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10/12/2013 | MONACO | N°11665

Monaco | Cour d'appel, 10 décembre 2013, Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers (SBM) c/ B DE


Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 10 DECEMBRE 2013

En la cause de :

- La Société Anonyme Monégasque dénommée SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS - dont le siège social se situe Place du Casino à Monaco, agissant sur poursuites et diligences de son Président Délégué en exercice, Monsieur J-L BI, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,
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- Monsieur B DE, Chef de table, demeurant X à Monaco et en dernier lieu Y à Monaco ;

Ayant élu domicile en...

Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 10 DECEMBRE 2013

En la cause de :

- La Société Anonyme Monégasque dénommée SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS - dont le siège social se situe Place du Casino à Monaco, agissant sur poursuites et diligences de son Président Délégué en exercice, Monsieur J-L BI, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- Monsieur B DE, Chef de table, demeurant X à Monaco et en dernier lieu Y à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Danièle RIEU, avocat au Barreau de Nice ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail du 20 décembre 2012 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 28 janvier 2013 (enrôlé sous le numéro 2013/000100) ;

Vu les conclusions déposées les 26 avril 2013 et 31 juillet 2013, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de B DE ;

Vu les conclusions déposées les 4 juin 2013 et 30 septembre 2013, par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS ;

A l'audience du 29 octobre 2013, Ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS, à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 20 décembre 2012.

Considérant les faits suivants :

Par jugement du 20 décembre 2012, auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause, le Tribunal du travail statuant dans l'instance opposant B DE à son employeur la société anonyme monégasque des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers, en abrégé SBM, a :

- prononcé l'annulation de la sanction disciplinaire de suspension d'emploi et de traitement d'une durée de six mois infligée par la SBM à B DE le 24 septembre 2009,

- condamné en conséquence la SBM à payer à B DE la somme de 45.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la convocation en conciliation valant mise en demeure, au titre de salaires et accessoires pour la période du 1er septembre 2009 au 28 février 2010 et rappelé que l'exécution provisoire est de droit de ce chef, outre la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de ce chef,

- rejeté le surplus des demandes des parties,

- condamné la SBM aux dépens.

Au soutien de cette décision, les premiers juges, saisis de la contestation d'une sanction disciplinaire infligée à B DE, ont estimé qu'il appartient au Tribunal du travail de contrôler le bien-fondé d'une telle mesure et de l'annuler lorqu'elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée par rapport à la faute commise.

Examinant le contenu d'extraits de vidéo surveillance et de divers constats d'huissier assortis de photographies, le Tribunal du travail a analysé le comportement de B DE dans la salle de jeux du café de Paris dans la soirée du 30 juin 2009 et en a déduit une attitude injonctive et unilatérale destinée à obtenir la fermeture des tables de jeux sans respecter le libre choix des salariés concernés.

Après avoir estimé que la faute de B DE était caractérisée, les premiers juges ont effectué un contrôle de proportionnalité de la sanction infligée à ce salarié.

Relevant notamment que B DE n'avait manifesté aucune intention de nuire, n'avait pas persisté dans une attitude individuelle perturbatrice et avait agi posément sans créer un trouble manifeste, le Tribunal du travail a qualifié de disproportionnée la sanction disciplinaire de six mois de mise à pied ou de suspension d'emploi et de traitement par rapport à la faute commise en insistant sur le fait qu'un vaste panel d'autres sanctions était à la disposition de l'employeur et en a prononcé l'annulation.

Suivant exploit en date du 28 janvier 2013, la SBM a interjeté appel du jugement précité, non encore signifié, à l'effet de voir :

- déclarer recevable l'appel interjeté,

- dire et juger d'abord la SBM recevable en ses défenses à exécution provisoire qui seront déclarées fondées pour violation des prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile en raison de l'absence d'urgence et plus particulièrement de la contradiction de motifs de la décision déférée,

- voir annuler partiellement la décision entreprise par application de l'article 199 - 4 du code de procédure civile pour contradiction de motifs, le juge ne pouvant cumulativement retenir une faute caractérisée mais disproportionnée et devant rejeter les prétentions du salarié en application de l'article 22 de la convention collective générale du 13 novembre 1946, des articles 6 et 21 du règlement intérieur du service du personnel des jeux et aussi des constatations faites par la commission de discipline,

- voir subsidiairement prononcer l'infirmation de la décision entreprise pour les mêmes motifs et débouter B DE de l'ensemble de ses demandes.

Au soutien de son appel et à l'appui de ses défenses à exécution provisoire, la SBM expose pour l'essentiel :

- qu'au visa des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et à défaut pour les premiers juges d'avoir fait application d'un texte spécifique du droit monégasque leur permettant d'agir comme l'aurait fait un conseil des prud'hommes en France, l'exécution provisoire ordonnée n'a pas lieu d'être,

- que l'obligation faite à la SBM de payer la somme de 45.000 euros a manifestement des effets irréparables, le salarié ayant établi sa demande de rappel de salaires sur sa rémunération de l'année 2008 alors qu'il devait couvrir la période de septembre 2009 à février 2010, en sorte que seule devait être prise en considération la rémunération qui aurait dû être la sienne pour cette dernière période si elle avait été travaillée,

- que le rappel de salaire pour six mois aurait dû être de 32.529 euros,

- que par application des dispositions de l'article 199 alinéa 4 du code de procédure civile, la contrariété de motifs commise par les premiers juges implique la nullité parte in qua du jugement entrepris,

- que si B DE a incontestablement commis une faute, le Tribunal du travail ne pouvait sans se contredire annuler les effets de cette faute dans le cadre d'un contrôle de proportionnalité sans en moduler la portée,

- que le premier juge n'a nullement motivé les raisons lui interdisant d'agir autrement qu'en prononçant la nullité de la sanction, ce qui est en fait le reflet de dispositions inapplicables à Monaco mais relevant du droit français,

- que par l'effet dévolutif de l'appel édicté par l'article 424 du code de procédure civile la Cour ne pourra dès lors que débouter ce salarié de l'ensemble de ses demandes.

Par conclusions en réponse des 23 avril et 30 juillet 2013, B DE, intimé, entend voir rejeter des débats les pièces 1 et 15 produites par la SBM, confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 20 décembre 2012 en ce :

- qu'il a prononcé l'annulation de la sanction disciplinaire de suspension d'emploi et de traitement d'une durée de six mois qui lui a été infligée par la SBM le 24 septembre 2009, et ce, pour absence de faute ou, subsidiairement à tout le moins, en adoptant les motifs des premiers juges pour sanction disproportionnée à la faute,

- qu'il a en conséquence condamné la SBM à lui payer la somme brute de 45.000 euros à titre de salaires et accessoires pour la période du 1er septembre 2009 au 28 février 2010, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009 date de la requête introductive d'instance,

- qu'il a dit y avoir lieu à dommages-intérêts en réparation du préjudice complémentaire subi.

Mais, relevant appel incident du chef du montant des dommages-intérêts, entend voir réformer la décision des premiers juges en ce qui concerne la somme allouée à ce titre et condamner la SBM à lui payer 20.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2012 sur la somme de 5.000 euros accordée par la décision du Tribunal du travail du jour de cette décision et à compter de l'arrêt à intervenir pour le surplus.

A titre liminaire, l'intimé conclut à l'irrecevabilité de la défense exécution provisoire en se référant aux dispositions de l'article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 portant création du Tribunal du travail modifié par la loi du 16 décembre 2010 aux termes duquel sont de droit exécutoires les dispositions du jugement qui ordonnent le paiement de salaires ou accessoires du salaire.

L'intimé en déduit que la défense à exécution provisoire présentée par la SBM est totalement déraisonnable tout comme les demandes de nullité du jugement entrepris sont infondées.

B DE entend voir confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 20 décembre 2012 tout en faisant valoir notamment que :

- il est intervenu le 30 juin 2009 à la demande de ses collègues de travail du syndicat des jeux américains pour canaliser un élan de protestation et encadrer un mouvement de grève envisagé par les salariés,

- il a alors envisagé de procéder à la fermeture des tables et de réunir les employés en assemblée générale afin de décider collectivement de l'arrêt de travail,

- il n'y avait alors quasiment pas de clients, si ce n'est à une seule table de black-jack qui n'était pas fermée dès lors qu'un des employés ne souhaitait pas participer au mouvement,

- l'absence des autres employés a été très courte et n'a pas excédé 10 minutes, chacun reprenant ensuite normalement son travail sans commentaires de la hiérarchie,

- alors qu'il était en congés payés dès le lendemain, soit du 1er juillet 2009 jusqu'au 31 juillet 2009, la SBM ne l'a pas entendu ni convoqué et a pris précipitamment une décision de suspension d'emploi et de traitement à titre conservatoire à la date de son retour de congés payés soit au 1er août 2009,

- informé par ses collègues durant ses congés d'une telle mesure il en fut particulièrement touché et subit un arrêt de maladie à compter du 11 juillet 2009 prolongé jusqu'au 31 août pour état dépressif réactionnel,

- la faute qui lui est reprochée consiste à s'être exprimé publiquement dans la salle de jeux, alors qu'elle était fréquentée, pour dire à ses collègues d'arrêter le travail et à avoir retiré personnellement les sabots de cartes des tables de jeu en présence des clients,

- en réalité, il n'a fait que s'adresser individuellement aux employés pour les informer de l'imminence d'une assemblée générale et veiller à ce que le matériel de jeu soit bien rangé avant leur départ,

- il conteste l'utilisation à titre probatoire de l'enregistrement sur cassette vidéo de la salle de jeux du Café de Paris, démarche qu'il estime critiquable et révélant selon lui le mépris de la SBM pour ses salariés,

- cet élément de preuve lui apparaissant illicite, il émet en tout état de cause les plus extrêmes réserves sur le contenu du procès-verbal de constat fait à partir de données suspectes et sujettes à caution consistant à utiliser cet enregistrement vidéo,

- il s'agit en fait d'extraits de vidéosurveillance et donc de morceaux choisis par l'employeur dont le visionnage n'a pas été opéré au contradictoire des parties,

- le procès verbal d'huissier de justice ne permet pas de relever le nombre de clients présents sur certaines tables et démontre que ceux qui ont été filmés n'ont manifesté aucune surprise ou contrariété lors de la fermeture des tables,

- son intervention n'a pas été effectuée en cours de jeu, mais à la fin de chaque partie quand les croupiers voulaient participer au mouvement et avait pour but de rassurer les clients en leur faisant comprendre qu'un autre employé allait arriver de façon imminente,

- aucune désorganisation des jeux ne s'en est suivie et il estime n'avoir pas agi de manière injonctive et unilatérale mais simplement en respectant les intentions de chaque employé,

- il estime en conséquence n'avoir commis aucune faute qui aurait pu être à l'origine de la sanction prise par la SBM mais demande néanmoins la confirmation du jugement rendu par le Tribunal du travail en ce que la sanction disciplinaire doit selon lui être annulée,

- c'est selon lui à juste titre que le Tribunal du travail a estimé que cette sanction était disproportionnée à la faute commise, aucune contradiction de motifs ne résultant d'une telle appréciation dès lors que conformément aux dispositions des articles 1er et 54 de la loi 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail dispose du droit de contrôler en cas de litige les sanctions disciplinaires prononcées par l'employeur à l'encontre d'un salarié,

- c'est ainsi que le juge peut les modifier ou les annuler si elles sont injustifiées ou disproportionnées par rapport à la faute commise, l'annulation de la sanction entraînant le rétablissement du salarié dans ses droits,

- s'agissant d'un tel contrôle de proportionnalité, il estime que son attitude était liée avec les événements, n'a pas procédé d'une intention de nuire et que le trouble causé a été très minime, les jeux n'ayant pas été arrêtés mais simplement suspendus et aucun préjudice financier n'en étant résulté pour la SBM,

- il n'a, en 26 années d'ancienneté, fait l'objet d'aucun avertissement et estime que la sanction infligée de six mois de mise à pied et de suspension d'emploi était gravement disproportionnée et, en tout état de cause, inadaptée,

- sur les conséquences de l'annulation d'une telle sanction, il est évident que l'employeur doit être condamné au paiement d'une rémunération qui aurait dû être la sienne pendant la période litigieuse et donc à la somme de 45.000 euros pour les mois de suspension, soit 7.500 euros par mois,

- il a, du fait de cette sanction, été privé de couverture sociale pendant six mois et a subi un préjudice moral incontestable qui doit être également réparé par l'allocation de dommages et intérêts dont il entend, dans le cadre de son appel incident, voir porter le montant à 20.000 euros, tout en faisant valoir qu'il n'avait pu obtenir d'indemnité de chômage, son contrat étant suspendu, qu'il avait été en dépression réactionnelle du fait de l'injustice dont il était victime et dont il souffre encore, ayant de nouveau été arrêté en maladie pour dépression et anxiété depuis le 6 février 2013.

La SBM appelante à titre principal, réitérant par ses écrits des 4 juin et 30 septembre 2013 l'ensemble de son argumentation, entend en outre voir déclarer irrecevable l'appel incident formé par B DE après avoir conclu en tant qu'intimé et entend voir dire irrecevables les critiques formulées par ce dernier à l'encontre du jugement entrepris ayant déclaré qu'il avait commis une faute caractérisée, celle-ci ne pouvant plus à son avis être remise en cause devant la Cour.

La SBM entend voir déclarer nulle et de nul effet la décision déférée du Tribunal du travail en date du 20 décembre 2012 en ce qu'il ne pouvait, sans se contredire, retenir une faute avérée de l'employé de jeu et prononcer en même temps l'annulation de la sanction prise à son encontre.

Elle entend voir la Cour évoquer et dire que le réseau intérieur de télévision en circuit fermé de vidéosurveillance est licite en ce qu'il répond à l'organisation du service de contrôle des jeux régi par la loi n° 1103 sur les jeux de hasard.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;

SUR CE,

Sur les défenses à exécution provisoire

Attendu sur les défenses exécution provisoire tirées de la violation des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, du défaut d'urgence, voire de la contradiction de motifs de la décision déférée, qu'il résulte du jugement rendu le 20 décembre 2012 par le Tribunal du travail que la condamnation au paiement d'une somme de 45.000 euros à titre de salaire a été assortie de l'exécution provisoire de droit, alors que la condamnation à des dommages-intérêts complémentaires n'a pas été assortie de l'exécution provisoire à défaut d'urgence ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 modifiée par la loi n° 1375 du 16 décembre 2010 que sont exécutoires de droit les jugements qui ordonnent la remise du certificat de travail, du bulletin de paie ou de toute autre pièce que l'employeur est légalement tenu de délivrer et les jugements qui ordonnent le paiement de salaires ou accessoires du salaire, tandis que peuvent être déclarés exécutoires par provision et sans caution les autres jugements dans les conditions prescrites par l'article 202 du code de procédure civile ;

Attendu que la décision déférée n'a pas ordonné l'exécution provisoire au titre de la condamnation à des dommages-intérêts, les premiers juges se contentant de rappeler que l'exécution provisoire était de droit en ce qui concerne la condamnation au paiement des salaires ;

Attendu que les défenses à exécution provisoires fondées sur les seules dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et à l'exclusion des dispositions légales précitées de la loi portant création du Tribunal du travail sont ainsi dénuées de fondement et ne sauraient donner lieu à une quelconque remise en cause de la décision entreprise, les premiers juges n'ayant fait que tirer toutes conséquences de droit de l'article 60 de la loi n° 446 en constatant, hors toute référence à une quelconque urgence, le caractère exécutoire de droit de la condamnation au paiement des salaires ;

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de débouter la SBM, appelante, des fins des défenses soulevées de ce chef.

Sur la recevabilité de l'appel incident

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 428 du code de procédure civile que l'appel incident peut être interjeté par de simples conclusions écrites prises à l'audience ;

Qu'il s'induit de la lecture des conclusions prises le 23 avril 2013 par Monsieur B DE que ce dernier -bien qu'il se soit dans la première page de ses écrits qualifié d'intimé- n'en a pas moins, dans le dispositif de ces derniers, formé un appel incident partiel du chef des dommages-intérêts, formulant expressément auprès de la Cour une demande de « réformation quant au montant de la somme allouée à ce titre », soit la condamnation à 5.000 euros prononcée par le Tribunal du travail pour la voir porter à 20.000 euros ;

Attendu que le caractère effectif de l'appel incident formé par B DE le 23 avril 2013 dans le cadre de ses premières conclusions apparaît tout autant établi que sa régularité formelle au regard des dispositions de l'article 428 du code de procédure civile susvisé ;

Qu'il s'ensuit que cet appel incident doit être déclaré recevable ;

Sur les demandes tendant à voir déclarer licite ou illicite le procédé probatoire retenu par l'employeur

Attendu que l'une et l'autre des parties soumettent à la Cour la question de la licéité du mode de preuve tiré de l'exploitation par la SBM du réseau intérieur de télévision en circuit fermé de vidéo surveillance, B DE sollicitant en particulier le rejet des deux pièces correspondantes, numérotées 1 et 15 ;

Attendu que pour intéressante que soit cette question, elle ne saurait toutefois être soumise à l'appréciation de la Cour en l'état des règles procédurales inhérentes à l'effet dévolutif de l'appel ;

Qu'en effet, la Cour n'est présentement saisie que de l'appréciation de la proportionnalité de la sanction infligée à un salarié au regard de la faute commise et non plus de la réalité de cette même faute, la demande expresse de réformation formée par B DE dans ses conclusions du 26 avril 2013 ne portant que sur le montant des dommages et intérêts alloués ;

Qu'aucun des deux appels parte in qua, principal ou incident, ne défère en l'espèce à la censure de la Cour la réalité de la faute imputée à B DE, la décision entreprise étant désormais définitive sur la caractérisation du comportement fautif de ce salarié qui n'apparaît plus remis en cause, seule la validité de la sanction subséquente étant contestée en son principe (appel principal) ou en ses effets (appel incident) ;

Qu'il s'ensuit que la demande inhérente à la régularité du mode de preuve retenu pour établir cette même faute est radicalement sans objet, comme la demande de rejet des pièces susvisées 1 et 15 ;

Sur les demandes d'annulation et de réformation du jugement déféré

Attendu que la Cour est saisie en premier lieu d'une demande d'annulation du jugement rendu par le tribunal du travail fondée sur les dispositions de l'article 199-4 du code de procédure civile dès lors selon la SBM que la contradiction de motifs ayant consisté à retenir la faute d'un salarié, puis à annuler la sanction subséquente, équivaudrait à un défaut de motifs ;

Attendu que force est de constater d'une part, que par application des dispositions de l'article 424 du code de procédure civile l'appel défère à la juridiction du second degré la connaissance des chefs du jugement qu'il critique, soit en l'occurrence l'annulation de la sanction disciplinaire infligée par la SBM à son employé, alors d'autre part, qu'en vertu des dispositions des articles 1 et 61 de la loi 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail, et donc la juridiction d'appel, disposent du droit de contrôler en cas de litige de telles sanctions disciplinaires ;

Que c'est bien dans le cadre de telles dispositions procédurales que s'inscrit le présent recours ;

Attendu s'agissant de la sanction prise par la SBM ayant consisté en une suspension d'emploi et de traitement pour une période de six mois prenant effet rétroactivement au 1er septembre 2009, date de la mise à pied conservatoire infligée à B DE, qu'il entre donc bien dans la compétence du Tribunal du travail le pouvoir de contrôler, au regard de la contestation soulevée, la sanction disciplinaire prononcée par cet employeur à l'encontre de ce salarié ;

Que si cette juridiction ne peut pas modifier une sanction disciplinaire, elle a néanmoins le pouvoir d'annuler toute sanction qui serait irrégulière en la forme, injustifiée ou qui ne serait pas proportionnée par rapport à la faute commise par le salarié, lequel peut alors être rétabli dans ses droits ;

Attendu qu'un tel recours s'analyse indubitablement en une voie d'annulation et non de réformation, les juridictions ne pouvant se substituer à l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction et de ses prérogatives d'ordre disciplinaire ;

Attendu que l'analyse à laquelle se sont dès lors livrés les premiers juges tendant à vérifier si le comportement dans la salle de jeux du Café de Paris de B DE dans la soirée du 30 juin 2009 était fautif et si la sanction prononcée était proportionnelle à cette faute n'apparaît encourir aucune critique quant à la méthode retenue, aucune contradiction de motifs n'entachant sa régularité, en sorte que la demande d'annulation de ce jugement sera rejetée ;

Attendu sur la demande de réformation qu'il résulte en particulier de la partie définitive de la décision déférée que B DE ayant l'intention de rassembler les salariés pour une phase de concertation en une assemblée générale à l'effet de décider d'un mouvement de grève, n'a pas sollicité leur accord préalable mais a procédé de manière unilatérale et catégorique pour procéder à la fermeture des tables de jeu, et ce, alors qu'aucune explication précise n'avait été au préalable fournie aux croupiers qui y travaillaient ;

Attendu que ce comportement, établi par les extraits de vidéo surveillance versés aux débats et décrit par un constat d'huissier du 10 novembre 2010, complété le 20 février 2012, leur a permis de caractériser la faute commise par ce salarié ayant consisté à procéder de façon autoritaire à la suspension des jeux sans consultation préalable des salariés concernés ;

Que ce chef du jugement ne faisant pas l'objet du recours formé par l'appelant incident qui ne demande expressement la réformation de la décision entreprise que du chef des dommages et intérêts, il doit être tenu pour acquis que le comportement de B DE était fautif, la présente juridiction devant simplement s'interroger sur le bien-fondé de la décision d'annulation de la sanction disciplinaire subséquente ;

Qu'à cet égard, il est démontré par les pièces produites que cette attitude de B DE est indissociable du contexte ayant précédé immédiatement l'intervention de ce salarié, lié à des événements qui se sont déroulés au cours d'une commission du personnel ayant eu lieu peu de temps auparavant ;

Qu'aucune démarche personnelle isolée ne peut être déduite de l'attitude de B DE, même si celui-ci n'était pas à cette date titulaire d'un mandat syndical, dès lors que sa volonté de veiller à ce que la procédure de fermeture des tables soit respectée procédait de toute évidence de l'altercation ayant opposé le jour même le secrétaire général du syndicat des jeux américains à un inspecteur des jeux européens, telle qu'établie par une pétition signée par 58 salariés le 29 juillet 2009 ;

Attendu en outre que les premiers juges ont à bon droit mis en exergue le fait que B DE n'avait pas persisté dans son attitude fédératrice après que la décision collective de ne pas cesser le travail ait été prise, ce qui révèle qu'il n'était habité par aucune intention de nuire, mais avait bien agi dans le seul but de rassembler les croupiers présents pour décider ou non de l'opportunité d'un mouvement de grève ;

Attendu par ailleurs que les conséquences de cette suspension du jeu ont été minimes dès lors que peu de clients étaient présents, qu'aucun incident n'a entouré la fermeture momentanée des tables de jeu et qu'aucun tumulte ne s'en est suivi, ni même aucun désordre ;

Qu'en effet, la perturbation occasionnée n'a duré qu'un temps extrêmement bref, de l'ordre de quelques minutes, alors qu'aucune partie en cours n'apparaît avoir été interrompue et qu'aucun trouble ne semble davantage avoir été créé pour discréditer l'employeur ;

Attendu enfin et surtout qu'il est constant que B DE n'a fait l'objet d'aucun avertissement en 26 ans d'ancienneté et n'a jamais attiré défavorablement l'attention de son employeur ;

Attendu en définitive que les premiers juges ont légitimement estimé que la sanction disciplinaire de six mois de mise à pied ou de suspension d'emploi et de traitement selon les termes de l'article 22 de la Convention collective applicable était manifestement disproportionnée et, en tout état de cause, inadaptée à la faute commise ;

Attendu que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce que cette sanction a été purement et simplement annulée ;

Attendu sur les conséquences de cette annulation, que le salarié doit être réintégré dans ses droits, en sorte que la condamnation de l'employeur au paiement de la rémunération qui aurait dû être celle de B DE pendant la période de suspension de traitement apparaît tout à fait légitime ;

Attendu que dès lors que le salaire moyen de B DE pour l'année 2008 était de 7.158,50 euros par mois et son salaire moyen pour les sept premiers mois de l'année 2009 de 7.621,49 euros, la demande d'indemnisation de ce salarié calculée sur une moyenne de 7.500 euros par mois apparaît tout à fait raisonnable et conforme à ce qui aurait dû être perçu à titre de salaire, la Cour adoptant de ce chef les motifs et le quantum de la réparation octroyée, à défaut de tout élément critique objectif susceptible de remettre en cause ce chef du jugement entrepris ;

Attendu sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du caractère abusif de cette sanction disciplinaire, que le salarié justifie d'une absence de couverture sociale pendant six mois et du préjudice moral résultant de cette mesure, s'agissant d'un salarié n'ayant jamais fait l'objet d'un avertissement, ayant subi après cet épisode de nombreux arrêts de travail pour dépression et souffrant toujours d'anxiété (certificats médicaux produits sous les pièces 20 et 21) ;

Qu'il ne saurait en revanche être tenu compte d'un préjudice lié à la volonté de l'employeur de contrecarrer toute velléité de la part du personnel tendant à la manifestation de son opinion, un tel dommage, à le supposer réel, n'étant pas personnel à B DE ;

Attendu qu'en l'état des éléments d'appréciation dont la Cour dispose, il y a en conséquence lieu de ne réformer que partiellement et du seul chef du montant des dommages et intérêts alloués la décision du Tribunal du travail en chiffrant à la somme globale de 10.000 euros le montant des dommages intérêts que la SBM devra verser à B DE au titre de ce préjudice complémentaire sans qu'il y ait lieu de faire droit au surplus des demandes afférentes aux intérêts à courir sur ces sommes ;

Attendu que la décision entreprise sera également confirmée en ce qui concerne la condamnation aux dépens de la SBM, les dépens d'appel devant également étre supportés par cette dernière ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,

statuant contradictoirement, publiquement et parte in qua dans les limites des appels,

Reçoit la SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS en son appel principal partiel et Monsieur B DE en son appel incident partiel,

Déboute la SBM des fins de ses défenses à exécution provisoire et de sa demande d'annulation du jugement déféré,

Déclare sans objet la demande inhérente au mode de preuve utilisé par la SBM et de rejet subséquent des pièces 1 et 15,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 décembre 2012 par le Tribunal du travail, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à B DE,

Le réformant de ce chef, fixe à 10.000 euros le montant des dommages et intérêts que la SBM devra lui verser,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SOCIETE DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ETRANGERS aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Vu les articles 58 à 62 de la loi n° 1398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Thierry PERRIQUET, Conseiller, et Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 10 DECEMBRE 2013, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Michael BONNET, Premier substitut du Procureur Général.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 11665
Date de la décision : 10/12/2013

Analyses

Social - Général  - Pouvoir disciplinaire.

Tribunal du TravailPouvoir de contrôle des sanctions disciplinaires - Compétence du tribunal du travail pour contrôler les sanctions disciplinaires infligées par les employeurs en vertu des articles 1 et 61 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 lui permettant d'annuler toute sanction irrégulière en la forme - injustifiée ou qui ne serait pas proportionnée à la faute - ce recours en annulation ne s'analysant pas à une voie de réformation - la juridiction ne pouvant se substituer à l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction et de ses prérogatives d'ordre disciplinaire - Sanction infligée par l'employeur : mise à pied - suspension d'emploi et de traitement pendant 6 mois (article 22 de la Convention collective applicable) - l'employé chef de table au casino ayant procédé de façon autoritaire à la fermeture momentanée des tables de jeu en vue d'une grève sans avoir sollicité l'accord préalable des salariés - perturbation n'ayant eu que peu de conséquence - Jugement du Tribunal du Travail : annulation de la sanction - comme étant disproportionnée - inadaptée à la faute commise - l'employé n'étant pas défavorablement apprécié - Arrêt confirmatif de la Cour d'appel rejetant le moyen invoquant une contradiction de motifs consistant à retenir la faute en annulant la sanction subséquente - ce moyen étant infondé en raison du pouvoir légal de contrôle du tribunal du travail dévolu à la juridiction du second degré par l'effet dévolutif de l'appel.


Parties
Demandeurs : Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers (SBM)
Défendeurs : B DE

Références :

article 424 du code de procédure civile
article 202 du code de procédure civile
article 199 - 4 du code de procédure civile
article 199-4 du code de procédure civile
articles 1 et 61 de la loi n° 446 du 16 mai 1946
loi n° 1375 du 16 décembre 2010
articles 58 à 62 de la loi n° 1398 du 24 juin 2013
article 428 du code de procédure civile
loi du 16 décembre 2010
article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 199 alinéa 4 du code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2013-12-10;11665 ?

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