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15/12/2020 | MONACO | N°19450

Monaco | Cour d'appel, 15 décembre 2020, Les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B c/ Monsieur y Z


Abstract

Cautionnement – Trouble mental (oui) – Nullité (oui)

Résumé

Les dispositions de l'article 410-2 du Code civil prescrivent notamment qu'un acte juridique ne peut être valablement accompli par celui qui s'y est déterminé sous l'empire d'un trouble mental. La personne qui en demande la nullité doit établir l'existence de ce trouble au moment de l'acte. Il s'ensuit que la preuve de l'altération des facultés mentales incombe à celui qui s'en prévaut et peut être rapportée par tous moyens. Si la notion de trouble mental ne se trouve pas définie par le

s textes normatifs, il est de jurisprudence habituelle de considérer que celui-ci co...

Abstract

Cautionnement – Trouble mental (oui) – Nullité (oui)

Résumé

Les dispositions de l'article 410-2 du Code civil prescrivent notamment qu'un acte juridique ne peut être valablement accompli par celui qui s'y est déterminé sous l'empire d'un trouble mental. La personne qui en demande la nullité doit établir l'existence de ce trouble au moment de l'acte. Il s'ensuit que la preuve de l'altération des facultés mentales incombe à celui qui s'en prévaut et peut être rapportée par tous moyens. Si la notion de trouble mental ne se trouve pas définie par les textes normatifs, il est de jurisprudence habituelle de considérer que celui-ci comprend toutes les variétés d'affection mentales par l'effet desquelles l'intelligence de l'intéressé aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée, indépendamment de leur nature et de leur origine. Ce faisant, ce trouble doit empêcher son auteur d'exprimer un consentement libre et éclairé, de sorte qu'il doit être suffisamment grave pour provoquer l'annulation d'un acte juridique. Par ailleurs, le trouble doit exister au moment de l'acte dont la nullité est revendiquée. La jurisprudence admet néanmoins une présomption de fait, autorisant à conclure à l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte, si l'intéressé souffrait d'une affection psychique avant ou après, ou à une époque rapprochée de sa passation. Il appartient dans ce cas au défendeur, par renversement de la charge de la preuve, d'établir que l'auteur de l'acte se trouvait dans un intervalle lucide au moment de sa conclusion.

En l'espèce, il existe une présomption de ce que le trouble mental révélé par l'hospitalisation en urgence de y Z le 30 avril 2015, préexistait en réalité à tout le moins depuis le début de l'année 2015, et que celui-ci ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés cognitives au moment de la signature de son engagement en qualité de caution au profit de la société SAM GROUPE Z dont il était le dirigeant. Les pièces et arguments adverses ne permettent, pas plus qu'en première instance, de renverser la présomption ainsi précitée. La circonstance qu'il ait déjà souscrit par le passé des actes de cautionnement, acte présenté par les appelantes comme habituel dans le monde des affaires, est indifférent à la cause. En effet, la validité d'un tel engagement doit s'apprécier in concreto , en tenant compte de l'état mental de son auteur à la date de signature de l'acte litigieux ou à une période contemporaine. La reproduction manuscrite du texte obligatoire du «  bon pour caution  » à laquelle ce dernier a procédé, ne témoigne pas en soi de ce qu'il se trouvait exempt de trouble mental grave à cet instant.

Les premiers juges ont retenu de manière pertinente que les Caisses sociales ne peuvent arguer de l'absence de placement sous protection judiciaire de y Z pour contredire l'existence d'un trouble mental chez ce dernier, la cause de nullité prévue par l'article 410-2° du Code civil étant indépendante du régime des incapacités et pouvant être invoquée que le contractant ait fait l'objet d'une mesure de protection ou non.

Les premiers juges ont, par une appréciation souveraine exempte de toute critique, valablement pu considérer que l'engagement de caution signé par y Z le 10 février 2015 au profit des organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B, concernant les dettes sociales de la SAM GROUPE Z encourt la nullité avec toutes conséquences de droit, au regard du trouble mental dont ce dernier se trouvait atteint à cette date.

Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2020

En la cause de :

* - 1/L'organisme privé chargé de la gestion d'un service public A, en abrégé A, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité 11 rue Louis Notari à Monaco ;

* 2/ L'organisme privé chargé de la gestion d'un service public B, en abrégé B, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité 11 rue Louis Notari à Monaco ;

Ayant toutes deux élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTES,

d'une part,

contre :

* - Monsieur y Z, né le 3 décembre 1948 à Monaco, de nationalité monégasque, ancien administrateur de sociétés, demeurant X1à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 6 juin 2019 (R. 5331) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 5 novembre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000043) ;

Vu les conclusions déposées les 21 janvier 2020 et 30 avril 2020 par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur y Z;

Vu les conclusions déposées le 4 mai 2020 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom des organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B ;

À l'audience du 13 octobre 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 6 juin 2019.

Considérant les faits suivants :

Suivant acte sous seing privé en date du 10 février 2015, y Z s'est porté caution, à titre personnel et solidaire, de la société SAM GROUPE Z à hauteur de la somme de 304.445,77 euros, outre intérêts au taux mensuel de 1 %, au titre des cotisations sociales et d'assurance chômage dues par celle-ci à les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B, pour la période allant de novembre 2012 à janvier 2015, outre les intérêts et accessoires.

Par jugement rendu le 16 avril 2015, le Tribunal a constaté l'état de cessation des paiements de la société SAM GROUPE Z dont il a fixé provisoirement la date au 14 novembre 2013.

Les créances des caisses sociales, produites à la procédure collective, ont été admises à titre définitif pour un montant total de 227.601,83 euros pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public A et de 140.048,27 euros pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public B.

Suivant jugement rendu le 18 juillet 2017, le Tribunal a prononcé la suspension des opérations de liquidation des biens de la société SAM GROUPE Z pour défaut d'actif.

Soutenant ne pas avoir reçu paiement de la somme de 291.373,77 euros, malgré des tentatives de règlement amiable et la délivrance d'une mise en demeure à y Z les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B l'ont fait assigner devant le Tribunal de première instance aux fins d'obtenir sa condamnation.

Par jugement rendu le 6 juin 2019, le Tribunal de première instance a :

* - déclaré nul, avec toutes conséquences de droit, l'engagement de caution du 10 février 2015 signé par y Z au profit de la A et de la B concernant les dettes sociales de la société SAM GROUPE Z

En conséquence,

* - débouté la A et la B de l'ensemble de leurs demandes,

* - débouté y Z de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

* - rejeté la demande d'exécution provisoire,

* - condamné la A et la B aux dépens avec distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu en substance que :

* - les pièces médicales et les attestations produites par y Z démontrent que celui-ci était affecté d'un trouble mental grave ne lui permettant pas de gérer ses affaires dès le début de l'année 2015 et dans les mois qui ont suivi, permettant d'en présumer l'existence au moment de la signature de l'engagement de caution, sans que cette présomption ne soit renversée par les pièces et arguments adverses, induisant la nullité de l'engagement de caution qu'il a signé,

* - succombant dans leurs prétentions les caisses sont mal fondées à réclamer des dommages-intérêts pour résistance abusive,

* - le défendeur, qui n'allègue ni ne démontre que l'exercice de l'action des caisses aurait dégénéré en abus doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par exploit délivré le 5 novembre 2019, la A et la B ont interjeté appel à l'encontre du jugement rendu le 6 juin 2019 par le Tribunal de première instance.

Aux termes de leur assignation et de conclusions récapitulatives et responsives déposées le 4 mai 2020, elles demandent à la Cour de :

* - déclarer leur appel recevable,

* - réformer le jugement en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

* - condamner y Z au paiement à leur profit des sommes de :

* A : 135.461,06 euros,

* A assurance chômage : 46.483,39 euros,

* B 109.429,32 euros,

* soit au total la somme de 291.373,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure (mémoire), outre celle de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

* - débouter y Z de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

* - condamner le requis aux frais de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

À titre liminaire, elles réfutent avec force avoir pratiqué la moindre forme d'extorsion, privilégiant le recouvrement amiable par le biais de facilités de paiement pour favoriser la sauvegarde des entreprises.

Au soutien de leurs prétentions, elles font essentiellement valoir au fond que le tribunal s'est mépris sur les circonstances de fait et de droit qui ont présidé à la signature de l'acte litigieux, à l'occasion duquel il était parfaitement lucide et en pleine possession de ses facultés mentales et cognitives.

Elles affirment que y Z sur lequel pèse la charge de la preuve, ne démontre pas qu'il était sous l'empire d'un trouble mental au moment précis de la signature de l'acte litigieux, de simples troubles psychologiques se révélant insuffisants en la matière.

Elles contestent le caractère apparent de l'état de vulnérabilité de l'intimé, notamment au regard du déroulement de la procédure commerciale à laquelle il a régulièrement assisté et de la poursuite d'activité de son activité en nom propre jusqu'au mois d'août 2015.

Elles soutiennent que l'intimé ne démontre pas davantage que son consentement aurait été extorqué par la violence, ni qu'il aurait été soumis à une contrainte économique, rappelant à nouveau qu'elles exercent une mission de service public, s'agissant de la gestion de l'affiliation obligatoire soumise à une règlementation, indifférente à une logique de marché ou de concurrence.

Elles soulignent encore que l'intéressé a agi en caution avertie et qu'il ne s'agissait pas d'un engagement déraisonnable ou disproportionné.

Elles ajoutent qu'il ne peut leur être fait grief d'avoir attendu l'issue de la procédure collective pour assigner l'intimé, alors qu'elle n'ont recouvré leur droit de poursuite individuel qu'à compter du 28 juillet 2017, date de la publication au Journal officiel du jugement de suspension des opérations de liquidation des biens pour insuffisance d'actif et qu'elles ont privilégié la possibilité d'une solution amiable en accordant un délai de réflexion à y Z à l'issue du rendez-vous qui s'est tenu dans leur locaux courant septembre 2017.

S'agissant de l'absence de cause de l'engagement qui leur est opposé, elles considèrent d'une part que l'intimé dénature les termes de la jurisprudence du pays voisin dont il se prévaut, d'autre part que la cause de l'engagement existe dès lors que la dette à garantir existe au moment de celui-ci, sans considération des motifs qui ont conduit la caution à s'engager.

Elles prétendent que les chances de survie de l'entreprise étaient réelles au moment de la souscription de l'engagement de caution et qu'à supposer qu'elles aient eu l'obligation de procurer un avantage au débiteur, celui-ci était constitué par la recherche de solutions pour sauver l'entreprise et les délais octroyés.

Elles contestent enfin avoir commis la moindre faute sous forme d'un abus de faiblesse psychologique à l'encontre de la personne de l'intimé, susceptible de justifier une compensation entre la dette de nature contractuelle dont il est redevable et une prétendue créance de nature délictuelle qui serait mise à leur charge.

Par écritures en réponse déposées les 21 janvier 2020 et 30 avril 2020, y Z demande à la Cour, à titre principal, au visa des dispositions des articles 410-2, 410-24, 964, 966, 967 et 1229 du Code civil, de :

* - dire et juger que l'engagement de cautionnement souscrit par y Z le 10 février 2015 est nul, avec toutes conséquences de droit,

débouter les caisses sociales des fins de leur appel,

* - les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

Ce faisant,

* - confirmer le jugement du Tribunal de première instance du 6 juin 2019 en toutes ses dispositions.

À titre subsidiaire, il demande, au visa des dispositions de l'article 986 du Code civil, de :

* - dire et juger qu'en l'absence de contrepartie, l'engagement de cautionnement par lui souscrit le 10 février 2015 n'est pas causé,

Ce faisant,

* - dire et juger que l'engagement de cautionnement par lui souscrit est dépourvu d'effet avec toutes conséquences de droit et doit donc être déclaré nul,

débouter les caisses sociales des fins de leur appel,

* - les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

À titre infiniment subsidiaire, il sollicite, au visa des dispositions de l'article 1229 du Code civil, de voir :

* - les caisses sociales condamnées à lui payer la somme qu'elles réclament, soit 291.373,77 euros, avec intérêts au taux légal,

* - débouter les caisses sociales des fins de leur appel,

* - les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

En tant que de besoin,

* - ordonner la compensation entre les sommes qui seront éventuellement mises à la charge de chacune des parties.

En tout état de cause, il demande de :

* - condamner conjointement et solidairement les caisses sociales à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts pour appel abusif,

débouter les caisses sociales des fins de leur appel,

* - les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

* - condamner conjointement et solidairement les caisses sociales aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Monsieur le Bâtonnier Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Il prétend pour l'essentiel, comme en première instance, que l'engagement de caution qu'il a signé en faveur des caisses sociales serait nul, motifs pris de ce que :

* - il se trouvait à l'époque de sa signature sous l'empire d'un trouble mental,

* - il lui a été extorqué par violence, compte tenu des violences psychologiques exercées à son endroit,

* - il se trouve dépourvu de cause, dès lors qu'il tendait, sans avantage en contrepartie, au règlement d'une dette déjà née et insusceptible d'être recouvrée.

Il invoque par ailleurs un comportement fautif des caisses qui justifierait la réparation des préjudices subis, à hauteur des sommes qui lui sont réclamées, avant de procéder à leur compensation.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

* Sur la recevabilité de l'appel :

Attendu que l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 6 juin 2019, signifié le 10 octobre 2019, respectant les règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile doit être déclaré recevable ;

* Sur la demande en paiement :

Attendu que pour s'opposer au paiement des sommes qui lui sont réclamées, y Z soutient la nullité de l'acte de cautionnement qui fonde son engagement en raison du trouble mental grave altérant son discernement dont il se trouvait alors atteint ;

Attendu que les dispositions de l'article 410-2 du Code civil prescrivent notamment qu'un acte juridique ne peut être valablement accompli par celui qui s'y est déterminé sous l'empire d'un trouble mental ; la personne qui en demande la nullité doit établir l'existence de ce trouble au moment de l'acte ;

Qu'il s'ensuit que la preuve de l'altération des facultés mentales incombe à celui qui s'en prévaut et peut être rapportée par tous moyens ;

Que si la notion de trouble mental ne se trouve pas définie par les textes normatifs, il est de jurisprudence habituelle de considérer que celui-ci comprend toutes les variétés d'affection mentales par l'effet desquelles l'intelligence de l'intéressé aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée, indépendamment de leur nature et de leur origine ;

Que ce faisant, ce trouble doit empêcher son auteur d'exprimer un consentement libre et éclairé, de sorte qu'il doit être suffisamment grave pour provoquer l'annulation d'un acte juridique ;

Que par ailleurs, le trouble doit exister au moment de l'acte dont la nullité est revendiquée ;

Que la jurisprudence admet néanmoins une présomption de fait, autorisant à conclure à l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte, si l'intéressé souffrait d'une affection psychique avant ou après, ou à une époque rapprochée de sa passation ;

Qu'il appartient dans ce cas au défendeur, par renversement de la charge de la preuve, d'établir que l'auteur de l'acte se trouvait dans un intervalle lucide au moment de sa conclusion ;

Attendu qu'au cas présent, il est constant que y Z a signé l'acte litigieux le 10 février 2015, alors qu'il a été admis aux urgences psychiatriques de l'établissement public de droit monégasque I. le 30 avril 2015, où il est resté hospitalisé un mois durant ;

Que la situation médicale de l'intéressé se trouve objectivée par le certificat rédigé le 11 mai 2015 par le Docteur f. GO., Chef de service adjoint du service psychiatrie de l'établissement public de droit monégasque I., confirmant que ce dernier se trouve hospitalisé dans son service depuis la date précitée et précisant :

* - d'une part, que « son état ne lui permet pas de gérer ses affaires depuis plusieurs mois et ce pour une durée encore indéterminée »,

* - d'autre part, qu'un « projet de mesure de protection de justice est à prévoir » ;

Qu'elle se trouve également confirmée par le certificat médical délivré le 23 mai 2018 à la demande de l'intimé, par le Docteur Florent MAZZONE, praticien hospitalier et psychiatre qui a assuré son accueil à l'établissement public de droit monégasque I. puis son suivi en cabinet libéral, de sa sortie d'hospitalisation le 4 juin 2015 au 19 septembre 2016 ;

Qu'aux termes de ce certificat médical, le praticien atteste de ce que :

* - il a admis l'intéressé aux urgences de l'établissement public de droit monégasque I. pour « trouble psychique majeur »,

* - « les troubles psychiques sont apparus en décembre 2014, ses fonctions cognitives étaient fortement diminuées »,

* - « son état de santé ne lui permettait pas de gérer ses affaires depuis plusieurs mois » ;

Que les appelantes objectent que ces propos ne se trouvent pas documentés par leur auteur, laissant à penser que celui-ci n'a fait que retranscrire les doléances de son patient ;

Que certes, le praticien ne se réfère pas à des examens ou visites antérieurs pour assoir ses déclarations ;

Que cependant, les éléments énoncés se trouvent confortés par les attestations régulièrement établies par j. B. h. L. et s. G. qui ont entretenu avec y Z une réelle proximité professionnelle ;

Qu'ainsi, s. G. qui a été son employé pendant vingt ans, indique qu'à cette époque l'homme énergique et avenant qu'il était, se montrait taciturne, triste et mélancolique tout en soulignant qu'il a oublié à diverses reprises des rendez-vous ou réunions, et que ses prises de décision ont été parfois illogiques, peu compréhensibles, allant même parfois à l'encontre des intérêts de son entreprise, justifiant que celui-ci lui suggère à diverses reprises de prendre avis auprès d'un médecin concernant son état mental et physique ;

Que de la même manière, j. B. secrétaire pendant 29 ans au sein de l'entreprise, rapporte « le grand changement de comportement et d'humeur de son dirigeant », qui ne parvenait plus à communiquer en 2014, passant son temps dans son bureau, sans prendre aucune communication, lui donnant l'impression qu'il « était dans un autre monde et qu'il n'était plus du tout conscient de ce qu'il se passait autour de lui », alors qu'à compter de janvier 2015 son état de santé « s'était encore aggravé : le matin quand il arrivait au bureau, il avait l'air exténué, il manquait de concentration, son esprit paraissait plus lent, il avait une perte évidente de confiance en lui » ;

Qu'enfin, h. L. a également constaté « une évolution de son comportement durant la période allant de mi-2014 au premier trimestre 2015 », marquée par « la perte de confiance en soi, qui s'est manifestée par des hésitations, l'impossibilité de donner des ordres clairs, quelques temps après son humeur est devenue changeante sans raison, on avait le sentiment que plus rien ne l'intéressait, qu'il avait du mal à se concentrer et à exprimer clairement ses idées. Au début 2015, Monsieur Z vivait dans un monde différent du notre, il avait l'air absent et semblait en dehors des réalité » ;

Que ces dépositions témoignent de manière précise et concordante que y Z a changé de comportement à partir de l'année 2014, manifestant notamment des difficultés de concentration, un désintérêt pour ses affaires, un manque de clairvoyance et une perte de confiance en lui, et que cet état a connu une aggravation à compter du début de l'année 2015 ;

Qu'ainsi, ces constatations circonstanciées de proches collaborateurs de y Z permettent utilement de donner corps et d'apporter crédit aux propos rapportés dans les certificats médicaux susvisés, s'agissant de l'impossibilité pour l'intéressé de gérer ses affaires depuis plusieurs mois ;

Que si le comportement de l'intéressé conservait une certaine cohérence dans les mois précédents son hospitalisation, comme souligné avec force par les appelantes, les éléments factuels et chronologiques précités sont néanmoins éclairant sur son état réel, son comportement témoignant déjà d'une altération de ses fonctions cognitives et d'une vulnérabilité certaine ;

Que par ailleurs, si ces certificats médicaux sont postérieurs de trois mois à la passation de l'acte litigieux, ils décrivent néanmoins un état psychique dont la détérioration résultait d'un processus d'aggravation progressive, qui n'a fait qu'empirer jusqu'à l'hospitalisation, tel que décrit par les attestants ;

Que bien plus, l'extrême gravité de son état de santé mentale médicalement constatée (trouble psychique majeur) au jour de son hospitalisation intervenue en urgence, conjuguée à la durée de celle-ci (1 mois) et à celle de son suivi psychiatrique ultérieur (15 mois), tendent de plus fort à démontrer que ces troubles préexistaient à son admission au Centre Hospitalier Princesse Grace dans une forme suffisamment grave et prononcée pour affecter ses facultés de discernement dans les mois précédents ;

Que l'examen conjugué de ces éléments a donc permis à juste titre aux premiers juges de considérer qu'il existe une présomption de ce que le trouble mental révélé par l'hospitalisation en urgence de y Z le 30 avril 2015, préexistait en réalité à tout le moins depuis le début de l'année 2015, et que celui-ci ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés cognitives au moment de la signature de son engagement en qualité de caution au profit de la société SAM GROUPE Z dont il était le dirigeant ;

Que les pièces et arguments adverses ne permettent, pas plus qu'en première instance, de renverser la présomption ainsi précitée ;

Que la circonstance qu'il ait déjà souscrit par le passé des actes de cautionnement, acte présenté par les appelantes comme habituel dans le monde des affaires, est indifférent à la cause ;

Qu'en effet, la validité d'un tel engagement doit s'apprécier in concreto, en tenant compte de l'état mental de son auteur à la date de signature de l'acte litigieux ou à une période contemporaine ;

Que la reproduction manuscrite du texte obligatoire du « bon pour caution » à laquelle ce dernier a procédé, ne témoigne pas en soi de ce qu'il se trouvait exempt de trouble mental grave à cet instant ;

Que les courriers et courriels échangés entre les parties antérieurement à cette opération, en février 2011 et juillet 2011 ou postérieurement, en septembre 2017 et en 2018 sont tout autant indifférents ;

Qu'il ne peut, pour les mêmes raisons, être tiré argument de ses engagements de caution personnelle et solidaire antérieurs, signés le 11 mai 2011 et le 5 septembre 2013 ;

Que les appelantes ne peuvent davantage prétendre démontrer que l'état de l'intéressé lui a permis à même époque de poursuivre une activité professionnelle à titre personnel, alors qu'il ressort au contraire du récépissé de la déclaration effectuée le 19 janvier 2015 que ce dernier a au contraire souhaité, par un changement des statuts de la SARL « R2M », obtenir l'autorisation d'exercer en qualité de simple associé, l'activité qu'il exerçait jusqu'alors en son nom personnel, illustrant par la même un certain désengagement de sa part ;

Que si le courrier adressé le 12 septembre 2014 à M. GARINO comme celui adressé le 2 décembre 2014 aux Caisses témoignent à ces dates de l'investissement de l'intimé, à le supposer clairvoyant, pour proposer à ses interlocuteurs des solutions propres à sauver son entreprise, ils échouent cependant à démontrer qu'il se trouvait dans un état de lucidité à la date de signature de l'acte litigieux, plus de deux mois plus tard, alors que les attestations citées plus avant ont mis en exergue une aggravation sensible de l'état de l'intimé au début de l'année 2015 ;

Que les courriels échangés les 30 janvier et 4 février 2015 entre M. GARINO, mandataire de justice et les Caisses sociales n'apportent aucun renseignement sur l'état de santé de M. Z au demeurant tiers à ces échanges ;

Que le plumitif de l'audience tenue le 6 février 2015, certes à quelques jours de la signature de l'acte critiqué, ne renseigne pas plus en lui-même sur son état mental en mentionnant seulement que « M. Z est également présent », l'information suivante « qu'il est en contact avec 2 sociétés » émanant clairement de son conseil ;

Que par ailleurs, les premiers juges ont retenu de manière pertinente que les Caisses sociales ne peuvent arguer de l'absence de placement sous protection judiciaire de y Z pour contredire l'existence d'un trouble mental chez ce dernier, la cause de nullité prévue par l'article 410-2° du Code civil étant indépendante du régime des incapacités et pouvant être invoquée que le contractant ait fait l'objet d'une mesure de protection ou non ;

Que l'absence de toute mesure ouverte à l'égard de y Z de ce chef est dès lors inopérante ;

Que la suggestion émise à cet égard par le Docteur François GOLDBROCH, Chef de service adjoint du service psychiatrie de l'établissement public de droit monégasque I., dans son certificat rédigé le 11 mai 2015 illustre par contre clairement son état de vulnérabilité, suffisamment durable pour justifier d'une mesure de protection au long cours ;

Qu'en définitive, les éléments versés aux débats échouent à justifier, en renversant la présomption précédemment dégagée, de ce que y Z jouissait de toute sa lucidité au moment de la signature de l'acte de cautionnement le 10 février 2015 ;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont, par une appréciation souveraine exempte de toute critique, valablement pu considérer que l'engagement de caution signé par y Z le 10 février 2015 au profit de la A et de la B, concernant les dettes sociales de la SAM GROUPE Z encourt la nullité avec toutes conséquences de droit, au regard du trouble mental dont ce dernier se trouvait atteint à cette date ;

Que le jugement entrepris mérite confirmation en toutes ses dispositions de ce chef ;

* Sur les demandes de dommages-intérêts :

Attendu que succombant en leurs demandes, la A et la B sont mal fondées à réclamer l'allocation à leur profit de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Que la décision sera confirmée à cet égard ;

Attendu par ailleurs que y Z revendique le paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

Que si l'exercice des voies de droit constitue un droit fondamental, il n'en est pas pour autant absolu et peut être sanctionné en cas d'abus, lequel est caractérisé notamment lorsque la procédure est particulièrement infondée, téméraire ou malveillante ;

Qu'au cas présent, les Caisses n'ayant fait qu'utiliser, en formant appel, les voies de recours qui s'offraient à elles sans les faire dégénérer en abus ni manifester d'intention de nuire, la demande formée de ce chef ne peut prospérer ;

* Sur les dépens :

Attendu que succombant en leur appel, la A et la B supporteront les dépens d'appel ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevable l'appel formé par les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B,

Confirme le jugement rendu le 6 juin 2019 par le Tribunal de première instance en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute y Z de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 15 DECEMBRE 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 19450
Date de la décision : 15/12/2020

Analyses

Garanties (Nantissement, privilège, cautionnement) ; Contrat - Formation


Parties
Demandeurs : Les organismes privés chargés de la gestion d'un service public A et B
Défendeurs : Monsieur y Z

Références :

article 410-2° du Code civil
Code de procédure civile
article 1229 du Code civil
articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
articles 410-2, 410-24, 964, 966, 967 et 1229 du Code civil
article 986 du Code civil
article 410-2 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2020-12-15;19450 ?

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