciement considéré, en sorte que la responsabilité éventuelle de la société TOP NETT ne pouvait en l'espèce être recherchée qu'en considération de manquements graves de son fait ou du fait de ses salariés si l'employeur s'était abstenu de prendre les mesures appropriées pour faire cesser la situation dénoncée par m. L. ;

Attendu qu'il convient dès lors de déterminer si cette salariée a été victime d'une conduite abusive résultant de gestes, de paroles ou de comportements systématiques, voire répétés, visant à dégrader ses conditions de travail en portant notamment atteinte à sa personnalité, sa dignité ou à son intégrité physique ou psychique ;

Qu'il résulte des faits constants de la cause que m. L. embauchée en qualité d'Assistante Administrative et de Direction reproche en premier lieu à son employeur de lui avoir retiré la plupart de ses tâches et de l'avoir mise progressivement à l'écart au sein de l'entreprise ;

Qu'au soutien de cette allégation, m. L. a produit des attestations établies d'une part par s. G. évoquant le retrait par le directeur général f. H. de nombreuses missions jusqu'alors confiées à son assistante m. L. et, d'autre part, par p. P. confirmant ce retrait des tâches dont elle avait la charge induisant la suppression de tout lien entre les clients, les salariés et les inspecteurs ;

Que les premiers juges ont cependant à bon droit observé que de tels témoignages n'apparaissaient pas suffisamment circonstanciés en ce qu'ils ne faisaient état d'aucun fait matériel et objectif précis qui seraient de nature à établir que le poste de Madame L. avait été vidé de sa substance ou que l'ensemble des tâches dévolues à cette assistante lui avaient été retiré ;

Mais attendu s'agissant du surplus des faits dénoncés, qu'il résulte d'un premier courriel du 14 octobre 2016 adressé par Madame L. à Monsieur H. que cette salariée déplorait de manière très explicite l'attitude vexatoire de ce directeur dont certains des termes sont reproduits ci-après :

« M. H. bonjour,

Je vous fais part de mon profond état de tristesse causé par vos humiliations à mon égard concernant mon âge, vos manœuvres insidieuses visant à me sortir de l'organigramme de l'entreprise, effectivement me mettre l'écart hier encore en réunion, vous avez fait une remarque à haute voix devant tout le monde » (...) mais ne vous inquiétez pas tout le monde vous connaît vous « ? Qu'est-ce que cela signifie ? Ce n'est pas une remarque positive. Je vous demande de cesser ces agissements qui nuisent à ma santé personnelle et travail.

De plus, concernant mon travail, les parapheurs sont dans votre bureau depuis quelques jours (...) je ne peux pas traiter les urgences avec vous car apparemment vous ne voulez pas travailler avec moi, mon travail ne vous intéresse pas à savoir ce que je dois et qui doit être fait - lorsque vous arrivez, vous ne me posez aucune question et ne je communique pas avec vous de toute la journée  je dois constamment vous relancer sur des sujets que je dois traiter (...) et que je finis par traiter toute seule.

(...) Je suis prise au ridicule en réunion avec vos remarques mais c'est pas un incident client, alors qu'il y a mécontentement du client (...) je ne comprends plus  SVP, soyez clair, si vous ne voulez plus que je les fasses les incidents clients dites le moi clairement.

Concernant les reprises du personnel, mon travail concernant les lettres qui doivent être adressées au client ont été faites  pour les agents, vous avez exigé que ce soit A. qui le fasse  très bien, je m'en occupe plus à vous alors de gérer.

(...) vous ne me sollicitez même pas dans la vie de l'entreprise (...) donc j'en conclu que vous voulez me forcer à quitter la société car j'ai entendu dire que vous vouliez vous débarrassez de l'ancienne équipe et mettre des »jeunes« à la place mais malheureusement pour vous, me concernant, je ne partirai pas. Après c'est vous le directeur, si vous voulez me faire partir il y a des lois pour protéger les salariés de bonne foi.

Je vous demande donc de respecter mon statut d'assistante de direction et de cesser vos agissements qui nuisent à mon travail et à ma santé personnelle » ;

Attendu qu'il résulte encore d'une attestation établie par Monsieur s. G. que ce dernier affirme avoir été témoin à de nombreuses reprises, en réunion et en comité plus restreint, de paroles déplacées et railleries faites à l'encontre de m. L. par f. H. tandis que p. P. décrit le comportement de Monsieur H. comme étant devenu de plus en plus irrespectueux affirmant avoir été témoin à plusieurs reprises de moqueries verbales à l'encontre de m. L. concernant son âge, son physique, ayant pour but de la rabaisser, de telles remarques très désobligeantes étant proférées en réunion hebdomadaire devant plusieurs personnes ;

Attendu qu'il est non moins constant que Monsieur H. a lui-même reconnu avoir eu des propos se voulant humoristiques à l'endroit de m. L. exposant dans un courrier qu'il lui adressait le 4 mai 2017 « Enfin, je suis désolé que le ton plaisant, qui se voulait humoristique, de certaines de nos conversations, souvent en présence d'autres personnes, ait pu vous marquer, voire vous blesser comme vous le laissez entendre. Cela dit, en effet, mon fils de 12 ans est déjà plus grand que sa belle-mère. Ma remarque sur votre âge, dans une conversation détendue dans laquelle vous vous plaigniez d'avoir quelques gênes ou douleurs, ne me paraît toujours pas désobligeante, dans ce contexte (...) » ;

Attendu qu'un tel comportement dont la réalité n'est pas contestée, sa récurrence et le caractère public des propos tenus au sein de l'entreprise en présence de la salariée concernée ont été de nature à induire une dégradation avérée des conditions de travail dont bénéficiait Madame L. et à générer des répercussions sur son moral ;

Attendu que les premiers juges ont à bon droit considéré que l'employeur n'avait pas justifié s'être assuré du consentement de la cible de telles plaisanteries et n'avait pas mis en œuvre toutes mesures utiles pour faire cesser une telle attitude dénigrante de la part de son directeur, tous éléments démontrant la faute commise par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ;

Attendu qu'en l'état des divers manquements ainsi commis par la société TOP NETT tant durant l'exécution de la relation de travail, qu'à l'occasion de la mise en œuvre du licenciement, il y a lieu de réparer le préjudice moral subi par m. L. étant toutefois précisé que cette salariée ne démontre pas par ailleurs que ses droits prévus par la loi n° 729 n'auraient pas été respectés ;

Attendu qu'eu égard à l'ensemble des éléments d'appréciation communiqués aux débats et compte tenu de l'ancienneté dans l'entreprise de m. L. et des répercussions psychiques dont le Docteur MAZIERE son médecin traitant atteste, il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, en ce que l'indemnisation du préjudice subi a été chiffrée à 78 000 euros ;

Attendu que le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le Tribunal du travail sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que la société appelante TOP NETT supportera entièrement les dépens d'appel ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant contradictoirement,

Déclare les appels principal et incident recevables,

Écarte des débats la pièce n° 51 produite par la société TOP NETT,

Au fond, en déboute les parties et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 septembre 2020 par le Tribunal du travail,

Condamne la société TOP NETT aux entiers dépens d'appel et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 9 NOVEMBRE 2021, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur Général adjoint.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 20123
Date de la décision : 09/11/2021

Analyses

Le licenciement de la salariée, bénéficiant d'une ancienneté de 13 ans dans l'entreprise, a été mis en œuvre de manière brutale et vexatoire dans la mesure où elle a été convoquée le matin même de son retour de congé à un entretien qui s'est tenu quelques heures plus tard, sans délai de prévenance et dont elle ignorait l'objet, et elle a été aussitôt dispensée de présence au sein de l'entreprise sans aucun motif jusqu'à la notification de son licenciement, ce qui était de nature à jeter le discrédit sur elle.Si à la date du licenciement, la notion de harcèlement moral n'étant pas encore légalement reconnue, l'employeur a cependant commis une faute en laissant le directeur de l'entreprise tenir des propos déplacés et railler la salariée. Un tel comportement du directeur qui assure avoir voulu faire de l'humour, sa récurrence et le caractère public des propos tenus a été de nature à induire une dégradation avérée des conditions de travail de la salariée et à générer des répercussions sur son moral. Le licenciement est abusif, l'employeur ne justifiant pas s'être assuré du consentement de la cible de ces plaisanteries et n'ayant pas mis en œuvre toutes mesures utiles pour faire cesser l'attitude dénigrante de son directeur.

Social - Général  - Conditions de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail - Licenciement brutal et vexatoire (oui) - Dispense de présence sans motif de la salariée jusqu'à la notification du licenciement Licenciement abusif (oui) - Faute de l'employeur - Propos déplacés et railleries à l'égard de la salariée - Dégradation des conditions de travail.


Parties
Demandeurs : SAM TOP NETT
Défendeurs : m. L.

Références :

loi n° 1.457 du 12 décembre 2017
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 6 de la loi n° 749 du 16 mars 1963
article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 324 du Code de procédure civile
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2021-11-09;20123 ?

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