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26/02/2002 | MONACO | N°26983

Monaco | Cour d'appel, 26 février 2002, Sam Multiprint Monaco c/ P., Sam Ediprom Éditions G. C.


Abstract

Propriété littéraire et artistique

Conséquences : - Non-annulation de l'action en contrefaçon - Procès-verbal susceptible d'annulation, mais nullité n'ayant pas le caractère d'ordre public, car protégeant l'intérêt privé de chacun, couverte en application de l'article 264 du CPC.

Propriété littéraire et artistique

Action indemnitaire en contrefaçon (article 29 de la loi susvisée) : - Protection applicable à l'auteur d'adaptation, de transformation d'œuvres littéraires (comme à l'auteur d'œuvres originales) - Ouvres littéraires d'une o

riginalité relative protégées comme les œuvres littéraires absolument originales - Reproductio...

Abstract

Propriété littéraire et artistique

Conséquences : - Non-annulation de l'action en contrefaçon - Procès-verbal susceptible d'annulation, mais nullité n'ayant pas le caractère d'ordre public, car protégeant l'intérêt privé de chacun, couverte en application de l'article 264 du CPC.

Propriété littéraire et artistique

Action indemnitaire en contrefaçon (article 29 de la loi susvisée) : - Protection applicable à l'auteur d'adaptation, de transformation d'œuvres littéraires (comme à l'auteur d'œuvres originales) - Ouvres littéraires d'une originalité relative protégées comme les œuvres littéraires absolument originales - Reproduction en l'espèce : de la totalité des chapitres, de l'énoncé des titres et de l'essentiel du texte tiré d'un ouvrage antérieur.

Résumé

Quant à l'exception de nullité :

La nullité qui a été invoquée par la société Multiprint Monaco pour s'opposer principalement à la demande dirigée à son encontre par J.-P. P., qu'elle estime irrecevable, tient à ce que serait nul le procès-verbal de constat susvisé, dressé le 27 juin 1996 par Maître Claire Notari, en tant que suivi d'une assignation tardive, laquelle devrait, par voie de conséquence, être elle-même annulée ainsi que la procédure ultérieure ;

En application de l'article 30 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948, sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, qui a abrogé en ses dispositions contraires l'ordonnance souveraine du 27 février 1889 invoquée à tort par la société appelante quant à la nullité invoquée, tout titulaire de droits d'auteur, peut, en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de première instance faire procéder, par huissier à la désignation et à la description, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaits ;

Aux termes de l'article 33 de ladite loi, à défaut par le requérant de s'être pourvu, soit par la voie civile soit par la voie pénale dans le délai de huitaine qui suit le procès-verbal, la saisie ou la description de la saisie est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages-intérêts pouvant être réclamés s'il y a lieu ;

Ces dispositions, qui ne visent que l'éventuelle nullité de la description ou de la saisie, ne concernent pas l'action exercée quant au fond par le titulaire des droits d'auteur invoqués, laquelle ne saurait s'éteindre à raison seulement d'une telle nullité, les juridictions du fond pouvant, en effet, retenir tous autres modes de preuve que le procès-verbal qui serait argué de nullité ;

Il s'ensuit que la nullité invoquée par la société Multiprint Monaco n'a lieu d'être examinée, en l'espèce, que quant à la validité du procès-verbal susvisé, et non quant à la recevabilité de l'action de J.-P. P., qui ne peut être de ce chef critiquée ;

Cependant, la nullité ainsi invoquée du procès-verbal de constat et, à travers lui celle des opérations qu'il décrit, légalement qualifiée de « nullité de plein droit », s'analyse seulement en une nullité absolue d'intérêt privé général, sanctionnant des règles de forme édictées en vue de la protection de tous, mais ne pouvant être mise en œuvre que dans l'intérêt privé de chacun ;

Cette analyse conduit à n'admettre que de la part des intéressés l'exception de nullité fondée sur les dispositions de l'article 33 précité, laquelle, bien que de caractère absolu, n'est pas ainsi d'ordre public, ce qui exclut que le Ministère public ou les juridictions puissent l'invoquer d'office ;

Toutefois, à cet égard, aux termes de l'article 264 du Code de procédure civile, toute nullité d'actes de procédure est couverte si elle n'est proposée avant toute discussion de ces actes au fond ;

Il s'ensuit qu'en l'espèce la nullité du procès-verbal précité du 27 juin 1996, sur lequel les parties ont contradictoirement débattu en première instance, ne peut être actuellement ni invoquée ni prononcée en cause d'appel ;

De la sorte, les mentions dudit procès-verbal pourront, en l'état, régulièrement servir d'éléments de preuve à J.-P. P., qui a requis cet acte ;

Quant au fond :

En droit,

La loi susvisée n° 491 du 24 novembre 1948 a été promulguée après l'entrée en vigueur à Monaco, selon ordonnance souveraine du 16 janvier 1933, de la convention de Rome du 2 juin 1928 révisant la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, elle-même révisée en dernier lieu par la convention de Paris du 24 juillet 1971, qui a été rendue exécutoire à Monaco par ordonnance souveraine du 9 janvier 1975 ;

Ladite loi ayant, comme il a été dit, abrogé la législation antérieure de 1889, celle-ci, également invoquée à tort par l'appelante quant au fond, ne saurait de ce chef s'appliquer ;

À cet égard et en vertu des articles 1er, 2 et 3 de la loi précitée n° 491, seule applicable en la clause, sont garantis, sans formalité, les droits des auteurs sur leurs productions dans le domaine littéraire, quel qu'en soit le mode ou la forme, telles que livres, brochures et autres écrits, lesdits auteurs ayant seuls le droit de publier, reproduire ou divulguer ces œuvres ou d'en autoriser la reproduction ou la divulgation ;

Cependant, aux termes de l'article 5 de cette même loi « l'auteur de traductions, d'arrangements, d'adaptations, ou de transformations des œuvres littéraires jouit de la protection instituée par la loi sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvres originale » ;

Il résulte ainsi des articles précités de la loi n° 491 que, si les droits d'auteur procèdent du seul fait de la création intellectuelle, et s'ils ont pour support le droit moral de la personne du créateur, permettant à celui-ci de s'opposer à toute reproduction de son œuvres, ils sont susceptibles de s'appliquer, soit à des œuvres absolument originales, soit à des œuvres dérivées ;

En effet, les œuvres littéraires, qui doivent répondre au critère de création intellectuelle exigé par la loi, et donc présenter une originalité pour être protégées, peuvent apparaître comme absolument originales, en tant que dépourvues de tout lien avec une création antérieure, ou bien n'être que relativement originales en tant qu'œuvres dérivées d'une autre création, comme le sont celles prévues par l'article 5 de la loi n° 491, dans son énoncé de caractère non limitatif.

À ce propos il doit être rappelé que toute œuvres littéraire procède d'une élaboration comportant, à partir d'un thème théorique préexistant, qui en constitue l'idée maîtresse, une mise en pratique de ce thème dans l'œuvres, au moyen d'une composition et d'une expression, fruits du travail intellectuel de l'auteur ;

Par là même, et hormis les œuvres littéraires absolument originales, par rapport à des créations préexistantes, l'originalité des œuvres dérivées, qu'énonce l'article 5 susvisé de la loi n° 491, est à même de se manifester soit à la fois dans la composition et l'expression, soit, seulement, dans l'expression, soit, enfin seulement dans la composition ;

En définitive, les œuvres littéraires n'ayant ainsi qu'une originalité relative ne sont pas pour autant dépourvues de protection légale, comme l'indique ledit article 5, conforme à cet égard aux dernières stipulations de la Convention précitée de Berne, modifiée, du 9 septembre 1886 ;

En l'espèce, s'il n'est pas contestable que certains passages du livre « Au soleil des derniers princes » empruntent les thèmes, et dans une certaine mesure l'expression, à un ouvrage antérieur, imprimé en 1987 par la société Multiprint Monaco, dont le titre est « Histoire de Monaco », et les auteurs J. F., R. N. et J.B. R. et J. P., (Tome I et II), il demeure que le plan selon lequel ont été ordonnés ces derniers éléments, caractérise une composition originale du livre de J.-P. P., dans l'énoncé des chapitres ci-dessus énumérés, qui en constituent la troisième partie consacrée à la Principauté de Monaco, sans qu'en revanche leur texte ne soit absolument identique aux écrits de référence ;

Il est constant que la succession de la quasi-totalité de ces chapitres, ainsi que l'énoncé précis de leur titre ont été exactement reproduits dans le guide « Monaco Quid 95 » par la société Multiprint Monaco, de même que l'essentiel de leur texte qui résultait ainsi, comme il vient d'être dit, d'une adaptation opérée par J.-P. P. de certaines parties de l'ouvrage antérieur « Histoire de Monaco » ;

L'action indemnitaire pour contrefaçon, prévue par l'article 29 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948, était donc ouverte à J.-P. P., sans préjudice des droits des auteurs de cette œuvre de collaboration antérieure, dès lors qu'était ainsi usurpée la composition et l'expression d'une œuvre dérivée dont lui-même est l'auteur.

Par voie de conséquence en l'état de l'originalité relative de cette œuvre, justifiant comme cela a été rappelé la protection de la loi, la société Multiprint Monaco doit être déclarée coupable de contrefaçon envers J.-P. P. et tenue de réparer les conséquences dommageables résultant pour cette partie, en matière civile, du fait fautif ainsi constaté,

Il n'y a pas lieu de se prononcer, pour autant, sur le cas de la société Ediprom, laquelle, bien qu'étant représentée aux débats par un avocat-défenseur, en tant « qu'appelante », n'apparaît en réalité ni avoir formé appel, ni avoir conclu en ce sens, non plus que personne contre elle.

Motifs

Procès-verbal de constat suivi d'une assignation tardive (art. 33 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948).

La Cour,

Considérant les faits suivants :

J.-P. P. et J. N. ont conclu, le 9 septembre 1987, un contrat d'édition avec la société anonyme monégasque dénommée « Éditions G. C. », relatif à la publication d'une œuvre de collaboration dont ils sont les auteurs, au sens de l'article 7 de la loi n° 491 sur la protection des œuvres littéraires et artistiques du 24 novembre 1948.

Cette œuvre a été créée sous la forme d'un livre qui a été en dernier lieu intitulé « Au soleil des derniers princes », avec pour sous-titre « Andorre, Liechtenstein Monaco ».

Aux termes de l'article 1er dudit contrat les deux auteurs ont cédé à la société Éditions G. C. le droit exclusif d'imprimer, publier et vendre cet ouvrage, l'éditeur s'engageant pour sa part à publier celui-ci dans les six mois de la remise de son texte définitif.

Le livre a été imprimé à Monaco sur les presses de la société anonyme monégasque dénommée « Multiprint Monaco », et son dépôt légal, prévu par la loi n° 87 du 3 janvier 1925, a donné lieu, conformément aux dispositions de l'article 5 de celle-ci, à la délivrance d'un récépissé n° 374.D 03/90.

Les auteurs du livre ont mentionné, que, pour son élaboration ils avaient eu accès à des documentations et archives officielles.

Le livre précise, en outre, qu'il est issu d'une idée de J.-P. P., qui en a assuré la conception et la rédaction, et qu'il est illustré par des photographies de J. N.

Le nom de l'éditeur y est enfin rapporté comme étant « Éditions C. et S. A. I., ..., Monte-Carlo ».

À la lecture de sa troisième partie consacrée à la Principauté de Monaco, et comptant 34 pages sur 137 pour la totalité de l'ouvrage, le livre « Au soleil des derniers Princes » se présente comme comportant un premier tableau descriptif qui mentionne, pour l'État considéré, ses institutions, superficie, frontières, population, capitale, langue officielle, religion, fête nationale, monnaie, forme de gouvernement, chef d'État et drapeau.

Ce tableau est suivi du texte de l'hymne national monégasque.

Prennent ensuite place les différents chapitres de cette troisième partie, intitulés « la terre », « les hommes », « l'histoire », « l'État », « Son Altesse Sérénissime le Prince », « le peuple », « le Conseil national », « le Gouvernement », « les organismes consultatifs » « la commune » « les quartiers », « la vie sociale », « les services sociaux », « la justice », « la vie économique » et « l'industrie ».

Le texte, ainsi réparti dans ces divers chapitres, inclut peu de photographies, l'essentiel de celles-ci étant placé dans les pages qui le suivent.

Après la parution de ce livre, la société « Ediprom », autre raison sociale des Éditions G. C., a, par ailleurs, créé en 1991 une édition dénommée « Monaco Quid », de parution annuelle.

À ce propos elle a, le 29 novembre 1991, fait déposer à Monaco, la marque « Monaco Quid » qui a donné lieu à un enregistrement sous le numéro 92.14071, (rapporté à l'Annexe du Journal de Monaco du 1er mai 1992, p. 74), ce pour les classes 16, 35 et 38 de la classification internationale des produits et services publiée par l'ordonnance souveraine n° 7802 du 21 septembre 1983, avant son abrogation par l'ordonnance souveraine n° 106657 du 29 septembre 1992, lesquelles classes désignent, respectivement, les produits de l'imprimerie, la publicité et les communications.

Moins de deux années après l'impression et la première publication du livre des auteurs P. et N., et dans le prolongement du dépôt de sa marque précitée, la société anonyme monégasque Ediprom - Éditions G. C. a fait paraître un ouvrage intitulé « Monaco Guide Quid immobilier - 92 » dont l'impression a été également réalisée par la société Multiprint Monaco ;

Selon divers extraits, versés aux débats, du répertoire du commerce et de l'industrie, datés de 1997 et 1998, il peut être relevé à ce propos que G. C. qui administrait alors la société Ediprom, dont le président délégué était P. C., exerçait également des fonctions d'administrateur dans la société Multiprint Monaco.

D'après la production qui en a été faite à la Cour, le Guide « Quid 92 Monaco » ainsi publié comporte à la page 15, sous le titre « la terre », cinq paragraphes d'un texte en langue française - complété de ses traductions en langue anglaise et italienne - qui reproduit mot pour mot plus de la moitié du texte de la page 98 du livre « Au soleil des derniers princes » figurant également sous le titre « la Terre ».

Après un tableau de données historiques rédigé pour l'essentiel en termes identiques à celui figurant à la page 103 de ce même livre, le « Guide Quid 92 Monaco », fait apparaître aux pages 35 et 36 deux autres chapitres intitulés « l'État » et « les quartiers » dont le texte reproduit celui qui compose les mêmes chapitres du livre des auteurs P. et N.

Ultérieurement, et comprenant les mêmes emprunts et la même répartition du texte sur des chapitres identiquement intitulés, un nouveau guide ayant pour titre « Monaco Quid 93/94 » a été publié par la société Ediprom après avoir été pareillement imprimé par la société Multiprint Monaco, dont A. S. et G. C. ont été tous deux actionnaires, ainsi que cela ressort d'une feuille de présence versée aux débats et établie à l'occasion d'une assemblée générale tenue en 1997.

À l'époque de la parution de ce deuxième guide « Quid » ces deux personnes avaient convenu d'une cession par la société Ediprom de la marque déposée « Monaco Quid ».

Un acte de cession de marque, enregistré le 6 janvier 1994, a alors été conclu par lequel la société Ediprom a cédé cette marque à A. S.

Sous une nouvelle présentation un guide « Monaco Quid 95 » a été ensuite imprimé et commercialisé, cette fois par la seule société Multiprint Monaco, apparaissant alors comme éditeur.

La page 8 de ce guide mentionne qu'ont participé à son élaboration A. S., J. R., G. T., S. F. et G. Y.

Sauf cette mention, l'ouvrage se présente comme anonyme au sens de l'article 13 de la loi précitée n° 491.

Son sommaire, à la page 8, indique que la partie intitulée « la Principauté de Monaco » comporte les chapitres suivants : « la terre », « les Hommes », « l'Histoire », « l'État », « le Prince Souverain », « le Peuple », « le Conseil National », « le Gouvernement », « les organismes consultatifs », « la Commune », « la langue monégasque », « les quartiers », chapitres qui apparaissent ainsi, sauf l'avant-dernier, les mêmes que ceux selon lesquels se trouve rédigé l'essentiel de la partie consacrée à la Principauté de Monaco du livre des auteurs P. et N. « Au soleil des derniers princes ».

La réalité de la vente du guide « Monaco Quid 95 » a été constatée en août et septembre 1995 par plusieurs personnes (J., Z., G., T.) qui ont attesté l'avoir vu alors exposé dans trois magasins de Monaco.

Au regard de ces circonstances, Maître Paule Rey-Joselet, avocat au barreau de Nice et conseil de J.-P. P., a écrit, le 24 août 1995, à la société Multiprint Monaco qu'il avait pu être constaté, à la lecture du guide « Monaco Quid » que de nombreuses pages de celui-ci avaient été purement et simplement copiées à partir de l'ouvrage de J.-P. P., et que ce plagiat constituait une contrefaçon que cet auteur entendait faire cesser par tous moyens, ce pourquoi il était sollicité de la société Multiprint Monaco qu'elle s'explique sur ses propres intentions à cet égard.

Le directeur de celle-ci, A. S., a répondu le 21 septembre 1995, que sa société avait acheté le titre « Monaco Quid » à la société Ediprom en 1994, et que, de ce fait, elle déclinait toute responsabilité quant aux griefs que lui faisait J.-P. P.

Quelques mois plus tard, et selon requête n° 358 déposée le 15 mai 1996, ce dernier, par l'intermédiaire de son conseil, qui s'était auparavant vainement adressé à la société Ediprom, a sollicité du président du Tribunal de première instance, la commission d'un huissier pour procéder à la désignation et à la description détaillée, avec saisie, des ouvrages « Monaco Quid 95 » publiés par la société Multiprint Monaco.

Par ordonnance de ce même 15 mai 1996, visant la loi n° 491 précitée du 24 novembre 1948, le président du Tribunal de première instance a fait droit à cette requête en autorisant J.-P. P. à faire procéder par tout huissier de son choix à la constatation de l'atteinte ayant pu être éventuellement portée à ses droits d'auteur de l'ouvrage « Au soleil des derniers princes », ce, dans les divers locaux, et établissements commerciaux de la Principauté, où aurait été exposé, distribué ou mis en vente l'ouvrage « Monaco Quid 95 » publié par les Éditions Multiprint Monaco.

À cet effet l'huissier instrumentaire a reçu mission de désigner et décrire de manière détaillée tous livres et documents de nature à caractériser la contrefaçon de l'ouvrage « Au soleil des derniers princes ».

Il a en outre été chargé de faire saisie réelle, au besoin contre paiement de leur prix par le requérant, de deux exemplaires de chacun des livres ou documents désignés et décrits, à charge pour lui d'en conserver un de chaque, en qualité de séquestre, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, et de remettre les autres exemplaires au requérant.

Enfin, l'huissier a été autorisé à se faire représenter lors de ses opérations de description et de saisie, aux fins d'examen et de copie, tous documents utiles permettant de caractériser l'importance de l'atteinte prétendue aux droits de J.-P. P.

Le président du Tribunal de première instance a mentionné, toutefois, qu'il devait être procédé à l'exécution de son ordonnance dans un délai maximum de trois mois, et, par ailleurs, qu'à défaut pour le requérant de s'être pourvu soit par la voie civile, soit par la voie pénale dans le délai de huitaine suivant le procès-verbal de l'huissier, la saisie ou la description opérée serait nulle de plein droit.

En exécution de l'ordonnance ainsi rendue il a été dressé, le 27 juin 1996, un procès-verbal de constat par Maître Claire Notari, huissier, agissant à la requête de J.-P. P.

Cet acte, qui ne comporte cependant aucune description des ouvrages argués de contrefaçon, révèle qu'à 14 heures, accompagnée du requérant et d'un inspecteur de la Sûreté publique, Maître Claire Notari s'est rendue au magasin à l'enseigne Fnac situé dans la galerie du Métropole, où étaient exposés, au rayon librairie, quatre ouvrages « Monaco Quid 95 », dont deux ont alors été saisis.

L'huissier s'est ensuite rendu au Hall de la Presse, où trois exemplaires du « Monaco Quid 95 » restaient en vente sur un lot de dix exemplaires livrés par la société Multiprint Monaco.

Enfin, ce même huissier s'étant déplacé dans les locaux de cette société, y a trouvé le directeur général de celle-ci, A. S., qui lui a communiqué des documents dont il ressort que le tirage du « Monaco Quid 95 » a été de 3 200, que 21 clients ont passé des commandes de ce guide, dont 8 pour des quantités égales ou supérieures à 100 exemplaires, que 70 exemplaires ont été offerts à divers organismes, et que 68 ont par ailleurs été mis en dépôt-vente auprès des 10 autres clients.

Ensuite du procès-verbal ainsi dressé le 27 juin 1996, ce n'est toutefois que le 28 janvier 1997, donc au-delà du délai d'assignation prescrit par l'article 33 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948, que J.-P. P. a fait attraire en contrefaçon devant le Tribunal de première instance, la société Ediprom-Editions G. C., ainsi que la société Multiprint Monaco.

J.-P. P. a alors sollicité la condamnation conjointe de ces deux parties à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, soit 150 000 francs pour son préjudice matériel et 100 000 francs pour son préjudice moral, ce, outre 5 000 francs, à titre de frais dits pourtant « irrépétibles ».

Entre-temps, et par jugement du 3 octobre 1996, le Tribunal de première instance avait constaté l'état de cessation des paiements de la société Ediprom Éditions G. C.

Cette procédure collective de règlement de passif, qui a abouti au prononcé de la liquidation des biens de la société débitrice, a été en définitive clôturée par un procès-verbal dressé par le juge-commissaire le 10 mars 1999, conformément aux dispositions de l'article 542 du Code de commerce, par lequel a été simultanément constatée la dissolution de l'union prévue à l'article 533 du même code.

Au motif que l'assignation introductive d'instance susvisée, du 28 janvier 1997, était postérieure au jugement déclaratif du 3 octobre 1996, et que, par voie de conséquence, J.-P. P. avait eu depuis lors l'obligation de produire sa créance en application de l'article 462 du Code de commerce, sans pouvoir exercer individuellement des poursuites à l'encontre de la société « Ediprom-Éditions G. C. », le Tribunal de première instance a estimé que la demande de J.-P. P., résultant de l'assignation précitée à l'encontre de cette débitrice, devait être déclarée irrecevable.

Le Tribunal de première instance a toutefois mentionné à ce propos que, dans la mesure où la créance invoquée avait été vérifiée et admise au passif de la société Ediprom Éditions G. C., J.-P. P. pourrait obtenir le titre exécutoire prévu à l'article 543 du Code de commerce.

Cette juridiction, par jugement du 20 janvier 2000, a donc déclaré irrecevable la demande de ce créancier, en ce qu'elle était dirigée à l'encontre de la société Ediprom Éditions G. C.

Par la même décision, et recevant néanmoins J.-P. P. en son action contre la société Multiprint Monaco, le Tribunal de première instance a, par ailleurs, déclaré cette société responsable des atteintes aux droits d'auteur dont bénéficiait J.-P. P. sur l'œuvre « Au soleil des derniers princes ».

La société Multiprint Monaco a été, dès lors, condamnée par ledit jugement à payer à J.-P. P. la somme de 50 000 francs en réparation du préjudice patrimonial de ce dernier, ainsi que 100 000 francs pour l'atteinte à son droit moral, et 20 000 francs pour les frais par lui engagés afin de faire valoir ses droits en justice, à raison des agissements fautifs de la société Multiprint Monaco.

Par le même jugement, le Tribunal a, d'autre part, débouté la société Multiprint Monaco d'une demande reconventionnelle tendant à l'allocation d'une somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts, à la charge de J.-P. P., pour procédure abusive.

Pour statuer de la sorte, le Tribunal de première instance a retenu qu'aucun élément de la cause n'autorisait à soutenir, comme l'avait fait la société Multiprint Monaco, que le livre « Au soleil des derniers princes » ne constituait pas une œuvre originale ; qu'en particulier la société Multiprint Monaco n'établissait en aucune manière que les passages ayant fait l'objet du plagiat allégué seraient eux-mêmes la reproduction d'ouvrages antérieurs, alors surtout qu'elle s'était gardée de verser aux débats l'ouvrage historique qu'elle invoquait, d'où seraient tirés ces passages de sorte que l'allégation selon laquelle l'œuvre « Au soleil des derniers Princes » ne serait pas originale, devait être rejetée, faute d'être prouvée.

Le Tribunal de première instance a, en outre, retenu que cette œuvre bénéficiait de la protection de la loi n° 491 du 24 novembre 1948 en ce quelle constituait une œuvre littéraire au sens des articles 1 et 2 de cette loi, étant relevé que les conditions d'application de ce texte prévues en ses articles 34 et suivants apparaissaient réunies en l'espèce.

Il a également relevé qu'aux termes de l'article 3, l'auteur a seul le droit d'autoriser la reproduction de son œuvre littéraire ; que s'il est permis de publier des emprunts faits à des œuvres littéraires en vertu de l'article 16, c'est sous réserve de conditions qui n'étaient nullement remplies en la cause ; et que les articles 19 et 20 reconnaissent à l'auteur un droit moral sur son œuvre, perpétuel et inaliénable, tandis que les articles 21 à 33 prohibent les atteintes aux droits des auteurs, notamment par reproduction partielle de l'œuvre.

Dès lors que l'examen des éditions 1992, 1993 et 1994 du « Monaco Quid » montrait que de très larges passages reproduisaient textuellement des parties entières de l'ouvrage « Au soleil des derniers princes », et que la société Multiprint Monaco, éditrice du « Monaco Quid 1995 », admettait que cette édition de 1995 reprenait « les informations » déjà contenues dans les éditions antérieures, le Tribunal de première instance a estimé qu'il s'agissait là, en réalité, d'une reproduction, partielle mais servile, de textes de l'ouvrage de J.-P. P.

Relevant également que la société Multiprint Monaco n'établissait pas être titulaire du droit de reproduire, même partiellement, l'œuvre de cet auteur - le contrat du 6 janvier 1994 s'avérant totalement inopérant compte tenu de son objet et surtout des parties en cause - le Tribunal de première instance en a déduit qu'en sa qualité d'éditrice de la livraison 1995 de l'ouvrage « Monaco Quid », la société Multiprint Monaco devait être tenue pour responsable de l'atteinte aux droits de J.-P. P. que consacrait la reproduction, sans autorisation, de pans entiers de son livre « Au soleil des derniers princes » ainsi que la mise en vente de cet ouvrage.

Quant au préjudice, le Tribunal de première instance l'a tenu pour établi par les pièces produites relatives à l'ouvrage « Quid 95 » édité par la société Multiprint Monaco, qu'il a estimé devoir être seul pris en considération, dès lors que les éditions antérieures étaient imputables à la société Ediprom.

Le Tribunal de première instance a relevé, à ce propos, que cet ouvrage avait été mis en vente au public, au cours de l'été 1995, dans diverses librairies de Monaco et que le procès-verbal de constat d'huissier du 27 juin 1996 faisait apparaître qu'il avait été tiré à 3 200 exemplaires et qu'il avait été largement diffusé auprès de particuliers, de services administratifs, d'agences immobilières, d'établissements bancaires de divers clients.

En considération de ces éléments et compte tenu du prix de cession convenu par P. lors du contrat d'édition conclu avec la société Ediprom Éditions G. C., le Tribunal a donc évalué le préjudice patrimonial subi par cet auteur à la somme de 50 000 francs, en sus de l'atteinte à son droit moral réparée par l'allocation de dommages-intérêts fixés à 100 000 francs.

Par acte d'appel et d'assignation du 14 avril 2000, la société Multiprint Monaco a demandé qu'il plaise à la Cour réformer en toutes ses dispositions le jugement ainsi rendu le 20 janvier 2000 et, statuant à nouveau,

* à titre principal déclarer nulle la procédure introduite par J.-P. P., sur le fondement de l'article 32 de l'ordonnance souveraine relative à la protection des œuvres littéraires et artistiques du 27 février 1889, faute d'assignation délivrée dans le délai de quinzaine prévu par ce texte,

* subsidiairement, s'il n'était pas fait droit à son moyen de nullité :

* dire et juger qu'elle n'avait pu porter atteinte aux droits de J.-P. P., celui-ci s'étant lui-même contenté de plagier des œuvres antérieures émanant d'autres auteurs en l'espèce J. P., R. N., J. F. et J.B. R., suite à la parution les 28 novembre 1986 et 26 février 1987 d'un ouvrage, en deux tomes, écrit par ceux-ci,

* condamner J.-P. P. au paiement de la somme de 150 000 francs déjà réclamée en première instance à titre de dommages-intérêts,

* le condamner enfin aux dépens de première instance et d'appel.

En l'état du défaut constaté sur cette assignation de la société Ediprom Éditions G. C., la Cour a, par arrêt du 9 mai 2000, ordonné la réassignation de cette partie pour son audience ultérieure du 6 juin, date à laquelle ladite société a persisté à faire défaut sur l'exploit de réassignation susvisé qui lui a été dès lors délivré, de même qu'à la société Multiprint Monaco, sous la date du 16 mai 2000.

Il ressort, cependant, de conclusions déposées le 9 janvier 2001 par l'avocat-défenseur de la société Multiprint Monaco que la société Ediprom a alors comparu aux côtés de celle-ci comme « appelante », ce par l'intermédiaire du même conseil.

Selon les moyens développés par la société Multiprint Monaco, au soutien de son appel, le procès-verbal de constat du 27 juin 1997 serait nul de plein droit, de même que la procédure ultérieure, ce qu'il conviendrait dès lors de constater, même seulement en cause d'appel, car la nullité serait d'ordre public ; ensuite, quant au fond, J.-P. P. n'aurait en rien fait preuve d'originalité en son ouvrage, puisqu'il se serait borné à reprendre, à la virgule près, des textes d'auteurs antérieurs, désormais versés aux débats en cause d'appel, son action étant dès lors manifestement infondée, et par là même abusive.

La société Multiprint Monaco a indiqué à ce propos que les passages du « Monaco Quid » qu'il lui est fait grief d'avoir reproduits, ne l'ont nullement été à partir de l'ouvrage de J.-P. P., car ils n'ont fait que reprendre des écrits antérieurs d'historiens monégasques.

C'est ainsi, a-t-elle souligné, que la première partie du « Monaco Quid » contient des extraits de textes historiques, concernant le fonctionnement de la Principauté, qui ont été rédigés à partir d'un ouvrage déjà publié, en 1986 et 1987, intitulé « Histoire de Monaco » dans lequel J.-P. P. aurait lui-même puisé les éléments du texte qu'il revendique comme étant le sien.

La société Multiprint Monaco fait en conséquence grief aux premiers juges d'avoir, à tort, estimé qu'elle s'était inspirée de l'ouvrage de J.-P. P., en sorte que, si l'on devait assurer en l'espèce la protection d'une œuvre littéraire, ce devrait être l' « Histoire de Monaco » qui devrait être protégée et non « Au soleil des derniers princes », livre qui, lui, serait ainsi dépourvu d'originalité, et par là même non protégeable, pour avoir en somme reproduit les termes d'écrits antérieurs.

La société Multiprint Monaco a déclaré, d'ailleurs, en ses conclusions qu'une attestation par elle produite, émanant d'un témoin qui avait mis en page le texte du livre « Au soleil des derniers princes » (B.) permettrait de conclure que J.-P. P. n'avait pas réalisé l'intégralité des textes de cet ouvrage, car il aurait alors obtenu la remise d'un exemplaire des deux tomes de l' « Histoire de Monaco » et qu'il avait donné pour être traités par ordinateur des photocopies par lui annotées de ces deux tomes, de même que l'« Histoire de Monaco » avait servi de base pour la première édition du « Monaco Quid ».

La société Multiprint Monaco, estimant dans ces conditions avoir fait l'objet d'un procès injuste, qui aurait gravement diminué son chiffre d'affaires, par suite des saisies et démarches opérées auprès de ses clients, prétend en conséquence qu'en sus du rejet de ses propres demandes J.-P. P. devrait subir de ce chef, en cause d'appel, une condamnation au paiement d'une somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts pour « accusation non fondée et diffamatoire », outre 200 000 francs au titre d'une « perte d'exploitation » sur le « Monaco Quid 1997 ».

En défense, J.-P. P. soutient d'abord que l'exception de nullité invoquée par la société Multiprint Monaco en cause d'appel, serait tardive pour n'avoir pas été soulevée in limine litis, et qu'elle ne pourrait en tout état de cause affecter que le procès-verbal du 27 janvier 1996 et non la procédure consécutive à l'assignation introductive d'instance du 28 janvier 1997, ce pourquoi ladite exception, telle qu'elle a été invoquée par l'appelante, devrait être rejetée, alors par ailleurs qu'elle serait purement dilatoire comme n'influant pas sur la réalité du plagiat reconnu par cette partie sur la base d'autres éléments de preuve que ceux résultant du constat précité, et que, d'autre part, l'irrégularité alléguée dudit constat n'aurait causé aucun grief.

Quant au fond, J.-P. P. a, par ailleurs, maintenu en cause d'appel, comme il l'avait fait en première instance, que des paragraphes entiers de son ouvrage avaient été reproduits dans le « Monaco Quid », et que leur mise en écriture, indépendamment des références historiques relevant du domaine public sur lesquelles elle s'appuyait, était certainement constitutive d'une œuvre originale de sa part.

J.-P. P. a donc conclu à la confirmation du jugement entrepris et à ce qu'y soit ajoutée par la Cour une condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, outre 20 000 francs pour frais dits pourtant « irrépétibles », et prononcé, enfin, le débouté de la société Multiprint Monaco de l'ensemble de ses demandes.

Sur quoi :

Quant à l'exception de nullité :

Considérant que la nullité qui a été invoquée par la société Multiprint Monaco pour s'opposer principalement à la demande dirigée à son encontre par J.-P. P., qu'elle estime irrecevable, tient à ce que serait nul le procès-verbal de constat susvisé, dressé le 27 juin 1996 par Maître Claire Notari, en tant que suivi d'une assignation tardive, laquelle devrait, par voie de conséquence, être elle-même annulée ainsi que la procédure ultérieure ;

Considérant qu'en application de l'article 30 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948, sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, qui a abrogé en ses dispositions contraires l'ordonnance souveraine du 27 février 1889 invoquée à tort par la société appelante quant à la nullité invoquée, tout titulaire de droits d'auteur, peut, en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de première instance faire procéder, par huissier à la désignation et à la description, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaits ;

Qu'aux termes de l'article 33 de ladite loi, à défaut par le requérant de s'être pourvu, soit par la voie civile soit par la voie pénale dans le délai de huitaine qui suit le procès-verbal, la saisie ou la description de la saisie est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages-intérêts pouvant être réclamés s'il y a lieu ;

Considérant que ces dispositions, qui ne visent que l'éventuelle nullité de la description ou de la saisie, ne concernent pas l'action exercée quant au fond par le titulaire des droits d'auteur invoqués, laquelle ne saurait s'éteindre à raison seulement d'une telle nullité, les juridictions du fond pouvant, en effet, retenir tous autres modes de preuve que le procès-verbal qui serait argué de nullité ;

Qu'il s'ensuit que la nullité invoquée par la société Multiprint Monaco n'a lieu d'être examinée, en l'espèce, que quant à la validité du procès-verbal susvisé, et non quant à la recevabilité de l'action de J.-P. P., qui ne peut être de ce chef critiquée :

Considérant, cependant, que la nullité ainsi invoquée du procès-verbal de constat et, à travers lui celle des opérations qu'il décrit, légalement qualifiée de « nullité de plein droit », s'analyse seulement en une nullité absolue d'intérêt privé général, sanctionnant des règles de forme édictées en vue de la protection de tous, mais ne pouvant être mise en œuvre que dans l'intérêt privé de chacun ;

Que cette analyse conduit à n'admettre que de la part des intéressés l'exception de nullité fondée sur les dispositions de l'article 33 précité, laquelle, bien que de caractère absolu, n'est pas ainsi d'ordre public, ce qui exclut que le Ministère public ou les juridictions puissent l'invoquer d'office ;

Considérant toutefois, qu'à cet égard, aux termes de l'article 264 du Code de procédure civile, toute nullité d'actes de procédure est couverte si elle n'est proposée avant toute discussion de ces actes au fond ;

Qu'il s'ensuit qu'en l'espèce la nullité du procès-verbal précité du 27 juin 1996, sur lequel les parties ont contradictoirement débattu en première instance, ne peut être actuellement ni invoquée ni prononcée en cause d'appel ;

Que, de la sorte, les mentions dudit procès-verbal pourront, en l'état, régulièrement servir d'éléments de preuve à J.-P. P., qui a requis cet acte ;

Quant au fond :

En droit,

Considérant que la loi susvisée n° 491 du 24 novembre 1948 a été promulguée après l'entrée en vigueur à Monaco, selon ordonnance souveraine du 16 janvier 1933, de la convention de Rome du 2 juin 1928 révisant la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, elle-même révisée en dernier lieu par la convention de Paris du 24 juillet 1971, qui a été rendue exécutoire à Monaco par ordonnance souveraine du 9 janvier 1975 ;

Que, ladite loi ayant, comme il a été dit, abrogé la législation antérieure de 1889, celle-ci, également invoquée à tort par l'appelante quant au fond, ne saurait de ce chef s'appliquer ;

Considérant qu'à cet égard et en vertu des articles 1er, 2 et 3 de la loi précitée n° 491, seule applicable en la cause, sont garantis, sans formalité, les droits des auteurs sur leurs productions dans le domaine littéraire, quel qu'en soit le mode ou la forme, telles que livres, brochures et autres écrits, lesdits auteurs ayant seuls le droit de publier, reproduire ou divulguer ces œuvres ou d'en autoriser la reproduction ou la divulgation ;

Considérant, cependant, qu'aux termes de l'article 5 de cette même loi « l'auteur de traductions, d'arrangements, d'adaptations, ou de transformation des œuvres littéraires jouit de la protection instituée par la loi sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale » ;

Considérant qu'il résulte ainsi des articles précités de la loi n° 491 que, si les droits d'auteur procèdent du seul fait de la création intellectuelle, et s'ils ont pour support le droit moral de la personne du créateur, permettant à celui-ci de s'opposer à toute reproduction de son œuvre, ils sont susceptibles de s'appliquer, soit à des œuvres absolument originales, soit à des œuvres dérivées :

Considérant qu'en effet les œuvres littéraires, qui doivent répondre au critère de création intellectuelle exigé par la loi, et donc présenter une originalité pour être protégées, peuvent apparaître comme absolument originales, en tant que dépourvues de tout lien avec une création antérieure, ou bien n'être que relativement originales en tant qu'œuvres dérivées d'une autre création, comme le sont celles prévues par l'article 5 de la loi n° 491, dans son énoncé de caractère non limitatif.

Qu'à ce propos il doit être rappelé que toute œuvre littéraire procède d'une élaboration comportant, à partir d'un thème théorique préexistant, qui en constitue l'idée maîtresse, une mise en pratique de ce thème dans l'œuvre, au moyen d'une composition et d'une expression, fruits du travail intellectuel de l'auteur ;

Que, par là même, et hormis les œuvres littéraires absolument originales par rapport à des créations préexistantes, l'originalité des œuvres dérivées, qu'énonce l'article 5 susvisé de la loi n° 491, est à même de se manifester soit à la fois dans la composition et l'expression, soit, seulement, dans l'expression, soit, enfin seulement dans la composition ;

Qu'en définitive, les œuvres littéraires n'ayant ainsi qu'une originalité relative ne sont pas pour autant dépourvues de protection légale, comme l'indique ledit article 5, conforme à cet égard aux dernières stipulations de la Convention précitée de Berne, modifiée, du 9 septembre 1886 ;

En fait,

En ce qui concerne la contrefaçon,

Considérant qu'en l'espèce, s'il n'est pas contestable que certains passages du livre « Au soleil des derniers princes » empruntent les thèmes, et dans une certaine mesure l'expression, à un ouvrage antérieur, imprimé en 1987 par la société Multiprint Monaco, dont le titre est « Histoire de Monaco », et les auteurs J. F., R. N. et J.B. R. et J. P., (Tome I et II), il demeure que le plan selon lequel ont été ordonnés ces derniers éléments, caractérise une composition originale du livre de J.-P. P., dans l'énoncé des chapitres ci-dessus énumérés, qui en constituent la troisième partie consacrée à la Principauté de Monaco, sans qu'en revanche leur texte ne soit absolument identique aux écrits de référence ;

Considérant qu'il est constant que la succession de la quasi-totalité de ces chapitres, ainsi que l'énoncé précis de leur titre a été exactement reproduite dans le guide « Monaco Quid 95 » par la société Multiprint Monaco, de même que l'essentiel de leur texte qui résultait ainsi, comme il vient d'être dit, d'une adaptation opérée par J.-P. P. de certaines parties de l'ouvrage antérieur « Histoire de Monaco » ;

Considérant que l'action indemnitaire pour contrefaçon, prévue par l'article 29 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948, était donc ouverte à J.-P. P., sans préjudice des droits des auteurs de cette œuvre de collaboration antérieure, dès lors qu'était ainsi usurpée la composition et l'expression d'une œuvre dérivée dont lui-même est l'auteur.

Que, par voie de conséquence en l'état de l'originalité relative de cette œuvre, justifiant comme cela a été rappelé la protection de la loi, la société Multiprint Monaco doit être déclarée coupable de contrefaçon envers J.-P. P. et tenue de réparer les conséquences dommageables résultant pour cette partie, en matière civile, du fait fautif ainsi constaté,

Qu'il n'y a pas lieu de se prononcer, pour autant, sur le cas de la société Ediprom, laquelle, bien qu'étant représentée aux débats par un avocat-défenseur, en tant « qu'appelante », n'apparaît en réalité ni avoir formé appel, ni avoir conclu en ce sens, non plus que personne contre elle ;

En ce qui concerne les préjudices,

Considérant que le Tribunal de première instance a estimé que compte tenu du tirage du guide Monaco Quid et du prix de cession convenu par P. lors du contrat d'édition conclu avec la société Ediprom, le montant du préjudice patrimonial subi par cet auteur pouvait être chiffré à 50 000 francs ;

Considérant que, ces motifs devant être approuvés, il convient de confirmer de ce chef la décision des premiers juges, qui n'a pas été précisément critiqué quant à cette évaluation par l'appelante ;

Considérant, toutefois, qu'eu égard au caractère d'œuvre dérivée que présente l'ouvrage de J.-P. P. il convient de ramener à 7 500 euros, le montant du préjudice moral subi par cet auteur, compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont dispose la Cour à cet égard ;

Considérant par ailleurs qu'en invoquant sans fondement une cession de marque pour s'opposer à tout arrangement amiable avec J.-P. P., lorsqu'elle a été informée de la contrefaçon invoquée par le conseil de celui-ci, cette société a commis une faute dans la défense de ses droits, constitutive d'un abus dont il est résulté pour J.-P. P. la nécessité manifeste, mais évitable, d'agir en justice contre elle afin de garantir la défense de ses droits ;

Que la décision indemnitaire des premiers juges doit être également confirmée à concurrence du montant alloué de ce chef de 20 000 francs soit 3 048,98 euros ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Multiprint n'est pas fondée, pour sa part, en ses demandes indemnitaires formées contre J.-P. P. en première instance, non plus qu'en cause d'appel ;

En ce qui concerne les dépens :

Considérant qu'en revanche le recours de cette société ne peut être qualifié d'abusif dès lors qu'elle obtient en partie gain de cause, mais uniquement par l'effet de nouvelles pièces produites, ce qui justifie qu'elle supporte les entiers dépens d'appel, sans que de ce chef, la société Ediprom qui n'a saisi la Cour d'aucune demande n'ait à subir le même sort ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Partiellement substitués ceux des premiers juges ;

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant contradictoirement,

* Confirme le jugement susvisé du Tribunal de première instance du 20 janvier 2000 en ce qu'il a condamné la société anonyme monégasque Multiprint Monaco à payer à J.-P. P. les sommes de 50 000 francs et de 20 000 francs, montant des causes sus-énoncées, soit respectivement de 7 622,45 euros et 3 048,98 euros, outre dépens, et en ce qu'il a débouté la société Multiprint Monaco de sa demande reconventionnelle,

* Le réformant pour le surplus,

* Condamne ladite société à payer à J.-P. P. la somme de 7 500 euros à titre de préjudice moral,

* Déboute, par ailleurs, les parties du surplus de leurs demandes.

Composition

M. Landwerlin, prem. prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut, Blot, av. déf., Blumenkranz, av. bar. de Nice, M. Garino, ès qualités de syndic liquidateur.

Note

Cet arrêt confirme le jugement du tribunal de première instance du 20 janvier 2000 en ce qui concerne les condamnations prononcées pour le préjudice patrimonial, il réforme en diminuant le préjudice moral.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26983
Date de la décision : 26/02/2002

Analyses

Propriété intellectuelle - Général ; Droits d'auteur et droits voisins


Parties
Demandeurs : Sam Multiprint Monaco
Défendeurs : P., Sam Ediprom Éditions G. C.

Références :

loi n° 491 du 24 novembre 1948
ordonnance souveraine n° 106657 du 29 septembre 1992
article 264 du CPC
article 543 du Code de commerce
ordonnance souveraine du 27 février 1889
article 462 du Code de commerce
article 29 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948
article 30 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948
ordonnance souveraine n° 7802 du 21 septembre 1983
ordonnance souveraine du 16 janvier 1933
loi n° 87 du 3 janvier 1925
ordonnance souveraine du 9 janvier 1975
art. 33 de la loi n° 491 du 24 novembre 1948
article 542 du Code de commerce


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2002-02-26;26983 ?

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