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15/12/2020 | MONACO | N°19454

Monaco | Cour d'appel, 15 décembre 2020, Madame I. M. épouse M. c/ Monsieur d. M.


Abstract

Divorce - Droit international privé - Application de décisions russes ayant statué sur le divorce des parties (oui) - Absence d'objet de la demande en divorce présenté devant les juridictions monégasques - Recevabilité de la demande (non)

Résumé

En l'espèce, les décisions russes prononçant le divorce des parties ne sont plus susceptibles d'une voie de recours suspensive et la compétence des juridictions russes ne peut être valablement contestée. Par ailleurs, l'épouse ne peut prétendre que ses droits n'ont pas été respectés. Le divorce a été

prononcé pour altération définitive du lien conjugal après l'expiration du délai de réc...

Abstract

Divorce - Droit international privé - Application de décisions russes ayant statué sur le divorce des parties (oui) - Absence d'objet de la demande en divorce présenté devant les juridictions monégasques - Recevabilité de la demande (non)

Résumé

En l'espèce, les décisions russes prononçant le divorce des parties ne sont plus susceptibles d'une voie de recours suspensive et la compétence des juridictions russes ne peut être valablement contestée. Par ailleurs, l'épouse ne peut prétendre que ses droits n'ont pas été respectés. Le divorce a été prononcé pour altération définitive du lien conjugal après l'expiration du délai de réconciliation accordé aux époux et l'échec de la tentative de réconciliation, le mari ayant réitéré sa demande en divorce. Aucune demande financière n'a été formulée à l'occasion de la procédure en divorce. Le moyen de contrariété à l'ordre public international monégasque tiré par l'épouse de l'absence de droit financier subséquemment à la procédure s'avère donc inopérant, ce d'autant plus qu'en droit procédural russe la demande de liquidation des intérêts communs peut être formée pendant le mariage ou à sa dissolution. Enfin, les parties ont conclu un contrat de mariage. La cour ne retient pas davantage le moyen tiré de l'intérêt des enfants et de la nécessité de les entendre dès lors que les décisions en cause ne portent que sur la dissolution du mariage. Si l'épouse invoque l'existence de plusieurs décisions rendues à Monaco qui auraient confirmé la compétence des juridictions monégasques, aucune de ces décisions n'a prononcé le divorce des époux ou n'a reconnu une décision antérieurement rendue dans un autre État. Enfin, aucun litige entre les mêmes parties, portant sur le même objet, n'est pendant devant un Tribunal monégasque saisi en premier lieu. Les décisions litigieuses satisfont donc aux exigences des articles 13 et 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, de sorte que la cour les reconnaît dans l'ordre juridique interne. L'action en divorce introduite par l'épouse en Principauté s'avère ainsi sans objet, de sorte qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les nouvelles mesures provisoires, les mesures provisoires ordonnées par le juge conciliateur devant être déclarées caduques.

Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2020

En la cause de :

* - Madame I. M. épouse M., née le 18 avril 1982 à Kiev, de nationalité ukrainienne, sans emploi, demeurant à Monaco, X1;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Marguerite DELTORT-LINOTTE, avocat au barreau de Nice, substituant Maître Frédérique GREGOIRE, avocat en ce même barreau ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

* - Monsieur d. M., né le 14 juin 1976 à Ianovo (Russie), de nationalités russe et saint christopher et nevis, demeurant et domicilié appartement X2- Moscou (Russie) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 19 décembre 2019 (R. 1538) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 5 février 2020 (enrôlé sous le numéro 2020/000088) ;

Vu les conclusions déposées les 28 avril 2020 et 6 juillet 2020 par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur d. M.;

Vu les conclusions déposées le 5 juin 2020 par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame I. M. épouse M.;

À l'audience du 6 octobre 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Madame I. M. épouse M. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 19 décembre 2019.

Considérant les faits suivants :

De la relation d I. M. de nationalité ukrainienne, et d. M. de nationalité russe, sont issues deux enfants, e. et a. nées le 15 février 2014 à Los Angeles (États-Unis d'Amérique).

Les parties se sont mariées le 14 juin 2014 à Moscou (Russie).

Le 22 janvier 2018, d. M. a saisi les juridictions russes d'une demande de dissolution du mariage.

Le 25 juin 2018, I. M. a introduit une procédure de séparation judiciaire devant les juridictions américaines.

Le 19 septembre 2018, I. M. a présenté une requête aux fins de divorce devant le Tribunal de première instance de Monaco.

Le 22 octobre 2018, le Tribunal du district de Presnenskii de la ville de Moscou a prononcé la dissolution du mariage des parties, décision confirmée le 6 février 2019 par arrêt de la Chambre des affaires civiles du Tribunal de la ville de Moscou.

Le pourvoi en cassation formé par I. M. à l'encontre de ces deux décisions a été rejeté le 1er août 2019.

Le 20 novembre 2018, le Tribunal du district de Presnenskii de la ville de Moscou a fixé la résidence habituelle des enfants communs auprès du père, en Russie, décision confirmée par arrêt de la Chambre des affaires civiles de la Cour municipale de la ville de Moscou le 24 avril 2019, suivi le 8 août 2019 d'un rejet du pourvoi en cassation formé par I. M.

Dans le cadre de la présente procédure de divorce, I. M. a été autorisée à résider seule avec ses enfants mineurs au domicile conjugal, sis X1à Monaco, suivant ordonnance présidentielle rendue le 20 septembre 2018.

Par ordonnance rendue le 15 novembre 2018, le juge conciliateur a accordé, à titre très provisoire, un droit de visite et d'hébergement à d. M. du vendredi des semaines paires, après l'école, au dimanche soir 19 heures et la moitié des vacances scolaires, première moitié les années paires et seconde moitié les années impaires.

Par ordonnance rendue le 7 janvier 2019, le magistrat conciliateur a notamment :

* - constaté le maintien de la demande en divorce,

* - autorisé I. M. à assigner d. M. par-devant le Tribunal,

* - à titre extrêmement urgent et très provisoire, accordé au père un droit de visite et d'hébergement similaire à celui précédemment instauré à son profit,

* - pour le surplus des mesures provisoires, renvoyé les parties à date fixe devant le Tribunal de première instance pour qu'il soit statué sur les mesures provisoires prévues à l'article 202-1 du Code civil.

Indépendamment de ces procédures civiles, des plaintes pénales réciproques ont été déposées en Principauté par les intéressés :

* - par d. M. contre I. M. des chefs de non-représentation d'enfants et de « négligence et manquements aux soins des enfants »,

* - par I. M. contre d. M. des chefs de violence avec et sans ITT sur personne vivant sous le même toit, atteintes au droit et respect de la vie privée et familiale, menaces de mort, menaces d'enlèvement.

Par acte d'huissier en date du 17 janvier 2019, I. M. a fait assigner d. M. en divorce sur le fondement des dispositions de l'article 197 -1° du Code civil.

Suivant ordonnance de référé du 6 novembre 2019 I. M. a été autorisée à procéder seule à l'inscription définitive de ses filles e. et a. à l'école des Carmes en Principauté de Monaco, pour l'année scolaire 2019/2020.

Par jugement en date du 19 décembre 2019, le Tribunal de première instance a statué sur renvoi du juge conciliateur sur le surplus des mesures provisoires non tranché par l'ordonnance de non conciliation du 7 janvier 2019 et sur la demande en divorce du 17 janvier 2019 ainsi qu'il suit :

* « - ordonne la jonction des instances enrôlées sous les n° 2019/000344 et n° 2019/000345,

* - reconnaît :

* la décision rendue le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 2-3144/2018 sur la demande de d. M. contre I. M. sur la dissolution du mariage,

* la décision rendue le 6 février 2019 par la chambre des affaires civiles du Tribunal de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 33-5364,

* dans l'ordre juridique interne monégasque en l'état de leur conformité aux exigences de l'article 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé,

* - déclare sans objet la demande en divorce formée par I. M.

* - déclare caduques les mesures ordonnées le 7 janvier 2019 par le juge conciliateur,

* - dit n'y avoir lieu à statuer sur de nouvelles mesures provisoires,

* - déboute I. M. de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

* - la condamne aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Par exploit délivré le 5 février 2020, I. M. a interjeté appel du jugement rendu le 19 décembre 2019.

Aux termes de son assignation et de conclusions déposées le 5 juin 2020, elle demande à la Cour de :

Au visa des articles 2, 14, 15 et 30 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé :

* - recevoir l'appelante en son appel et la déclarer bien fondée,

* - infirmer en totalité le jugement rendu par le Tribunal de première instance du 19 décembre 2019,

Et statuant nouveau :

Au visa des dispositions des articles 197 alinéa 1 et 205-1 du Code civil :

* - prononcer le divorce des époux M. M. aux torts exclusifs de Monsieur M.

* - condamner Monsieur M. au paiement de la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,

Au visa des dispositions de l'article 204-5 du Code civil,

* - condamner Monsieur M. au paiement de la somme de 4.100.000 euros à titre de prestation compensatoire,

* - fixer la résidence des enfants au domicile de la mère à Monaco,

* - accorder au père un droit de visite et d'hébergement le plus large réglementé en cas de difficulté de la manière suivante :

* les fins de semaines paires du vendredi sortie d'école au dimanche soir 19 heures,

* la moitié des vacances scolaires, la première moitié les années paires et la seconde les années impaires,

* - sauf si une décision est rendue d'ici la date d'audience, autoriser Madame M.à inscrire les enfants à l'école des Carmes à Monaco pour l'année scolaire, nonobstant l'opposition du père, disposition toutefois non reprise dans ses conclusions,

* - condamner Monsieur M. au paiement d'une part contributive à l'entretien et à l'éducation des enfants d'un montant de 10.000 euros par mois et par enfant, indexable selon l'usage,

* - condamner Monsieur M. au paiement de la somme de 8.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,

* - condamner Monsieur M. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Au soutien de ses prétentions, elle fait essentiellement valoir que :

* Sur la recevabilité de la demande en divorce :

* - les premiers juges ont à tort, au regard des dispositions applicables des articles 13 et suivants du Code de droit international privé, reconnu dans l'ordre juridique du for les décisions russes dont se prévaut d. M. dans la mesure où :

* la décision de divorce, qui fait l'objet d'une requête devant le Comité des droits de l'homme, n'a pas force de chose jugée (article 14 du Code),

* ces décisions ont été rendues par des juridictions incompétentes puisque leur compétence n'a été fondée que sur la présence temporaire de d. M. en Russie, la famille ayant, après le mariage en Russie, résidé à Los Angeles et Monaco (article 15 du Code),

* les droits de la défense n'ont pas été respectés, puisque d'une part, elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits, n'ayant été représentée que par un conseil à distance, que d'autre part, la demande de d. M. devant les juridictions russes a été fondée sur de fausses déclarations (résidence de la famille en Russie, absence d'enfants communs),

* les décisions litigieuses sont contraires à l'ordre public monégasque lequel exige une séparation de fait de trois ans pour prononcer le divorce pour rupture de la vie commune, contrairement à la Russie, impose de tenir compte de l'intérêt des enfants et de les entendre, les jumelles préférant en l'espèce résider à Monaco, réserve des droits à chacune des parties, contrairement au jugement de divorce qui a été prononcé sur la seule demande de d. M. et sans qu'elle ait été en mesure de s'exprimer notamment sur les violences conjugales qu'elle a subies et qui n'ont pas été prises en compte,

* de nombreuses décisions rendues à Monaco ont confirmé la compétence de la juridiction monégasque,

* l'existence d'une décision étrangère non exécutoire à Monaco n'exclut pas la possibilité d'engager une action en divorce à Monaco selon la jurisprudence monégasque,

* - les premiers juges devaient vérifier les conditions de régularité internationale des décisions qui font défaut en l'espèce :

* la compétence internationale du juge étranger doit reposer sur un lien caractérisé du litige avec le for d'origine : or, le seul lien avec la juridiction moscovite, qui repose sur la nationalité de l'époux et le lieu de célébration du mariage, apparaît insuffisant,

* la décision russe de divorce s'assimile à une répudiation par le mari et constitue une violation des principes du contradictoire et de l'égalité des époux, le divorce ayant été prononcé sur la seule demande de d. M. et sans qu'aucun droit n'ait été réservé à l'épouse s'agissant de l'aménagement des conséquences financières de la rupture du mariage,

* d. M. a trompé les juridictions moscovites en prétendant résider en Russie, ce qui est faux.

Sur le prononcé du divorce :

* - le divorce sera prononcé aux torts et griefs exclusifs de l'époux qui se montre violent avec elle, l'insulte régulièrement par SMS, la fait suivre et photographier, lui adresse des photos de ses nouvelles conquêtes et la menace de lui enlever les enfants,

* - le préjudice subi du fait de la dissolution du mariage sera réparé par l'allocation de la somme de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 205-1 du Code civil,

* - la prestation compensatoire sera fixée à la somme de 4.100.000 euros en considération de la durée du mariage (5 ans), de l'âge des parties, de leur situation professionnelle respective, d. M.étant un homme d'affaires florissant, tandis qu'elle a ralenti son activité depuis l'arrivée des enfants, et du patrimoine immobilier conséquent de l'époux qui possède des biens à Moscou, Monaco et vient de vendre une propriété à Londres,

* - dans l'intérêt des enfants la résidence des enfants sera fixée à Monaco à son domicile où elles ont exprimé le souhait de vivre et ont été scolarisées, en conformité avec plusieurs décisions monégasques,

* - en revanche, les droits de visite et d'hébergement du père seront réservés compte tenu de l'enlèvement des enfants,

* - au regard du mode de vie des enfants, de leur éducation par un tuteur privé et de leurs activités extra-scolaires, la part contributive sera évaluée à 10.000 euros pour chacun d'eux.

Enfin d. M. sera condamné au paiement de la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Par conclusions datées du 28 avril 2020, suivies de conclusions « récapitulatives et en réponse » déposées le 6 juillet 2020, d. M. a demandé à la Cour, au visa des décisions russes des 22 octobre 2018 et 6 février 2019, de l'article 278-1 du Code de procédure civile et des articles 13 et 15 du Code de droit international privé, de :

* - constater que par arrêt de la Cour d'appel de Moscou rendu le 6 février 2019, il a été prononcé la dissolution du mariage de Monsieur M. et de Madame M. lequel arrêt a été transcrit sur les registres de la section d'état civil de la ville de Moscou, et qu'en conséquence, cette décision est irrévocable et définitive,

* - dire et juger que les conditions des articles 13 et 15 du Code de droit international privé sont réunies,

* - dire et juger qu'il doit en être tiré toutes conséquences de droit,

* - dire et juger que la présente procédure est devenue sans objet,

En conséquence,

* - confirmer le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de première instance en ces dispositions,

Si par extraordinaire la demande de Madame M. devait être déclarée recevable et fondée,

* - renvoyer la cause et les parties par devant le Tribunal de première instance à la date qu'il plaira à la Cour,

En tout état de cause,

* - débouter Madame M. de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard,

* - condamner Madame M. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat- défenseur, sous sa due affirmation.

Il affirme que le couple n'a jamais résidé à Los Angeles, mais était domicilié à Moscou et se rendait pour des voyages ou durant l'hiver à Los Angeles, où I. M. a accouché sur les recommandations de son gynécologue.

Il rappelle que le 6 février 2019, la Cour d'Appel de Moscou a rendu un arrêt confirmant le jugement du 22 octobre 2018 lequel avait ordonné la dissolution du mariage des parties et que suivant décision du 1er août 2019 le pourvoi en révision formé par Madame M. a été rejeté, la décision d'appel du 6 février 2019 étant donc irrévocable et définitive.

S'étant prévalu de ces décisions devant les premiers juges, la présente procédure a été jugée sans objet.

Il reproche à I. M. d'avoir, dans le but de faire annuler le contrat de mariage et de le spolier, instrumentalisé les juridictions pénales et civiles de trois pays, en l'occurrence, la Russie, Monaco et les États-Unis, relevant plus particulièrement que dans le cadre de la procédure en divorce russe elle a déposé une demande reconventionnelle sans soulever d'incompétence, a saisi le juge russe d'une demande de transfert de compétence interne, a comparu en personne lors de la tentative de conciliation du 4 juin 2018.

Il fait encore valoir que la résidence des enfants a été fixée à son domicile à Moscou selon ordonnance du 20 novembre 2018 confirmée par arrêt du 24 avril 2019, désormais définitif, objet d'une procédure en exequatur devant les juridictions monégasques.

Il souligne que les décisions susvisées, statuant au fond, prévalent sur les ordonnances de non conciliation monégasques statuant à titre provisoire.

Il ajoute qu'au demeurant I. M. a introduit la présente procédure de divorce en omettant de mentionner l'existence des deux procédures pendantes alors devant les tribunaux américains et russes.

Il précise avoir déposé les originaux des décisions russes ayant prononcé la dissolution du mariage apostillés et traduits en langue française auprès du greffe général.

Dans le sens de la confirmation du jugement entrepris, il fait valoir que :

* - la décision russe du 6 février 2019 a force de chose jugée dès lors que l'appelante ne rapporte pas la preuve du dépôt d'une requête auprès du Comité des droits de l'homme et qu'en toute hypothèse elle n'est plus susceptible d'une voie de recours suspensive,

* - les décisions russes doivent être reconnues à Monaco dès lors que :

* elles ont été rendues par des juridictions compétentes, premières saisies : chacun des époux a donné une adresse russe, I. M. est titulaire d'une carte de résident russe, est propriétaire d'un bien en Russie, a sollicité la nationalité russe, y exerçait une activité professionnelle, le domicile conjugal était fixé en Russie,

* I. M. a d'ailleurs reconnu dans ses écritures déposées aux États-Unis ne jamais avoir résidé à Monaco où les enfants ne disposent d'aucune carte de séjour,

* l'appelante fait état d'éléments postérieurs au dépôt de la requête en divorce à Monaco pour discuter la compétence des juridictions russes, alors qu'elle-même ne rapporte nullement la preuve de son domicile actuel à Monaco,

* les droits de la défense de I. M. ont été respectés puisqu'elle était assistée d'un conseil et a pu se défendre,

* les décisions sont conformes à l'ordre public monégasque,

* les décisions ne sont contraires à aucune décision rendue entre les mêmes parties à Monaco, les juridictions monégasques n'ayant été saisies qu'en 3ème lieu d'une demande en divorce,

* il n'y a pas de contrariété entre la décision russe prononçant le divorce et l'ordonnance de non-conciliation monégasque ayant statué sur le droit de visite et d'hébergement paternel,

* il est faux de soutenir la possibilité d'engager une procédure en divorce à Monaco lorsqu'une décision étrangère est intervenue mais n'est pas revêtue de l'exequatur,

* il n'y a pas de litige pendant entre les parties et portant sur le même objet, devant les juridictions monégasques saisies en premier lieu,

* les décisions sont conformes à l'ordre public international puisque I. M. a été représentée par un conseil et a usé de toutes les voies de recours possible,

* il n'y a pas eu de fraude puisque le domicile conjugal a été fixé, jusqu'en avril 2018, à Moscou.

À titre subsidiaire si la demande en divorce était déclarée recevable, d. M. sollicite que les parties soient renvoyées à conclure au fond devant le Tribunal de première instance.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel du jugement rendu le 19 décembre 2019, signifié le 7 janvier 2020 à I. M. respectant les règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;

Attendu que la « demande » figurant au dispositif des écritures de l'intimé, aux fins de voir « constater que par arrêt de la Cour d'appel de Moscou rendu le 6 février 2019, il a été prononcé la dissolution du mariage de Monsieur M. et de Madame M. lequel arrêt a été transcrit sur les registres de la section d'état civil de la ville de Moscou, et qu'en conséquence, cette décision est irrévocable et définitive », ne constitue pas une prétention mais des moyens auxquels il sera répondu dans le corps de l'arrêt ;

Attendu que l'intimé conclut à l'irrecevabilité de la demande en divorce présentée par I. M. en l'état des effets attachés aux décisions russes définitives ayant prononcé le divorce des époux ;

Que pour sa part l'appelante conclut à la non reconnaissance desdites décisions et sollicite le prononcé du divorce aux torts et griefs exclusifs de d. M.;

Que les premiers juges ont retenu qu'à défaut de dispositions dérogatoires, les jugements relatifs à l'état et à la capacité des personnes étaient soumis aux dispositions des articles 13 et suivants du Code de droit international privé conformément à la jurisprudence de la Cour d'appel ;

Mais attendu qu'en ce qui concerne la reconnaissance, le texte de l'article 13 précité pose le principe de la reconnaissance de plein droit des jugements étrangers ;

Que le législateur précisait dans l'exposé des motifs de la loi que cette solution était déjà acquise en jurisprudence pour les jugements relatifs à l'état et à la capacité des personnes et que désormais elle vaudrait également pour les jugements patrimoniaux, pour lesquels la reconnaissance emporte également des effets positifs et des effets négatifs, indépendamment de toute exécution ;

Que cette reconnaissance de plein droit suppose toutefois qu'il n'y ait pas de motif de refus au sens de l'article 15, à défaut de quoi toute partie intéressée peut agir devant les tribunaux de la Principauté en reconnaissance ou en non reconnaissance d'un jugement rendu par un Tribunal étranger ;

Que le contrôle de la régularité internationale du jugement étranger peut avoir lieu à titre principal dans une instance qui a pour objet propre de vérifier cette régularité, ou à titre incident dans une instance ayant un objet principal propre ;

Attendu, au cas d'espèce, qu'en l'état de la contestation élevée par I. M. le Tribunal s'est livré à l'examen des conditions de régularité internationale des décisions russes des 22 octobre 2018 et 6 février 2019, ayant prononcé la dissolution du mariage des époux M.- M. déposées en original apostillées et traduites en français au greffe général ;

Que la reconnaissance et l'exécution des jugements et actes publics étrangers se trouvent régis par les articles 13 à 20 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ;

Attendu, en premier lieu, que la reconnaissance n'est accordée aux jugements étrangers qu'à condition qu'ils soient passés en force de chose jugée, c'est-à-dire lorsqu'ils ne sont plus susceptibles d'appel ;

Que tel est le cas en l'espèce, l'arrêt confirmatif du 6 février 2019 ayant été rendu sur appel du jugement de dissolution du mariage rendu le 22 octobre 2018 ;

Que les décisions ne sont ainsi plus susceptibles d'une voie de recours suspensive, le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel ayant au demeurant été rejeté ;

Que s'il est établi qu'une requête a été déposée devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU, son existence n'est ainsi pas un obstacle à la reconnaissance ;

Attendu, en second lieu, que la reconnaissance des jugements étrangers est subordonnée à la condition qu'il n'y ait pas de motifs de non reconnaissance au sens de l'article 15 ;

Qu'ainsi le jugement étranger ne pourra être reconnu en Principauté si :

* 1. il a été rendu par une juridiction incompétente au sens de l'article 17 :

* Que cet article 17 prescrit que si les tribunaux de la Principauté avaient une compétence exclusive pour connaître de la demande ou si le litige ne présentait pas un lien suffisant avec l'État dont relève le Tribunal étranger ayant rendu la décision, celui-ci est alors considéré comme incompétent ;

* Que toutefois aux termes de l'alinéa 2, « ces dispositions ne reçoivent pas application au cas où la compétence du Tribunal étranger a été acceptée par la partie s'opposant à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement rendu par ce Tribunal » ;

* Qu'en l'espèce, l'épouse était comparante et/ou régulièrement représentée devant les juridictions russes, elle a formé des demandes reconventionnelles et exercé des voies de recours, sans toutefois soulever d'exception d'incompétence devant les juridictions russes ;

* Qu'en effet I. M. s'est contentée d'invoquer l'existence d'une procédure en divorce devant les juridictions américaines, sans se prévaloir de la compétence exclusive des juridictions de la Principauté pour statuer sur le divorce ni soutenir que le litige ne présentait pas de lien suffisant avec la Russie ;

* Que la compétence des juridictions russes ne peut donc être valablement contestée et le moyen sera écarté ;

* 2. les droits de la défense n'ont pas été respectés, notamment lorsque les parties n'ont pas été régulièrement citées et mises à même de se défendre :

* Que présente ou représentée lors des instances ayant donné lieu aux décisions litigieuses, I. M. a ainsi pu faire valoir ses droits et se défendre ; elle a d'ailleurs obtenu le 4 juin 2018 un délai de trois mois pour tenter une conciliation avec son époux, formé des demandes reconventionnelles et exercé des voies de recours notamment en déposant une demande de transfert de compétence interne ;

* Qu'elle ne peut donc valablement prétendre que ses droits n'ont pas été respectés ;

* 3. la reconnaissance ou l'exécution est manifestement contraire à l'ordre public monégasque :

* Attendu qu'en matière d'exequatur, il doit être fait application du principe de l'effet atténué de l'ordre public dès lors qu'il s'agit de faire produire dans l'ordre juridique national des droits acquis sans fraude à l'étranger et non d'acquérir ce même droit à Monaco ;

* Qu'en l'espèce les premiers juges, par des motifs pertinents que la Cour adopte, ont exactement retenu que le divorce a été prononcé pour altération définitive du lien conjugal, sans que soit exigée une période de séparation ;

* Qu'il n'est pas contesté que le système juridique russe n'exige nullement, contrairement au système monégasque, une séparation de fait de trois années lors de la présentation de la requête en divorce ;

* Que néanmoins, le divorce a été prononcé après qu'un délai de réconciliation a été accordé aux époux et qu'il a été constaté que cette tentative avait échoué, d. M. ayant réitéré sa demande tendant à voir prononcer la dissolution du mariage ;

* Qu'aucune demande financière n'a été formulée à l'occasion de la procédure en divorce, en sorte que le moyen de contrariété à l'ordre public international monégasque tiré par l'appelante de l'absence de droit financier subséquemment à la procédure est inopérant, ce d'autant plus qu'en droit procédural russe la demande de liquidation des intérêts communs peut être formée pendant le mariage ou à sa dissolution, et qu'enfin au cas d'espèce les parties ont conclu un contrat de mariage ;

* Que le moyen tiré de l'intérêt des enfants et de la nécessité de les entendre sera écarté dans la mesure où les décisions en cause ne porte que sur la dissolution du mariage ;

* Qu'au regard de ces considérations et de l'absence de fraude à la loi russe, le prononcé du divorce dans ces conditions ne saurait être considéré comme contraire à la conception monégasque de l'ordre public international et l'appelante ne peut donc se prévaloir du non-respect desdites dispositions de l'article 197-2° du Code civil pour soutenir la contrariété à l'ordre public monégasque ;

* 4. il est contraire à une décision rendue entre les mêmes parties dans la Principauté ou avec une décision antérieurement rendue dans un autre État et reconnue dans la Principauté :

* Attendu que pour s'opposer à la reconnaissance des décisions russes sur le territoire de la Principauté, I. M. invoque l'existence de plusieurs décisions rendues à Monaco qui auraient confirmé la compétence des juridictions monégasques ;

* Que toutefois elle ne soutient nullement qu'au nombre de ces décisions figurerait un jugement ou un arrêt ayant prononcé le divorce des époux ou ayant reconnu une décision antérieurement rendue dans un autre État ;

* Que le moyen sera rejeté ;

* 5. un litige est pendant devant un Tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet :

* Qu'au cas présent, il n'est pas démontré ni même invoqué qu'un litige entre les mêmes parties portant sur le même objet, serait pendant devant un Tribunal monégasque saisi en premier lieu, les juridictions ayant été saisies le 19 septembre 2018 en troisième lieu après l'introduction le 22 janvier 2018 de la requête en divorce en Russie et l'introduction d'une procédure en séparation judiciaire aux États-Unis le 25 juin 2018 ;

* Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les décisions rendues le 22 octobre 2018 par le Tribunal du district de Presnenskii de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 2-3144/2018 et le 6 février 2019 par la chambre des affaires civiles du Tribunal de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 33-5364, satisfont aux exigences des articles 13 et 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il les a reconnues dans l'ordre juridique interne ;

* Que tirant les conséquences de cette reconnaissance, le Tribunal a exactement considéré que l'action en divorce introduite par I. M. s'avérait sans objet, de sorte qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les nouvelles mesures provisoires et que les mesures provisoires ordonnées par le juge conciliateur devaient être déclarées caduques ;

* Que la décision entreprise sera confirmée de ces chefs ;

* Attendu, enfin sur les dommages-intérêts, que I. M. qui succombe ne peut utilement reprocher à l'intimé d'avoir opposé une quelconque résistance abusive ;

* Que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef ;

* Et attendu que partie succombante, I. M. sera condamnée aux dépens d'appel ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare I. M. recevable en son appel,

Au fond l'en déboute,

Confirme le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 19 décembre 2019 en toutes ses dispositions,

Condamne I. M. aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Catherine LEVY, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 15 DÉCEMBRE 2020, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19454
Date de la décision : 15/12/2020

Analyses

Droit de la famille - Dissolution de la communauté et séparation de corps ; Contentieux et coopération judiciaire


Parties
Demandeurs : Madame I. M. épouse M.
Défendeurs : Monsieur d. M.

Références :

article 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017
article 197 -1° du Code civil
articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 197-2° du Code civil
articles 13 à 20 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017
article 204-5 du Code civil
articles 13 et 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017
articles 2, 14, 15 et 30 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017
article 202-1 du Code civil
Code de droit international privé
articles 197 alinéa 1 et 205-1 du Code civil
articles 13 et 15 du Code de droit international privé
article 278-1 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 205-1 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2020-12-15;19454 ?

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