La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2012 | MONACO | N°9052

Monaco | Cour d'appel, 25 juin 2012, M. c/ C.


Motifs

(en matière correctionnelle)

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 15 mars 2011, le tribunal a :

déclaré la demande de dommages-intérêts de Monsieur G. M. irrecevable,

condamné, en outre, Monsieur L. C. aux frais,

Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur et celui de G. M. a interjeté appel de ce jugement, sur les dispositions civiles, le 23 mars 2011 ;

L'appel régulier est recevable ;

Considérant les faits suivants :

Le 17 septembre 2010, G. M., gÃ

©rant du restaurant « L'Instinct » sis 1 rue Princesse Florestine à Monaco, déposait plainte à l'encontre de son ancien emplo...

Motifs

(en matière correctionnelle)

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 15 mars 2011, le tribunal a :

déclaré la demande de dommages-intérêts de Monsieur G. M. irrecevable,

condamné, en outre, Monsieur L. C. aux frais,

Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur et celui de G. M. a interjeté appel de ce jugement, sur les dispositions civiles, le 23 mars 2011 ;

L'appel régulier est recevable ;

Considérant les faits suivants :

Le 17 septembre 2010, G. M., gérant du restaurant « L'Instinct » sis 1 rue Princesse Florestine à Monaco, déposait plainte à l'encontre de son ancien employé, L. C., auquel il faisait grief d'avoir détourné une partie des recettes en espèces de l'établissement, dès lors qu'en examinant sa comptabilité, il avait constaté la baisse significative de ses encaissements au cours de l'exercice 2009, dans des conditions qui rendaient son activité déficitaire au cours de cette période de temps, déficit qui avait toutefois cessé depuis le licenciement de ce salarié pour voir son activité redevenir bénéficiaire.

Par jugement intervenu le 15 mars 2001 à ce jour définitif dans ses dispositions concernant l'action publique en l'absence d'appel relevé de ce chef, le Tribunal correctionnel a déclaré L. C. coupable d'abus de confiance au préjudice de son employeur et l'a condamné à la peine de 15 mois d'emprisonnement sous le bénéfice du sursis.

Aux termes de ses dispositions sur l'action civile, le jugement désormais déféré de ce chef devant la Cour, a considéré que, selon protocole d'accord transactionnel en date du 30 avril 2010, l'employeur avait renoncé « à toute action à l'encontre de Monsieur L. C. résultant de l'exécution et de la cession de son contrat de travail » et qu'en l'état de la généralité de ces termes, qui ne cantonne pas la renonciation aux seules actions contractuelles et des dispositions de l'article 1883 du Code civil selon lesquelles on peut transiger sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit, G. M. devait être déclaré irrecevable en ses prétentions sur ce point.

Devant la Cour qu'il a saisie d'une demande de réformation de cette décision pour obtenir le versement à son profit de la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice matériel et financier et de celle de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, G. M. demande de constater que le protocole d'accord transactionnel intervenu le 30 avril 2010 ne concernait pas l'intérêt civil résultant du délit d'abus de confiance, mais était seulement destiné à régler les conséquences sur le plan social de la rupture du contrat de travail liant L. C. à son établissement.

L. C. s'oppose à une telle prétention et a fait déposer par le Conseil qui lui a été désigné des conclusions aux fins de voir confirmer les dispositions critiquées en reprenant devant la Cour l'argumentaire précédemment développé par lui avec succès devant le tribunal.

SUR CE,

Attendu qu'il résulte de l'audition à laquelle G. M. s'est prêtée dans les locaux des services de la sûreté publique le 17 septembre 2010, que c'est à la suite de la perception qu'il avait acquise du comportement indélicat de son employé dont il apparaissait que celui-ci « avait reconnu du bout des lèvres un détournement de numéraires », qu'il a pris la décision de lui demander de démissionner, ce que L. C. avait accepté ;

Qu'il se déduit nécessairement de cette déclaration, que si à la date à laquelle le protocole transactionnel est intervenu consécutivement au licenciement de L. C., soit le 30 avril 2010, G. M. n'était pas dans la totale ignorance du comportement infractionnel de son salarié à son endroit, il n'en avait toutefois pas pris à ce moment-là toute la mesure ;

Attendu que selon ce protocole d'accord transactionnel et aux termes des concessions réciproques faites tant par l'employeur à l'article 2 que par le salarié à l'article 3, les parties ont convenu à l'article 4 que « le restaurant INSTINCT renonce également à toute action à l'encontre de L. C. résultant de l'exécution et de la cessation de son contrat de travail » ;

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 1887 du Code civil « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu » ;

Attendu qu'il s'évince de ces dispositions et en l'absence de toute clause contraire expresse, que la renonciation à l'exercice par le restaurant « INSTINCT » à toute action résultant de l'exécution et de la cessation du contrat de travail était nécessairement enfermée dans les seules limites des obligations réciproques générées par l'existence du contrat de travail ;

Que de la même manière, la faculté de transiger sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit telle que prévue par l'article 1885 du Code civil, s'entend également nécessairement de l'existence claire, précise et déterminée, de la commission d'un délit par l'une des parties, sur les conséquences pécuniaires duquel l'autre partie va s'accorder à transiger ;

Qu'il est constant en l'espèce que la rédaction de l'article 4 et la dénomination « restaurant l'INSTINCT » démontrent que le litige à propos duquel les parties ont entendu transiger était de nature social et avait seulement trait aux conséquences que conférait à L. C. sa qualité de salarié aux termes du contrat de travail dont il était titulaire au regard notamment des indemnités pécuniaires auxquelles il pouvait prétendre ;

Qu'en aucune manière l'existence d'un quelconque délit commis par L. C. n'a été prise en compte dans la transaction, dès lors que la somme de 3 500 euros versée par G. M. à son salarié intervenait en sus de son solde de tous comptes et à titre d'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive « dans un esprit d'apaisement et pour couper court à toute discussion de nature à porter préjudice aux deux parties » ;

Attendu que les prélèvements indus réalisés par le salarié au préjudice de son employeur, lesquels ne peuvent s'entendre, même s'ils ont été accomplis à l'occasion du travail, comme résultant de l'exécution et de la cessation du contrat de travail, en ce qu'ils sont constitutifs d'une infraction pénale, n'ont pas été expressément prévus à la transaction et sont donc exclus de celle-ci ;

Que si l'existence de cette transaction en ce qu'elle fixe le montant des indemnités dues en fin de contrat s'oppose à toute demande judiciaire de complément de salaire ou de dommages-intérêts, elle n'est cependant pas de nature à rendre irrecevable la demande de G. M. en réparation du préjudice financier qu'il subit à raison du comportement frauduleux de son salarié ;

Attendu en dernier lieu que G. M. ne pouvait régulièrement transiger que sur la base d'une situation parfaitement claire à l'encontre de son salarié alors même qu'il démontre que ce n'est que postérieurement à son départ qu'il a vraiment pris conscience de l'ampleur des détournements que ce dernier avait commis ;

Attendu que c'est en se fondant à tort sur les dispositions de cette transaction que le tribunal correctionnel a déclaré G. M. irrecevable en ses prétentions à l'encontre de son salarié à obtenir réparation du préjudice que celui-ci lui a fait subir par les détournements qu'il a réalisés à son détriment ;

Que le jugement sera réformé de ce chef ;

Attendu que pour solliciter le versement à son profit de la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice matériel, G. M. expose qu'au cours de l'exercice 2009 le total des encaissements en espèces a été en moyenne trois fois inférieur aux exercices 2008 et 2010, soit 98 000 euros de moins qu'en 2008 ;

Attendu toutefois qu'il résulte des déclarations des deux témoins entendus par les services de police, C. D. et F. P., que l'un et l'autre ont reconnu qu'une partie de leur rémunération mensuelle leur était servie en espèces et que « c'était la même chose pour tout le monde » de telle sorte que les considérations afférentes à la diminution des espèces dont se prévaut G. M. sont insuffisantes à asseoir en tant que telles ses demandes de remboursement ;

Attendu qu'il résulte de son audition réalisée par les services de la sûreté publique le 23 septembre 2010, que L. C. a reconnu avoir prélevé indûment une somme mensuelle de 3 000 euros au cours de l'année 2009 et sur une période de 6 à 8 mois, soit un total cumulé s'élevant incontestablement à la somme de 24 000 euros, au paiement du montant de laquelle il convient dès lors de le condamner au profit de G. M. ;

Attendu qu'il ne saurait être contesté qu'en trahissant la confiance que lui accordait son employeur auprès duquel il était salarié depuis 2007, L. C. a causé un préjudice moral à ce dernier dans des conditions qui justifient l'allocation à son profit de la somme de 6 000 euros en réparation de ce chef ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant contradictoirement à l'égard de la partie civile et conformément à l'article 377 du Code de procédure pénale à l'encontre du prévenu,

Vu les dispositions du jugement prononcé le 15 mars 2011 par le tribunal correctionnel à ce jour définitif dans ses dispositions afférentes à l'action publique,

Reçoit G. M. en son appel,

Statuant dans les limites de celui-ci lequel ne porte que sur les dispositions civiles dudit jugement,

Réforme la décision entreprise,

Déclare G. M. recevable et fondé en sa constitution de partie civile à l'encontre de L. C.,

Condamne L. C. au paiement au profit de G. M. de la somme de 24 000 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Condamne en outre L. C. aux frais du présent arrêt et ce avec distraction au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Composition

Mr Forêt-Dodelin cons. f.f de presse, Mme Dorato-Chicouras cons. - Mr Bellinzona juge au Trib. de Prem. Inst. - Mr Dubes prem. subst. proc. gen. Mme Zanche gref en chef adjt.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 9052
Date de la décision : 25/06/2012

Analyses

Le 17 septembre 2010, G. M., gérant du restaurant « L'Instinct » sis 1 rue Princesse Florestine à Monaco, déposait plainte à l'encontre de son ancien employé, L. C., auquel il faisait grief d'avoir détourné une partie des recettes en espèces de l'établissement, dès lors qu'en examinant sa comptabilité, il avait constaté la baisse significative de ses encaissements au cours de l'exercice 2009, dans des conditions qui rendaient son activité déficitaire au cours de cette période de temps, déficit qui avait toutefois cessé depuis le licenciement de ce salarié pour voir son activité redevenir bénéficiaire.Par jugement intervenu le 15 mars 2001 à ce jour définitif dans ses dispositions concernant l'action publique en l'absence d'appel relevé de ce chef, le Tribunal correctionnel a déclaré L. C. coupable d'abus de confiance au préjudice de son employeur et l'a condamné à la peine de 15 mois d'emprisonnement sous le bénéfice du sursis.Il résulte de l'audition à laquelle G. M. s'est prêtée dans les locaux des services de la sûreté publique le 17 septembre 2010, que c'est à la suite de la perception qu'il avait acquise du comportement indélicat de son employé dont il apparaissait que celui-ci « avait reconnu du bout des lèvres un détournement de numéraires », qu'il a pris la décision de lui demander de démissionner, ce que L. C.I avait accepté ;Il se déduit nécessairement de cette déclaration, que si à la date à laquelle le protocole transactionnel est intervenu consécutivement au licenciement de L. C., soit le 30 avril 2010, G. M. n'était pas dans la totale ignorance du comportement infractionnel de son salarié à son endroit, il n'en avait toutefois pas pris à ce moment-là toute la mesure ;Selon ce protocole d'accord transactionnel et aux termes des concessions réciproques faites tant par l'employeur à l'article 2 que par le salarié à l'article 3, les parties ont convenu à l'article 4 que « le restaurant INSTINCT renonce également à toute action à l'encontre de L. C. résultant de l'exécution et de la cessation de son contrat de travail » ;Aux termes des dispositions de l'article 1887 du Code civil « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu » ;Il s'évince de ces dispositions et en l'absence de toute clause contraire expresse, la renonciation à l'exercice par le restaurant « INSTINCT » à toute action résultant de l'exécution et de la cessation du contrat de travail était nécessairement enfermée dans les seules limites des obligations réciproques générées par l'existence du contrat de travail ;De la même manière, la faculté de transiger sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit telle que prévue par l'article 1885 du Code civil, s'entend également nécessairement de l'existence claire, précise et déterminée, de la commission d'un délit par l'une des parties, sur les conséquences pécuniaires duquel l'autre partie va s'accorder à transiger ;Il est constant en l'espèce que la rédaction de l'article 4 et la dénomination « restaurant l'INSTINCT » démontrent que le litige à propos duquel les parties ont entendu transiger était de nature social et avait seulement trait aux conséquences que conférait à L. C. sa qualité de salarié aux termes du contrat de travail dont il était titulaire au regard notamment des indemnités pécuniaires auxquelles il pouvait prétendre ;En aucune manière l'existence d'un quelconque délit commis par L. C. n'a été prise en compte dans la transaction, dès lors que la somme de 3 500 euros versée par G. M. à son salarié intervenait en sus de son solde de tous comptes et à titre d'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive « dans un esprit d'apaisement et pour couper court à toute discussion de nature à porter préjudice aux deux parties » ;Les prélèvements indus réalisés par le salarié au préjudice de son employeur, lesquels ne peuvent s'entendre, même s'ils ont été accomplis à l'occasion du travail, comme résultant de l'exécution et de la cessation du contrat de travail, en ce qu'ils sont constitutifs d'une infraction pénale, n'ont pas été expressément prévus à la transaction et sont donc exclus de celle-ci ;Si l'existence de cette transaction en ce qu'elle fixe le montant des indemnités dues en fin de contrat s'oppose à toute demande judiciaire de complément de salaire ou de dommages-intérêts, elle n'est cependant pas de nature à rendre irrecevable la demande de G. M. en réparation du préjudice financier qu'il subit à raison du comportement frauduleux de son salarié ;En dernier lieu que G. M. ne pouvait régulièrement transiger que sur la base d'une situation parfaitement claire à l'encontre de son salarié alors même qu'il démontre que ce n'est que postérieurement à son départ qu'il a vraiment pris conscience de l'ampleur des détournements que ce dernier avait commis ;C'est en se fondant à tort sur les dispositions de cette transaction que le tribunal correctionnel a déclaré G. M. irrecevable en ses prétentions à l'encontre de son salarié à obtenir réparation du préjudice que celui-ci lui a fait subir par les détournements qu'il a réalisés à son détriment ;Le jugement sera réformé de ce chef ;Pour solliciter le versement à son profit de la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice matériel, G. M. expose qu'au cours de l'exercice 2009 le total des encaissements en espèces a été en moyenne trois fois inférieur aux exercices 2008 et 2010, soit 98 000 euros de moins qu'en 2008 ;Toutefois il résulte des déclarations des deux témoins entendus par les services de police, C. D. et F. P., que l'un et l'autre ont reconnu qu'une partie de leur rémunération mensuelle leur était servie en espèces et que « c'était la même chose pour tout le monde » de telle sorte que les considérations afférentes à la diminution des espèces dont se prévaut G. M. sont insuffisantes à asseoir en tant que telles ses demandes de remboursement ;Il résulte de son audition réalisée par les services de la sûreté publique le 23 septembre 2010, que L. C. a reconnu avoir prélevé indûment une somme mensuelle de 3 000 euros au cours de l'année 2009 et sur une période de 6 à 8 mois, soit un total cumulé s'élevant incontestablement à la somme de 24 000 euros, au paiement du montant de laquelle il convient dès lors de le condamner au profit de G. M. ;Il ne saurait être contesté qu'en trahissant la confiance que lui accordait son employeur auprès duquel il était salarié depuis 2007, L. C. a causé un préjudice moral à ce dernier dans des conditions qui justifient l'allocation à son profit de la somme de 6 000 euros en réparation de ce chef ;

Pénal - Général  - Infractions contre les personnes  - Responsabilité pénale.

Abus de confianceDétournement de recettes en espèces par un serveur salarié mandataire de son employeur restaurateur au préjudice de celui-ci - Jugement définitif du Tribunal correctionnel condamnant le serveur - mais rejetant l'action civile de l'employeur en estimant qu'en l'état d'un accord transactionnel celui-ci avait renoncé à toute action - Action en dommages et intérêts de l'employeur partie civile devant la Cour d'appel - Recevabilité de cette action : l'accord conventionnel qui est intervenu à la suite du licenciement du prévenu ne concernait nullement l'intérêt civil résultant du délit d'abus de confiance d'où - Octroi de dommages intérêts à la partie civile pour préjudice matériel et moral - Intérêts civils.


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : C.

Références :

article 377 du Code de procédure pénale
article 1887 du Code civil
article 1883 du Code civil
article 1885 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2012-06-25;9052 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award