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26/06/2001 | MONACO | N°26900

Monaco | Cour d'appel, 26 juin 2001, État de Monaco c/ F.


Abstract

Exécution provisoire

Mesure facultative - Conditions - Urgence justifiée par les difficultés financières du créancier - Absence d'effets irréparables - Dette de l'État non dispensée de cette mesure

Résumé

En vertu de l'article 202 alinéa 2 du Code de procédure civile l'exécution provisoire peut être ordonnée par le tribunal, avec ou sans caution dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables.

Par le jugement entrepris le tribunal a condamné l'État de Monaco à verser à B. F. une

somme de 2 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et ...

Abstract

Exécution provisoire

Mesure facultative - Conditions - Urgence justifiée par les difficultés financières du créancier - Absence d'effets irréparables - Dette de l'État non dispensée de cette mesure

Résumé

En vertu de l'article 202 alinéa 2 du Code de procédure civile l'exécution provisoire peut être ordonnée par le tribunal, avec ou sans caution dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables.

Par le jugement entrepris le tribunal a condamné l'État de Monaco à verser à B. F. une somme de 2 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et moral résultant des troubles anormaux de voisinage causés par un important chantier du programme immobilier Saint-Charles.

Il est constant que la situation économique de B. F. s'est considérablement dégradée au cours de ces dernières années, il a dû abandonner pour un prix de 800 000 francs un fonds de commerce de restaurant acquis quelques années plus tôt pour un prix de 1 950 000 francs.

Alors qu'il dirigeait ledit fonds de commerce, il n'occupe actuellement qu'un emploi de cuisinier dans un restaurant de Roquebrune-Cap-Martin pour un salaire mensuel, selon les bulletins de paie versés aux débats, de 12 897 francs.

L'exécution provisoire du jugement entrepris lui permettrait, au contraire, de retrouver au plus tôt sa situation professionnelle et sociale antérieure aux difficultés d'exploitation de son fonds de commerce, relevées par le jugement entrepris.

Ces seuls éléments caractérisent suffisamment l'urgence exigée par les dispositions sus-rappelées de l'article 202 du Code de procédure civile.

En outre, il ne peut être sérieusement soutenu que l'exécution provisoire serait de nature à produire des effets irréparables car l'État de Monaco aura la possibilité à l'issue du procès au fond, de demander selon le cas, la restitution intégrale ou partielle de la somme allouée provisoirement à M. B. F. dès lors qu'il sera titulaire d'un titre de créance en cas de réformation du jugement.

La condamnation au versement d'une somme d'argent ne peut produire, en tout état de cause, pour l'État, des effets irréparables, et cela même en cas de domiciliation du créancier dans un pays étranger.

Il n'est pas établi que la situation financière difficile dans laquelle se trouve actuellement B. F. rende impossible tout remboursement à l'État de Monaco en cas de réformation par la cour du jugement entrepris.

Par ailleurs, il n'appartient pas à la cour, à ce stade de la procédure de se prononcer sur le caractère saisissable des biens de l'État.

Enfin aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à une juridiction de prononcer l'exécution provisoire d'un jugement qui a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent.

Motifs

La Cour,

Statuant sur les défenses à exécution provisoire du jugement du 11 janvier 2001 du tribunal de première instance, à hauteur de un million de francs ;

Considérant les faits suivants :

Par un acte de vente du 21 décembre 1989 passé devant Maître Crovetto, notaire, réitéré le 9 avril 1990, B. F. a acquis des époux C. un fonds de commerce de restaurant à Monaco pour le prix de 1 950 000 francs, hors frais, ladite acquisition ayant été financée par un emprunt souscrit le 30 mars 1990 auprès de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d'Alsace d'un montant de 1 800 000 francs au taux de 10,50 %, remboursable sur une durée de dix années.

Se fondant sur une diminution du chiffre d'affaires de son établissement, imputée à la construction d'un immeuble voisin, B. F. a saisi le Président du tribunal de première instance qui, par une ordonnance de référé du 3 janvier 1996, a désigné un expert.

Le 30 juin 1998 B. F. a cédé à la SCI S. A. qui a exercé son droit de préemption le droit au bail des locaux du restaurant « L. T. A. » pour un prix de 800 000 francs.

Saisi par B. F. d'une demande tendant à la condamnation de l'État de Monaco au paiement d'une somme de 12 971 097 francs à titre de dommages et intérêts pour les préjudices moral et financier, subis à la suite des troubles de voisinage très importants occasionnés par la réalisation du chantier « Saint-Charles », troubles dont l'ampleur excède ceux que les riverains sont tenus de supporter sans indemnité, ainsi qu'à l'exécution provisoire du jugement, le tribunal de première instance a, par le jugement entrepris, condamné l'État de Monaco à payer à B. F. la somme de 2 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, et ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de un million de francs.

L'État de Monaco demande à la cour de suspendre l'exécution provisoire du jugement du 11 janvier 2001 du tribunal de première instance.

Il fait valoir qu'il résulte de l'argumentation developpée par voie d'assignation parallèle à la présente instance aux fins d'appel et de réformation du jugement du 11 janvier 2001 du tribunal de première instance que l'argumentation développée aux fins de réformation de l'intégralité du jugement entrepris est particulièrement fondée.

Que la circonstance que l'exécution provisoire risque d'entraîner, en l'espèce, des conséquences manifestement excessives justifie la suspension de celle-ci.

Qu'ainsi, la jurisprudence a admis comme justifiée une demande de suspension de l'exécution provisoire dès lors qu'il existe un risque de ne pas pouvoir obtenir la restitution de la somme versée en cas d'infirmation du jugement.

Que compte tenu de l'importance du montant de la condamnation, des faits qui ont été invoqués et de ce que B. F. prétend bénéficier du revenu minimum d'insertion, l'exécution provisoire du jugement va créer une situation irréversible de non-remboursement de la somme de un million de francs en cas de réformation par la cour du jugement entrepris.

Qu'enfin la jurisprudence a également admis la suspension de l'exécution provisoire d'un jugement au motif que le créancier était domicilié à l'étranger.

B. F. conclut à la confirmation de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du 11 janvier 2001, au rejet de l'ensemble des demandes de l'État de Monaco et à la condamnation de l'appelant aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel.

Il fait valoir que l'exécution provisoire ordonnée en l'espèce n'est pas de nature à produire des effets irréparables car, d'une part, il ne peut être sérieusement allégué par l'État de Monaco que le versement de la somme de un million de francs serait de nature à avoir des effets irréparables sur ses finances et que, d'autre part, lui-même attend réparation de son préjudice depuis plus de six ans.

Qu'en outre il ne saurait être contesté que les travaux du chantier Saint-Charles ont entraîné sa ruine.

Que, par ailleurs, sa situation n'est pas de nature à rendre aléatoire et impossible le remboursement de la somme allouée au titre de l'exécution provisoire car il ne perçoit plus le revenu minimum d'insertion mais occupe depuis plus d'un an un emploi de cuisinier en vertu d'un contrat à durée indéterminée pour un salaire mensuel brut de 12 897,60 francs.

Qu'ainsi, en cas de réformation du jugement entrepris, le remboursement de la somme allouée ne serait ni aléatoire ni impossible.

Que le moyen tiré du domicile étranger du bénéficiaire de l'exécution provisoire est inapplicable à Monaco compte tenu de l'étendue restreinte du territoire national monégasque et du coût des loyers.

Qu'enfin il convient de tenir compte de l'urgence de sa créance, caractérisée par l'ancienneté et la diminution notable de ses moyens d'existence.

Par conclusions déposées le 24 avril 2001 l'État de Monaco fait encore valoir que la cour d'appel a déjà analysé dans un arrêt du 8 mai 1990 la notion d'effet irréparable en précisant que la situation financière de la victime pouvait rendre aléatoire et impossible le remboursement de la provision allouée au titre de l'exécution provisoire.

Que nonobstant l'emploi de cuisinier de B. F. dans un restaurant des Alpes-Maritimes, la restitution de cette somme en cas d'infirmation du jugement serait certainement impossible et en tous cas aléatoire compte tenu du montant de son salaire et de sa situation financière globale du fait de son endettement et de celui des membres de sa famille.

Que la situation n'est pas caractérisée par l'urgence que tente de démontrer B. F. qui a attendu plusieurs années avant d'engager une procédure à l'encontre de l'État.

Que l'exécution provisoire a été justifiée par la situation économique actuelle de B. F. qui avait fait état de la perception du revenu minimum d'insertion alors qu'il bénéficie actuellement d'un emploi.

Qu'enfin, compte tenu du principe d'insaisissabilité des biens appartenant à l'État, les voies d'exécution du droit commun ne sont pas applicables.

Sur ce :

Considérant qu'en vertu de l'article 202 du Code de procédure civile l'exécution provisoire peut être ordonnée par le tribunal, avec ou sans caution dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables ;

Considérant que par le jugement entrepris le tribunal a condamné l'État de Monaco à verser à B. F. une somme de 2 000 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et moral résultant des troubles anormaux de voisinage causés par un important chantier du programme immobilier Saint-Charles ;

Que pour évaluer le préjudice subi par B. F., les premiers juges ont notamment relevé la baisse du chiffre d'affaires du restaurant exploité par celui-ci, le remboursement des crédits octroyés par diverses banques, les aides accordées par l'administration et enfin le prix de cession du droit au bail du restaurant en juin 1998, soit 800 000 francs alors que le fonds de commerce avait été acquis pour une somme de 1 950 000 francs en décembre 1989 ;

Que pour justifier l'exécution provisoire du jugement, les premiers juges se sont fondés sur l'urgence tenant à la situation économique actuelle de B. F. ;

Que celui-ci affirme avoir été ruiné à la suite des travaux du chantier Saint-Charles et avoir bénéficié du revenu minimum d'insertion avant d'occuper son emploi actuel de cuisinier ;

Considérant qu'il est constant que la situation économique de B. F. s'est considérablement dégradée au cours de ces dernières années ; qu'il a dû abandonner pour un prix de 800 000 francs un fonds de commerce de restaurant acquis quelques années plus tôt pour un prix de 1 950 000 francs ;

Qu'alors qu'il dirigeait ledit fonds de commerce, il n'occupe actuellement qu'un emploi de cuisinier dans un restaurant de Roquebrune Cap Martin pour un salaire mensuel, selon les bulletins de paie versés aux débats, de 12 897 francs ;

Que l'exécution provisoire du jugement entrepris lui permettrait, au contraire, de retrouver au plus tôt sa situation professionnelle et sociale antérieure aux difficultés d'exploitation de son fonds de commerce, relevées par le jugement entrepris ;

Considérant que ces seuls éléments caractérisent suffisamment l'urgence exigée par les dispositions sus-rappelées de l'article 202 du Code de procédure civile ;

Considérant en outre qu'il ne peut être sérieusement soutenu que l'exécution provisoire serait de nature à produire des effets irréparables car l'État de Monaco aura la possibilité à l'issue du procès au fond, de demander selon le cas, la restitution intégrale ou partielle de la somme allouée provisoirement à B. F. dès lors qu'il sera titulaire d'un titre de créance en cas de réformation du jugement ;

Que la condamnation au versement d'une somme d'argent ne peut produire, en tout état de cause, pour l'État, des effets irréparables, et cela même en cas de domiciliation du créancier dans un pays étranger ;

Qu'il n'est pas établi que la situation financière difficile dans laquelle se trouve actuellement B. F. rende impossible tout remboursement à l'État de Monaco en cas de réformation par la cour du jugement entrepris ;

Que par ailleurs il n'appartient pas à la cour, à ce stade de la procédure, de se prononcer sur le caractère saisissable des biens de l'État ;

Qu'enfin aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à une juridiction de prononcer l'exécution provisoire d'un jugement qui a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent ;

Considérant qu'eu égard à l'issue du litige, l'État de Monaco supportera les dépens ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déclare recevable en la forme la demande en défenses à exécution provisoire formée par l'État de Monaco,

Au fond :

l'en déboute,

Condamne l'État de Monaco aux dépens, au nom de l'administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement.

Composition

M. Landwerlin, prem. prés. ; Mlle Lelay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Gardetto, av. déf.

Note

Cet arrêt confirme le jugement du tribunal de première instance du 11 janvier 2000 en ce que celui-ci avait accordé l'exécution provisoire, au regard de laquelle l'État a demandé, par acte d'appel, de surseoir.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26900
Date de la décision : 26/06/2001

Analyses

Procédure civile ; Fonds de commerce


Parties
Demandeurs : État de Monaco
Défendeurs : F.

Références :

article 202 alinéa 2 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2001-06-26;26900 ?

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