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20/03/2012 | MONACO | N°8448

Monaco | Cour d'appel, 20 mars 2012, La SAM DRAGON D'OR c/ s. CA.


Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 MARS 2012

En la cause de :

- La société anonyme monégasque dénommée DRAGON D'OR, dénomination commerciale « PRINCE'S TEA » - dont le siège social se trouve 35 boulevard Princesse Charlotte à Monaco, prise en la personne de son président administrateur délégué en exercice Monsieur m. TR. RI., demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

A

PPELANTE,

d'une part,

contre :

- Monsieur s. CA., demeurant X à Nice ;

Ayant élu domicile en l'Etude de ...

Motifs

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 MARS 2012

En la cause de :

- La société anonyme monégasque dénommée DRAGON D'OR, dénomination commerciale « PRINCE'S TEA » - dont le siège social se trouve 35 boulevard Princesse Charlotte à Monaco, prise en la personne de son président administrateur délégué en exercice Monsieur m. TR. RI., demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- Monsieur s. CA., demeurant X à Nice ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 19 mai 2011, signifié le 31 mai 2011 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 juin 2011 (enregistré sous le numéro 2012/000004) ;

Vu les conclusions déposées le 29 novembre 2011, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de s. CA. ;

Vu les conclusions déposées le 24 janvier 2012, par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SAM DRAGON D'OR ;

À l'audience du 31 janvier 2012, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La cour statue sur l'appel relevé par la SAM DRAGON D'OR, à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail rendu le 19 mai 2011.

Considérant les faits suivants :

s. CA., employé en qualité de pâtissier livreur par la société anonyme DRAGON d'OR depuis le 28 octobre 1985, a été licencié le 24 février 2009 à la suite d'une décision médicale dont il a été l'objet le 11 février 2009 ; il a contesté l'interprétation faite par son employeur de la loi n°1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail.

Par jugement du 19 mai 2011, le tribunal du travail a condamné la société DRAGON d'OR à lui verser la somme brute de 3.638,98 euros à titre d'indemnité de préavis ainsi que la somme brute de 363,90 euros au titre des congés afférents, celle de 11.776,15 euros à titre d'indemnité de licenciement, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 9 avril 2009, celle de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et débouté la société DRAGON d'OR du surplus de ses demandes.

Suivant exploit d'appel et assignation du 29 juin 2011, et par ses conclusions postérieures, la société DRAGON d'OR demande à la cour de réformer ce jugement en toutes ses dispositions, de débouter s. CA. de ses prétentions contraires et de constater que la loi n°1.348 du 25 juin 2008, qui ne prévoit pas le cas du salarié inapte à tout poste dans l'entreprise, ne saurait donc s'appliquer au cas d'espèce.

Elle soutient que cette loi vise seulement le reclassement du salarié déclaré inapte à occuper son emploi et fait grief au jugement :

* d'avoir retenu son application, alors que s. CA. a été déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail,

* d'y ajouter, en retenant que la solution du litige porte sur les conséquences qu'elle attache au licenciement d'un salarié déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise,

* de n'avoir pas répondu au moyen afférent à la force majeure qu'elle a alléguée,

* d'avoir évacué la question de savoir si elle organise la situation d'un salarié inapte à son emploi, ou à tout emploi dans l'entreprise,

* d'avoir considéré de manière erronée que ses articles 2, 8 et 9 avaient vocation à s'appliquer au cas d'un salarié définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise,

* d'avoir considéré que si elle n'a pas expressément envisagé le cas de l'inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise, elle n'avait pas pour autant entendu l'exclure de son champ d'application.

Elle soutient que, selon la législation du travail monégasque, le contrat de travail avec un nouveau salarié est anéanti lorsque le médecin du travail conclut à l'incapacité du salarié d'occuper le poste pour lequel il a été recruté, cette résolution du contrat étant exclusive d'une procédure de licenciement.

Que l'hypothèse de l'employeur qui n'a pas voulu ou pas pu reclasser le salarié définitivement inapte à son emploi, prévu par la loi n° 1.348 du 25 juin 2008, est différente du cas d'espèce puisque s. CA. a été déclaré définitivement inapte à tout emploi.

Par conclusions enregistrées le 29 novembre 2011, s. CA. demande à la cour de débouter la société DRAGON d'OR de son appel, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à lui payer l'indemnité de préavis, celle due au titre des congés afférents, et l'indemnité de licenciement, de dire qu'elle a eu un comportement fautif en ne respectant pas les dispositions légales en dépit des préconisations de l'inspection du travail et en manifestant une résistance abusive au règlement de ses droits, laquelle lui a causé un préjudice tant moral que financier ; de la condamner en conséquence à lui payer une somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts, au lieu de celle de 6.000 euros fixée par le tribunal, de lui verser une somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif.

Il expose n'avoir perçu ni indemnité de préavis, ni indemnité de congédiement à la suite de son licenciement, malgré l'intervention en ce sens de l'inspection du travail et que s'il est inapte à tout poste dans l'entreprise, il est, a fortiori, inapte à la reprise de son poste.

Il soutient essentiellement qu'après avoir recherché la volonté du législateur, les premiers juges ont conclu à bon droit que le cas de l'inaptitude à tout poste n'était pas exclu des dispositions légales.

Que l'exposé des motifs du projet de loi laisse apparaître que l'objectif de celle-ci est de lever l'état d'incertitude des salariés déclarés définitivement inaptes et de viser sans exclusive l'inaptitude définitive du salarié à tout poste dans l'entreprise, a fortiori à son poste.

Que dans les deux hypothèses visées par l'article 6 (lorsque l'employeur ne peut proposer un autre emploi ou que le salarié refuse le reclassement), amendé afin de viser toutes les hypothèses pouvant donner lieu à la rupture du lien contractuel, l'employeur est dans l'obligation de licencier.

Que la société DRAGON d'OR prétend faussement que l'article 8 de la loi renvoie à l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, disposant que l'indemnité de congédiement n'est pas due en cas de force majeure, alors qu'il ne s'y réfère qu'en en ce qui concerne le montant de l'indemnité.

Que l'indemnité de préavis allouée par le législateur est destinée à compenser les difficultés que le bénéficiaire peut être amené à rencontrer à raison de son affaiblissement physique, dans le cadre de son reclassement externe.

Que l'article 1 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ne contient aucune disposition faisant référence à la force majeure.

Que, s'agissant des dommages et intérêts, la société DRAGON d'OR s'est abstenue de régler l'indemnité de congédiement qui était due sous l'ancienne loi, de sorte que sa mauvaise foi est ainsi établie.

SUR CE,

Attendu que l'article 1 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 prévoit que ce texte régit « le reclassement du salarié déclaré définitivement inapte à occuper son emploi par le médecin du travail » ;

Attendu que pour soutenir désormais que cette loi ne s'applique pas au cas d'espèce, la société DRAGON d'OR fait valoir que s. CA. a été déclaré non pas inapte à occuper son poste, mais inapte à occuper tout poste dans l'entreprise en sorte qu'il se trouve donc dans une situation non prévue par ce texte ;

Attendu que par courrier recommandé du 24 février 2009, la société DRAGON d'OR a notifié à s. CA. son licenciement sans indemnité de congédiement, en lui faisant connaître que :

* il a été « déclaré inapte à la reprise du travail à son poste »,

* son licenciement s'effectue sur injonction de la direction du travail, en application de la loi susvisée, dont l'article 8 renvoie à l'article 11 de celle n° 729 du 16 mars 1963, disposant que l'indemnité de congédiement n'est pas due en cas de force majeure, la décision de la médecine du travail étant précisément constitutive de la force majeure ;

Attendu que c'est donc uniquement en considération de son inaptitude à la reprise du travail à son poste que la société DRAGON d'OR a choisi de procéder au licenciement de s. CA. ;

Attendu qu'elle a elle-même communiqué à son employé les informations sur ce point, contenues dans la fiche d'aptitude établie par le médecin du travail qui lui avait transmis ce document dans le cadre des dispositions de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008, pour permettre la mise en œuvre du texte ;

Attendu que la société DRAGON d'OR a, au surplus, faussement fait état d'une injonction qui lui aurait été faite par la direction du travail de procéder ainsi, les pièces produites aux débats ne portant en effet aucune trace d'une telle mise en demeure, mais démontrant à l'inverse que l'appelante est seule à l'origine de cette décision ;

Attendu que si s. CA. a, en tout état de cause, été déclaré définitivement inapte à tout poste, il a, a fortiori, été déclaré inapte à son poste ;

Attendu que la société DRAGON d'OR se trouve en conséquence mal fondée dans sa demande tendant à voir désormais rejeter l'application de cette loi que le premier juge a retenue à juste titre, d'une part, en observant que, si l'inaptitude définitive à tout poste n'est pas expressément prévue dans ce texte, elle n'est pour autant pas exclue de ses dispositions, d'autre part, en relevant que l'application de la loi découle de l'exposé de ses motifs, faisant apparaître la nécessité de consacrer le droit du salarié à voir régler sa situation lorsque son inaptitude professionnelle est reconnue ;

Attendu que ces dispositions emportent dispense légale de préavis et ouverture à un droit à indemnité, prévu à l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, lequel ne prévoit aucunement le non-versement de cette indemnité en cas de force majeure, comme soutenu à tort par la société DRAGON d'OR ;

Attendu qu'il y a donc lieu de confirmer la décision des premiers juges, en ce qu'ils ont fait une juste application de la loi n°1.348 du 25 juin 2008, pour fixer le montant de l'indemnité de préavis, des congés afférents et de l'indemnité de congédiement dus à s. CA. ;

Attendu, sur les dommages et intérêts, qu'en procédant au licenciement de s. CA., employé dans l'entreprise depuis 24 ans, sans lui verser une indemnité de congédiement, prévue en tout état de cause par la loi précédant celle dont elle a fait application pour en tirer des conséquences fallacieuses, la société DRAGON d'OR lui a causé un préjudice qui doit être réparé ;

Attendu qu'il y a lieu de fixer le montant de ce préjudice à la somme de 8.000 euros et de réformer sur ce point la décision du premier juge ;

Attendu qu'en relevant appel du jugement sans exposer de moyens véritablement nouveaux, alors qu'elle ne pouvait se méprendre sur la portée de ses droits, la société DRAGON d'OR a contraint s. CA. à engager des frais pour se défendre en justice et à subir ainsi un préjudice que la cour a les moyens de fixer à la somme de 4.000 euros, au paiement de laquelle il y a lieu de condamner l'appelante ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant contradictoirement,

* Confirme le jugement du Tribunal du travail du 19 mai 2011, sauf en ce qu'il a fixé le montant des dommages et intérêts dus à s. CA. à la somme de 6.000 euros (six mille euros),

* Le réforme sur ce point,

* Condamne la société DRAGON d'OR à payer à s. CA. la somme de 8.000 euros (huit mille euros) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Y ajoutant,

* Condamne la société DRAGON d'OR à payer à s. CA. la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour appel abusif ;

* Condamne la société DRAGON d'OR aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

* Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel, au Palais de Justice, à Monaco, le vingt mars deux mille douze par Monsieur Robert CORDAS, Premier président, Monsieur Thierry PERRIQUET, et Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, chevalier de l'ordre de Saint-Charles conseillers, en présence de Monsieur Michael BONNET, substitut du procureur général, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, greffier en chef adjoint, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8448
Date de la décision : 20/03/2012

Analyses

L'inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise n'est pas exclue des dispositions de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008.Un pâtissier livreur, employé depuis le 28 octobre 1985 avait été licencié sans indemnité de préavis ni de congédiement, le 24 février 2009, à la suite d'un avis médical du 11 février 2009 le déclarant inapte à tout poste dans l'entreprise. La société qui l'employait soutenait, devant le tribunal du travail, saisi par le salarié, que la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 n'était pas applicable, l'inaptitude visée par le médecin du travail s'appliquant à « tout poste dans l'entreprise », situation selon elle différente de celle prévue par l'article 1er de cette loi qui intéresse « le reclassement du salarié déclaré définitivement inapte à occuper son emploi ». L'employeur soutenait ainsi que l'indemnité de congédiement n'est pas due en cas de force majeure. Or, selon lui, la décision de la médecine du travail était précisément constitutive de force majeure.La Cour d'Appel, confirmant, sur ce point, le jugement du tribunal du Travail approuva les premiers juges d'avoir retenu l'application de cette loi en observant tout d'abord que si l'inaptitude à tout poste n'est pas expressément prévue par ce texte, elle n'est pas pour autant exclue de ses dispositions. La Cour d'Appel relève ensuite que, ainsi que l'on fait apparaître les juges du premier degré que l'application de la loi découle de son exposé des motifs, faisant apparaître la nécessité de consacrer le droit du salarié à voir régler sa situation lorsque son inaptitude professionnelle est reconnue. Les dispositions de la loi emportent dispense légale de préavis et ouverture d'un droit à indemnité, prévu à l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 lequel ne prévoit aucunement le non-versement de cette indemnité en cas de force majeure. La décision du tribunal est ainsi confirmée qui a, au demeurant, fait une juste application de la loi pour fixer le montant des indemnités de préavis, congés payés y afférents et de l'indemnité de congédiement.

Rupture du contrat de travail  - Chômage et reclassement  - Responsabilité de l'employeur.

Licenciement sans indemnité d'un salarié déclaré définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise - Interprétation de l'article 1er de la loi n°1 - 348 du 25 juin 2008 - Loi applicable à l'inaptitude définitive - Droit au paiement des indemnités de préavis et congédiement - réparation du préjudice causé par l'inexécution de la loi.


Parties
Demandeurs : La SAM DRAGON D'OR
Défendeurs : s. CA.

Références :

loi n° 1.348 du 25 juin 2008
article 1er de la loi n°1.348 du 25 juin 2008
article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008
article 1 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2012-03-20;8448 ?

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