La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/12/2014 | MONACO | N°12773

Monaco | Cour d'appel, 2 décembre 2014, La société anonyme monégasque CHURCHILL CAPITAL SAM c/ La société anonyme monégasque CARAX MONACO SAM


Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2014

En la cause de :

- La société anonyme monégasque CHURCHILL CAPITAL SAM, dont le siège social est 12 avenue de Fontvieille - 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- La société anonyme monÃ

©gasque CARAX MONACO SAM, dont le siège social est 30 boulevard Princesse Charlotte - 98000 Monaco, prise en la personne d...

Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2014

En la cause de :

- La société anonyme monégasque CHURCHILL CAPITAL SAM, dont le siège social est 12 avenue de Fontvieille - 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- La société anonyme monégasque CARAX MONACO SAM, dont le siège social est 30 boulevard Princesse Charlotte - 98000 Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 12 décembre 2013 (R.1645) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 17 janvier 2014 (enrôlé sous le numéro 2014/000103) ;

Vu les conclusions déposées le 6 juin 2014, par Maître GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société CARAX MONACO SAM ;

À l'audience du 11 novembre 2014, Ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société CHURCHILL CAPITAL SAM, à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 12 décembre 2013.

Considérant les faits suivants :

En suite d'une transaction signée le 15 décembre 2011 les sociétés CARAX MONACO et CHURCHILL CAPITAL se sont engagées à ne pas employer pendant une durée de quatre ans un salarié actuel ou futur de l'autre société concurrente ni l'un de ses salariés ayant démissionné ou ayant été licencié depuis moins de neuf mois.

k. YA. a été embauché par la société CHURCHILL CAPITAL à compter du 9 juillet 2012 après avoir démissionné de son emploi dans la société CARAX MONACO à la fin de son préavis advenu le 20 mars 2012.

Suivant exploit du 13 novembre 2012 la société CARAX MONACO a fait assigner la société CHURCHILL CAPITAL devant le Tribunal de première instance à l'effet d'obtenir des dommages-intérêts pour violation d'une clause de non d'embauchage.

Suivant jugement du 12 décembre 2013, le Tribunal de première instance a :

« Dit que la clause de non-sollicitation contenue dans la transaction du 15 décembre 2011 n'est pas contraire à la Constitution, ni à l'ordre public monégasque ;

Débouté la SAM CHURCHILL CAPITAL de l'ensemble de ses demandes ;

Dit que la SAM CHURCHILL CAPITAL a violé la clause de non-sollicitation en embauchant M. YA., salarié démissionnaire de la société CARAX MONACO, sans respecter le délai conventionnel ;

Condamné la SAM CHURCHILL CAPITAL à payer à la SAM CARAX MONACO la somme de 60.000 euros avec intérêt au taux légal à compter du 20 juillet 2012 avec capitalisation de ceux-ci en application de l'article 1009 du Code civil ;

Débouté la SAM CARAX MONACO de sa demande de dommages et intérêts ;

Mis les dépens à la charge de la SAM CHURCHILL CAPITAL dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. »

Au soutien de cette décision les premiers juges ont, pour l'essentiel, relevé que :

• Les clauses de non sollicitation ne font pas l'objet d'une réglementation spécifique et sont souvent instaurées dans le cadre de relations commerciales existantes entre deux entreprises intervenant dans des domaines similaires ou complémentaires,

• de telles clauses ne portent qu'indirectement atteinte au principe de la liberté du travail et sont reconnues valables par la chambre sociale de la Cour de cassation,

• aucune contrariété à l'ordre public monégasque tiré de la priorité d'embauche n'est caractérisée dès lors que les parties ont précisément relevé que la période de réembauchage pour un salarié prioritaire pouvait être réduite, seule la société signataire qui ne respecterait pas la clause étant tenue de payer l'indemnité prévue par le contrat,

• l'engagement des parties ne procède à aucune distinction selon la fonction occupée par les salariés, en sorte qu'il ne peut être utilement soutenu que la clause ne trouverait à s'appliquer que lorsque le salarié embauché présenterait un intérêt légitime pour la société adverse,

• la référence conventionnelle à l'injonction devant émaner du Service de l'Emploi, par ailleurs appelée recommandation, ne caractérisent pas une condition de la convention et n'a pas présenté pour les parties un caractère essentiel, en sorte que l'argument tiré de la condition impossible n'est pas opérant,

• la convention doit être interprétée dans le sens de la commune intention des parties qui permettait d'embaucher un salarié démissionnaire en respectant un délai contractuel sous peine de devoir verser une somme égale à la rémunération brute annuelle des deux derniers exercices complets de ce salarié.

Suivant exploit du 17 janvier 2014, la société CHURCHILL CAPITAL a régulièrement interjeté appel du jugement précité tout en demandant à la Cour de :

« Vu l'article 988 du Code civil,

Vu les 5 et 9 de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957,

Vu l'article 25 de la Constitution,

Vu l'article 1027 du Code civil,

Vu les articles 1011 et suivants du Code civil,

Vu le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 12 décembre 2013 sous le n° 1645 ;

Vu la signification en date du 18 décembre 2013 :

ACCUEILLIR la société anonyme CHURCHILL CAPITAL SAM en son appel et l'y déclarer fondée.

INFIRMER le jugement du 12 décembre 2013 en toutes ses dispositions :

EN CONSÉQUENCE

À titre principal

1. DIRE ET JUGER que la clause de non-sollicitation contenue dans la Transaction est contraire aux dispositions de la Loi n° 629 et de l'article 25 de la Constitution ;

DIRE ET JUGER que les dispositions précitées sont d'ordre public ;

DÉCLARER nulles les dispositions de la clause de non-sollicitation au visa de l'article 988 du Code civil ;

EN CONSÉQUENCE, DÉBOUTER la société CARAX de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard.

2. À titre subsidiaire

DIRE ET JUGER que la clause de non-sollicitation contenue dans la Transaction ne n'a pas vocation à protéger un intérêt légitime de la société CARAX, s'agissant de l'embauche de Monsieur k. YA. ;

DÉCLARER inopposables ou à tout le moins sans effet, les dispositions de la clause de non-sollicitation contenue dans la Transaction ;

EN CONSÉQUENCE, DÉBOUTER la société CARAX de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard.

3. À titre infiniment subsidiaire

DIRE ET JUGER que la condition tenant » à ce que la période de réembauchage pour un salarié prioritaire ci-dessus soit réduite par injonction écrite du Service de l'Emploi « est matériellement impossible à réaliser ;

DÉCLARER nulle la clause de non-sollicitation sur le fondement de l'article 1027 du Code civil ;

EN CONSÉQUENCE, DÉBOUTER la société CARAX MONACO de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard.

4. À titre superfétatoire

DIRE ET JUGER qu'en raison de l'impossibilité de mise en œuvre d'une clause essentielle, il est nécessaire de déterminer la commune intention des parties et d'interpréter la clause de non-sollicitation ;

DIRE ET JUGER que le respect d'un délai de carence de près de 4 mois entre le départ de Monsieur k. YA. de la société CARAX et son embauche par la société CHURCHILL est compatible avec ce qu'ont entendu prévoir les parties s'agissant des salariés prioritaires ;

DIRE ET JUGER que la société CHURCHILL n'a commis aucune faute en embauchant Monsieur k. YA. à l'issue d'un délai de carence raisonnable ;

EN CONSÉQUENCE, DÉBOUTER la Société CARAX MONACO de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard.

En tout état de cause

CONDAMNER la Société CARAX MONACO à verser à la société CHURCHILL la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêt pour procédure abusive.

CONDAMNER la Société CARAX MONACO aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat défenseur, sous sa due affirmation. »

Au soutien de son appel la société CHURCHILL CAPITAL fait valoir que :

• son adversaire a procédé à une présentation tronquée des faits alors que le recrutement de Monsieur k. YA. qui avait démissionné de son poste n'a été ni dissimulé ni planifié, sa candidature lui ayant été adressée par le Service de l'Emploi en tant que salarié prioritaire disposant d'un permis de travail, ce qui équivaut à l'injonction prévue au contrat,

• l'embauche antérieure de Monsieur DA. ne constituait pas une faute ce qu'avait au demeurant alors reconnu la société CARAX MONACO qui n'avait pas émis de désaccord sur le recrutement par la suite de Monsieur YA.,

• dans la réalité la société CARAX MONACO a mis en place un système plus général attentatoire à la liberté du travail pour empêcher ses salariés de quitter leur emploi,

• la clause de non sollicitation est nulle comme étant contraire à l'ordre public économique monégasque résultant notamment de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 en ce qu'elle peut priver d'emploi un candidat prioritaire et que c'est donc dans ces conditions qu'un tempérament a été apporté en cas d'injonction écrite du Service de l'Emploi tendant à réduire le délai de réembauchage,

• si ce service n'a pas la capacité d'adresser une telle injonction mais seulement de délivrer une autorisation d'embauchage, c'est donc légitimement que la société CHURCHILL CAPITAL a vu dans l'envoi par le Service de l'Emploi de la candidature prioritaire de Monsieur YA. l'exception soulevée à l'interdiction d'embauche,

• la nullité est encourue par application des dispositions de l'article 988 du Code civil pour illicéité de la cause d'autant que, dans les rapports entre concurrents et compte tenu de la spécificité du droit monégasque, la loi n° 629 interdit en son article 9 toute clause conventionnelle contraire à la loi, la clause litigieuse constituant en l'espèce une entrave directe et non indirecte, contrairement à ce qu'a dit le Tribunal, au principe de liberté du travail prévu à l'article 25 de la Constitution,

• s'agissant d'un ordre public de protection il s'impose aux parties d'autant plus que la généralisation de telles dispositions à Monaco bloquerait son marché du travail spécifique et que tout rapprochement avec le marché français est en l'espèce inapproprié,

• subsidiairement, la société CARAX MONACO ne justifie d'aucun intérêt légitime à la clause de non sollicitation qui doit être déclarée sans effet à l'égard de l'embauche de Monsieur YA., l'analyse de son poste montrant que son interdiction d'embauche ne revêt pas de caractère légitime s'agissant d'un simple assistant administratif de soutien aux équipes commerciales, un exécutant ne disposant pas de savoir-faire particulier, si ce n'est un abonnement Bloomberg non spécifique à ce salarié, un bonus discrétionnaire compensant un salaire faible et alors même qu'aucune perte de clientèle ne peut être envisagée,

• à titre subsidiaire en application de l'article 1027 du Code civil toute condition d'une chose impossible rend nulle la convention qui en dépend, ce qui est le cas en l'espèce de la convention liée à l'intervention du Service de l'Emploi, du fait de la définition de ses pouvoirs ayant, dans l'esprit des parties, un caractère déterminant,

• en tout état de cause il y a lieu à interprétation de la convention par laquelle les parties ont entendu s'interdire mutuellement de recruter le personnel de l'autre et, en application des articles 1011 et 1017 du Code civil, il y a lieu de rechercher la commune intention des parties et, dans le doute, d'interpréter en faveur de celui qui a contracté l'obligation ; en l'espèce, la réduction du délai d'embauche est conforme à l'esprit de la convention et c'est de mauvaise foi que la société CARAX MONACO en a provoqué la paralysie alors qu'aucune faute n'est à cet égard imputable à la société CHURCHILL CAPITAL,

• le comportement de la société CARAX MONACO a causé un préjudice important qui peut être évalué à 25.000 euros.

La société CARAX MONACO, intimée, demande à la Cour de :

* « confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 décembre 2013,

* débouter la société CHURCHILL CAPITAL de ses demandes, fins et prétentions,

* condamner la société CHURCHILL CAPITAL à payer à la société CARAX MONACO la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

* condamner la société CHURCHILL CAPITAL aux entiers dépens. »

Au soutien de sa demande de confirmation du jugement entrepris, l'intimée observe pour l'essentiel que la société appelante tente à tort de jeter l'opprobre sur elle en évoquant le contenu du litige l'ayant opposée à d'anciens salariés devant la juridiction du travail.

La société CARAX MONACO relève que ces anciens litiges n'ont aucun lien avec la présente affaire et révèlent simplement la mauvaise foi de la société appelante.

Elle estime que la responsabilité de la société CHURCHILL CAPITAL est incontestablement engagée envers elle du fait de l'embauche de k. YA. en violation de l'accord de non sollicitation prévu par l'accord transactionnel du 15 décembre 2001.

Répondant successivement aux différents arguments avancés par l'appelante elle observe que :

• même si les dispositions de la loi n° 629 ayant pour but de réglementer l'embauche de salariés sont d'ordre public, elles n'ont pas d'effet sur les engagements pris entre des sociétés commerciales dont le but est simplement d'interdire l'embauche par un employeur déterminé de salariés identifiés indépendamment de leur rang de priorité,

• la clause de non sollicitation n'a pas pour effet d'interdire une telle embauche mais seulement de la conditionner au paiement d'une indemnité contractuellement convenue, en sorte qu'elle n'interdit pas à un salarié prioritaire de trouver un travail à Monaco,

• les clauses de non sollicitation ne présentent aucun caractère illicite et ne sauraient être annulées parce qu'il en résulte une atteinte indirecte à la liberté du travail,

• la validité de telles clauses de non sollicitation n'est pas subordonnée à l'existence d'un intérêt légitime, les sociétés commerciales étant libres de contracter des engagements de non-embauchage pour se protéger contre certaines pratiques commerciales, le régime juridique de ces clauses différant radicalement de celui des clauses de non-concurrence, le critère de la protection d'un intérêt légitime de l'employeur n'en conditionnant pas la validité,

• la prétendue impossibilité de réaliser la condition attachée à la clause de non-embauchage n'est pas avérée, les parties n'ayant pas érigé l'intervention du Service de l'Emploi en une condition substantielle de leur convention, leur seule intention étant de s'interdire toute embauche réciproque,

• le but des parties visait simplement la protection des intérêts de chaque société, la convention ayant été interprétée conformément à leur commune intention.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;

SUR CE,

Attendu que c'est aux termes d'une exacte appréciation des faits de la cause non démentie par les pièces produites en cause d'appel que le Tribunal a statué par des motifs qui seront adoptés sauf à constater aux termes de l'analyse ci-après que la transaction litigieuse ne constitue aucune entrave, même indirecte, à la liberté du travail ;

Attendu qu'il s'induit des éléments de la cause que dans le cadre d'un rapprochement envisagé, les sociétés CHURCHILL CAPITAL et CARAX MONACO ont conclu d'abord un accord de confidentialité signé respectivement les 31 janvier et 2 février 2011 par lequel elles s'interdisaient pendant trois ans de « contacter directement ou indirectement un quelconque salarié ou dirigeant social de l'autre partie afin de l'inciter à quitter cette autre partie, ni à l'embaucher directement ou par l'une de ses filiales ou entité apparentée » ;

Que Monsieur DA. ayant démissionné le 4 novembre 2011 de la société CARAX MONACO, il était cependant embauché ultérieurement par la société CHURCHILL CAPITAL en violation de cet engagement ;

Qu'il était ensuite mis un terme au litige ainsi né du non-respect de l'accord de confidentialité par un engagement transactionnel en date du 15 décembre 2011 aux termes duquel la société CARAX MONACO déclarait ne pas s'opposer au recrutement de Monsieur DA. et en suite de quoi, les sociétés CHURCHILL CAPITAL et CARAX MONACO s'engageaient en termes identiques « irrévocablement pendant une durée de quatre ans à compter de la signature des présentes à ne pas embaucher un salarié actuel ou futur (de l'autre société), ou l'un de ses salariés ayant démissionné ou ayant été licencié pour quelque motif que ce soit depuis moins de neuf mois » ;

Attendu que l'accord transactionnel prévoyait également que « en cas de non-respect de l'une quelconque des dispositions de la présente transaction par CARAX ou CHURCHILL CAPITAL, sauf à ce que la période de réembauchage pour un salarié prioritaire ci-dessus soit réduite par injonction écrite du Service de l'Emploi, auquel cas les parties s'accorderont sur un délai conforme aux recommandations de l'administration monégasque, l'autre partie recouvrera ses droits à action, et en outre la partie défaillante se reconnaît débiteur de plein droit d'une somme égale à la rémunération brute (fixe et variable) annuelle des deux derniers exercices comptables du salarié embauché par la partie défaillante, à titre de clause pénale pour chaque salarié recruté en infraction aux présentes » ;

Que cet accord précisait encore que « Les parties rappellent que la présente transaction est expressément soumise aux dispositions des articles 1883 à 1897 du Code civil monégasque, et en particulier aux dispositions de l'article 1891 aux termes duquel les transactions ont entre les parties l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit ou de fait, ou pour cause de lésion » ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'en violation de l'accord transactionnel du 15 décembre 2011, la Société CHURCHILL CAPITAL a procédé au recrutement le 9 juillet 2012 de k. YA. ;

Que ce dernier ayant en effet démissionné de la société CARAX MONACO à effet du 20 mars 2012, dès le 23 mai suivant, la SAM CHURCHILL CAPITAL faisait connaître à la société CARAX MONACO sa volonté de l'embaucher ;

Que la réponse de la SAM CHURCHILL CAPITAL au Service de l'Emploi lui proposant, le 26 juin, la candidature de Monsieur YA., précisait qu'elle était intéressée par l'embauche « au plus tôt » de ce salarié, « sous réserve de l'accord de la société CARAX MONACO dans le cadre de notre accord commercial » ;

Attendu que c'est donc délibérément que la SAM CHURCHILL CAPITAL a procédé au recrutement litigieux malgré l'opposition de la société CARAX MONACO qui devait la mettre en demeure de lui payer la somme de 60.000 euros au titre de la violation de la transaction, somme dont le montant n'est pas contesté ;

Attendu que pour échapper à ses obligations contractuelles, la SAM CHURCHILL CAPITAL invoque successivement la nullité de la clause de non sollicitation, comme contraire à l'ordre public monégasque et pour illicéité de la cause au sens de l'article 988 du Code civil, la violation de l'article 25 de la Constitution sur la liberté du travail ainsi que de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement, le fait que l'accord dépende d'une condition impossible, la non opposabilité de la clause au motif que la société CARAX MONACO ne fait état d'aucun intérêt légitime et soutient enfin que la clause doit être interprétée en sa faveur après recherche de la commune intention des parties ;

Mais attendu d'une part que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, et doivent être exécutées de bonne foi ;

Attendu d'autre part que la clause de non sollicitation est une clause par laquelle deux entreprises s'interdisent réciproquement de débaucher tout ou partie de leurs collaborateurs ; qu'une telle stipulation apparaît licite par application du principe de la liberté contractuelle et se distingue des clauses de non-concurrence dont elle n'est ni une variante, ni une précision, en ce que le salarié demeure tiers à la convention liant les deux employeurs ;

Que cette convention entre deux sociétés commerciales n'est pas soumise en tant que telle aux règles du droit du travail qu'elle n'a pas pour but de remettre en cause, y compris sur l'ordre d'embauchage tel qu'il est réglementé en Principauté, mais tend seulement à conditionner l'embauche par un employeur déterminé de salariés identifiés au paiement d'une indemnité contractuellement prévue ;

Attendu que la clause insérée dans l'accord du 15 décembre 2011 créé en l'espèce une obligation de ne pas faire pour celle des deux sociétés appelée à être le futur employeur du salarié contacté mais ne crée aucune obligation de faire ou de ne pas faire pour ce salarié extérieur à cet accord ;

Attendu en premier lieu que la société CHURCHILL CAPITAL ne saurait agir au nom d'un salarié ni invoquer des règles d'ordre public qui ne la concernent pas pour s'exonérer de sa responsabilité contractuelle, aucune nullité ne pouvant être invoquée tant au titre de la Constitution, que de la loi n° 629 ou de l'article 988 du Code civil qui sont sans application en l'espèce ;

Que s'agissant tant des dispositions de l'article 25 de la Constitution garantissant la liberté du travail que des dispositions de l'article 5 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 prévoyant une priorité d'embauche des monégasques et, à défaut, un ordre de priorité des étrangers, force est de relever que la clause de non sollicitation litigieuse, interdisant à des sociétés d'employer un salarié ou un ancien salarié de sa concurrente pour une durée limitée dans le temps, n'a pas pour effet de porter atteinte à ce principe, de telles dispositions n'empêchant nullement cet employé prioritaire d'obtenir un travail en Principauté de Monaco dans la mesure où cette stipulation ne lie que deux sociétés commerciales dans le but d'assurer la loyauté de leurs rapports d'affaires et nullement les salariés concernés ;

Attendu s'agissant en second lieu d'une éventuelle condition impossible à réaliser, que la simple lecture de la transaction révèle que les parties à l'accord, loin de vouloir faire de l'intervention du Service de l'Emploi une condition déterminante de leurs engagements ont au contraire eu le souci de concilier les intérêts de leurs sociétés respectives en prenant en compte l'intervention de l'administration qui n'a au demeurant soulevé aucune difficulté ;

Que la condition d'une chose impossible rendant nulle la convention au sens des dispositions de l'article 1027 du Code civil ne saurait caractériser qu'une clause présentant pour les parties un caractère essentiel dont dépendent les obligations souscrites réciproquement ;

Que tel ne saurait être le cas de la stipulation contenue dans l'acte du 15 décembre 2011 prévoyant le paiement d'une indemnité à titre de clause pénale en cas de non-respect de l'une des dispositions de la transaction sauf à ce que la période de réembauchage pour un salarié prioritaire soit réduite par injonction écrite du Service de l'Emploi ;

Que même si une telle procédure d'injonction n'apparaît pas prévue dans les textes, les parties n'apparaissent pas avoir souhaité ériger cette intervention du Service de l'Emploi, qu'il s'agisse d'une injonction ou d'une recommandation, en condition alors même que le déroulement des faits montre que Monsieur YA., salarié prioritaire, n'a aucunement été affecté, directement ou indirectement, par les effets de la transaction puisque son embauche par la SAM CHURCHILL CAPITAL s'est effectuée sans aucun retard, ni entrave ;

Attendu, en troisième lieu, que la SAM CHURCHILL CAPITAL ne saurait davantage prétendre que la clause ne trouverait à s'appliquer que lorsque le salarié embauché présenterait un intérêt pour la société adverse ;

Que les sociétés commerciales sont en effet libres de vouloir éviter toute transmission de savoir-faire ou d'information de leur entreprise à un concurrent et de prévoir à cet effet une obligation réciproque de non sollicitation pour assurer la loyauté de leurs relations, une telle convention librement consentie étant censée valide sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un intérêt légitime alors en outre que les engagements des deux sociétés l'une envers l'autre sont exactement identiques ;

Attendu, sur le quatrième point, que la commune intention des parties s'évince aisément, sans qu'il y ait lieu à interprétation, des termes clairs et univoques de la clause de non sollicitation dont l'exécution ne relève d'aucune impossibilité comme le démontrent les faits de l'espèce ;

Qu'ainsi que les premiers juges l'ont à bon droit relevé et, même si le Service de l'Emploi ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction, les parties entendaient s'accorder sur un délai inférieur à neuf mois conforme aux recommandations de l'administration en cas d'embauche d'un salarié prioritaire et, à tout le moins, de préconisations en ce sens du Service de l'Emploi ;

Qu'en dehors de cette hypothèse d'accord, qui n'est pas survenue en l'espèce, les parties avaient expressément convenu que « la partie défaillante se reconnaît débiteur de plein droit d'une somme égale à la rémunération brute (fixe et variable) annuelle des deux derniers exercices comptables du salarié embauché par la partie défaillante, à titre de clause pénale pour chaque salarié recruté en infraction aux présentes » ; qu'une telle stipulation est dénuée d'équivoque ;

Que la société CHURCHILL CAPITAL ne démontrant pas, s'agissant d'un salarié prioritaire, s'être rapprochée de la société CARAX MONACO afin de rechercher le rapprochement prévu à la convention avant de décider de façon unilatérale d'embaucher k. YA. apparaît avoir violé la clause de non sollicitation en méconnaissant le délai contractuel prévu et ce, sans qu'il y ait lieu à une interprétation de l'accord plus favorable à ses intérêts ;

Attendu, qu'en l'état de ce qui précède, il y a lieu de confirmer dans toutes ses dispositions frappées d'appel le jugement attaqué, et de rejeter intégralement les demandes de la SAM CHURCHILL CAPITAL ;

Attendu qu'il sera ajouté que, bien qu'informée de ses droits très clairement par le jugement confirmé par la Cour et dont elle a cru devoir relever appel, il n'est pas suffisamment établi au regard du principe du double degré de juridiction que la SAM CHURCHILL CAPITAL ait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ;

Que la demande de dommages intérêts de la société CARAX MONACO pour appel abusif et dilatoire ne peut qu'être rejetée ;

Que, succombant, la SAM CHURCHILL CAPITAL sera cependant condamnée aux dépens ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Adoptant les motifs du Premier Juge sauf à préciser que la transaction litigieuse ne constitue aucune entrave, même indirecte, à la liberté du travail,

Confirme le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 12 décembre 2013, en toutes ses dispositions frappées d'appel,

Déboute la SAM CHURCHILL CAPITAL de l'intégralité de ses demandes,

Rejette la demande de dommages intérêts pour appel abusif et dilatoire de la SAM CARAX MONACO,

Rejette en tant que de besoin comme inutiles ou mal fondées toutes conclusions et demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne la SAM CHURCHILL CAPITAL aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 2 DECEMBRE 2014, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12773
Date de la décision : 02/12/2014

Analyses

La clause de non sollicitation par laquelle deux entreprises s'interdisent réciproquement de débaucher tout ou partie de leurs collaborateurs apparaît licite par application du principe de la liberté contractuelle et se distingue des clauses de non concurrence en ce que le salarié demeure tiers à la convention liant les deux employeurs. Cette convention n'est pas soumise aux règles du droit du travail qu'elle n'a pas pour but de remettre en cause y compris sur l'ordre d'embauchage tel qu'il est réglementé en Principauté mais tend seulement à conditionner l'embauche par un employeur déterminé de salariés au paiement d'une indemnité contractuellement prévue. Cette clause crée en l'espèce une obligation de ne pas faire pour celle des deux sociétés appelée à être le futur employeur du salarié contacté mais ne crée aucune obligation de faire ou de ne pas faire pour ce salarié extérieur à cet accord.S'agissant tant des dispositions de l'article 25 de la Constitution garantissant la liberté du travail que des dispositions de l'article 25 de loi n° 629 du 17 juillet 1957 prévoyant une priorité d'embauche des monégasques, et à défaut, un ordre de priorité des étrangers, force est de relever que la clause de non sollicitation interdisant à des sociétés d'employer un salarié de sa concurrente pour une durée limitée dans le temps n'a pas pour effet de porter atteinte à ce principe, de telles dispositions n'empêchant nullement un employé prioritaire d'obtenir un travail en Principauté dans la mesure où cette stipulation ne lie que deux sociétés commerciales et nullement les salariés concernés.

Contrat - Général  - Social - Général  - Contrats de travail.

Clause de non sollicitation - Validité - Principe de la liberté contractuelle (oui) - Atteinte à la liberté du travail et aux règles du droit du travail sur l'ordre d'embauchage (non).


Parties
Demandeurs : La société anonyme monégasque CHURCHILL CAPITAL SAM
Défendeurs : La société anonyme monégasque CARAX MONACO SAM

Références :

articles 1011 et 1017 du Code civil
article 1027 du Code civil
article 988 du Code civil
articles 1883 à 1897 du Code civil
loi n° 629 du 17 juillet 1957
article 25 de la Constitution
article 5 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957
Code civil
article 1009 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2014-12-02;12773 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award