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17/06/2014 | MONACO | N°12343

Monaco | Cour d'appel, 17 juin 2014, La société en commandite simple dénommée SCS PE. ET CIE c/ l'État de Monaco


Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 17 JUIN 2014

En la cause de :

- la société en commandite simple dénommée SCS PE. ET CIE, immatriculée sous le n° 97 S 03298, dont le siège social se trouve X à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, M. a. PE., y demeurant en cette qualité,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- l'ÉTAT DE MONACO, représent

é au sens de l'article 139 du Code de procédure civile par son Excellence Monsieur le Ministre d'État, demeurant en cette qual...

Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 17 JUIN 2014

En la cause de :

- la société en commandite simple dénommée SCS PE. ET CIE, immatriculée sous le n° 97 S 03298, dont le siège social se trouve X à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, M. a. PE., y demeurant en cette qualité,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- l'ÉTAT DE MONACO, représenté au sens de l'article 139 du Code de procédure civile par son Excellence Monsieur le Ministre d'État, demeurant en cette qualité, Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à Monaco,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître MOLINIE, avocat au Barreau de Paris ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 28 février 2013 (R.3751) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 18 juin 2013 (enrôlé sous le numéro 2013/000178) ;

Vu les conclusions déposées les 3 décembre 2013 et 8 avril 2014, par Maître SOSSO, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO ;

Vu les conclusions déposées le 10 mars 2014, par Maître ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la SCS PE. ET CIE ;

À l'audience du 29 avril 2014, Ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la Société en Commandite Simple dénommée SCS PE. & Cie à l'encontre d'un jugement prononcé par le Tribunal de Première Instance le 28 février 2013.

Considérant les faits suivants :

Le 30 octobre 1998, l'État de Monaco a consenti à t. RO., mère de a. PE. aux droits de laquelle sont intervenues successivement la SNC RO. et PE. aux termes d'un avenant du 28 mai 1997, puis la SCS PE. & Cie selon avenant du 28 décembre 2001, une convention d'occupation précaire portant sur une parcelle sise X aux fins d'y exercer une activité de bar restaurant.

Selon avenant du 23 avril 2002, les parties ont convenu d'en modifier la durée et de fixer celle-ci à 6 années à compter du 1er mai 2002 pour se terminer le 30 juin 2008.

À l'arrivée du terme contractuel, l'État de Monaco a refusé de renouveler ladite convention d'occupation précaire dans des conditions qui ont conduit la SCS PE. & Cie à le voir assigner devant le Tribunal de Première Instance.

L'État de Monaco sollicitait vainement devant le juge des référés l'autorisation de voir expulser la SCS PE. & Cie en l'état de l'avènement de ce terme, mais le juge des référés, confirmé en cela par la Cour de Révision le 10 octobre 2013 considérait qu'il n'était pas compétent pour statuer sur le mérite de cette demande.

Aux termes du jugement désormais entrepris, le Tribunal a dit que la loi n° 490 du 24 novembre 1948 n'est pas applicable au domaine public de l'État, que les lieux occupés par la SCS PE. & Cie relèvent d'un tel domaine public et que la SCS PE. & Cie ne peut prétendre ni au renouvellement de la convention d'occupation précaire ni au paiement d'une indemnité d'occupation et l'a déboutée de ses demandes en réparation de préjudice.

Pour statuer ainsi le Tribunal a considéré pour l'essentiel que :

* les dispositions de la loi n° 490 et son article 34 s'appliquent uniquement aux biens du domaine privé de l'État dont le régime suit sur ce point celui du droit de propriété reconnu aux particuliers,

* la convention liant les parties et son domaine d'application font expressément référence à un ensemble immobilier sis sur le domaine public de l'État dans des conditions qui excluent le bénéfice du statut des baux commerciaux et le droit à renouvellement de la convention ou le droit à indemnité pour défaut de renouvellement,

* en l'absence de faute caractérisée susceptible d'être retenue à l'encontre de l'État de Monaco, la SCS PE. & Cie doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Selon assignation délivrée le 18 juin 2013, la SCS PE. & Cie a saisi la Cour d'une demande de réformation de cette décision pour solliciter :

* d'être déclarée recevable en son appel,

* de voir dire et juger que la parcelle occupée par elle ne dépend pas du Domaine public de l'État,

* de constater en tout état de cause que l'article 34 de la loi n° 490 ne contient aucune distinction entre le Domaine public et le Domaine privé de l'État,

* de dire et juger que les dispositions de l'article 34 de la loi n° 490 modifiée doivent trouver à s'appliquer à la convention d'occupation liant l'État de Monaco à l'appelante,

* de dire et juger que le refus de renouvellement de la convention d'occupation précaire consentie le 28 décembre 2001 n'est pas fondé sur un but d'intérêt public,

* de dire et juger que la convention liant les parties s'est trouvée renouvelée pour une période de six années à compter du 1er juillet 2008,

* à titre subsidiaire pour le cas où le courrier du 30 avril 2008 jamais adressé à elle, constituerait un congé valable, de dire qu'elle peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction en application de l'article 9 de la loi n° 490 et renvoyer en conséquence les parties devant la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux,

* à titre infiniment subsidiaire pour le cas où la convention litigieuse ne serait pas soumise aux dispositions de la loi n° 490, de constater que les circonstances dans lesquelles l'État de Monaco a refusé de renouveler la convention d'occupation précaire dont elle disposait sont constitutives d'une faute, de dire et juger que l'État de Monaco est tenu de l'indemniser de la perte de son commerce et le condamner au versement à son profit de la somme de 1.600.000 euros en réparation de son préjudice,

* en tout état de cause, de débouter l'État de Monaco de ses demandes fins et conclusions et le condamner au versement à son profit de la somme de 600.000 euros sauf à parfaire à titre de dommages-intérêts ainsi qu'aux dépens.

L'ÉTAT DE MONACO a répliqué selon conclusions déposées le 3 décembre 2013, pour solliciter le rejet des prétentions de la SCS PE. & Cie, voir confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la loi n° 490 n'était pas applicable au Domaine public de l'État, que les lieux occupés par le SCS PE. & Cie relevaient du Domaine public, que la SCS PE. & Cie ne peut prétendre ni au renouvellement de la convention d'occupation précaire ni au paiement d'une indemnité d'occupation et débouté la SCS PE. & Cie de ses demandes de réparation de préjudice, et y ajoutant de voir ordonner l'expulsion de la SCS PE. & Cie des lieux qu'elle occupe sans droit ni titre sis X à Monaco avec toutes conséquences de droit et avec si besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier et la voir condamner au paiement à son profit de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

Il expose pour l'essentiel que :

* le terrain litigieux d'une superficie de 414 m² se situe selon les termes de la convention d'occupation précaire en partie sous une voie publique et en partie sur le trottoir bordant la rue du Portier et constitue donc une dépendance du domaine public,

* en raison de sa situation même, le terrain litigieux doit demeurer exempt de toute contrainte juridique de nature à empêcher une éventuelle modification du tracé de la voie publique et il est insusceptible de propriété privée,

* le terrain litigieux constitue une dépendance du domaine public « par nature »,

* l'exception d'intérêt public que réserve l'article 34 ne peut concerner que les biens du domaine privé de l'État, tant il est acquis que « baux commerciaux » et « domaine public de l'État » s'excluent de manière radicale et qu'il ne peut être consenti de baux commerciaux sur le domaine public de l'État où l'occupation conserve un caractère précaire,

* la convention en son article 12 a expressément rappelé que la domanialité publique du terrain s'opposait à ce que le bénéficiaire puisse invoquer l'application des dispositions législatives sur les baux commerciaux,

* le caractère d'ordre public de la loi n° 490 est inopérant sur une convention d'occupation qui n'entre pas dans son champ d'application,

* le Ministère Public a régulièrement fait connaître sa position sur la notion de domanialité publique,

* la rupture de la convention d'occupation ne revêt aucun caractère brutal dès lors qu'elle n'a cessé que par l'arrivée de son terme,

* la SCS PE. & Cie ne peut, sous couvert de réparation de son prétendu préjudice, obtenir l'indemnisation de la perte de son fonds de commerce comme si elle avait eu droit au renouvellement et elle ne subit aucun préjudice,

* la SCS PE. & Cie étant toujours dans les lieux, il convient pour la Cour d'ordonner son expulsion outre le versement à son profit de la somme de 5.000 euros en l'état de l'appel abusif ainsi relevé.

La SCS PE. & Cie expose tant dans son exploit introductif devant la Cour que dans ses conclusions en réplique le 10 mars 2014 que :

* contrairement à ce qu'a décidé le Tribunal, les locaux litigieux ne dépendent pas du domaine public de l'État car ils ne sont pas situés sur une voie de circulation et ils ne sont pas affectés à un service public,

* l'État est en défaut de produire la loi ayant pu affecter la parcelle litigieuse à son domaine public,

* si par impossible la Cour retenait l'appartenance du bien litigieux au Domaine public, il convient de constater que la domanialité publique n'exclut pas l'application de la législation sur les baux commerciaux car l'article 34 de la loi n° 490 ne contient aucune distinction entre le Domaine public et le Domaine privé de l'État et lorsque l'État décide de ne pas renouveler une convention d'occupation pour des motifs qui ne relèvent pas de l'intérêt public il n'existe aucune raison de soustraire les parties à l'application du régime relatif aux baux à usage commercial relevant de la loi n° 490 dont les dispositions sont d'ordre public, alors même que l'État ne justifie aucunement d'un intérêt public au non renouvellement de la convention,

* l'appartenance contestée des biens au domaine public ne doit pas empêcher l'État de Monaco de respecter l'obligation de justifier de l'existence d'un « intérêt public » qui ne se déduit pas automatiquement du simple fait de l'éventuelle domanialité publique,

* le refus de renouvellement n'étant pas justifié par un intérêt public ainsi que l'exige l'article 34, la convention d'occupation précaire dont elle bénéficie est donc régie par cette même loi n° 490,

* un bail commercial ne concédant au locataire que des droits de nature personnelle, il n'existe aucune contradiction entre l'article 33 de la Constitution et l'article 34 de la loi n° 490 applicable à l'espèce,

* la domanialité publique retenue par le Tribunal aurait dû conduire celui-ci à rouvrir les débats pour recueillir les conclusions du Ministère Public,

* l'application de la loi n° 490 a pour effet d'ouvrir droit pour la SCS PE. & Cie au renouvellement de son bail et à défaut au paiement d'une indemnité d'éviction,

* l'État de Monaco a fait preuve d'un comportement fautif à son égard en rompant brutalement l'occupation qu'il lui avait concédée en violation du principe de sécurité juridique, en tentant de faire pression tant sur elle que sur son gérant,

* son préjudice est constitué par la perte de son commerce outre les dommages-intérêts complémentaires qu'elle sollicite à raison de la volonté de nuire dont a fait preuve l'État de Monaco à son endroit.

L'ÉTAT DE MONACO a répliqué en dernier lieu le 8 avril 2014 pour solliciter de plus fort le bénéfice de ses précédentes conclusions, en exposant à nouveau que les lieux litigieux appartiennent au domaine public par nature en dépit de leur affectation précaire à une activité commerciale et doivent pour cette raison demeurer exempts de toute contrainte juridique de nature à empêcher une éventuelle modification du tracé de la voie publique, alors que seul le domaine privé de l'État qui relève d'une gestion privée peut faire l'objet, sous certaines réserves, d'une exploitation selon le régime de droit commun des baux commerciaux.

La Cour se réfère pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément rapporté.

ET SUR CE :

Attendu que lors de la dernière audience de mise en état de cette procédure intervenue le 8 avril 2014 et correspondant au dépôt des dernières conclusions de l'intimé, la fixation à plaider pour le 29 avril 2014 a été arrêtée dans des conditions qui ne permettaient dès lors plus à l'appelante de procéder à de nouvelles communications de pièces, et conduisent la Cour à devoir écarter des débats toutes les communications de pièces fournies par l'appelante postérieurement à cette date ;

Attendu qu'il convient de rappeler que la convention d'occupation précaire intervenue le 28 décembre 2001 entre Franck TASCHINI agissant ès-qualités d'administrateur des Domaines et a. PE. agissant ès-qualités d'associé commandité et de gérant statutaire de la SCS PE. & Cie dispose expressément qu'il est accordé à celle-ci pour trois ans avec effet à compter du 1er novembre 2001, la « jouissance d'une parcelle de terrain et des constructions relevant du Domaine public de l'État et dont la désignation suit :

* une parcelle de terrain d'une superficie approximative de quatre cent quatorze mètres carrés située à Monaco, en partie sous le Viaduc du Boulevard du Larvotto et en partie à l'air libre entre l'aplomb dudit Viaduc et la limite du trottoir bordant le lot n° 2 de la rue du Portier,

* les constructions qui y sont édifiées sur un seul niveau, comprenant : salle de restaurant avec un bar, une cuisine, un local de réserve accessible depuis la rue du Portier, deux WC accessibles depuis l'extérieur… » ;

Qu'un avenant à cette convention est intervenu le 23 avril 2002, lequel a eu pour effet d'un commun accord des mêmes parties de « fixer la durée de la convention d'occupation précaire à six années à compter du 1er mai 2002 pour se terminer le 30 juin 2008. la convention n'est pas renouvelable de plein droit. Son renouvellement ne pourra résulter que d'une nouvelle convention » ;

Attendu que sur la base des termes même de cette convention, la Cour observe que la prétention développée par la SCS PE. & Cie à l'effet de voir dire et juger que la parcelle dont elle a la jouissance ne relèverait pas du Domaine public de l'État, se heurte nécessairement au contenu de ces dispositions et à l'intitulé même de la convention qui rappelle expressément que la parcelle de terrain et des constructions dont la jouissance lui est concédée relève du « Domaine public de l'État », que cette jouissance est en outre totalement précaire et ne peut donner lieu à aucun renouvellement de plein droit, ledit renouvellement ne pouvant résulter que d'une nouvelle convention ;

Attendu que le Tribunal a en outre opportunément observé que le terrain litigieux et le restaurant qui y était édifié se situaient en partie sous la voie publique que constitue le Viaduc et en partie sur le trottoir bordant la rue du Portier, dans des conditions de parfaite conformité avec les dispositions de l'article 2 de la loi n° 124 du 15 janvier 1930 sur la délimitation du domaine selon lesquelles « font partie du Domaine public de l'État : les rues, places, routes et chemins affectés à la circulation (…) et généralement toutes les portions du territoire de la Principauté non susceptibles de propriété privée » ;

Qu'en relevant dès lors que le bâtiment contenant le restaurant était édifié sur une voie ouverte à la circulation publique et comme tel constituant un ouvrage indissociable du domaine public sur lequel il était implanté, alors même que la SCS PE. & Cie n'était pas en mesure de démontrer qu'il aurait fait l'objet d'une loi de désaffectation le classant au domaine privé de l'État, le Tribunal a pu à bon droit considérer qu'il y avait lieu de le retenir comme constituant une partie du Domaine public ;

Que la Cour observe en outre que la SCS PE. & Cie confond à dessein la nature même de l'immeuble domaine public et son affectation à une activité commerciale pour en déduire à tort qu'il s'agirait du domaine privé de l'État ;

Que contrairement à ses affirmations, il n'incombe d'ailleurs pas à l'État de produire la loi ayant pu affecter la parcelle litigieuse à son domaine public, mais à la SCS PE. & Cie de démontrer qu'elle bénéficierait d'une loi de désaffectation du domaine public de l'État en domaine privé, ce qu'elle ne réalise au demeurant pas ;

Que les prétentions développées par la SCS PE. & Cie selon lesquelles la domanialité publique n'exclurait pas l'application de la législation sur les baux commerciaux dès lors que la loi n° 490 en son article 34 ne distingue pas entre le domaine public et privé de l'État, relèvent d'une mauvaise lecture de l'article 33 de la Constitution lequel dispose que « le domaine public est inaliénable et imprescriptible. La désaffectation d'un bien du domaine public ne peut être prononcée que par une loi. Elle fait entrer le bien désaffecté dans le domaine privé de l'État ou de la Commune, selon le cas » ;

Qu'il est constant en effet que ce n'est qu'à la suite de la désaffectation d'un bien pour le faire passer du domaine public au domaine privé de l'État, que peut être consenti sur celui-ci un bail éventuellement de nature commerciale ;

Que si l'article 34 de la loi n° 490 semble ne pas distinguer le régime des locations afférentes aux établissements appartenant à l'État lorsqu'il dispose que « la présente loi n'est pas applicable aux locations portant sur des établissements appartenant à l'État sous la condition que le refus de renouvellement corresponde à un intérêt public … », il ne peut toutefois être valablement soutenu qu'une telle disposition emporterait ipso facto confusion entre les deux régimes de domanialité de l'État, alors même qu'il s'évince au contraire de l'économie générale de ce texte que si l'État ne veut pas renouveler un bail qu'il a consenti sur son domaine privé, et pour échapper aux dispositions contraignantes que la loi n°490 lui impose dès lors en cette qualité, il lui incombe de justifier son refus de renouvellement par un motif d'intérêt public, cette disposition étant totalement inapplicable lorsque l'État a donné en location son domaine public par nature aux termes d'une convention d'occupation précaire non renouvelable ;

Qu'il ne saurait pas davantage être soutenu que le bail commercial ne confèrerait au locataire que des droits de nature personnelle sans contradiction avec l'article 33 de la Constitution, alors même que tous les auteurs qui ont analysé le régime juridique de la propriété commerciale, s'accordent à considérer que le statut des baux commerciaux crée quasiment un droit réel immobilier au profit du preneur par le droit au renouvellement qu'il lui confère et à défaut par son droit à la perception d'une indemnité d'éviction ;

Attendu que la SCS PE. & Cie ne peut valablement soutenir qu'en l'état de la domanialité publique qu'il retenait, le Tribunal aurait dû rouvrir les débats pour recueillir les observations du Ministère Public alors même qu'il est constant que le délibéré a été prononcé en présence du Procureur Général ;

Que la Cour observe sur l'absence de communication de la même procédure au Procureur Général en cause d'appel, qu'aux termes des dispositions de l'article 184-1° du Code de procédure civile « le Ministère Public donnera ses conclusions dans les causes suivantes : 1° celles qui concernent l'ordre public, le domaine public, le domaine privé du Prince… » ;

Qu'il est constant que la présente instance n'a pas été communiquée au Procureur Général ;

Attendu qu'il convient de rappeler que selon les dispositions des articles :

* 164 du Code de procédure civile, « en requérant l'inscription de la cause, la partie remettra au greffe une copie sur papier libre de l'exploit d'assignation, signée par elle ou par un avocat-défenseur »,

* 165 du Code de procédure civile « dans les causes où les conclusions du ministère public sont requises, une copie de l'exploit sera déposée, en outre pour être transmise sans retard au Procureur Général. Ce magistrat pourra même exiger avant l'audience, la communication complète des pièces du procès »,

* 166 du même code « si le demandeur ne s'est pas conformé aux dispositions des deux articles qui précèdent, le Tribunal pourra, soit sur les conclusions du Ministère Public, soit d'office, renvoyer la cause à une autre audience pour qu'il soit satisfait aux prescriptions légales, ou même en ordonner la radiation et condamner le demandeur aux dépens » ;

Qu'il s'évince à suffisance de l'application combinée de ces trois articles que l'obligation de remettre une copie de l'assignation incombe au demandeur à l'instance lorsqu'il enrôle celle-ci au Greffe pour que le Ministère Public puisse en prendre connaissance, mais que si cette formalité n'est pas exécutée, la juridiction saisie au fond n'est pas tenue de la réaliser au lieu et place de la partie défaillante ;

Qu'il s'en déduit nécessairement qu'il appartenait au Conseil de la SCS PE. & Cie de procéder au dépôt de son assignation avec un exemplaire complémentaire à l'intention du Ministère Public, cette obligation lui incombant personnellement, et qu'elle est dès lors infondée à venir se plaindre de ce que cette formalité n'aurait pas été exécutée ;

Attendu sur le préjudice que le Tribunal aux termes d'un raisonnement juridique qui n'appelle aucune critique et que la Cour retient valablement pour sien a à bon droit considéré que les dispositions du dernier avenant intervenu entre les parties avaient rappelé le terme de la convention d'une part et son caractère non renouvelable de plein droit d'autre part dans des conditions exonérant l'État de la formalité de tout congé et sans qu'il y ait eu violation par lui d'un quelconque principe de sécurité juridique, alors même qu'il ne résultait pas des circonstances de l'espèce que l'État ait abusé de son droit de ne pas renouveler ladite convention, de telle sorte que la SCS PE. & Cie était infondée à tenter de se prévaloir du caractère brutal de la dite cessation de son occupation et ne justifiait pas de l'existence du préjudice dont elle se prévalait à l'appui de sa demande de dommages-intérêts dont il convenait de la débouter ;

Attendu que le jugement sera en conséquence confirmé en l'ensemble de ses dispositions ;

Qu'il sera en outre complété dès lors qu'il sera fait droit à la demande d'expulsion présentée par l'État de Monaco, selon les modalités arrêtées au dispositif ci-après ;

Attendu qu'il n'est pas démontré qu'en relevant appel du jugement la SCS PE. & Cie ait fait dégénérer de manière fautive son droit à voir sa cause réexaminée par une juridiction indépendante de la première ;

Que l'État de Monaco sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif ;

Attendu que la SCS PE. & Cie qui succombe en ses prétentions en cause d'appel sera condamnée aux dépens ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit la SCS PE. & Cie en son appel,

Au fond l'en déboute,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le Tribunal de Première Instance le 28 février 2013,

Y ajoutant,

Ordonne l'expulsion de corps et de biens de la SCS PE. & CIE et celle de tous occupants de son chef, des lieux qu'elle occupe sans droit ni titre, sis X à Monaco, avec toutes conséquences de droit et avec, si besoin, l'assistance de la Force Publique et d'un serrurier, à l'expiration d'un délai de 3 mois à compter de la signification du présent arrêt,

Déboute l'État de Monaco de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne la SCS PE. & Cie aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO Avocat-Défenseur sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Monsieur Gérard FORET-DODELIN, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 17 JUIN 2014, par Monsieur Gérard FORET-DODELIN, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier substitut du Procureur Général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12343
Date de la décision : 17/06/2014

Analyses

Ce n'est qu'à la suite de la désaffectation d'un bien pour le faire passer du domaine public au domaine privé de l'État, que peut être consenti sur celui-ci un bail éventuellement de nature commerciale.Si l'article 34 de la loi n° 490 semble ne pas distinguer le régime des locations afférentes aux établissements appartenant à l'État lorsqu'il dispose que " la présente loi n'est pas applicable aux locations portant sur des établissements appartenant à l'État sous la condition que le refus de renouvellement corresponde à un intérêt public … ", il ne peut toutefois être valablement soutenu qu'une telle disposition emporterait ipso facto confusion entre les deux régimes de domanialité de l'État, alors même qu'il s'évince au contraire de l'économie générale de ce texte que si l'État ne veut pas renouveler un bail qu'il a consenti sur son domaine privé, et pour échapper aux dispositions contraignantes que la loi n°490 lui impose dès lors en cette qualité, il lui incombe de justifier son refus de renouvellement par un motif d'intérêt public, cette disposition étant totalement inapplicable lorsque l'État a donné en location son domaine public par nature aux termes d'une convention d'occupation précaire non renouvelable.Il ne saurait pas davantage être soutenu que le bail commercial ne confèrerait au locataire que des droits de nature personnelle sans contradiction avec l'article 33 de la Constitution, alors même que tous les auteurs qui ont analysé le régime juridique de la propriété commerciale, s'accordent à considérer que le statut des baux commerciaux crée quasiment un droit réel immobilier au profit du preneur par le droit au renouvellement qu'il lui confère et à défaut par son droit à la perception d'une indemnité d'éviction.Il s'évince à suffisance de l'application combinée des articles 164 à 166 du Code de procédure civile que l'obligation de remettre une copie de l'assignation incombe au demandeur à l'instance lorsqu'il enrôle celle-ci au Greffe pour que le Ministère Public puisse en prendre connaissance, mais que si cette formalité n'est pas exécutée, la juridiction saisie au fond n'est pas tenue de la réaliser au lieu et place de la partie défaillante.

Procédure civile  - Propriété des personnes publiques et domaine public  - Baux commerciaux.

Procédure civile - Assignation - Copie au Ministère public - Charge incombant au demandeurDomaine public - Domaine privé de l'État - Désaffectation d'un bien - Bail commercial - Droits du preneur.


Parties
Demandeurs : La société en commandite simple dénommée SCS PE. ET CIE
Défendeurs : l'État de Monaco

Références :

article 33 de la Constitution
articles 164 à 166 du Code de procédure civile
article 2 de la loi n° 124 du 15 janvier 1930
article 139 du Code de procédure civile
loi n° 490 du 24 novembre 1948
Code de procédure civile
article 184-1° du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2014-06-17;12343 ?

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