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11/03/2003 | MONACO | N°27078

Monaco | Cour d'appel, 11 mars 2003, Sté UDV North america incorporation c/ Sté dénommée ZAO


Abstract

Marques de fabrique

Notoriété d'une marque nominale - Objet d'un enregistrement national - Droit du titulaire de celle-ci de demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction d'usage de la marque enregistrée susceptible de créer une confusion (art. 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983)

Résumé

Parmi les marques susvisées dont la société Diageo North North America INC revendique la propriété exclusive à Monaco, en raison de leur enregistrement obtenu au Service de la Propriété Intellectuelle conformément aux dispositions de l'article 3 de la l

oi n° 1058 du 10 juin 1983, la marque nominale ci-dessus reproduite n° 97-18809, destinée...

Abstract

Marques de fabrique

Notoriété d'une marque nominale - Objet d'un enregistrement national - Droit du titulaire de celle-ci de demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction d'usage de la marque enregistrée susceptible de créer une confusion (art. 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983)

Résumé

Parmi les marques susvisées dont la société Diageo North North America INC revendique la propriété exclusive à Monaco, en raison de leur enregistrement obtenu au Service de la Propriété Intellectuelle conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, la marque nominale ci-dessus reproduite n° 97-18809, destinée à désigner des produits de la classe 33, sous une inscription en caractères cyrilliques correspondant à la dénomination « Smirnoff », s'avère sans conteste, eu égard à cette correspondance, notoirement connue, au sens de l'article 5 de la loi précitée, en l'état des motifs, à juste titre retenus de ce chef par les premiers juges, relatifs à la marque « Smirnoff », lesquels doivent être approuvés au vu des pièces produites, notamment quant à l'existence d'une notoriété de cette marque, et, partant, de ses translittérations et marques associés en caractères cyrilliques, ce, antérieurement aux enregistrements dont l'annulation est actuellement sollicitée, qui ont été obtenus par la société ZAO au Bureau International de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, à partir de l'année 1994, conformément aux stipulations de l'Arrangement de Madrid ;

En effet la notoriété d'une dénomination originale qui se trouve utilisée à titre de marque verbale, afin d'attirer par son prononcé l'attention auditive du public, s'étend nécessairement à l'ensemble des orthographes et langages pouvant être diversement employés pour l'expression écrite de cette marque, dès lors qu'une telle dénomination se présente littéralement comme devant être prononcée d'une seule et même manière au plan international, en sorte que ses différentes écritures participent nécessairement de la notoriété de la marque ;

En application de l'article 4 § 1 de l'Arrangement de Madrid précité, constituant un accord de formalités, les enregistrements internationaux litigieux, qui ont produit à Monaco les effets de dépôts nationaux régulièrement enregistrés, sont comme ces derniers, soumis pour ce pays aux règles d'invalidation édictées par la loi monégasque, ainsi que le prévoit, en l'occurrence, l'article 5 § 6 de cet accord, les juridictions monégasques étant de ce chef compétentes ;

Aux termes de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 janvier 1983, le titulaire d'une marque notoire peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ;

Cette dernière circonstance suppose que le signe déposé soit identique ou à tout le moins très proche de celui de la marque notoire dont il constituerait l'imitation, et que celle-ci se rapporte à des produits similaires à ceux devant être désignés par le signe litigieux ;

En d'autres termes la marque notoire visée à l'article 5 de la loi n° 1058 constitue une antériorité permettant à son titulaire de s'opposer au dépôt par des tiers d'une marque analogue à la sienne encore bien qu'il n'ait pas lui-même satisfait précédemment aux formalités du dépôt de celle-ci à Monaco, ce qui est le cas en l'occurrence pour la marque nominale « Smirnoff » et ses marques associées en caractères cyrilliques, qui n'avaient pas fait l'objet d'un dépôt au Service de la Propriété Intellectuelle avant l'enregistrement, en 1994, de la première marque litigieuse susvisée n° 656-943 ;

Cet enregistrement international, de même que les trois autres qui lui ont fait suite (n° 685-322, 685-323 et 696-153) font apparaître, par rapport à la translittération en caractère cyrilliques de ma marque notoire « Smironoff » enregistrée à Monaco sous le n° 97-18809, une inscription principale, comportant les mêmes sept lettres que celles initiales de cette marque, exclusion faite de la dernière lettre « A » ;

Ils signalent ainsi, par suite de la suppression d'une seule lettre, une évidente similitude visuelle et phonétique dont découle l'imitation de la marque notoire antérieure, à juste titre revendiquée dans ces conditions par l'appelante comme faisant obstacle aux enregistrements incriminés, en tant qu'ils portent sur les mêmes produits que les siens ;

Motifs

La Cour,

Considérant les faits suivants :

La société Diago North America Inc venant, en dernier lieu, par changement de raison sociale, aux droits de la société UDV North America Inc, qui était originairement titulaire de deux marques nominales n° 97-18809 et 97-18810 ainsi que d'une marque emblématique n° 97-18811, toutes trois déposées le 2 octobre 1997 à Monaco, revendique la propriété de ces marques pour les produits de la classe 33 de la classification internationale résultant de l'ordonnance souveraine n° 10.657 du 29 septembre 1992.

Lesdites marques ont fait l'objet de la publication prévue par l'article 7 de la loi n° 1051 du 10 juin 1983, au moyen d'une insertion parue au Journal de Monaco du 20 février 1998...

Motif pris, notamment, de la notoriété de l'appellation Smirnoff composant en caractères latins ou en translittération cyrillique chacune des trois marques ainsi revendiquées, lesquelles bénéficieraient donc de la protection prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, la société UDV a fait assigner devant le Tribunal de première instance, par acte du 5 mai 1999, la société de droit russe mentionnée en tête du présent arrêt, ci-après ZAO, dont la dénomination sociale en langue française est « Maison de commerce des descendants du fournisseur de la Cour de sa Majesté Impériale, P.A. S. », afin d'obtenir la radiation de la partie monégasque de huit enregistrements internationaux de marque auxquels cette dernière société avait, pour sa part, procédé auprès du Bureau de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), conformément aux stipulations de l'Arrangement de Madrid, révisé, concernant l'enregistrement international des marques, du 14 avril 1891 qui a été rendu exécutoire à Monaco par ordonnance souveraine n° 5685 du 29 octobre 1975.

Celui-ci prévoit, en effet, en son article 4-1, qu'à partir de l'enregistrement fait au Bureau international la protection de la marque dans chacun des pays contractants intéressés sera le même que si cette marque y avait été directement déposée, dès lors qu'un tel enregistrement aura été fait avec demande d'extension à ces pays, ce qui a été le cas, en l'occurrence, pour la Principauté de Monaco.

Les enregistrements dont la société UDV sollicitait du Tribunal la radiation pour Monaco ont été obtenus auprès du Bureau international de l'OMPI sous les numéros suivants :

* 656-943, 685-322, 685-323, 694-008, 694-009, 694-010, 694-011 et 696-153.

Devant le Tribunal, la société UDV estimait, à ce propos, qu'un risque de confusion pouvait survenir entre ses marques déposées à Monaco, ci-dessus reproduites, et celles enregistrées à l'OMPI par la société défenderesse, qui y avait fait figurer une appellation Smirnov pour le même secteur d'activité, alors qu'elle n'avait cependant ni utilisé ni diffusé elle-même aucune de ces marques sur le territoire de la Principauté, de sorte qu'elle ne pouvait, selon la demanderesse, bénéficier de la protection édictée par l'article 4 alinéa 1er de la loi n° 1058 du 10 juin 1983.

La société défenderesse, plaidant conjointement avec B. S., partie-intervenante, avait, en revanche, conclu devant le Tribunal au débouté de la société UDV de l'ensemble de ses demandes, à l'existence d'une appropriation frauduleuse par celle-ci, tant de la marque Smirnoff que du nom patronymique S., ainsi qu'à la nullité et à la radiation de la marque Smirnoff n° 97-188, en sollicitant qu'injonction soit faite sous astreinte à la société UDV d'user dorénavant de cette marque et que cette même partie soit condamnée à lui payer, pour appropriation frauduleuse de marque et pour concurrence déloyale, la somme de 1 000 000 francs pour chacun de ces chefs de demande, à titre de dommages-intérêts, avec publication du jugement et exécution provisoire de celui-ci.

En l'état de cet ensemble de prétentions, et par jugement du 29 novembre 2001, le Tribunal de première instance a déclaré recevable l'intervention de B. S., constaté, que, par l'effet du dépôt effectué le 2 octobre 1997 auprès du Service de la propriété intellectuelle de Monaco, la société UDV bénéficiait de la protection instaurée par la loi n° 1058 pour la marque de vodka Smirnoff et le logo y afférent, déclaré recevable l'action en annulation de dépôt et interdiction d'usage intentée par la société UDV, et, faisant application des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, prononcé la nullité de la partie monégasque des dépôts internationaux effectués par la société ZAO, le 8 mai 1998, auprès de l'OMPI, avec extension territoriale inscrite à Monaco sous les numéros suivants : 694-008, 694-009, 694-010 et 694-011.

Le Tribunal a en outre fait interdiction à la société ZAO d'utiliser la marque Vodka Smirnov et les logos y afférents dans la Principauté de Monaco, condamné cette société à payer à la société UDV la somme de 19 678,71 francs, soit 3 000 euros, à titre de dommages-intérêts, débouté la société UDV du surplus de ses demandes concernant les dépôts internationaux respectivement enregistrés sous les numéros 656-943, 685-322, 685-323 et 696-153, débouté la société ZAO des fins de sa demande reconventionnelle, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement, et condamné la défenderesse principale aux dépens.

Pour se prononcer de la sorte, le Tribunal de première instance a d'abord rappelé, au regard des éléments d'information constants émanant des parties, l'histoire de la marque Smirnov créée par P. A. S., qui avait fondé vers 1860 une maison de commerce russe afin de distiller et vendre de la vodka, et autres spiritueux.

Celui-ci, décédé en 1898, avait laissé à sa survivance, notamment trois fils, P., N. et V., qui devaient d'abord reprendre l'entreprise familiale avec leur mère, puis en 1902, créer une « société P.A. S. », ultérieurement nationalisée en 1918, après la Révolution d'Octobre.

Ayant quitté la Russie en 1920, V. P. S. avait par la suite fondé en Pologne la société « P. S. et fils Inc » qui avait en particulier pour objet de commercialiser la vodka du même nom, et il avait procédé de même à Paris à partir de 1925.

En 1933 un nommé K. reçut toutefois de la société de V. S. la concession exclusive de la marque « Smirnoff » pour l'Amérique du Nord, et les droits en résultant furent ensuite cédés à une société américaine dénommée « P. S. Inc » contrôlée en 1939 par une autre société H. et Brother, elle-même devenue, en définitive, la société Udv North America.

Entre temps, et depuis le décès de P. P. S. survenu en 1910, la marque « Smirnov » avait cessé d'être exploitée en Russie, jusqu'à ce qu'en 1994 soit créée, par B. S., la « Maison de commerce des descendants du fournisseur de la Cour de sa Majesté impériale P.A. S. ».

Après ce rappel historique, et indiquant examiner en premier lieu l'action en contrefaçon dirigée par la société UDV à l'encontre de la société ZAO, le Tribunal de première instance a retenu qu'au regard de son dépôt à Monaco de la marque Smirnoff Vodka opéré le 2 octobre 1997, la société UDV bénéficiait de la protection assurée par la loi monégasque n° 1058 sur les marques de fabrique, mais qu'elle n'était recevable à agir en annulation du dépôt ou interdiction d'usage, ainsi qu'elle le faisait contre la société ZAO, que dans les conditions édictées par l'article 5 de cette loi, l'action à ce destinée étant en effet réservée, selon le Tribunal, au seul titulaire d'une marque notoirement connue.

À cet égard, les premiers juges ont estimé indéniable que la marque Vodka Smirnoff bénéficiait d'une réputation mondiale et s'imposait depuis de nombreuses années hors de la Principauté de Monaco et d'un cercle d'usagers habituels, en touchant une clientèle variée et internationale ; les pièces produites en première instance, notamment les articles de presse et les tableaux comparatifs de consommation, faisant même ressortir que cette marque détenait la première place au niveau mondial en volume de consommation de vodka.

Ils ont ensuite admis que l'action en annulation de dépôt avait bien été introduite dans le délai de 5 années requis par l'article 5 2e alinéa de la loi n° 1058, dès lors que la société ZAO avait obtenu l'enregistrement international de la marque « Smirnov » avec extension pour Monaco, dès le mois d'octobre 1994, puis successivement en 1997 et 1998, s'agissant d'autres éléments figuratifs, alors que la société UDV avait agi en annulation suivant exploit du 5 mai 1999.

Le Tribunal de première instance a dès lors reçu la société UDV en sa demande et estimé qu'il convenait par là même de déterminer si les marques « Smirnov » et les logos déposés par la société ZAO étaient susceptibles d'occasionner une confusion avec la marque « Smirnoff Vodka » bénéficiant de la protection légale à Monaco.

À ce propos le Tribunal s'est livré à la comparaison du graphisme de la marque « Smirnoff Vodka », et du logo y afférent, avec certaines des marques et éléments figuratifs enregistrés auprès de l'OMPI par la société ZAO, avec extension à Monaco.

Il en a conclu à un risque évident de confusion auprès d'une clientèle d'attention moyenne, dès lors que les enregistrements internationaux, portant les numéros respectifs : 694-008, 694-009, 695-010, 694-011, font état d'une translittération de la marque Smirnov qui rappelle celle déposée par la société UDV au regard de ce que l'écriture cyrillique utilisée dans la partie supérieure du graphisme des marques correspondantes est immédiatement suivie de la mention traduite « P.A. S. », tout comme la qualification du produit qui est indiqué de manière explicite sous l'appellation « Smirnov's Vodka », et qu'en outre, la ressemblance générale des dessins, comprenant respectivement liserés lisses ou tressés, couronne ou draperie, avec la présence de quatre blasons dans la partie supérieure, renforce la similitude.

Le Tribunal de première instance a donc retenu que l'image simplifiée et l'impression d'ensemble laissée dans la mémoire d'un consommateur, qui n'a pu disposer simultanément sous ses yeux des deux appellations concurrentes, était susceptible d'entraîner un risque de confusion quant aux enregistrements précités.

Le Tribunal de première instance a, en revanche, estimé que les autres enregistrements internationaux obtenus à l'OMPI par la société ZAO, avec effet à Monaco, portant les numéros 656-943, 685-322, 685-323 et 696-153 n'étaient pas de nature à générer un quelconque danger de confusion auprès d'un consommateur courant, ne comprenant pas le cyrillique et ne pouvant dès lors pas lire le patronyme S., ni même le nom de la boisson, soit vodka, dans un langage occidental usuel, de sorte que seuls les dépôts relatifs à la dénomination « Smirnov's Vodka » pouvaient être susceptibles d'induire le chaland en erreur, étant en outre rappelé par le Tribunal que la possibilité de confusion ne saurait être appréciée indépendamment du domaine d'utilisation de chacune des marques, ce qui l'a conduit à relever que les enregistrements litigieux de la société ZAO concernaient les produits de la classe 33, c'est-à-dire ceux qualifiés de « boissons alcooliques » qui faisaient eux-mêmes l'objet de l'activité principale de la société UDV et du dépôt à Monaco de la marque « Vodka Smirnov ».

Le Tribunal de première instance a, par ailleurs, écarté incidemment une argumentation avancée par la société défenderesse relative à l'utilisation de bonne foi du nom patronymique S. lors de l'enregistrement par celle-ci de ses marques incriminées, dès lors que, s'il ressort des dispositions de l'article 1er alinéa 2 de la loi n° 1058 que les titulaires de noms patronymiques ne peuvent en interdire l'usage aux homonymes de bonne foi, à titre de dénomination commerciale de l'entreprise qu'ils dirigent, cette exception au principe général de la protection des marques ne concerne que les homonymes, personnes physiques, utilisant leur propre nom comme enseigne ou nom commercial, et ne saurait bénéficier à une personne morale qui déposerait un nom patronymique comme marque, étant rappelé par le Tribunal qu'en l'espèce, les enregistrements internationaux en cause n'ont pas été obtenus au nom de B. S., mais au nom de la société ZAO.

Le Tribunal de première instance a dès lors décidé qu'il y avait lieu, à l'effet d'assurer la protection de la marque déposée par la société UDV, de faire application des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 et de prononcer les annulations et interdictions d'usage à Monaco, pour les seuls enregistrements susvisés effectués à l'OMPI par la société ZAO avec extension à Monaco, sous les numéros 694-008, 694-009, 694-010, 694-011, sans que, de ces chefs, l'exécution provisoire du jugement ne fût justifiée par une quelconque urgence, puisqu'il n'était ni démontré ni même allégué que la marque incriminée eût donné lieu à Monaco à un début d'exploitation effective, circonstance ayant également conduit le Tribunal à n'allouer en l'espèce à la demanderesse, en l'absence de tout préjudice pouvant être invoqué du fait d'un tel usage, non établi, qu'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la demande reconventionnelle formée par la société ZAO tendant à voir déclarer nulle la marque « Smirnoff » appartenant à la société UDV par application de l'article 2 (2e alinéa 2°) de la loi n° 1058, le Tribunal a retenu, d'autre part, qu'aux termes de ce texte : « ne peuvent être considérées comme marques, celles qui comportent des énonciations propres à tromper le public » mais qu'il s'induisait des circonstances de la cause que la société UDV venait aux droits de V. S., fils de P.A. S., et qu'à ce titre les étiquettes comportant sa marque et faisant état de la période 1886-1917 n'étaient pas de nature à tromper le consommateur comme afférentes à une période d'exploitation effective de son entreprise par P.A. S.

Par ailleurs, et s'agissant des caractères cyrilliques, insusceptibles d'entraîner un risque de confusion, le Tribunal a retenu que leur présence sur la marque de la société UDV ne caractérisait aucune tromperie à l'égard d'un consommateur occidental n'en comprenant pas le sens et que seules les énonciations intelligibles ont été prévues par le législateur au titre d'une possibilité de tromperie, en sorte que la présence de termes inconnus pour la quasi-majorité des consommateurs ne saurait induire la caducité de la marque « Smirnoff » déposée par la société UDV, qui n'apparaissait dès lors nullement entachée de nullité au sens de la loi n° 1058.

Le Tribunal de première instance a, enfin, estimé qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la société UDV dans le cadre de l'exploitation de sa marque, et qu'aucun préjudice n'était, d'autre part, démontré par la société ZAO, qui devait donc être déboutée des fins de son action en concurrence déloyale, laquelle obéit aux principes de la responsabilité pour faute.

Par l'acte d'appel et d'assignation susvisé, du 4 octobre 2002, la société Diageo North America Inc anciennement dénommée Udv North America Incorporation, faisant grief au Tribunal de première instance de n'avoir pas prononcé l'annulation pour Monaco des enregistrements susvisés n° 656-943, 685-322, 685-323 et 696-153, sollicite désormais ladite annulation à l'encontre de la seule société russe ZAO, par voie de réformation partielle du jugement ainsi rendu le 29 novembre 2001, qu'interdiction soit faite à la partie intimée d'utiliser désormais les marques et emblèmes correspondant aux enregistrements litigieux, et que leur radiation soit ordonnée par la Cour, auprès du Service de la propriété intellectuelle, sur signification de l'arrêt de condamnation requis.

Selon les extraits du registre international des marques produits par l'appelante à l'appui de son recours, les enregistrements dont l'annulation est ainsi poursuivie font apparaître les indications descriptives (non reproduites)...

Au soutien de sa demande d'annulation de ces enregistrements pour Monaco, la société Diageo North America Inc fait valoir que les restrictions contenues dans le jugement entrepris, relatives à la présentation des marques correspondantes en écriture cyrillique, procèdent d'une erreur d'interprétation quant aux circonstances économiques, et sont contraires aux dispositions de la loi, qui sont générales en matière de contrefaçon.

Cette société conteste, en effet que l'on puisse invoquer la circonstance que le consommateur moyen d'Europe occidentale ne soit pas apte à lire les caractères cyrilliques pour refuser par voie de conséquence l'application, dans toute leur étendue, des textes légaux en matière de marques, de brevets ou de modèles.

L'appelante mentionne à ce propos que le risque de confusion avec sa marque mondialement connue « Smirnoff » serait patent dès l'instant que la marque « Smirnov » serait elle-même diffusée en écriture cyrillique, alors que de nombreuses personnes, originaires de l'Europe de l'Est, habituées aux alphabets latin et cyrillique, pourraient être de la sorte trompées quant à l'origine des articles qui leur seraient offerts à la vente à Monaco, sous la marque « Smirnov » ou la translittération cyrillique de cette dénomination.

De la sorte, la société Diageo North America Inc estime que rien ne saurait restreindre en l'espèce l'application de l'article 5, qu'elle invoque, de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, en présence d'une contrefaçon de marque même dissimulée sous une écriture étrangère.

Cette même société souligne, enfin, qu'elle a elle-même déposé à Monaco, sous les numéros 97-18809 et 97-18810, les marques « Smirnov » et « Smirnovskaya Vodka n° 21 » en écriture cyrillique (qui ont été publiées comme il a été dit ci-dessus) et que l'existence de ces marques, tout aussi dignes de protection que celles libellées en caractères latins, doit lui permettre de s'opposer à ce qu'aient effet à Monaco les enregistrements incriminés en cause d'appel, qu'elle fait ainsi grief à la société intimée d'avoir indûment obtenus.

La société ZAO ayant son siège social à Moscou n'a pas comparu sur l'appel formé de la sorte à son encontre.

L'exploit d'assignation correspondant à cet appel a été laissé en copie au parquet du procureur général, comme le prescrit l'article 150 du Code de procédure civile, et une semblable copie a été, en outre, adressée par l'huissier, pour information, à la société intimée, ce, en application du même texte et par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Selon les pièces produites par l'appelante, l'avis de réception de cette lettre, qui contenait la copie de l'exploit d'assignation et d'appel susvisé, révèle que la correspondance ainsi adressée à la société intimée est parvenue le 17 octobre 2002, au bureau de poste de Moscou devant l'acheminer à cette destinataire, et qu'une signature a été apposée le 20 octobre 2002 attestant de ce que celle-ci l'a reçue.

Sur quoi,

En la forme,

Considérant qu'aux termes de l'article 214 du Code de procédure civile, applicable en cause d'appel par l'effet de l'article 435 du même code, l'assignation est considérée comme ayant été délivrée à la personne du défendeur lorsqu'il est établi que celui-ci en a eu connaissance ;

Qu'en pareil cas la décision est réputée contradictoire ;

Considérant qu'en l'espèce la société ZAO a eu connaissance de l'exploit d'appel et d'assignation susvisé par la copie qui lui en a été adressée par l'huissier, et qu'elle a reçue le 20 octobre 2002, ainsi qu'il vient d'être dit ;

Que, dès lors, le présent arrêt lui sera réputé contradictoire en application des articles 214 et 435 précités du Code de procédure civile ;

Au fond,

Considérant que, parmi les marques susvisées dont la société Diageo North America Inc revendique la propriété exclusive à Monaco, en raison de leur enregistrement obtenu au Service de la propriété intellectuelle conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, la marque nominale ci-dessus reproduite n° 97-18809, destinée à désigner des produits de la classe 33, sous une inscription en caractères cyrilliques correspondant à la dénomination « Smirnoff », s'avère sans conteste, eu égard à cette correspondance, notoirement connue, au sens de l'article 5 de la loi précitée, en l'état des motifs à juste titre retenus de ce chef par les premiers juges, relatifs à la marque « Smirnoff », lesquels doivent être approuvés au vu des pièces produites, notamment quant à l'existence d'une notoriété de cette marque, et, partant, de ses translittérations et marquages associés en caractères cyrilliques, ce, antérieurement aux enregistrements dont l'annulation est actuellement sollicitée, qui ont été obtenus par la société ZAO au Bureau international de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, à partir de l'année 1994, conformément aux stipulations de l'Arrangement de Madrid ;

Qu'en effet la notoriété d'une dénomination originale qui se trouve utilisée à titre de marque verbale, afin d'attirer par son prononcé l'attention auditive du public, s'étend nécessairement à l'ensemble des orthographes et langages pouvant être diversement employés pour l'expression écrite de cette marque, dès lors qu'une telle dénomination se présente littéralement comme devant être prononcée d'une seule et même manière au plan international, en sorte que ses différentes écritures participent nécessairement de la notoriété de la marque ;

Considérant qu'en application de l'article 4 § 1 de l'Arrangement de Madrid précité, constituant un accord de formalités, les enregistrements internationaux litigieux, qui ont produit à Monaco les effets de dépôts nationaux régulièrement enregistrés, sont comme ces derniers, soumis pour ce pays aux règles d'invalidation édictées par la loi monégasque, ainsi que le prévoit, en l'occurrence, l'article 5 § 6 de cet accord, les juridictions monégasques étant de ce chef compétentes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 janvier 1983, le titulaire d'une marque notoire peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ;

Considérant que cette dernière circonstance suppose que le signe déposé soit identique ou à tout le moins très proche de celui de la marque notoire dont il constituerait l'imitation, et que celle-ci se rapporte à des produits similaires à ceux devant être désignés par le signe litigieux ;

Qu'en d'autres termes la marque notoire visée à l'article 5 de la loi n° 1058 constitue une antériorité permettant à son titulaire de s'opposer au dépôt par des tiers d'une marque analogue à la sienne encore bien qu'il n'ait pas lui-même satisfait précédemment aux formalités du dépôt de celle-ci à Monaco, ce qui est le cas en l'occurrence pour la marque nominale « Smirnoff » et ses marques associées en caractères cyrilliques, qui n'avaient pas fait l'objet d'un dépôt au Service de la propriété intellectuelle avant l'enregistrement, en 1994, de la première marque litigieuse susvisée n° 656-943 ;

Considérant que cet enregistrement international, de même que les trois autres qui lui ont fait suite (n° 685-322, 685-323 et 696-153) font apparaître, par rapport à la translittération en caractères cyrilliques de la marque notoire « Smirnoff » enregistrée à Monaco sous le n° 97-18809, une inscription principale comportant les mêmes sept lettres que celles initiales de cette marque, exclusion faite de la dernière lettre « A » ;

Qu'ils signalent ainsi, par suite de la suppression d'une seule lettre, une évidente similitude visuelle et phonétique dont découle l'imitation de la marque notoire antérieure, à juste titre revendiquée dans ces conditions par l'appelante comme faisant obstacle aux enregistrements incriminés, en tant qu'ils portent sur les mêmes produits que les siens ;

Considérant que, de ce chef, il convient donc d'infirmer le jugement entrepris ainsi qu'il est sollicité par la société appelante, et de prononcer l'annulation desdits enregistrements pour ce qui concerne la Principauté de Monaco, ce avec toutes conséquences légales ;

Qu'il convient également de faire droit, sur le fondement de l'article 5 précité de la loi n° 1058, à la demande réitérée en cause d'appel par la société Diageo North America Inc, tendant à l'interdiction d'usage prévue par ce texte, qui s'avère dès lors justifiée ;

Considérant, enfin, qu'en raison de ce qu'elle succombe dans la présente instance, la société ZAO devra en supporter les dépens, par application des articles 231 et 435 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

Statuant par arrêt réputé contradictoire à l'égard de la société Zao Obchtchesco Zakritoe Tipa Torgovy Dom Potomkow Postavchtchika Dvora Ego Imperatorskago Velitschestva P.A.S. Mirnova,

* Reçoit la société Diageo North America Inc, venant aux droits de la société UDV North America Inc, en son appel partiel du jugement susvisé du Tribunal de première instance, du 24 novembre 2001,

* l'y déclarant fondée,

* Infirme ledit jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de procéder à l'annulation des enregistrements susvisés numéros 656-943, 685-322, 685-323 et 696-153,

Statuant à nouveau de ce chef, prononce, pour la Principauté de Monaco, l'annulation desdits enregistrements avec toutes conséquences de droit,

* Ordonne, à cet effet, que le présent arrêt sera notifié par voie de greffe au Service de la propriété intellectuelle du Département des finances et de l'économie, et que dès la signification de ce même arrêt qui sera faite au Directeur de ce service à la diligence de la société appelante, il sera procédé aux formalités inhérentes à l'annulation prononcée,

* Fait en outre interdiction à la société Zao Obchtchesco Zakritoe Tipa Torgovy Dom Potomkow Postavchtchika Dvora Ego Imperatorskago Velitschestva P.A.S. Mirnova d'user à l'avenir sur le territoire de la Principauté de la marque Smirnov, comme des signes associés à cette marque figurant sur l'ensemble des enregistrements annulés, ce pour les produits de la classe 33 susvisée.

Composition

Me Landwerlin, prem. prés. ; Serdet, proc. gén. Me Brugnetti, av. déf.

Note

Cet arrêt infirme le jugement du 24 novembre 2001.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27078
Date de la décision : 11/03/2003

Analyses

Propriété intellectuelle - Général ; Marques et brevets


Parties
Demandeurs : Sté UDV North america incorporation
Défendeurs : Sté dénommée ZAO

Références :

article 7 de la loi n° 1051 du 10 juin 1983
ordonnance souveraine n° 5685 du 29 octobre 1975
loi n° 1058 du 10 juin 1983
article 214 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 150 du Code de procédure civile
art. 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983
ordonnance souveraine n° 10.657 du 29 septembre 1992
articles 231 et 435 du Code de procédure civile
article 5 de la loi n° 1058 du 10 janvier 1983
article 3 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2003-03-11;27078 ?

Source

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