Abstract
Contrat de travail – Licenciement économique – Conditions – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)
Résumé
En droit, la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié mais procédant de la nécessité de supprimer un ou plusieurs emplois et de restructurer l'entreprise caractérise un licenciement économique. Si l'employeur dispose incontestablement de toutes les prérogatives pour organiser comme il l'entend son entreprise, les juridictions n'ayant en aucune façon le pouvoir de s'immiscer dans sa gestion ni donc d'apprécier l'opportunité ou la pertinence de ses décisions organisationnelles, elles ont néanmoins l'obligation de contrôler la réalité du motif économique invoqué, en vérifiant d'une part la nécessité économique de la réorganisation mise en œuvre et, d'autre part l'effectivité de la suppression du poste du salarié concerné. À cet égard que la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture incombant à l'employeur, il appartient en l'espèce à la SAM A d'établir par des éléments objectifs que le licenciement est fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à des difficultés d'ordre financier. Au cas d'espèce, force est de constater que cette preuve n'est pas rapportée. Le Tribunal du travail a, à bon droit, considéré que le licenciement d a.F. n'était pas fondé sur un motif valable.
Sur le caractère abusif du licenciement, par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Il incombe au salarié qui prétend être indemnisé de démontrer l'abus commis par son employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de résiliation lequel peut provenir de l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, qui ne se confond pas avec le motif non valable, ou s'induire de la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles la rupture a été mise en œuvre. La réparation du préjudice matériel ne peut être admise que si l'employeur a commis un abus dans sa décision proprement dite, tel pouvant être le cas s'il a mis en œuvre le licenciement en dehors de tout fondement prévu par la loi ou s'il a invoqué des motifs fallacieux de rupture. L'allégation d'un motif fallacieux de rupture consiste pour l'employeur à faire état de façon déloyale de motifs spécieux et illusoires destinés à tromper. En l'espèce, a. F. prétend que la rupture revêt un caractère abusif pour avoir été mise en œuvre de façon brutale et inattendue, alors que dans les faits le licenciement était envisagé depuis plus d'un an par son employeur. Toutefois, cette dernière affirmation n'est étayée par aucune pièce du dossier, alors qu'elle ne démontre pas davantage des conditions de travail particulièrement difficiles dont elle fait état. En revanche, le licenciement est effectivement intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires dans la mesure où rien ne laissait présager une telle décision. Il y a donc lieu de confirmer le Tribunal du travail en ce qu'il a considéré comme fautive l'exécution de la mesure de licenciement et a condamné l'employeur à réparer le préjudice moral subi par a.F. consécutivement à la manière d'agir de son employeur, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté uniquement d'un licenciement abusif dans son principe.
Motifs
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 30 AVRIL 2019
En la cause de :
* - La SAM A, dont le siège social est sis X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
* - Madame F a., née le 17 avril 1955 à Sablowice Slaskie (Pologne), de nationalité française, domiciliée X2 à Nice (06300) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Nicolas MATTEI, avocat au barreau de Nice ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 26 octobre 2017 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 18 janvier 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000081) ;
Vu les conclusions déposées les 27 mars 2018, 16 octobre 2018 et 29 janvier 2019 par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de Madame F a.;
Vu les conclusions déposées les 8 mai 2018 et 18 décembre 2018 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;
À l'audience du 5 février 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM A à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 26 octobre 2017.
Considérant les faits suivants :
a. F. a été employée le 18 mars 2004 à durée déterminée par la SAM A, puis dès le 14 juin 2004 à durée indéterminée, pour un emploi de vendeuse retoucheuse couturière, devenu par avenant du 1er janvier 2010 retoucheuse couturière.
Elle a été licenciée par lettre remise en main propre le 23 septembre 2014 pour suppression de poste.
a. F. a saisi par lettre du 6 mai 2015 reçue le lendemain, le bureau de conciliation du Tribunal du travail et en l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement du Tribunal du travail.
Suivant jugement en date du 26 octobre 2017, le Tribunal du travail a :
* - dit que le licenciement d a. F. par la société anonyme monégasque A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,
* - condamné la société anonyme monégasque A à payer à a. F. les sommes suivantes :
* 4.076,39 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 7 mai 2015,
* 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
* - débouté les parties du surplus de leurs demandes,
* - condamné la SAM A aux dépens.
Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance estimé que l'employeur ne justifiait ni de la nécessité économique de la réorganisation, ni de l'effectivité de la suppression du poste du salarié, conditions nécessaires pour que le licenciement repose sur un motif valable. Ils estimaient par ailleurs que la rupture avait été exercée avec légèreté et brutalité en sorte que le licenciement revêtait un caractère abusif ouvrant droit à l'indemnisation du préjudice moral.
Suivant exploit en date du 18 janvier 2018, la SAM A a interjeté appel du jugement susvisé dont elle a sollicité la réformation en toutes ses dispositions.
Aux termes de cet exploit et de ses conclusions en date des 8 mai et 18 décembre 2018, elle demande à la Cour, statuant à nouveau, de :
* - la recevoir en son appel,
* - rejeter des débats la pièce n° 15 versée aux débats par a. F. qui est manifestement incomplète et en toute hypothèse nulle au sens de l'article 324 du Code de procédure civile,
Au fond, l'y déclarant bien fondée :
* réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
* dit que le licenciement d a. F. par la SAM A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,
* condamné la SAM A à payer à a. F. les sommes suivantes :
* 4.076,39 euros (quatre mille soixante-seize euros et trente-neuf centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 7 mai 2015,
* 20.000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
* condamné la société anonyme monégasque A aux dépens,
Et statuant de nouveau :
* - dire et juger que le licenciement d a. F. par la SAM A est fondé sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif,
* - débouter en conséquence et de plus fort a. F. de son appel incident comme plus généralement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* - condamner a. F. aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL.
La SAM A fait valoir pour l'essentiel que :
Sur la validité du motif de licenciement :
* - confrontée à la réduction de sa surface de vente, elle a été dans l'obligation d'utiliser l'ancien atelier de retouches en espace de stockage et dans ces conditions de supprimer le poste de retoucheuse,
* - désormais l'ensemble des travaux de retouches et de couture est effectué par des prestataires extérieurs à un coût inférieur à celui du salaire d a. F.
* - la suppression du poste est objectivement démontrée et elle est également justifiée économiquement en comparaison du salaire de l'intéressée et du coût de location ou d'un achat d'un autre local dédié aux retouches, le tout dans un contexte de baisse importante du chiffre d'affaires,
* - le déménagement imposé de la boutique dans des locaux préfabriqués et moins spacieux a engendré une baisse de fréquentation de la clientèle et une baisse du chiffre d'affaires de 30 % sur la période 2013/2015,
* - l'employeur n'avait aucune obligation de reclasser la salariée soit en interne, soit dans une autre entreprise basée en France ou à l'étranger, étant relevé que l'intitulé du poste d'origine « vendeuse retoucheuse couturière » avait été modifié par avenant pour devenir « retoucheuse ».
Sur l'absence de caractère abusif du licenciement :
* - le licenciement ne repose pas sur un motif fallacieux,
* - il est fondé et repose sur un motif valable correspondant à la suppression effective du poste de retoucheuse,
* - il n'y a pas de considération personnelle à l'origine de la rupture et elle ne peut donc être envisagée sous l'angle de la sanction,
* - bien que l'entretien préalable ne soit pas obligatoire à Monaco, a. F. a été avisée de son licenciement et des motifs qui y présidaient à l'occasion d'un entretien,
* - la mise en œuvre du licenciement ne revêt aucun caractère de brutalité, et ce d'autant moins qu'il a été proposé à la salarié de cumuler l'ensemble des heures de dispense d'activité dont elle bénéficiait légalement pour rechercher un nouvel emploi à la fin du préavis,
* - les demandes indemnitaires ne sont pas fondées en l'absence d'abus, ce d'autant plus qu a. F. est à la retraite depuis janvier 2017.
a. F. intimée, a pour sa part, relevé appel partiel du jugement par conclusions du 27 mars 2018.
Aux termes desdites écritures et de ses conclusions en date des 16 octobre 2018 et 29 janvier 2019, elle demande à la Cour de :
* - déclarer recevable et fondée a. F. en ses demandes,
* - débouter la SAM A de l'intégralité de ses demandes,
En conséquence :
* - infirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail du 10 octobre 2017 (sic) en ce qu'il a condamné la SAM A au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
Statuant à nouveau :
* - condamner la SAM A au paiement de la somme de 61.267,44 euros à titre de justes et légitimes dommages et intérêts, avec intérêts de droit au taux légal à compter du jugement rendu par le Tribunal du travail du 10 octobre 2017 (sic),
* - confirmer pour le surplus le jugement rendu par le Tribunal du travail du 10 octobre 2017 (sic),
En toutes hypothèses :
* - condamner la SAM A aux entiers frais et dépens, distraits au profit de Maître Christophe SOSSO.
aux motifs essentiellement que :
* - elle exerçait ses fonctions, non pas dans la boutique, mais dans un appartement annexe situé X3 à Monaco, au sein d'une petite pièce,
* - le reste de l'appartement était déjà consacré au stockage et l'affectation de la pièce dans laquelle elle travaillait n'a pu compenser la perte d'espace de la boutique principale au moment du changement,
* - au demeurant la problématique d'espace de travail appartenait à l'employeur et n'aurait pas dû entraîner son licenciement,
* - le déménagement de l'employeur était manifestement un prétexte pour la licencier,
* - il appartenait à l'employeur de louer un autre local pour stocker sa marchandise, mais non de licencier un salarié,
* - le licenciement pour suppression de poste du fait d'un manque d'espace de travail est infondé,
* - par ailleurs la réorganisation de l'entreprise, bien que relevant du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut se faire au détriment du salarié dans le cadre de choix de gestion discrétionnaires,
* - elle a été licenciée en 2014 alors qu'il n'y avait aucune difficulté économique lors de cette mesure,
* - les documents produits ne permettent pas de vérifier la réalité des difficultés économiques invoquées par l'employeur, lesquelles ne doivent pas être appréciées pour chaque magasin mais au niveau de l'entreprise lorsqu'elle comporte plusieurs établissements,
* - le licenciement repose sur un faux motif économique,
* - elle a été licenciée en raison de la suppression de son poste de travail liée à des difficultés économiques et elle aurait dû bénéficier d'une tentative de reclassement,
* - l'employeur ne pouvait l'éluder au motif qu'elle n'avait pas de qualification en tant que vendeuse, alors qu'elle a été initialement embauchée en tant que vendeuse retoucheuse couturière et qu'elle a été effectivement vendeuse de 2004 à 2007,
* - l'employeur n'a pas satisfait à cette obligation en mettant en œuvre une véritable procédure de licenciement et en la mettant en mesure de faire valoir ses droits, y compris de reclassement, ce qui rend le licenciement abusif en la forme,
* - la rupture a été une véritable incompréhension pour elle dont les qualités professionnelles étaient avérées et reconnues ; elle est intervenue brusquement revêtant ainsi un caractère vexatoire,
* - elle comptait plus de 10 ans d'ancienneté au sein de la SAM A, était âgée de 59 ans lors du licenciement et est demeurée sans emploi jusqu'à sa mise à la retraite à 63 ans,
* - elle se sent humiliée en raison de la brutalité, de la légèreté blâmable et du faux motif dont l'employeur s'est rendu responsable et son préjudice sera réparé par l'allocation de la somme demandée.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels du jugement signifié le 22 décembre 2017 ont été formés dans les conditions de délais et de forme prescrites par le Code de procédure civile et sont recevables ;
* 1/ Sur le rejet de la pièce n° 15
Attendu qu a. F. verse une attestation en date du 8 juillet 2018 qui ne comporte aucune des mentions spécifiques imposées à peine de nullité par l'article 324 du Code de procédure civile ;
Qu'il convient de prononcer la nullité de cette pièce et d'en ordonner le rejet ;
* 2/ Sur la validité du licenciement
Attendu qu a. F. a été licenciée pour suppression de poste suivant lettre du 23 septembre 2014 ainsi libellée :
« Objet : licenciement pour suppression de poste
Madame,
Vous êtes embauchée par notre société sous contrat à durée indéterminée depuis le 18 mars 2004 et occupez les fonctions de retoucheuse.
L'immeuble W dans lequel se trouve actuellement notre boutique va très prochainement être entièrement détruit et reconstruit. Ces travaux s'étaleront sur plusieurs années.
Dans l'intervalle, notre boutique va être déplacée dans des locaux provisoires d'une surface beaucoup moins importante que celle dont nous disposons actuellement.
Nous sommes dès lors contraints de supprimer l'atelier de retouche dans lequel vous travailliez jusqu'à présent et de dédier ce local extérieur au stockage de nos produits. Cette décision est rendue nécessaire pour assurer la bonne continuité de notre activité commerciale.
N'ayant aucune alternative nous permettant de vous fournir un nouvel espace de travail, nous sommes au regret de vous informer que votre poste de retoucheuse est supprimé et de vous notifier, par la présente, votre licenciement.
Votre contrat de travail cessera de produire ses effets à l'issue d'un préavis de deux mois débutant au lendemain de la notification de la présente ... » ;
Que la décision de rupture de l'employeur est ainsi fondée sur un motif étranger à la personne du salarié concerné ;
Attendu, en droit, que la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié mais procédant de la nécessité de supprimer un ou plusieurs emplois et de restructurer l'entreprise caractérise un licenciement économique ;
Attendu que si l'employeur dispose incontestablement de toutes les prérogatives pour organiser comme il l'entend son entreprise, les juridictions n'ayant en aucune façon le pouvoir de s'immiscer dans sa gestion ni donc d'apprécier l'opportunité ou la pertinence de ses décisions organisationnelles, elles ont néanmoins l'obligation de contrôler la réalité du motif économique invoqué, en vérifiant d'une part la nécessité économique de la réorganisation mise en œuvre et, d'autre part l'effectivité de la suppression du poste du salarié concerné ;
Attendu à cet égard que la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture incombant à l'employeur, il appartient en l'espèce à la SAM A d'établir par des éléments objectifs que le licenciement est fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à des difficultés d'ordre financier ;
Attendu au cas d'espèce, que force est de constater que cette preuve n'est pas rapportée ;
Qu'en effet si le chiffre d'affaires ventes boutiques réalisé par la SAM A a enregistré une baisse et est passé de 5.299.233,61 HT pour 2013 à 5.004.011,68 HT pour 2014, ce qui représente une diminution de l'ordre de 5,5 %, force est de constater au vu des comptes de pertes et profits produits que le résultat net de l'exercice 2014 (1.212.614, 76 euros) reste excédentaire ;
Qu'ainsi il est manifeste que lors de la rupture du contrat de travail le résultat de l'activité était toujours bénéficiaire ;
Que d'ailleurs l'employeur n'a jamais fait état avant la présente instance de difficultés économiques qui l'auraient contraint à licencier sa salariée, se contentant dans la lettre de licenciement d'invoquer en conséquence de la démolition de l'immeuble W, son obligation de déplacer la boutique dans des locaux provisoires d'une surface nettement moins grande le contraignant à supprimer l'atelier de retouche au profit du stockage des produits, ce qu'elle soutient toujours en cause d'appel ;
Que la SAM A prétend en effet que la surface totale du lieu de stockage avant déménagement était de 100 m² et que le nouvel espace dédié à l'entreposage du stock était très nettement insuffisant à satisfaire ces besoins ;
Qu'à cet égard et à titre superfétatoire, à défaut de disposer d'éléments probants et notamment des surfaces de vente et de stockage de l'ancienne et de la nouvelle boutique, la Cour d'appel n'est pas en mesure de s'assurer que la SAM A n'avait d'autre solution que la suppression de l'atelier de retouches comme elle le prétend, ce d'autant que cet atelier situé dans un appartement extérieur à la boutique n'occupait qu'un espace représentant tout au plus une dizaine de m² de la surface totale des locaux en l'état du plan fourni ;
Qu'en toutes hypothèses, cet élément à le tenir pour acquis ne l'autorisait pas à opérer ce choix au détriment du salarié en l'absence de nécessité économique avérée ;
Que par ailleurs la SAM A ne justifie pas davantage du caractère effectif de la suppression du poste d a. F. dès lors qu'elle a en réalité confié les tâches qui lui étaient jusqu'alors dévolues à des intervenants extérieurs, ainsi qu'elle l'indique dans ses écrits judiciaires, le fait que le coût aurait été moindre, ce dont elle ne justifie par aucune pièce objective, étant toutefois inopérant dès lors que dans une entreprise financièrement saine, la seule volonté de réduire le montant des coûts salariaux ne peut constituer un motif valable de licenciement ;
Que la société appelante ne peut davantage prétendre avoir réorganisé son entreprise pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi, alors qu'il apparaît, quant à la réalité des solutions prises pour remédier aux difficultés alléguées, que :
* - elle n'a jamais prétendu avoir procédé à d'autres licenciements,
* - le poste « frais de personnel » apparaît plus important en 2014 que lors de l'exercice 2013,
* - elle a procédé à l'embauche de 6 personnes après le licenciement d a. F. et notamment 2 personnes dans le courant de l'année 2015, dont le résultat net - qui a enregistré la plus forte baisse des trois exercices comparés, aucun bilan n'ayant été produit pour les années postérieures - s'est élevé suivant bilan à la somme de 566.652,82 euros ;
Qu'ainsi la preuve n'est pas rapportée de la nécessité de supprimer le poste, pas plus que de la réalité de sa suppression ;
Attendu qu'au regard de l'ensemble de ces circonstances, le Tribunal du travail a, à bon droit, considéré que le licenciement d a. F. n'était pas fondé sur un motif valable, et ce avec toutes conséquences de droit, sans qu'il y ait lieu dès lors d'examiner le moyen surabondant tiré du défaut de reclassement au poste de vendeuse, d'autant qu'elle ne l'a pas demandé ;
* 3/ Sur le caractère abusif du licenciement
Attendu, sur le caractère abusif du licenciement, que par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts ;
Attendu qu'il incombe au salarié qui prétend être indemnisé de démontrer l'abus commis par son employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de résiliation lequel peut provenir de l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, qui ne se confond pas avec le motif non valable, ou s'induire de la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles la rupture a été mise en œuvre ;
Attendu que la réparation du préjudice matériel ne peut être admise que si l'employeur a commis un abus dans sa décision proprement dite, tel pouvant être le cas s'il a mis en œuvre le licenciement en dehors de tout fondement prévu par la loi ou s'il a invoqué des motifs fallacieux de rupture ;
Attendu que l'allégation d'un motif fallacieux de rupture consiste pour l'employeur à faire état de façon déloyale de motifs spécieux et illusoires destinés à tromper ;
Attendu en l'espèce qu a. F. prétend que la rupture revêt un caractère abusif pour avoir été mise en œuvre de façon brutale et inattendue, alors que dans les faits le licenciement était envisagé depuis plus d'un an par son employeur ;
Que toutefois cette dernière affirmation n'est étayée par aucune pièce du dossier, alors qu'elle ne démontre pas davantage des conditions de travail particulièrement difficiles dont elle fait état ;
Qu'en revanche, le licenciement est effectivement intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires dans la mesure où rien ne laissait présager une telle décision ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le Tribunal du travail en ce qu'il a considéré comme fautive l'exécution de la mesure de licenciement et a condamné l'employeur à réparer le préjudice moral subi par a. F. consécutivement à la manière d'agir de son employeur, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté uniquement d'un licenciement abusif dans son principe ;
Attendu que cette réparation a été justement chiffrée à la somme de 20.000 euros au regard de l'âge d a. F. au moment de la rupture (59 ans), de son ancienneté de 10 ans au sein de l'entreprise et de ce qu'elle n'a pu retrouver d'emploi avant sa mise à la retraite ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé de ces chefs ;
Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de la SAM A qui succombe pour l'essentiel ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels,
Les déclare mal fondés,
Déclare nulle la pièce n° 15 versée par a. F. et en ordonne le rejet,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 octobre 2017 par le Tribunal du travail,
Condamne la SAM A aux dépens d'appel et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 30 AVRIL 2019, par Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.
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