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14/06/1999 | MONACO | N°26698

Monaco | Cour d'appel, 14 juin 1999, A. et N. c/ Ministère public, en présence de l'État de Monaco


Abstract

Procédure pénale

Compétence territoriale - Délits commis à Monaco : art. 21 CPP - Éléments caractérisant délit fiscal commis en France - Sans incidence sur compétence monégasque, art. 10 du CPP inapplicable en l'espèce

Résumé

Aux termes de l'article 21 du Code de procédure pénale, les tribunaux de la Principauté connaissent, suivant les règles édictées par les articles suivants, de toutes les infractions commises sur le territoire monégasque, et de celles qui sont commises à l'étranger dans les cas déterminés à la section II du tit

re I dudit code.

Il n'est pas contesté que les faits respectivement reprochés aux prévenus carac...

Abstract

Procédure pénale

Compétence territoriale - Délits commis à Monaco : art. 21 CPP - Éléments caractérisant délit fiscal commis en France - Sans incidence sur compétence monégasque, art. 10 du CPP inapplicable en l'espèce

Résumé

Aux termes de l'article 21 du Code de procédure pénale, les tribunaux de la Principauté connaissent, suivant les règles édictées par les articles suivants, de toutes les infractions commises sur le territoire monégasque, et de celles qui sont commises à l'étranger dans les cas déterminés à la section II du titre I dudit code.

Il n'est pas contesté que les faits respectivement reprochés aux prévenus caractérisent les délits de complicité de faux en écritures de commerce et de recel de fonds provenant de faux, visés par la poursuite, lesquels ont été commis sur le territoire de la Principauté puisque les actes qui en sont les éléments constitutifs y ont été accomplis.

La circonstance invoquée que certains de ces actes caractérisent eux-mêmes un ou plusieurs éléments d'infractions fiscales commises et punissables sur le territoire français, n'a point d'incidence sur la poursuite ou le jugement à Monaco des délits précités, les dispositions de l'article 10 du Code de procédure pénale n'étant pas, en effet, applicables en ce cas.

Il convient donc de rejeter les moyens de relaxe ou d'incompétence invoqués.

Motifs

La Cour,

Considérant les faits suivants :

R. F. née M. est titulaire à Monaco d'un fonds de commerce à l'enseigne B. ayant pour objet, notamment, « la délégation de façon intérimaire de personnel d'entreprise de toute qualification ».

Cette entreprise de travail temporaire exerce son activité à Monaco.

R. F. en est l'exploitant de fait depuis 1984.

Elle a fait l'objet d'un contrôle fiscal pour la période du 1er janvier 1993 au 30 juin 1995, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée.

Au cours de la vérification de ses comptes il a été constaté que ni le livre-journal ni le livre d'inventaire n'étaient tenus.

Il en résultait donc une omission générale de passation d'écritures comptables relatives à l'activité de l'entreprise et à sa situation patrimoniale, tandis que les documents de substitution alors découverts ne pouvaient être réputés comme en tenant lieu.

Il a été par ailleurs relevé à cette occasion un mécanisme de fraude par émission de fausses factures.

L'entreprise B. était en effet en relation commerciale avec la société en nom collectif M. et A., dénommée M. A. qui avait son siège social également sis à Monaco, et à laquelle elle fournissait l'essentiel du personnel intérimaire dont cette société avait besoin.

R. A., co-gérant de M. A. était lui-même associé (à 20 %) dans une société française à responsabilité limitée dénommée N. A., laquelle fournissait des armatures, pour béton armé qui étaient façonnées et assemblées par M. A.

Dans le cadre des relations existant entre celle-ci et l'entreprise B., R. A. a sollicité de R. F. qu'il lui fournisse des liquidités au moyen de fausses factures qui seraient adressées à la société française N. A.

Il a été alors convenu que R. F. établirait de fausses factures destinées à la société N. A. et concernant des intérimaires apparemment mis par B. à la disposition de cette société.

Ces factures étant payables par traites à 90 jours, R. F. devait immédiatement remettre à R. A. des numéraires pour le montant de ces factures, moins 10 %.

Ces numéraires étaient sur ce utilisés par N. A. pour le paiement « au noir » d'heures supplémentaires effectuées par son personnel.

C'est ainsi que 31 factures d'un montant total de 1 604 271,62 francs ont été établies entre le mois de septembre 1992 et le mois de mars 1995, qui concernaient des prestations fictives.

En effet, les travailleurs intérimaires dont les noms figuraient sur ces factures n'étaient nullement payés de leurs salaires et les cotisations sociales correspondant à leur rémunération prétendue n'étaient pas versées aux caisses.

Ces circonstances témoignent ainsi de ce que les salariés mentionnés n'étaient nullement mis par B. à disposition de N. A. pour les périodes facturées.

En revanche, pour conférer aux prestations fictives ainsi conçues l'apparence d'opérations réelles R. F. a mentionné les fausses factures sur les relevés de ses facturations, et remis à la banque, comme tous autres encaissements, ceux correspondant au paiement de ces mêmes factures par N. A., paiement opéré au moyen des traites émises lors de la facturation.

F. a, en outre, déclaré et acquitté la taxe sur la valeur ajoutée afférente à celle-ci.

Il demeure cependant que les sommes en numéraires que R. F. a remises à N. A. n'ont fait l'objet d'aucune mention dans la comptabilité de l'entreprise B., car évidemment affectées à des règlements occultes.

Au regard de ces faits et sur le fondement de l'article 115 (paragraphe II) du Code des taxes sur le chiffre d'affaires le Directeur des services fiscaux a, sous la date du 3 juillet 1996, formulé une plainte auprès du Procureur général du chef d'omission de passation d'écritures et de passation d'écritures fictives à l'encontre de R. F., ainsi que du chef de complicité à l'encontre de R. A.

Il a, alors, également déposé plainte contre toute autre personne dont la culpabilité, à titre notamment soit d'auteur principal soit de complice, viendrait à être ultérieurement établie.

Au terme de l'information judiciaire qui a été ouverte sur ces bases le 1er août 1996 contre R. F., R. A. et tous autres, R. A. a été, par ordonnance du juge d'instruction du 2 juin 1998, renvoyé devant le Tribunal correctionnel sous l'inculpation de « s'être à Monaco, entre 1993 et 1995 sciemment rendu complice des délits de faux commis par R. F. en provoquant à cette action ou en donnant à celui-ci des instructions pour la commettre ou en faciliter l'exécution, en l'espèce, en lui demandant d'établir des fausses factures moyennant le versement à son profit d'une commission ;

d'avoir à Monaco, depuis septembre 1992, sciemment recelé des fonds provenant des faux ci-dessus spécifiés ».

L'ordonnance de renvoi ainsi rendue à l'encontre de R. A., retenait également, à l'encontre de R. F., les délits d'omission volontaire de passation d'écritures, de passation volontaire d'écritures inexactes ou fictives, de faux en écritures de commerce, et d'usage de faux.

En outre, le nommé D. N., gérant et associé majoritaire de la SARL N. A., était également renvoyé par la même ordonnance devant le Tribunal correctionnel, pour y répondre de l'inculpation « d'avoir à Monaco et sur le territoire français sciemment recelé des fonds pour un montant situé dans une fourchette de 201 500 francs à 310 000 francs (6 500 à 10 000 francs par mois) qu'il savait provenir de faux commis par R. F.

Par jugement du Tribunal correctionnel rendu contradictoirement le 2 février 1999, les trois inculpés ont été déclarés coupables des délits qui leur étaient respectivement reprochés et condamnés respectivement :

* R. F. à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à celle de 20 000 francs d'amende,

* R. A. à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis,

* D. N. à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à celle de 20 000 francs d'amende,

Ce même jugement a, en outre, condamné les susnommés solidairement aux frais et accueilli, par ailleurs, la constitution de partie civile de l'État de Monaco, tendant à corroborer l'action publique.

S'agissant de R. A., le Tribunal correctionnel a retenu, pour motiver sa décision, que, R. F. ayant commis des faux en écritures privées, de commerce ou de banque, par l'établissement de fausses factures, ce dernier avait, tant devant le juge d'instruction qu'à l'audience, déclaré que c'est à la demande de R. A. qu'il avait établi celles-ci, ce que R. A. avait d'ailleurs expressément reconnu devant les policiers (D2) et le juge d'instruction (D10) de même qu'au cours des débats devant le tribunal, admettant qu'il était à l'origine du système de fausse facturation mis en œuvre.

Le Tribunal a, en outre, relevé que, contrairement aux déclarations de l'avocat de R. A. à l'audience, ces faits caractérisaient un délit de droit commun distinct des éventuelles infractions fiscales pouvant intéresser la France ; que R. A. s'est donc - en provoquant cette action ou en donnant des instructions pour la commettre ou en faciliter l'exécution - rendu complice des faux commis par R. F.

D'autre part, les premiers juges ont également relevé que R. A. avait expressément reconnu devant le juge d'instruction (D7) qu'il lui était arrivé à » une ou deux reprises « de prélever de l'argent sur les fonds en espèces remis par R. F. dans les locaux de M. A., prélèvements confirmés d'ailleurs par D. N. lors de son interrogatoire de première comparution.

Qu'au demeurant R. A. avait déjà, le 27 avril 1995, reconnu, devant les policiers, avoir » quelquefois " prélevé ainsi 3 000 ou 4 000 francs.

Qu'en conséquence R. A., outre qu'il était domicilié à Monaco, avait de la sorte sciemment recelé à Monaco des fonds provenant des faux commis par R. F.

S'agissant de D. N., le Tribunal correctionnel a rappelé que ce prévenu avait expressément admis devant le magistrat instructeur avoir prélevé chaque mois une certaine somme - 6 500 francs selon lui mais entre 6 500 francs à 10 000 francs selon R. A. - sur les fonds remis en espèces par R. F. (D11 - D12), confirmant ainsi les déclarations en ce sens faites antérieurement par R. A. (D7).

Le Tribunal a, en outre, mentionné que D. N. avait précisé que les enveloppes contenant l'argent étaient déposées par R. F. dans les locaux de M. A., sis à Monaco, et que c'est à cet endroit que lui-même ou R. A. en prenaient possession, ces déclarations rejoignant d'ailleurs celles de R. A.

Que, de la sorte, D. N. - qui avait tenu à préciser qu'il ne contestait pas la compétence territoriale monégasque - se trouvait ainsi avoir recelé à Monaco des fonds provenant des faux commis par R. F.

Par actes des 3 et 10 février 1999 R. A. et D. N. ont respectivement formé appel du jugement ainsi rendu à leur encontre.

Le Ministère public a formé appels incidents les 4 et 11 février 1999.

Seul R. A. apparaît avoir été cité à comparaître devant la Cour, à l'audience fixée pour l'examen de ces appels au 12 avril 1999.

À ladite audience, R. A. a comparu en personne, assisté de son conseil Maître Michel, tandis que l'État de Monaco, représenté par son avocat-défenseur Maître Sbarrato, a fait déposer des conclusions par lesquelles a été confirmée son antérieure constitution de partie civile pour corroborer l'action civile.

Au regard de l'absence de citation délivrée pour cette audience à D. N., la Cour a, toutefois, ajourné les débats au 17 mai 1999 à charge pour le Ministère public de procéder à la citation de cet appelant pour ladite audience.

À la date du 17 mai 1999 ainsi retenue, R. A. a de nouveau comparu en personne, de même que D. N., désormais régulièrement cité, tous deux assistés de leurs conseils.

Représenté par son avocat-défenseur, l'État a, sur ce, réitéré la confirmation de son antérieure constitution de partie civile.

À cette même audience, le Ministère public, estimant la poursuite justifiée, a déclaré s'en rapporter à justice quant à la sanction.

Sans contester la matérialité des faits retenus à son encontre par le Tribunal correctionnel, R. A. a fait plaider en défense que sa participation à l'élaboration de fausses factures visées par la poursuite, sous la qualification de faux en écritures, s'inscrivait dans le cadre d'infractions de caractère fiscal justiciables des tribunaux français de sorte qu'après requalification en ce sens de la poursuite, la Cour devrait réformer le jugement entrepris pour cause d'incompétence.

À titre subsidiaire, R. A. a, par ailleurs, fait valoir, au cas où la Cour entrerait en voie de condamnation, qu'il n'avait retiré aucun bénéfice personnel des fausses factures incriminées et qu'il n'avait eu l'idée d'y recourir que pour rendre service à N. afin que celui-ci puisse disposer de liquidités, sans d'ailleurs se heurter à aucune opposition de la part de F.

Au regard de ces circonstances qu'ils estiment atténuantes, A. a sollicité l'indulgence de la Cour, et, pour ne pas nuire à l'avenir de sa société, confrontée à la nécessité d'obtenir une autorisation administrative en vue de sa transformation, que la peine qui pourrait lui être infligée soit limitée à une amende assortie du sursis.

Pour sa part, D. N., faisant référence à la qualification proposée par A., qu'il a déclarée reprendre à son compte, a principalement sollicité sa relaxe estimant, en effet, que le recel qui lui est imputé constitue en réalité une infraction fiscale devant être poursuivie en France.

Subsidiairement, et sans contester non plus les faits qui lui sont reprochés, il a sollicité une application bienveillante de la loi pénale afin de pouvoir ultérieurement obtenir le bénéfice de l'amnistie résultant de l'ordonnance souveraine n° 13 982 du 3 mai 1999.

Sur quoi :

Considérant qu'aux termes de l'article 21 du Code de procédure pénale, les tribunaux de la Principauté connaissent, suivant les règles édictées par les articles suivants, de toutes les infractions commises sur le territoire monégasque, et de celles qui sont commises à l'étranger dans les cas déterminés à la section II du titre I dudit code ;

Qu'il n'est pas contesté que les faits respectivement reprochés aux prévenus caractérisent les délits visés par la poursuite, lesquels ont été commis sur le territoire de la Principauté puisque les actes qui en sont les éléments constitutifs y ont été accomplis ainsi que le Tribunal correctionnel les a, à juste titre, relevés par le jugement dont est appel ;

Considérant que la circonstance invoquée que certains de ces actes caractérisent eux-mêmes un ou plusieurs éléments d'infractions fiscales commises et punissables sur le territoire français, n'a point d'incidence sur la poursuite ou le jugement à Monaco des délits précités, les dispositions de l'article 10 du Code de procédure pénale n'étant pas, en effet, applicables en ce cas ;

Qu'il convient donc de rejeter les moyens de relaxe ou d'incompétence formulés par les appelants ;

Considérant quant au fond qu'en l'état des qualifications retenues par la poursuite et des éléments de l'instruction préparatoire et des débats, R. A. et D. N. ont été, à juste titre, déclarés coupables des délits retenus à leur encontre ;

Qu'il convient donc de confirmer, quant à la culpabilité, le jugement entrepris ;

Considérant par ailleurs que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits de la cause quant aux sanctions prononcées, qui doivent être, dès lors, également confirmées ;

Considérant enfin que la recevabilité de l'État en sa constitution de partie civile, non contestée, doit être également confirmée comme tendant seulement à corroborer l'action publique ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

statuant correctionnellement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal correctionnel du 2 février 1999 ;

Composition

MM. Landwerlin, prem. prés. ; Serdet, proc. gén. ; Mes Sbarrato, av. déf. ; Michel, av. ; Pyne, av. bar. de Nice.

Note

Le délit commis en France apparaît distinct de celui commis à Monaco d'où l'inapplicabilité de l'article 10 du Code de procédure pénale.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26698
Date de la décision : 14/06/1999

Analyses

Procédure pénale - Poursuites ; Pénal - Général ; Infractions économiques, fiscales et financières


Parties
Demandeurs : A. et N.
Défendeurs : Ministère public, en présence de l'État de Monaco

Références :

article 21 du Code de procédure pénale
article 115 (paragraphe II) du Code des taxes sur le chiffre d'affaires
CPP
art. 10 du CPP


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1999-06-14;26698 ?

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