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05/01/1999 | MONACO | N°26642

Monaco | Cour d'appel, 5 janvier 1999, État de Monaco c/ H.


Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Travaux publics : État, maître de l'ouvrage

- Troubles de voisinage

- Lien de causalité entre tirs de mines et de dommage (chute d'un lustre)

Troubles de voisinage

Percement d'un tunnel (tirs de mines) - Dommages consécutifs (chute d'un lustre)

Résumé

Les travaux de percement du tunnel ferroviaire effectués pour le compte de l'État, maître de l'ouvrage, ont le caractère de travaux publics, en sorte qu'ils sont susceptibles d'engager sa responsabilité en raison des dommages accid

entels causés à des personnes ou à des biens, dès lors qu'est établie la preuve d'un lien direct de causali...

Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Travaux publics : État, maître de l'ouvrage

- Troubles de voisinage

- Lien de causalité entre tirs de mines et de dommage (chute d'un lustre)

Troubles de voisinage

Percement d'un tunnel (tirs de mines) - Dommages consécutifs (chute d'un lustre)

Résumé

Les travaux de percement du tunnel ferroviaire effectués pour le compte de l'État, maître de l'ouvrage, ont le caractère de travaux publics, en sorte qu'ils sont susceptibles d'engager sa responsabilité en raison des dommages accidentels causés à des personnes ou à des biens, dès lors qu'est établie la preuve d'un lien direct de causalité entre les dommages subis et l'exécution desdits travaux, comportant des tirs de mines, et sans qu'il y ait lieu d'établir l'existence d'une faute, s'agissant d'une responsabilité de l'État fondée sur les troubles anormaux du voisinage.

Par ailleurs, la preuve des faits étant libre, celle-ci peut résulter de prescriptions graves, précises et concordantes, conformément aux dispositions de l'article 1200 du Code civil qui autorisent les juges à former de la sorte leur conviction.

La simultanéité d'un tir de mines perçu par des témoins comme une explosion et de la chute du lustre (installé selon les règles de l'art) constitue des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir que cette chute et les dommages qu'elle a entraînés ont été la conséquence de ce tir, aucune autre cause n'ayant par ailleurs été établie.

Ainsi, l'État de Monaco doit être déclaré responsable des conséquences de ce sinistre et tenu de les réparer.

Motifs

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par l'État de Monaco, d'un jugement rendu le 5 mars 1998 par le Tribunal de première instance.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

Le 21 février 1995, vers 10 heures 45, le lustre suspendu au plafond du salon situé au premier étage de la villa appartenant à S. H., s'est détaché et a endommagé, en tombant, une table et divers objets qui y étaient disposés.

Faisant état de ce que ces dommages étaient imputables aux tirs de mines effectués pour la réalisation de la galerie souterraine de la future voie ferrée, S. H. a saisi le magistrat des référés d'une demande d'expertise, au contradictoire de l'État de Monaco.

Par ordonnance du 29 février 1996, le Président du Tribunal commettait un expert à l'effet de rapporter tous éléments permettant d'établir la relation entre les travaux publics incriminés et les dommages matériels subis par S. H.

Aux termes de son rapport, l'expert Forkasiewicz a conclu, pour l'essentiel :

* que des tirs de mines ont été effectués le 21 février 1995 sur le chantier à l'effet de réaliser une partie de la rampe d'accès à la salle d'échange centrale, à une profondeur de 70 à 80 mètres par rapport à la villa H. et à une distance de l'ordre de 250 à 300 mètres de celle-ci ;

* que sur les tirs de mines réalisés ce jour-là à 10 heures 20, 11 heures 45, 14 heures 30 et 17 heures 07, seuls les deux derniers ont entraîné des vibrations enregistrées par les capteurs de la villa B. ;

* que la pose du lustre effectuée chez M. H. a été réalisée dans les règles de l'art ;

* qu'aux termes des constatations relevées sur place, des témoignages recueillis et de l'avis du sapiteur, il apparaît que le lustre s'est décroché à la suite d'un important mouvement de flexion verticale, provoqué par des résonances consécutives et répétées suite aux tirs de mines ;

* que les travaux de restauration du lustre, de la table basse, le remplacement ou la remise en état des cendriers, et la réfection du canapé, peuvent être évalués à la somme totale de 72.815,40 francs.

Par le jugement entrepris, le Tribunal a déclaré l'État de Monaco responsable du dommage causé à S. H. le 21 février 1995 et l'a condamné à payer à ce dernier, la somme de 90 000 francs, à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter dudit jugement, cette somme représentant, à concurrence de 75 000 francs, le préjudice matériel, et à concurrence de 15 000 francs, la privation de jouissance.

Au soutien de son appel, l'État de Monaco fait valoir pour l'essentiel :

* en premier lieu, que c'est à tort, que les premiers juges ont conclu, en se basant notamment sur les témoignages versés aux débats, à l'existence de présomptions suffisantes pour imputer les dommages subis par le sieur H. à des tirs de mines effectués au cours des travaux de percement de la galerie ferroviaire ;

* en second lieu, qu'à cet égard, ils n'ont pas tenu compte des éléments techniques qui étaient de nature à écarter ces présomptions, dès lors qu'il était établi que le jour des faits, seuls des tirs de faible puissance ont été effectués, lesquels étaient insusceptibles de se propager jusqu'à la villa du sieur H., compte tenu de l'éloignement du chantier ;

* en troisième lieu, que la chute du lustre ne pouvait être que la conséquence d'une défaillance de son système de fixation, par suite de la rupture d'un anneau de sa chaîne de suspension.

En définitive, l'État de Monaco demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire qu'il n'existe aucun lien de cause à effet entre les travaux réalisés pour son compte et le sinistre survenu dans la villa du sieur H. et, en conséquence, de débouter celui-ci de toutes ses demandes.

S. H. a conclu à la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a déclaré l'État de Monaco responsable des dommages qui lui ont été causés à l'occasion des travaux exécutés pour le compte de ce dernier.

Il a, en revanche sollicité, par voie d'appel incident, la réformation du jugement, quant à l'indemnisation de son préjudice matériel en demandant qu'il soit porté de 75 000 à 90 000 francs, pour tenir compte de l'augmentation du coût de la remise en état depuis l'établissement du rapport d'expertise.

Il a enfin, demandé que l'État de Monaco soit condamné à lui payer la somme de 20 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour appel abusif et dilatoire.

S. H. expose, à cet effet :

* en premier lieu, qu'il résulte des attestations produites, que les témoins, après avoir entendu une explosion qualifiée « d'énorme avec un bruit terrible » (témoin S.), « de forte » (témoin L.), ont constaté que le lustre s'était détaché du plafond, ce qui établit que sa chute était la conséquence directe des tirs de mines ;

* en second lieu, que ces tirs, fussent-ils de faible puissance, étaient de nature à provoquer des résonances qui, par leur répétition, ont créé un important mouvement de flexion verticale à la suite duquel le lustre s'est décroché, selon l'avis des spécialistes recueilli au cours de l'expertise ;

* en troisième lieu, que selon les constatations de l'expert, l'installation et la pose du lustre ont été réalisées dans les règles de l'art, en sorte que son décrochement ne pouvait être la conséquence d'une défaillance de son système de fixation.

L'État de Monaco, réitérant les termes de son exploit, a rétorqué qu'en tout état de cause les conclusions de l'expert judiciaire se fondaient, de son propre aveu, sur une simple hypothèse qui ne saurait servir d'élément de preuve permettant d'attribuer la chute du lustre à des tirs de mines, dès lors qu'il a écrit dans son rapport, « les éléments en notre possession et compte tenu des divers seuils réglementaires respectés dans le cadre des travaux et tirs de mines, ne nous permettent pas, de façon scientifique et technique, de porter un jugement et une explication tendant à prouver que la chute du lustre a été provoquée par des tirs de mines ».

SUR CE :

Considérant que les travaux de percement du tunnel ferroviaire effectués pour le compte de l'État, maître de l'ouvrage, ont le caractère de travaux publics, en sorte qu'ils sont susceptibles d'engager sa responsabilité en raison des dommages accidentels causés à des personnes ou à des biens dès lors qu'est établie la preuve d'un lien direct de causalité entre les dommages subis et l'exécution desdits travaux et sans qu'il y ait lieu d'établir l'existence d'une faute s'agissant d'une responsabilité de l'État fondée sur les troubles anormaux du voisinage ;

Considérant, par ailleurs, que la preuve des faits étant libre, celle-ci peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes, conformément aux dispositions de l'article 1200 du Code civil qui autorisent les juges à former, de la sorte, leur conviction ;

Considérant, à cet égard, en premier lieu, qu'il est établi par les constatations effectuées au cours des opérations d'expertise, que la chute du lustre ne peut être attribuée ni à son système d'accrochage ni à une installation défectueuse, dès lors que l'expertise a établi que les règles de l'art avaient été respectées ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte des attestations concordantes et circonstanciées délivrées dans les formes de droit par W. S., J.-P. L. et Y. A.-B., tous trois présents dans la villa H., le 21 février 1995, entre 10 heures 30 et 11 heures, que la chute du lustre a été provoquée par la déflagration provenant d'un tir de mines effectué, ce jour là, dans le cadre des travaux de percement du tunnel ferroviaire ;

Considérant que W. S. et J.-P. L. ont notamment déclaré, le premier : « ... j'ai entendu une énorme explosion avec un bruit terrible, j'avais l'impression que le sol se dérobait sous mes pieds... » ; le second : « ... c'est alors qu'une forte explosion fit trembler le bâtiment, il y eut un bruit indescriptible... » ; que ces deux témoins ont mentionné, en outre, avoir entendu la dame A.-B., employée du sieur H. leur crier : « ... encore une explosion, çà n'arrête pas, vous avez entendu on aurait dit un camion qui tapait dans la villa » ; que la dame A.-B. a précisé, pour sa part, à l'huissier Escaut-Marquet requis de constater l'étendue des dommages mobiliers subis par S. H. que : « le lustre s'est abattu sur le sol, peu après qu'elle ait entendu un tir de mine dans le tréfonds, comme elle l'entend d'habitude » ;

Considérant que la simultanéité d'un tir de mines perçu par les témoins comme une explosion et de la chute du lustre constitue des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir que cette chute et les dommages qu'elle a entraînés ont été la conséquence de ce tir, aucune autre cause n'ayant par ailleurs été établie ;

Que l'État de Monaco doit être déclaré responsable des conséquences dommageables du sinistre survenu le 21 février 1995 et tenu de les réparer ;

Considérant, quant à l'indemnisation du préjudice subi par S. H., que les premiers juges en ont fait une exacte appréciation, au regard de l'évaluation des dommages effectuée par l'expert contre laquelle les parties n'ont élevé aucune critique, en tenant compte de l'augmentation du coût des travaux de remise en état depuis l'établissement du rapport d'expertise en date du 20 septembre 1996 ;

Considérant que S. H. ne justifiant pas de l'aggravation de son préjudice depuis le prononcé du jugement du 5 mars 1998, il convient de rejeter sa demande de majoration des dommages-intérêts, au titre de son préjudice matériel ;

Considérant, par ailleurs, qu'au regard des circonstances de la cause, l'appel interjeté par l'État de Monaco ne permet pas de caractériser une faute à son encontre ayant fait dégénérer en abus, son droit d'agir en justice en l'absence de mauvaise foi, en sorte qu'il échet de débouter S. H. de sa demande en paiement de dommages-intérêts, de ce chef ;

Considérant qu'enfin les dépens d'appel suivront la succombance de l'État de Monaco ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute l'État de Monaco des fins de son appel ;

Confirme, en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de première instance en date du 5 mars 1998 ;

Déboute S. H. de ses demandes en paiement de dommages-intérêts ;

Composition

Mme François, Vice-prés. ; M. Serdet, proc. gén. ; Mes Sbarrato et Léandri, av. déf.

Note

Cet arrêt confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 5 mars 1998 par le Tribunal de première instance.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26642
Date de la décision : 05/01/1999

Analyses

Responsabilité (Public) ; Pollution et nuisances ; Travaux publics


Parties
Demandeurs : État de Monaco
Défendeurs : H.

Références :

article 1200 du Code civil
ordonnance du 29 février 1996


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1999-01-05;26642 ?

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