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14/02/2017 | MONACO | N°15764

Monaco | Cour d'appel, 14 février 2017, M. p. TR., Mme l. TR. épouse FE., Mme g. TR. épouse CE., Mme lo. TR. c/ M. d. TR. et m. g. DE BI. épouse TR.


Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2017

En la cause de :

1- Monsieur p. TR., né le 18 septembre 1972 à Imperia (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1, 18026 PIEVE DI TECO (Imperia, Italie) ;

2- Madame l. TR. épouse FE., née le 14 septembre 1955 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant X2 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie) ;

3- Madame g. TR. épouse CE., née le 8 février 1965 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant X3, à VALLE SALIM

BENE (PV) (Italie) ;

4- Madame lo. TR., née le 28 avril 1966 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie),...

Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 14 FEVRIER 2017

En la cause de :

1- Monsieur p. TR., né le 18 septembre 1972 à Imperia (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1, 18026 PIEVE DI TECO (Imperia, Italie) ;

2- Madame l. TR. épouse FE., née le 14 septembre 1955 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant X2 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie) ;

3- Madame g. TR. épouse CE., née le 8 février 1965 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant X3, à VALLE SALIMBENE (PV) (Italie) ;

4- Madame lo. TR., née le 28 avril 1966 à PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant et domiciliée X4, CANNARA (PG) (06033) (Italie) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTS,

d'une part,

contre :

1- Monsieur d. TR., né le 16 avril 1951 à PIEVE DI TECO (Imperia, Italie), de nationalité italienne, demeurant et domicilié X5, PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie) ;

2- Madame m. g. DE BI. épouse TR., née le 28 février 1962 à TAIBON AGORDINO (Italie), de nationalité italienne, demeurant et domicilié X5, PIEVE DI TECO (18026) (Imperia, Italie) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉS,

En présence de :

La société anonyme monégasque dénommée « JULIUS BAER WEALTH MANAGEMENT (MONACO) SAM exerçant sous l'enseigne JULIUS BAER (MONACO) SAM », immatriculée auprès du Registre du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° 98S03555 et dont le siège social est sis 5 avenue des Citronniers, Prince de Galles, 2ème et 3° étages, 98000 Monaco, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco ;

La société anonyme monégasque dénommée « BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO », immatriculée auprès du Registre du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° 91S02724 et dont le siège social est sis 15-17 avenue d'Ostende à Monaco, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco ;

- Monsieur le Procureur Général,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 21 janvier 2016 (R.2516) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 14 mars 2016 (enrôlé sous le numéro 2016/000146) ;

Vu les conclusions déposées les 21 juin, 8 novembre 2016 et 10 janvier 2017 par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de d. TR. et m. g. DE BI. épouse TR. ;

Vu les conclusions déposées les 4 octobre et 6 décembre 2016 par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de p. TR., l. TR. épouse FE., g. TR. épouse CE. et lo. TR. ;

À l'audience du 17 janvier 2017, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Ouï le Ministère public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par p. TR., l. TR. épouse FE., g. TR. épouse CE. et lo. TR. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 21 janvier 2016.

Considérant les faits suivants :

s. TR., de nationalité italienne, est décédé à Gênes en Italie le 26 février 1997, laissant pour lui succéder cinq neveux et nièces : p., l., g., lo. et d. TR..

Ce dernier détenait des comptes bancaires à Monaco, auprès de l'établissement ABN AMRO, sur lesquels il avait donné procuration à l'un de ses neveux, d. TR..

Faisant état de mouvements de fonds suspects intervenus peu avant le décès de leur oncle, p., l., g. et lo. TR. obtenaient une ordonnance de référé en date du 26 octobre 1998 portant désignation d'un expert chargé de retracer les conditions de fonctionnement des comptes ouverts par s. TR. auprès de l'ABN AMRO, depuis le 7 juin 1995, date de la procuration, jusqu'à son décès.

L'expert n'ayant, au terme de son premier rapport du 5 août 1999, procédé à l'analyse que d'un seul compte bancaire, sa mission était par la suite complétée suivant ordonnance de référé du 7 mars 2000.

L'expert établissait un rapport complémentaire le 31 janvier 2001.

Le 31 juillet 2002 p. et l. TR. déposaient plainte avec constitution de partie civile et une information judiciaire était alors ouverte dans le cadre de laquelle deux comptes bancaires ouverts à Monaco au nom de m. g. DE BI., épouse de d. TR., auprès de ING PRIVATE BANKING et de la Société Monégasque de Banque Privée (SMBP), étaient bloqués aux termes d'ordonnances du magistrat instructeur des 2 et 8 avril 2004.

Par ailleurs et suivant arrêt du 6 avril 2006, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel de Monaco ordonnait la mainlevée partielle de la saisie pratiquée sur le compte bancaire de m. g. DE BI. épouse TR. auprès de la SMBP, à concurrence de la somme de 300.000 euros.

Au terme d'une ordonnance du Juge d'instruction en date du 27 mars 2007, étaient renvoyés devant le Tribunal correctionnel :

* d. TR. du chef d'abus de confiance, pour avoir détourné au préjudice du défunt M. s. TR. et de sa succession, la somme de 1.004.715 euros ;

* m. g. DE BI. épouse TR. du chef de recel d'abus de confiance, de la somme de 1.004.715 euros. Le Tribunal correctionnel a, par la suite, et selon jugement en date du 9 octobre 2007 :

* déclaré partiellement prescrite l'action publique concernant d. TR., pour le détournement de la somme de 356.623,90 euros ;

* déclaré les époux TR. coupables pour le surplus ;

* condamné les époux TR. à la peine de 8 mois d'emprisonnement chacun ;

* accueilli p., l., g. et lo. TR. en leurs constitutions de parties civiles ;

* condamné solidairement les époux TR. à leur payer la somme principale de 648.091,64 euros, outre la somme de 15.000 euros à chacune.

Au terme d'un arrêt en date du 4 juillet 2008, la Cour d'appel correctionnelle a partiellement confirmé ledit jugement, en ce qu'il avait déclaré partiellement prescrite l'action publique concernant. d. TR., déclaré m. g. DE BI. épouse TR. coupable du recel de la somme de 1.004.715 euros et reçu les consorts p., l., g. et lo. TR. en leurs constitutions de parties civiles.

L'infirmant sur le surplus, la Cour d'appel a :

* déclaré intégralement prescrite l'action publique concernant d. TR. et renvoyé ce dernier des fins de la poursuite ;

* ramené à 6 mois d'emprisonnement avec sursis la peine infligée à m. g. DE BI. épouse TR. ;

* débouté les consorts p., l., g. et lo. TR. de leurs demandes de dommages-intérêts à l'encontre de d. TR. ;

* condamné m. g. DE BI. épouse TR. à payer à chacun d'eux la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

* débouté les consorts p., l., g. et lo. TR. du surplus de leurs demandes financières ;

* débouté les consorts p., l., g. et lo. TR. de leur demande de mainlevée de la mesure de séquestre judiciaire ;

* ordonné le maintien des effets du séquestre ordonné par le Juge d'instruction les 2 et 8 avril 2004, tel que modifié par arrêt de la Chambre du Conseil de la Cour d'appel du 6 avril 2006.

La juridiction d'appel a à cet égard estimé que dans la mesure où les opérations de compte, liquidation et partage de la succession n'avaient pas été réalisées, p., l., g. et lo. TR. ne disposaient pas de droits privatifs sur les sommes séquestrées et n'étaient dès lors pas fondés à en solliciter la restitution à leur profit.

Suivant exploit d'huissier délivré le 8 juillet 2013, p. TR., l. TR., g. TR. et lo. TR. ont alors fait assigner d. TR. et m. g. DE BI. épouse TR., en présence des établissements bancaires JULIUS BAER et BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT, tiers-saisis, venant respectivement aux droits des banques ING PRIVATE BANKING et SMBP, aux fins que le Tribunal :

* ordonne le partage de la masse successorale de feu s. TR. ;

* dise qu'en vertu de la loi italienne, applicable en l'espèce, reviennent aux héritiers les quotes-parts suivantes :

* 6/24e soit 25% chacun à Mme l. TR. épouse FE. et à M. d. TR. ;

* 4/24e soit 16,66% chacun à Mme g. TR. épouse CE., Mme lo. TR. et M. p. TR. ;

* désigne un notaire chargé des opérations et un juge chargé de faire rapport en cas de difficulté ;

* condamne solidairement M. d. TR. et Mme m. g. DE BI. épouse TR. à restituer à la masse successorale la somme de 1.004.715,50 euros qu'ils ont détournée, outre les fruits perçus sur cette somme ;

* ordonne aux banques JULIUS BAER et BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT, agences de Monaco, qu'elles déclarent précisément le montant des actifs qu'elles détiennent à ce jour au nom de Mme m. g. DE BI. épouse TR. maintenus sous séquestre en application de l'arrêt du 4 juillet 2008 ;

* condamne M. d. TR. et Mme m. g. DE BI. épouse TR. à leur payer la somme de 400.000 euros à titre de dommages-intérêts et dire que ces dommages-intérêts seront répartis par parts égales entre les demandeurs ;

* ordonne la mainlevée du séquestre sur les comptes de Mme m. g. DE BI. épouse TR. auprès des banques JULIUS BAER et BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT ;

* dise que les établissements bancaires se libèreront des sommes détenues directement en leur faveur et dans les proportions susmentionnées.

Suivant jugement en date du 21 janvier 2016, le Tribunal de Première Instance, statuant publiquement et contradictoirement :

* s'est déclaré incompétent pour ordonner la liquidation et le partage de la succession de feu M. s. TR., décédé à Gênes en Italie le 26 février 1997 ;

* s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes subséquentes formées par M. p. TR., Mme l. TR., Mme g. TR. et Mme lo. TR. ;

* a débouté M. d. TR. et Mme m. g. DE BI. épouse TR. de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

* a donné acte à la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT de ce qu'elle a justifié de la nature et du montant des avoirs qu'elle détient en ses livres au nom et pour le compte de Mme m. g. DE BI. épouse TR. ;

* a donné acte à la SAM BANK JULIUS BAER de ce qu'elle a justifié de la nature et du montant des avoirs qu'elle détient en ses livres au nom et pour le compte de Mme m. g. DE BI. épouse TR. ;

* a débouté la société BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT et la société BANK JULIUS BAER de leurs demandes de remboursement de frais et a condamné solidairement les consorts TR. aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel estimé que la juridiction monégasque saisie d'un litige international devait apprécier sa compétence par référence exclusive au droit du for.

L'application des règles de conflit prévues par le Code de procédure civile monégasque conduisait le Tribunal à dire que s. TR. n'étant pas domicilié à Monaco et la succession de ce dernier n'y ayant pas été ouverte, la juridiction monégasque était incompétente pour connaître de la demande en partage et les demandes accessoires subséquentes formées par les consorts TR..

Suivant exploit en date du 14 mars 2016, p. TR., l. TR. épouse FE., g. TR. épouse CE. et lo. TR. ont régulièrement interjeté appel du jugement susvisé signifié le 12 février 2016, à l'effet de voir infirmer cette décision et voir la Cour :

« - dire et juger qu'en retenant une exception d'incompétence territoriale alors qu'il lui était demandé de retenir une exception à raison de la matière, le Tribunal de Première Instance a statué ultra petita,

* dire et juger que l'exception d'incompétence soulevée par d. TR. et m. DE BI. en application de l'article 3-3 du Code de Procédure Civile monégasque constitue une exception d'incompétence territoriale et non une exception d'incompétence matérielle,

* constater que cette exception a été soulevée tardivement,

* dire et juger que cette exception d'incompétence territoriale est irrecevable,

En conséquence,

* se déclarer territorialement compétent,

* dire et juger que l'action des consorts TR. recevable et débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,

* ordonner le partage de la masse successorale de feu s. TR.,

* dire et juger que l'action des consorts TR. est recevable et débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,

* ordonner le partage de la masse successorale de feu s. TR.,

* dire et juger que la loi italienne est applicable à la dévolution successorale et que les règles de dévolution successorale italiennes accordent les parts suivantes aux héritiers :

* 6/24e, soit 25% pour Madame l. TR. épouse FE. et Monsieur d. TR., venant à la succession par représentation de leur père Lorenzo TR., prédécédé,

* 4/24e, soit 16,66% pour Madame g. TR. épouse CE., Madame lo. TR. et Monsieur p. TR., venant à la succession par représentation de leur père d. TR., prédécédé,

* désigner un notaire chargé de la constitution de l'état liquidatif et un juge chargé de faire rapport en cas de contestation,

* condamner solidairement Monsieur d. TR. et Madame m. g. DE BI. épouse TR. à restituer à la masse successorale :

* la somme de 1.004.715,50 euros détournée au préjudice de la succession de feu s. TR., à titre principal,

* outre les fruits perçus sur cette somme depuis les virements litigieux.

* ordonner que les établissements bancaires BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, sis 15-17 avenue d'Ostende, et JULIUS BAER, sis 7 boulevard des Moulins, 5e étage appartement B56, à Monaco, de déclarer avec précision l'ensemble des actifs qu'il détiennent à ce jour en leurs livres ouverts au nom de Madame m. g. DE BI., qui ont été maintenus en séquestre par l'arrêt de la Cour d'Appel du 4 juillet 2008,

* condamner Monsieur d. TR. et Madame m. g. DE BI. épouse TR. à payer aux requérants la somme de 400.000 euros au titre de dommages et intérêts compte tenu des frais d'expertise, des frais de justice subis par les demandeurs suite à des innombrables procédures devant les juridictions civiles et pénales à un double degré de juridiction, ainsi que la perte de la chance de pouvoir disposer des sommes susmentionnées dès l'ouverture de la succession en 1997 et la prise en compte du fait que ces sommes ne sont toujours pas disponibles ce jour,

* dire que les dommages et intérêts seront répartis par parts égales entre les demandeurs :

* pour g. TR. épouse CE. soit 25%,

* pour lo. TR. soit 25%,

* pour p. TR. soit 25%,

* pour l. TR. épouse FE. soit 25%.

* ordonner en conséquence la mainlevée du séquestre ordonné sur les comptes bancaires ouverts au nom de Madame m. g. DE BI. épouse TR. respectivement à la banque BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO et à la banque JULIUS BAER,

* dire et juger que les établissements bancaires se libéreront des sommes détenues directement en faveur des requérants et conformément aux proportions susmentionnées,

* débouter les établissements bancaires de l'ensemble de leurs demandes et plus particulièrement de leur demande de dommages et intérêts formées à l'encontre des requérants,

* condamner solidairement Monsieur d. TR. et Madame m. g. DE BI. épouse TR. à payer à chacun des requérants la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et parfaitement injustifiée,

En tout état de cause

* condamner Monsieur d. TR. et Madame m. g. DE BI. épouse TR. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, Avocat défenseur, sous sa due affirmation ».

Les consorts TR. excipent aux termes de l'ensemble de leurs écrits judiciaires des arguments suivants :

1- Sur la compétence

* d. TR. et Madame DE BI. ont conclu à l'incompétence du Tribunal à raison de la matière mais en se fondant sur les dispositions du Code de procédure civile traitant de l'incompétence territoriale alors même qu'ils avaient déjà conclu sur la recevabilité et sur le fond,

* les premiers juges ont donc manifestement statué ultra petita dès lors que seule l'incompétence à raison de la matière avait été soulevée,

* cette exception d'incompétence territoriale n'était en tout état de cause pas recevable puisqu'elle n'avait pas été soulevée in limine litis,

* les premiers juges auraient ainsi dû réouvrir les débats pour obtenir une position contradictoire des parties sur cette exception tardive et ne pouvaient pas soulever d'office leur incompétence territoriale sur le fondement des articles 2 et 3 du Code de procédure civile, cette exception devant être formée préalablement à toute autre exception hormis celle de la caution et ce, par application des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile,

* en l'espèce, d. TR. et m.DE BI. avaient déjà soulevé des exceptions d'irrecevabilité fondées sur des arguments de fond et n'étaient plus recevables à soulever l'incompétence territoriale des juridictions monégasques.

2- Sur le fond

* d. TR. et son épouse n'ont pas communiqué au professeur de droit italien les pièces établissant que la succession avait été régulièrement acceptée par les consorts TR. alors en revanche que la consultation juridique de l'avocat et professeur à l'université de Gênes, Maître ROPPO, confirme que les requérantes ont régulièrement apporté la preuve incontestable de leur acceptation de la succession de feu s. TR. dans le délai imparti par la loi italienne,

* l'acte de notoriété dressé le 28 mai 1997 par l. TR. est d'autant plus valable que d. TR. l'a lui-même produit auprès de l'administration fiscale italienne afin d'établir sa qualité d'héritier et de copropriétaire en déclarant la qualité de cohéritiers des autres consorts TR.,

* la validité de cet acte s'induit de la jurisprudence de la Cour de cassation italienne datant de l'année 2009 précisant qu'en matière de succession, la preuve de la qualité d'héritier peut être également apportée au moyen de la production d'une déclaration tenant lieu d'acte de notoriété alors même que d. TR., ayant mis plus de 16 années pour contester la qualité d'héritier de sa sœur et de ses cousins, sa contestation est tardive,

* la qualité d'héritiers a été reconnue aux requérants à Monaco par une ordonnance de référé du 16 mars 1998 et également par un arrêt de la Cour d'appel correctionnelle le 4 juillet 2008 considérant que d. TR. ne rapportait pas la preuve de la volonté de son oncle de le gratifier sur le plan successoral par rapport à ses autres cohéritiers, une telle décision ayant acquis autorité de la chose jugée,

* l'action de la hoirie TR. n'est pas prescrite au regard des dispositions de la loi italienne, l'intention irrévocable des requérants d'accepter la succession étant au demeurant révélée par les diverses procédures judiciaires engagées après le décès de s. TR.,

* la succession est régie par la loi nationale du de cujus au moment de son décès c'est-à-dire la loi italienne qui s'appliquera également aux opérations de partage successoral,

* une fois que la masse successorale aura été partagée conformément aux règles du droit italien, les héritiers deviendront propriétaires des sommes séquestrées et disposeront droits privatifs sur celles-ci en sorte qu'il conviendra d'accorder la mainlevée des séquestres posés sur les comptes litigieux pour procéder à la restitution des sommes entre les mains des héritiers de feu s. TR.,

* ainsi, la somme de 1.004.715 euros correspondant à la totalité des montants détournés par d. TR. et son épouse devra être répartie entre les héritiers du de cujus dans des proportions résultant de l'application des règles de dévolution successorale italienne,

* pendant plus de seize années les requérants ont subi un préjudice moral important résultant de l'attitude de leur propre frère et cousin ayant détourné une somme importante des avoirs de leur oncle de sorte que les préjudices moral et matériel sont importants et nécessitent une réparation chiffrée globalement à la somme de 400.000 euros de dommages-intérêts,

* enfin, la résistance abusive et injustifiée de d. TR. et de son épouse justifie la demande des requérants tendant à obtenir chacun respectivement une somme de 100.000 euros de dommages-intérêts.

d. TR. et m. DE BI. épouse TR., intimés, entendent pour leur part voir aux termes de leurs conclusions voir dire et juger que les moyens et demandes fondés sur l'ultra petita sont radicalement irrecevables et qualifient de nouvelle et donc d'irrecevable en cause d'appel la demande tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de la prétendue exception d'incompétence territoriale.

En tout état de cause, ils entendent voir confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Première Instance le 21 janvier 2016 et demandent à la Cour de condamner in solidum les consorts TR. co-appelants à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de leurs prétentions, les intimés font valoir pour l'essentiel que :

* les demandes des consorts TR. sont irrecevables, rien ne les autorisant à affirmer que l'incompétence soulevée serait territoriale et non à raison de la matière, l'article 3-3 du Code de procédure civile traitant au demeurant davantage de la compétence matérielle que la compétence territoriale,

* il s'agit en réalité d'une incompétence territoriale et l'exception a bien été retenue dans les termes qui ont été soumis par les parties, les premiers juges ne l'ayant pas soulevé d'office,

* les consorts TR. se contredisent en affirmant que le Tribunal a prononcé d'office son incompétence territoriale et qu'en procédant de la sorte il aurait statué ultra petita, et ce, alors qu'il lui était demandé de retenir une exception à raison de la matière,

* en tout état de cause même si le tribunal avait statué ultra petita, la sanction de cet excès de pouvoir procède de la requête en rétractation prévue par l'article 438 du Code de procédure civile en sorte que la demande de réformation fondée sur ce moyen paraît irrecevable,

* en ce qui concerne l'irrecevabilité alléguée de l'exception d'incompétence territoriale, une telle demande est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel dès lors qu'elle n'a pas été soulevée en première instance par les consorts TR.,

* il ne s'agit pas d'une fin de non-recevoir, l'exception d'incompétence ne présentant aucun lien avec le fond,

* quel que soit la nature de l'exception d'incompétence soulevée, elle apparaît recevable puisque les époux d. TR. n'avaient jamais conclu au fond avant d'exciper de l'incompétence du Tribunal de Première Instance, s'étant préalablement bornés à soulever l'irrecevabilité de l'action de leurs adversaires,

* la succession de s. TR. s'est, pour sa partie mobilière, ouverte à Gênes en Italie où il était domicilié de son vivant et où il a été hospitalisé le 3 février 1997 pour y décéder le 26 février suivant ainsi qu'en atteste l'acte de décès,

* le de cujus n'a par ailleurs jamais eu de domicile ni de résidence en Principauté de Monaco,

* les Tribunaux de la Principauté ne connaissent, quel que soit le domicile du défendeur, que des actions relatives à une succession ouverte sur le territoire monégasque jusqu'au partage définitif, par application des dispositions de l'article 3-3° du Code de procédure civile,

* les époux TR. n'étant pas davantage domiciliés à Monaco mais en Italie à Pieve di Teco, aucun critère de compétence ne permettait en définitive au Tribunal de Première Instance de retenir l'affaire,

* si par impossible la Cour réformait le jugement entrepris, elle ne pourrait évoquer l'affaire qui n'est pas en état d'être jugée et devrait alors renvoyer la cause des parties devant le Tribunal de Première Instance pour juger la demande,

* l'appel met en évidence la mauvaise foi des consorts TR. qui avaient la possibilité de répondre devant le Tribunal de Première Instance à l'exception soulevée par les époux TR., en sorte que le présent recours apparaît abusif et devra être sanctionné par l'octroi de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Aux termes de nouveaux écrits judiciaires, d. TR. et m. g. DE BI. épouse TR., réitérant le bénéfice de leurs précédentes conclusions, rappellent que le Tribunal n'a nullement qualifié l'incompétence qu'il retient, l'article 3-3 du Code de procédure civile traitant tout autant de la compétence matérielle que de la compétence territoriale alors même qu'ils n'ont soulevé qu'une exception d'incompétence matérielle, la juridiction monégasque ne pouvant pas statuer sur une succession ouverte à étranger et régie par un droit étranger.

Ils font par ailleurs valoir qu'en cas de réformation de la décision entreprise, la Cour ne serait pas en mesure d'évoquer l'affaire qui n'est pas en état d'être jugée par application des dispositions de l'article 433 du Code de procédure civile.

Le Procureur Général, invité à conclure s'agissant d'une cause communicable concernant une exception d'incompétence, par application des dispositions de l'article 184 du Code de procédure civile, a fait valoir à l'audience qu'il s'en rapportait sur le bien-fondé de l'exception.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel a été interjeté par les consorts TR. dans les conditions de forme et de droit prescrites par le Code de procédure civile et doit être déclaré recevable ;

Attendu que deux griefs sont formulés à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de Première Instance le 21 janvier 2016 tirés d'une part de l'ultra petita qu'auraient commis les premiers juges en retenant une exception d'incompétence territoriale et, d'autre part, de l'irrecevabilité de ce moyen d'incompétence soulevé tardivement ;

Attendu sur le premier grief tiré de l'ultra petita qu'auraient commis les premiers juges, que force est de constater que le moyen d'incompétence soulevé devant le Tribunal était expressément fondé sur les dispositions de l'article 3 3° du Code de procédure civile concernant les actions successorales et apparaissait donc bien relatif à la matière du litige soumis, l'exception ayant même été qualifiée par le Tribunal, dans le résumé des faits du jugement entrepris, comme tenant à l'incompétence matérielle des juridictions monégasques ;

Que le premier grief formulé apparaît de ce chef radicalement inopérant ;

Attendu qu'il est par ailleurs reproché par les appelants au Tribunal de Première Instance d'avoir admis une exception d'incompétence soulevée tardivement qui aurait dû selon eux être déclarée irrecevable ;

Attendu que les intimés qualifient eux-mêmes d'irrecevable cette demande d'irrecevabilité, qu'ils qualifient de nouvelle en cause d'appel ;

Mais attendu que par application des dispositions de l'article 431 du Code de procédure civile, les parties peuvent invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux et former de nouvelles demandes en défense à l'action principale, l'irrecevabilité d'un moyen d'incompétence caractérisant bien en l'espèce un nouveau moyen faisant défense à l'action engagée contre eux devant les premiers juges ;

Que s'il est donc loisible aux appelants d'invoquer l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence, un tel moyen n'apparaît cependant pas fondé ;

Attendu qu'il résulte en effet des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile que l'exception d'incompétence doit être soulevée préalablement à toute autre exception, hormis celle de la caution à fournir par les étrangers, alors que par application de l'article 263 du même code, si le Tribunal est incompétent raison de la matière, cette incompétence peut être opposée en tout état de cause et peut-être même déclarée d'office par la juridiction ;

Que les premiers juges ont fait application des dispositions combinées des articles 3-3 du Code de procédure civile et 83 du Code civil relatifs aux actions successorales pour en déduire que le de cujus, résident italien, était décédé à Gênes où se trouvait son dernier domicile, alors même qu'aucun immeuble dépendant de la succession n'était situé sur le territoire monégasque, le litige concernant donc exclusivement une succession mobilière ;

Que le lieu où s'ouvre la succession étant, selon la règle de conflit du for édictée par l'article 83 du Code civil, celui du domicile du défunt, il en résultait qu'aucune succession mobilière n'avait été ouverte en Principauté de Monaco, en sorte que le Tribunal était bien incompétent en raison de la matière pour connaître de l'action relative à cette succession ;

Qu'une telle incompétence pouvait en conséquence être soulevée en tout état de cause et même d'office par les premiers juges dont la décision n'encourt de ce chef aucun grief ;

Attendu que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu qu'il n'est pas en revanche établi que les appelants aient commis un abus ou aient agi avec l'intention de nuire aux intérêts de leurs contradicteurs en sorte que la demande de dommages et intérêts fondée sur le caractère abusif de l'appel sera rejetée ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge des consorts TR., appelants ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Déclarant recevable l'ensemble des moyens soulevés,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 janvier 2016 par le Tribunal de Première Instance, Déboute d. TR. et m. DE BI. des fins de leur demande de dommages intérêts,

Condamne p. TR., l. TR. épouse FE., g. TR. épouse CE. et lo. TR. aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 14 FEVRIER 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur Général.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 15764
Date de la décision : 14/02/2017

Analyses

Les appelants reprochent, au Tribunal de première instance d'avoir admis une exception d'incompétence soulevée tardivement qui aurait dû, selon eux, être déclarée irrecevable.Les intimés estiment eux-mêmes irrecevable cette demande d'irrecevabilité qu'ils qualifient de nouvelle en cause d'appel.Par application des dispositions de l'article 431 du Code de procédure civile, les parties peuvent invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux et former de nouvelles demandes en défense à l'action principale. L'irrecevabilité d'une exception d'incompétence caractérise bien en l'espèce un nouveau moyen faisant défense à l'action engagée contre eux devant les premiers juges.S'il est donc loisible aux appelants d'invoquer l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence, ce moyen n'apparaît cependant pas fondé.S'il résulte, en effet, des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile que l'exception d'incompétence doit être soulevée préalablement à toute autre exception, hormis celle de la caution à fournir aux étrangers, l'article 263 du même code, prévoit lorsque le Tribunal est incompétent en raison de la matière, que cette incompétence peut être opposée en tout état de cause et même être déclarée d'office par la juridiction.Les premiers juges ont fait application des dispositions combinées des articles 3-3 du Code de procédure civile et 83 du Code civil relatif aux actions successorales après avoir constaté que le de cujus, résident italien, était décédé à Gênes en Italie où se trouvait son dernier domicile, alors qu'aucun immeuble dépendant de la succession n'était situé sur le territoire monégasque et que le litige concernait donc une succession mobilière.Le lieu où s'ouvre la succession étant, selon la règle de conflit du for édictée par l'article 83 du Code civil, celui du domicile du défunt, il en résultait qu'aucune succession immobilière n'avait été ouverte en Principauté de Monaco, en sorte que le Tribunal était bien incompétent pour connaître de l'action relative à cette succession. Cette incompétence pouvait, en conséquence, être soulevée en tout état de cause et même d'office par les premiers juges dont la décision n'encourt de ce chef aucun grief.

Droit des successions - Successions et libéralités  - Droit des étrangers  - Contentieux et coopération judiciaire  - Justice (organisation institutionnelle).

Incompétence en raison de la matière - Faculté pour le Tribunal de la soulever d'office - succession mobilière - défunt de nationalité étrangère - règle de conflit du for monégasque (article 83 du Code civil) - incompétence de la juridiction monégasque.


Parties
Demandeurs : M. p. TR., Mme l. TR. épouse FE., Mme g. TR. épouse CE., Mme lo. TR.
Défendeurs : M. d. TR. et m. g. DE BI. épouse TR.

Références :

article 433 du Code de procédure civile
article 438 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 3 3° du Code de procédure civile
article 184 du Code de procédure civile
article 83 du Code civil
article 262 du Code de procédure civile
Code civil
article 3-3° du Code de procédure civile
articles 2 et 3 du Code de procédure civile
article 431 du Code de procédure civile
articles 3-3 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2017-02-14;15764 ?

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