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17/02/1998 | MONACO | N°26578

Monaco | Cour d'appel, 17 février 1998, B. c/ S. B., S., G., K., G.


Abstract

Succession

Action en partage - Compétence : lieu d'ouverture - Domicile du de cujus à Monaco (non) - Incompétence de la juridiction monégasque

Testament

Existence du testament olographe en droit suisse - Lettres d'amour qualifiant la destinataire d'héritière - Absence de caractère testamentaire

Résumé

Selon la loi monégasque le lieu d'ouverture d'une succession est celui du domicile du défunt ; la détermination de ce domicile doit s'effectuer d'après la loi du for, puisqu'il s'agit de déterminer la compétence des juridictions mo

négasques, et non d'après la loi étrangère.

Si le défunt effectuait des séjours à Monaco, où il a...

Abstract

Succession

Action en partage - Compétence : lieu d'ouverture - Domicile du de cujus à Monaco (non) - Incompétence de la juridiction monégasque

Testament

Existence du testament olographe en droit suisse - Lettres d'amour qualifiant la destinataire d'héritière - Absence de caractère testamentaire

Résumé

Selon la loi monégasque le lieu d'ouverture d'une succession est celui du domicile du défunt ; la détermination de ce domicile doit s'effectuer d'après la loi du for, puisqu'il s'agit de déterminer la compétence des juridictions monégasques, et non d'après la loi étrangère.

Si le défunt effectuait des séjours à Monaco, où il avait acquis un studio avec sa maîtresse, il n'en demeure pas moins qu'il vivait habituellement au domicile maternel à Locarno (Suisse), où il travaillait et y est décédé, de sorte que l'obtention d'une carte de résident temporaire à Monaco et l'absence de paiement de taxes à Locarno par suite de la déclaration de son départ pour Monaco, ne sont pas de nature à établir la réalité de son établissement principal et effectif dans la Principauté.

Le droit suisse applicable en l'espèce, en vertu de la règle « locus regit actum », pour déterminer la validité matérielle d'actes susceptibles de contenir des dispositions testamentaires, reconnaît le testament olographe (article 505, alinéa 1 du Code civil suisse) sans exigence d'un support particulier, pourvu que la volonté du testateur de prendre une « disposition » au sens de l'article 481 du Code civil suisse ressorte clairement du contenu de l'acte.

Des lettres d'amour adressées par l'amant à sa maîtresse qualifiées « de » son héritière par une mention rajoutée ne sauraient suffire à elles seules, à caractériser la volonté du « de cujus » de disposer de ses biens en faveur de sa maîtresse et à conférer à ces écrits amoureux la qualité de testament. D'autres correspondances sont inopérantes pour corroborer ces écrits qui n'ont pas la qualité intrinsèque d'un testament.

Motifs

La Cour,

La Cour statue sur l'appel « parte in qua » relevé par M. R. B. épouse J. d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 21 avril 1994.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel.

M. R. J. a saisi le Tribunal de première instance de Monaco, d'une action en partage de la succession tant mobilière qu'immobilière de C. S., domicilié selon la demanderesse à Monaco, mais décédé le 27 avril 1990 à Locarno (Suisse), dont elle se prétend légataire universelle aux termes de deux lettres en date à Locarno des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 valant selon elle testaments et déposées en tant que tels en l'Étude de Maître Rey, notaire à Monaco.

Par le jugement déféré, le Tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de la succession mobilière de C. S. à défaut par celui-ci d'avoir eu son dernier domicile dans la Principauté, a retenu sa compétence en ce qui concerne la succession immobilière, a rejeté l'exception de litispendance soulevée par les défendeurs à l'action, a jugé que les lettres invoquées ne constituaient pas en leur forme et contenu, selon la loi suisse, des testaments valables, a débouté M. R. J. de l'ensemble de ses demandes.

M. R. J. a déclaré faire appel de cette décision sur deux points : la compétence des juridictions monégasques et la valeur testamentaire des deux lettres invoquées à l'appui de sa demande.

En ce qui concerne la compétence, l'appelante estime que contrairement à ce qui a été retenue par les premiers juges, C. S. avait son principal établissement dans la Principauté, ainsi qu'il résulte des témoins, C., F., A., de documents administratifs de son pays d'origine faisant état de son départ à Monaco (déclaration en douane pour le transport du mobilier, certificat de l'Office de contrôle de la mairie de Locarno, notification de taxes) enfin de l'obtention par C. S. d'une carte de résident temporaire dans la Principauté valable du 9 juin 1989 au 9 juin 1990 ;

* En ce qui concerne la valeur testamentaire des deux lettres en date des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989, l'appelante fait valoir que leur contenu traduit le caractère indissociable des sentiments d'amour et de la volonté de C. S. de la gratifier, cette continuité de pensée se résumant dans l'expression « mon amour, mon héritière ».

L'appelante fait encore grief aux premiers juges de n'avoir pas tenu compte des autres missives du défunt, et notamment de deux autres lettres en date du 26 janvier 1989 et 11 avril 1989 écrites dans le même état d'esprit que les précédentes.

Elle rappelle enfin qu'un acte doit être interprété dans un sens propre à lui faire produire effet plutôt que dans un autre sens qui conduirait à ôter toute portée à la manifestation de volonté du testateur.

L'appelante sollicite en conséquence la réformation « parte in qua » du jugement sur les deux points ci-dessus évoqués et le bénéfice de ses demandes formulées en première instance.

Les intimés ont conclu à la confirmation du jugement en réitérant leurs moyens exposés en première instance.

Par ailleurs, R. S. et N. S. B. respectivement frère et mère du défunt, ainsi que D. G. curateur aux biens de R. S. concluent pour leur part à titre subsidiaire à la nullité des dispositions testamentaires contraires à l'ordre public dans la mesure où leur cause réside dans l'adultère de la bénéficiaire de ces dispositions.

Formant une demande reconventionnelle ces trois intimés sollicitent la condamnation de l'appelante au paiement à chacun d'eux d'une somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier que leur occasionne l'appel abusif de la dame J.

Après avoir ainsi conclu au fond de part et d'autre, l'appelante qui rappelle qu'en première instance les intimés avaient sollicité un sursis à statuer en raison de la saisine par leur soin des tribunaux suisses d'une instance similaire, a repris à son compte cette demande arguant de ce que les juridictions suisses qui ont relevé la complexité de l'action en partage et l'incertitude concernant le lieu d'ouverture de la succession seraient mieux à même d'apprécier le droit suisse applicable en la cause.

L'appelante sollicite en conséquence le sursis à statuer jusqu'à ce que les juridictions suisses aient tranché le litige.

Subsidiairement, M. R. J. soutient, sur la compétence, que la définition du domicile du défunt doit s'effectuer d'après le système juridique étranger auquel appartient la règle de renvoi c'est-à-dire d'après la loi suisse dont les dispositions ne sont pas contraires à l'ordre public monégasque ;

Elle demande en outre à la Cour de juger que les lettres des 11 décembre 1988, 3 mars 1989 mais également celles des 26 janvier et 11 avril 1989 constituent des testaments.

En réponse sur la demande de sursis à statuer, R. S., N. S. B. et D. G. font valoir que M. R. J. a limité son appel à deux points précis n'incluant pas le sursis à statuer et qu'en outre cette dernière demande est nouvelle en appel.

R. K. et C. G., autres intimés relèvent que M. R. J. qui a pris l'initiative de porter l'action en partage devant la juridiction monégasque et qui s'est opposée avec succès devant les premiers juges à la demande de sursis à statuer formulée par ses contradicteurs et qui n'a donc pas relevé appel de ce chef a nécessairement acquiescé au jugement.

En ce qui concerne la prétention de l'appelante de faire juger que les lettres des 26 janvier et 11 avril 1989 ont comme celles des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989, valeur testamentaire, R. S., N. S. B. et D. G. soutiennent l'irrecevabilité de cette demande, nouvelle en appel.

Dans ses dernières écritures l'appelante fait valoir que le juge peut ordonner le sursis à statuer pour tenir compte des circonstances de la cause tenant en l'espèce au fait que l'évolution de l'instance engagée en Suisse n'aurait plus de caractère incertain.

Subsidiairement, elle réitère ses moyens et demandes tant en ce qui concerne le domicile du défunt qu'en ce qui concerne la valeur testamentaire notamment des lettres des 26 janvier et 11 avril 1989 qui ont fait l'objet d'un dépôt en l'Étude de Maître Rey, notaire, le 31 mai 1996 et qui avaient été de longue date produites aux débats.

L'appelante sollicite en outre la condamnation des intimés à lui payer une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Enfin, elle déclare ne pas s'opposer à une expertise graphologique concernant les lettres des 26 janvier et 11 avril 1989.

Sur ce

1) Sur la compétence :

Considérant que selon la loi monégasque le lieu d'ouverture d'une succession est celui du domicile du défunt ; qu'il y a donc lieu de rechercher si C. S. avait son domicile dans la Principauté ; que la détermination de ce domicile doit s'effectuer d'après la loi du for puisqu'il s'agit de déterminer la compétence des juridictions monégasques et non d'après la loi étrangère, la jurisprudence invoquée par l'appelante étant inopérante en l'espèce car elle concerne l'appréciation du domicile désigné par une règle de conflit étrangère ;

Considérant que si C. S. a acquis avec M. R. J. le 24 novembre 1989 un studio situé dans l'immeuble « L. M. » à Monaco, les nombreux témoignages émanant de voisins et d'habitants du quartier où logeait sa mère, à Lugano en Suisse, établissent que C. S. travaillait à Lugano où il se rendait régulièrement et vivait au domicile maternel ; qu'il y est d'ailleurs décédé le 27 avril 1990 ; que ces témoignages ne sont pas controuvés par la déclaration des époux A., concierges de l'immeuble « L. M. » ni celles des sieurs C. et F. desquelles il résulte simplement que C. S. effectuait des séjours à Monaco ;

Que le fait que C. S. ait obtenu une carte de résident temporaire à Monaco le 9 juin 1989 comme le certificat de l'Office de contrôle des habitants de Locarno et l'absence de paiement de taxes pour les années 1986 à 1988 par suite de la déclaration de son départ pour Monaco n'est pas de nature à établir la réalité de son établissement principal et effectif dans la Principauté ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer la décision du Tribunal qui s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action en partage relative à la succession mobilière ;

2) Sur le sursis à statuer :

Considérant que M. R. J. qui s'est opposée en première instance à une telle mesure demandée par ses contradicteurs, qui a obtenu gain de cause sur ce point de la part des premiers juges, lesquels ont rappelé à cette occasion le principe bien établi de l'absence à Monaco de litispendance internationale et qui n'a donc pas relevé appel de ce chef de décision lui ayant donné satisfaction et irrecevable à présenter une telle demande de surcroît nouvelle en cause d'appel ;

3) Sur la qualité de légataire de M. R. J. :

Considérant que pour revendiquer cette qualité devant les premiers juges, M. R. J. s'est fondée sur deux lettres écrites par le défunt en date des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 ;

Que le Tribunal ayant rejeté sa prétention, M. R. J. a relevé appel de cette décision en se prévalant à nouveau de ces deux écrits dont elle soutient que la valeur testamentaire est confortée par deux autres lettres en date des 26 janvier et 11 avril 1989 rédigées par C. S. en termes identiques ;

Que toutefois dans le dernier état de ses conclusions déposées les 19 mars 1996 et 18 mars 1997, l'appelante a demandé à la Cour de juger que les quatre lettres précitées avaient valeur testamentaire ;

Considérant que si M. R. J. est recevable en appel à appuyer sa demande originaire sur tout document qu'elle estime de nature à la conforter, en l'espèce les lettres des 26 janvier et 11 mars 1989, celle est en revanche irrecevable à demander pour la première fois en appel que ces documents soient jugés comme ayant valeur testamentaire au même titre que les lettres des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 sur lesquelles elle a fondé sa demande en première instance ;

Considérant que les lettres des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 - intégralement reproduites dans le jugement déféré auquel la Cour se réfère expressément pour leur rédaction - ont été écrites, datées et signées de la main de C. S. ainsi que toutes les parties s'accordent à l'admettre sur le fondement d'une expertise graphologique à laquelle ces lettres ont été soumises ; Qu'il n'est pas davantage contesté que les mentions « erede mia » dans la lettre du 11 décembre 1988 et « mia erede » dans la lettre du 3 mars 1989 ont été rajoutées par leur rédacteur dans un temps qui n'a pu être déterminé ;

Considérant que le droit suisse applicable en l'espèce en vertu de la règle « locus régit actum » pour déterminer la validité matérielle de ces actes reconnaît le testament olographe (Article 505 alinéa 1 du Code civil suisse) sans exigence d'un support particulier pourvu que la volonté du testateur de prendre une « disposition » au sens de l'article 481 du Code civil suisse ressorte clairement du contenu de l'acte ;

Considérant que les lettres des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 sont entièrement consacrées à l'expression des vifs sentiments ressentis par C. S. à l'égard de M. R. J., manifestant tour à tour son bonheur, sa tristesse, son espoir de la revoir ; que l'ajout au bas de ces lettres d'amour des mots « mia erede » et « erede mia » est insuffisant à lui seul à caractériser la volonté de C. S. de disposer de ses biens en faveur de l'appelante et à conférer à ces écrits amoureux la qualité de testament ;

Que les deux écrits des 26 janvier et 11 avril 1989 invoqués par l'appelante pour conforter la valeur testamentaire des deux lettres ci-dessus analysées et qui sont semblables par leur forme et leur contenu aux correspondances des 11 décembre 1988 et 3 mars 1989 sont inopérantes à conférer le caractère de testament à des écrits qui n'en ont pas la qualité intrinsèque ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris et de débouter M. R. J. de son appel ;

Considérant sur la demande reconventionnelle de R. S., N. S. B. et D. G. que l'appel manifestement abusif de M. R. J. qui ne pouvait sérieusement se méprendre sur l'étendue de ses droits a occasionné à ces intimés un préjudice certain en réparation duquel il y a lieu de condamner l'appelante au paiement de dommages et intérêts que la Cour a les éléments suffisants d'appréciation pour évaluer à la somme de 5 000 francs au profit de chacun d'eux ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

* Déclare M. R. J. irrecevable en son exception de litispendance.

* Confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 21 avril 1994.

* Déboute M. R. J. de son appel.

* La condamne à payer à R. S., N. S. B. et D. G., une somme de 5 000 francs au profit de chacun d'eux à titre de dommages-intérêts.

Composition

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut, Palmero, Pastor, av. déf.

Note

Cet arrêt confirme le jugement du 21 avril 1994.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26578
Date de la décision : 17/02/1998

Analyses

Civil - Général ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : S. B., S., G., K., G.

Références :

article 505, alinéa 1 du Code civil
article 481 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1998-02-17;26578 ?

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