Abstract
Faillites - Juge-commissaire - Autorisation donnée au syndic de vendre un bien du failli - Vente de gré à gré - Possibilité pour l'acquéreur de formuler une nouvelle offre (non)
Résumé
Dès lors que le juge-commissaire a donné l'autorisation de vendre de gré à gré un bien du débiteur et que cette ordonnance n'a pas été contestée, l'acquéreur ne peut formuler une nouvelle offre devant le juge-commissaire, même pour un prix supérieur.
Motifs
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 3 MARS 2020
En la cause de :
* - La SARL D., immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n° X, ayant son siège social sis X2, 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
* - 1/Monsieur a. GA., expert-comptable, domicilié en ses bureaux X3, 98000 Monaco, ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de SAM B. ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat en cette même Cour ;
* - 2/Madame n. C., demeurant X1 98000 Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉS,
En présence de :
Madame le Procureur Général, demeurant Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro, 98000 Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE
d'autre part,
LA COUR,
Vu l'ordonnance rendue le 23 octobre 2019 (R. 434) par Monsieur le Juge commissaire de la liquidation des biens de la SAM B., publiée au Journal Officiel de Monaco du 1er novembre 2019 ;
Vu l'appel interjeté au Greffe général le 11 novembre 2019 par la SARL D. (enrôlée sous le n° 2020/000052) ;
Vu les convocations en date du 20 novembre 2019 ;
Vu l'arrêt avant dire droit en date du 10 décembre 2019 ;
Vu les conclusions déposées le 14 janvier 2020 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Monsieur A. GA. ;
Vu les conclusions déposées le 22 janvier 2020 par Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, au nom de Madame n. C.;
Vu les conclusions déposées le 28 janvier 2020 par le ministère public ;
À l'audience du 4 février 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Ouï le ministère public ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SARL D. à l'encontre d'une ordonnance rendue par Monsieur le Juge commissaire le 23 octobre 2019.
Considérant les faits suivants :
Suivant requête en date du 18 octobre 2019 adressée au juge-commissaire de la liquidation des biens de la SAM B., prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 22 mars 2018, A. GA., syndic de ladite liquidation des biens, a sollicité l'autorisation de céder la marque « E. » propriété de la SAM B., à n. C. moyennant le prix de 33.300 euros, en application des articles 535 et 538 du Code de commerce.
Suivant ordonnance en date du 23 octobre 2019, le juge-commissaire a fait droit à la requête sous réserve de l'homologation du Tribunal.
Le 11 novembre 2019 la SARL D. a relevé appel de cette ordonnance publiée le ler novembre 2019 au Journal de Monaco.
Aux termes d'un arrêt en date du 10 décembre 2019, la Cour d'appel de Monaco visant les dispositions de l'article 418 du Code de commerce a déclaré l'appel recevable et renvoyé la cause et les parties à conclure dans le cadre d'un calendrier procédural destiné à assurer le contradictoire.
Par l'ordonnance déférée, le juge-commissaire de la liquidation des biens de la société B., constatant que la vente aux enchères de la marque « F. » serait trop dispendieuse, a estimé opportun d'autoriser la cession susvisée en observant que la valeur de la marque correspondante s'avérant manifestement supérieure à 7.600 euros, montant résultant de l'application combinée des articles 538 du Code de commerce et 393 du Code civil, l'homologation du Tribunal de première instance apparaît donc nécessaire.
La SARL D. a formé le 11 novembre 2019 une déclaration d'appel conformément aux dispositions de l'article 418 du Code de commerce à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 23 octobre 2019 à l'effet de voir infirmer l'ordonnance du 23 octobre 2019 en l'état de l'ordonnance rendue le 6 septembre précédent autorisant le syndic à lui céder la marque litigieuse « E. ».
Au soutien de son appel, la SARL D. rappelle en substance les faits suivants :
* - dans le cadre de la liquidation des biens de la société B., la SARL D., représentée par sa gérance Madame R. a pris attache le 5 septembre 2018 avec le syndic pour lui faire part de son intérêt à l'effet d'acquérir la marque commerciale « E. »,
* - elle exploite en effet depuis 1988 le fonds de commerce ayant pour activité la vente de porcelaine, objet de tables, articles de décoration de cette marque qui a été créée en 1973 par son père e. R. marque déposée à Monaco auprès de la direction de l'expansion économique sous le numéro 23 851 le 10 janvier 2003 sous l'appellation « E. »,
* - pendant 44 ans elle a assuré la commercialisation de la porcelaine de cette marque et joui de la confiance des institutions monégasques,
* - ce soutien a été confirmé par l'attribution le 16 octobre 2017 du titre de fournisseur breveté de Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain de Monaco,
* - elle a donc transmis une offre d'acquisition de la marque le 5 septembre 2018 au syndic de la liquidation de biens de la SAM B. à hauteur de 10.000 euros et ce, dans le but d'assurer le maintien de sa propre activité économique,
* - aux termes d'une ordonnance en date du 17 octobre 2018 le syndic a été autorisé à lui céder la marque concernée au prix forfaitaire de 10.000 euros sous réserve de l'homologation du Tribunal de première instance,
* - en l'état d'une opposition formée par un créancier de la société B., le syndic lui a fait savoir par courrier du 4 janvier 2019 que la cession de la marque avait été suspendue jusqu'à l'issue de cette procédure,
* - elle était par la suite informée de la contre-proposition formulée par ce même créancier qui avait fait une offre d'achat pour un montant de 15.000 euros en l'état de laquelle le syndic l'avisait ultérieurement qu'une requête en homologation de l'offre d'achat autorisée par le juge commissaire le 17 octobre 2018 allait être présentée au Tribunal,
* - par courrier recommandé avec avis de réception en date du 27 mai 2019, le syndic informait son conseil que suite à la publication au journal de Monaco une personne dénommée n. C M. avait formulé une offre d'achat d'un montant supérieur à celle de Madame R. publiée le 17 octobre 2018 et qu'une nouvelle requête aux fins d'autorisation de la cession de la marque allait être déposée au juge-commissaire,
* - la SARL D. a alors formulé le 4 juin 2019 une nouvelle offre d'un montant de 25.000 euros et le syndic constatant que cette offre d'achat était identique à celle de Madame n. C M. a alors invité les deux parties à formuler une nouvelle proposition dans un délai d'un mois,
* - le syndic lui répondait par un premier courriel du 16 juillet 2019 que l'offre formulée à concurrence de 31.500 euros était la plus élevée en sorte qu'une requête serait présentée au juge-commissaire pour autoriser la cession,
* - le même syndic l'informait néanmoins aux termes d'un second courriel du 22 juillet 2019 que Madame C M. venait de formuler une offre légèrement supérieure en sorte qu'il l'a invitée dans un souci d'équité à une énième mise en concurrence en leur proposant de se rendre dans ses bureaux pour lui remettre les offres sous pli cacheté en présence de leurs conseils,
* - le conseil de la société D. demandait alors que le syndic prenne l'avis du juge-commissaire quant aux suites à donner à la cession de la marque, lequel prenait alors une ordonnance en date du 6 septembre 2019 publiée le 13 septembre 2019 autorisant la cession de la marque en sa faveur au prix de 31.500 euros sous réserve de l'homologation du Tribunal,
* - alors qu'elle était en attente de l'homologation de la cession à son profit par le Tribunal, le syndic lui a fait savoir par une nouvelle correspondance du 18 octobre 2019 qu'une autre requête avait été déposée par Madame n. C. aux fins d'être autorisée à céder la marque au prix de 33.330 euros conformément à son offre du 19 juillet 2019, sous réserve de l'homologation du Tribunal,
* - suivant l'ordonnance entreprise en date du 23 octobre 2019 publiée au Journal de Monaco le 1er novembre 2019, le juge-commissaire a alors autorisé le syndic à céder à cette personne physique Madame C M. la marque « E. ».
L'appelante expose à l'appui de sa critique de l'ordonnance entreprise que :
* - près d'un mois et demi après la publication au Journal de Monaco de l'ordonnance du 6 septembre 2019 autorisant le syndic à lui céder la marque au prix de 31.500 euros, le juge-commissaire a, par ordonnance du 23 octobre, autorisé le syndic à céder la même marque à Madame C M. pour un montant supérieur de 33.300 euros,
* - il appartenait toutefois à Madame C M. d'interjeter appel par déclaration motivée de l'ordonnance du 6 septembre 2019 publiée le 13 septembre 2019 autorisant la cession de la marque à son profit, ce qui n'a pas été fait,
* - le syndic l'avait au demeurant avisée qu'à compter de la réception des actes de cession son propre chèque d'un montant de 31.500 euros daté du 17 juillet serait remis à l'encaissement et qu'une requête en homologation de la cession serait remise au Tribunal, décision conforme aux dispositions de l'article 538 du Code de commerce,
* - Madame C M. s'est contentée de rédiger un simple courrier adressé au syndic après l'ordonnance du 6 septembre 2019 et n'a pas usé de la seule voie de recours légale prévue par les dispositions de l'article 418 du Code de commerce lui permettant d'interjeter appel de l'ordonnance du 6 septembre 2019 dans un délai de 8 jours à compter de sa publication,
* - en toute hypothèse, les deux ordonnances successivement rendues par le juge commissaire en date respectivement du 6 septembre 2019 et du 23 octobre 2019 consacrant la cession de la même marque à deux entités différentes n'ont aucun sens puisqu'elles tendent à consacrer l'exploitation partagée de la marque entre d'une part Madame C M. et, d'autre part, la SARL D..
Monsieur A. GA. syndic de la liquidation des biens de la société B., intimée, conclut quant à lui qu'il s'en rapporte à justice quant à l'appel interjeté par la SARL D. à l'encontre de l'ordonnance de Monsieur le juge-commissaire en date du 23 octobre 2019.
Il expose simplement avoir été contraint de présenter les 2 offres acceptées par le juge-commissaire auprès du Tribunal de première instance pour qu'il homologue la cession de la marque « E. » au profit de l'acquéreur qui sera considéré comme ayant présenté la proposition la plus convenable et qu'il n'a aucun moyen à faire valoir dans le cadre de ce litige en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de la SAM B..
Madame n. C. intimée, conclut pour sa part au rejet de l'ensemble des demandes formées par la société D. et entend voir confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 octobre 2019 par le juge commissaire tout en sollicitant la condamnation aux entiers dépens de la société appelante.
Elle soutient en substance que la société D. ne formule aucune critique sur les termes ni sur la motivation de l'ordonnance du 23 octobre 2019 dont elle a sollicité l'infirmation devant la Cour d'appel.
Aucun grief n'est selon elle émis sur les motifs ayant conduit le juge commissaire à autoriser la cession à son profit de la marque au prix qu'elle avait proposé dans les intérêts des créanciers.
Elle en déduit que l'ordonnance du 23 octobre 2019 n'encourt aucune critique valable et devra être confirmée.
Madame le Procureur Général, co-intimée, entend voir la Cour déclarer l'appel recevable.
Au fond, elle conclut à la réformation de l'ordonnance entreprise en faisant valoir que les dispositions de l'article 538 du Code de commerce disposent que lorsque la valeur du bien ou du droit excède cette somme de 7.600 euros, l'acte de cession de gré à gré ou à forfait, le compromis ou la transaction sont soumis à l'homologation du Tribunal. Il en résulte selon elle que la protection des droits des créanciers ne justifie pas que soient soumises au Tribunal plusieurs propositions, le législateur confiant à cette juridiction le soin d'homologuer l'acte qui a précisément fait l'objet de l'autorisation du juge.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que le présent appel a déjà été déclaré recevable par arrêt du 10 décembre 2019 ;
Attendu qu'il est en l'espèce établi que par courriel en date du 16 septembre 2019 le syndic a informé le conseil de la SARL D. qu'en application de l'ordonnance du 6 septembre 2019 publiée le 13 septembre au Journal de Monaco le juge commissaire avait autorisé la cession de la marque en faveur de sa cliente au prix de 31.500 euros sous réserve de l'homologation du Tribunal ;
Que quelques jours plus tard, le 23 septembre 2019, le syndic a avisé l'appelante que le chèque correspondant d'un montant de 31.500 euros serait remis à l'encaissement à compter de la réception des actes de cession dûment signés et qu'une requête en homologation serait remise au tribunal, les actes de cession de la marque ayant été régularisés et transmis au syndic dès le lendemain ;
Attendu que la voie de droit utile permettant de contester cette ordonnance du juge commissaire est expressément prévue par l'article 418 du Code de commerce disposant que toute personne ayant intérêt peut interjeter appel par déclaration motivée au greffe général dans les huit jours de la publication au Journal de Monaco ;
Qu'au demeurant, telle a bien été la voie processuelle utilisée par la société D. contre l'ordonnance ultérieure du 23 octobre 2019, actuellement déférée à la Cour d'appel, autorisant toujours la même cession de marque à un prix supérieur et au bénéfice de Madame n. C.;
Que force est cependant de constater que Madame C. n'a exercé aucun recours à l'encontre de l'ordonnance du 6 septembre 2019 préférant s'adresser au juge commissaire après avoir écrit un courrier de contestation pour formuler une proposition encore légèrement supérieure ;
Attendu qu'il ne peut être prêté au législateur la volonté de ne pas encadrer dans le temps la faculté de formuler de telles offres de cession ni, par voie de conséquence, de soumettre au Tribunal de multiples propositions successives, toutes autorisées par le juge-commissaire dont le rôle serait ainsi réduit à néant ;
Qu'en décider autrement permettrait de ne jamais mettre un terme à la possibilité d'offres de cession successives et pourrait même susciter des conflits de décision, le Tribunal pouvant homologuer un acte puis être saisi ultérieurement d'une offre plus avantageuse le faisant revenir sur sa décision, ce qui contreviendrait gravement à la sécurité juridique des créanciers dans la masse ;
Attendu que le Procureur Général apparaît à cet égard avoir justement observé que la protection des droits des créanciers ne justifie pas que soient soumises au Tribunal plusieurs propositions, ce que corrobore l'analyse précitée, en sorte que l'ordonnance critiquée devrait être infirmée en toutes ses dispositions ;
Attendu que les dépens de première instance et d'appel seront compensés entre les parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Vu l'arrêt rendu le 10 décembre 2019,
Vu les conclusions du Ministère public en date du 28 janvier 2020,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 23 octobre 2019,
Ordonne la compensation des dépens de première instance et d'appel,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 3 MARS 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.
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