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11/03/1996 | MONACO | N°26494

Monaco | Cour d'appel, 11 mars 1996, W. c/ Ministère public


Abstract

Chèque

Action publique - Opposition au paiement du chèque : hors des cas limitatifs légalement prévus - Éléments du délit d'émission de chèque sans provision caractérisés - Action civile - Demande de la partie civile en paiement du chèque litigieux - Prescription : loi du 13 mai 1936, article 29, alinéa 2 et article 52, alinéa 1 - Demande de la partie civile en dommages-intérêts (non) : absence de justificatifs

Résumé

L'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936, dans sa rédaction initiale, dispose qu'il n'est admis d'o

pposition au paiement du chèque par le tireur, qu'en cas de perte du chèque ou de faillite d...

Abstract

Chèque

Action publique - Opposition au paiement du chèque : hors des cas limitatifs légalement prévus - Éléments du délit d'émission de chèque sans provision caractérisés - Action civile - Demande de la partie civile en paiement du chèque litigieux - Prescription : loi du 13 mai 1936, article 29, alinéa 2 et article 52, alinéa 1 - Demande de la partie civile en dommages-intérêts (non) : absence de justificatifs

Résumé

L'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936, dans sa rédaction initiale, dispose qu'il n'est admis d'opposition au paiement du chèque par le tireur, qu'en cas de perte du chèque ou de faillite du porteur.

Il s'ensuit que le prévenu ne pouvait justifier son opposition au paiement du chèque dont s'agit, au motif qu'il l'aurait émis alors qu'il ne reposait sur aucun titre de créance de la bénéficiaire du chèque à son encontre ; cette argumentation est dépourvue de tout effet sur le plan pénal, l'élément matériel tel que prévu par l'article 331-1er du Code pénal du délit qui lui est reproché étant constitué par la défense faite au tiré de payer, en dehors des cas limitativement prévus par l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance susvisée, dès lors que le prévenu ne rapporte pas, en l'espèce, la preuve dont la charge lui incombe, de la perte du chèque, alors d'autant qu'il a reconnu s'en être volontairement dépossédé en le remettant à la bénéficiaire.

Par ailleurs, la mauvaise foi exigée par l'article précité du Code pénal, laquelle constitue l'élément intentionnel de ce délit consiste uniquement dans la connaissance par le tireur que l'opposition est faite hors des cas ci-dessus limitativement déterminés, sans qu'il soit besoin de rechercher, en outre, si l'opposant a eu l'intention de porter atteinte aux droits du bénéficiaire du chèque, cette condition n'étant nullement requise par la législation pénale monégasque en matière de chèques mais résultant de la loi française n° 75-4 du 3 janvier 1975, relative à la prévention et à la répression en matière de chèques, laquelle ne saurait recevoir application à Monaco.

Il convient en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du délit prévu et réprimé par les articles 331 et 330 du Code pénal.

C'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré prescrite l'action de la bénéficiaire tendant au paiement du chèque litigieux, dès lors que ledit chèque n'a pas été présenté à l'encaissement dans le délai prévu par l'article 29, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936 et qu'aux termes de l'article 52, alinéa 1er de cette même ordonnance l'action du porteur contre le tireur se prescrit par six mois à compter de l'expiration du délai de présentation du chèque.

En revanche, il y a lieu de débouter la partie civile de sa demande en paiement de dommages-intérêts, en l'absence de justification d'un préjudice direct et certain, d'autant que son comportement est seul à l'origine d'un tel préjudice, le jugement entrepris devant être réformé de ce chef.

Motifs

La Cour

La Cour statue sur les appels relevés le 27 octobre 1995 à titre principal par A. W. et à titre incident par le Ministère public à l'encontre d'un jugement du tribunal correctionnel en date du 17 octobre 1995 qui a condamné A. W. à la peine de 15 000 francs d'amende pour infraction à la législation sur les chèques et qui a alloué à la partie civile la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Considérant qu'il résulte de l'information les faits suivants :

R. F. a déposé plainte avec constitution de partie civile à l'encontre d'A. W., son ancien ami, pour émission de chèque sans provision.

Elle indiquait au magistrat instructeur devant qui elle a réitéré sa plainte qu'A. W. avait fait opposition, sans motif régulier, au paiement d'un chèque de 270 000 francs tiré le 9 juin 1992 en sa faveur, et correspondant à des salaires et à des prêts qu'elle lui avait consentis.

Inculpé d'émission de chèques sans provision le 7 octobre 1994 A. W. reconnaissait qu'au cours de leur vie commune il lui était arrivé de remettre des chèques en blanc à R. F. pour payer les dépenses courantes, mais contestait lui avoir remis le chèque litigieux en relevant qu'hormis sa signature, ledit chèque comportait des mentions paraissant écrites de la main de la plaignante ; il contestait être débiteur de R. F. au titre de salaires ou d'emprunt.

Aucune confrontation n'a pu être faite en raison de l'éloignement de R. F., domiciliée en Guadeloupe.

Le juge d'instruction renvoyait A. W. devant le tribunal correctionnel, après requalification sous la prévention d'avoir, de mauvaise foi, fait défense au tiré de payer le chèque dont s'agit ;

Considérant qu'A. W. fait valoir, pour l'essentiel, au soutien de son appel :

* en premier lieu, que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il ne pouvait faire opposition au paiement du chèque litigieux, laquelle serait ainsi irrégulière en la forme, au motif qu'en ayant perdu la propriété de cet effet du fait de son émission, ce droit n'appartenait désormais qu'à celui qui en était devenu porteur.

* en second lieu, qu'il a régulièrement fait défense au tiré de payer le chèque dont s'agit pour cause de « chèque égaré », dès lors qu'ayant constaté que ledit chèque dont l'émission se plaçait au mois de juin 1992, d'après les renseignements figurant sur la souche de son chéquier celui-ci n'avait pas encore été présenté à l'encaissement au mois de novembre 1993, époque où il s'était opposé à son règlement, ce qui l'autorisait à croire légitimement qu'il l'avait perdu.

* en troisième lieu, que les circonstances dans lesquelles il avait été amené à faire défense à sa banque de payer le chèque démontrent que sa mauvaise foi devant s'analyser en l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui n'était nullement établie, en l'espèce, du seul fait que la dame F., bénéficiaire du chèque, ne rapportait nullement la preuve de son droit de créance constituant la cause de création de chèque.

Considérant qu'A. W. demande en conséquence à la Cour :

Sur l'action publique :

de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau de prononcer sa relaxe.

Sur l'action civile :

* de confirmer ce même jugement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en paiement de la partie civile, tout en le réformant du chef de sa condamnation au paiement de la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts, celle-ci devant être déboutée de cette demande ;

Considérant que, pour sa part, le Ministère public a requis la confirmation du jugement déféré, estimant que le délit reproché au prévenu était constitué en tous ses éléments ;

Sur ce,

* Quant à l'action publique :

Attendu qu'il est établi par l'information et les débats qu'A. W., pendant la période où il a entretenu des relations intimes avec R. F. remettait habituellement à celle-ci des chèques tirés sur son compte revêtus de sa signature sans en mentionner le montant, ni le bénéficiaire, s'agissant, selon ses dires, de régler des dépenses courantes ;

Qu'il a notamment reconnu, lors de son audition devant les premiers juges, avoir remis, dans les mêmes circonstances que les précédents, le chèque litigieux à R. F., le 29 janvier 1993, jour de leur rupture définitive ;

Considérant que l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936, dans sa rédaction initiale, dispose qu'il n'est admis d'opposition du chèque par le tireur qu'en cas de perte du chèque ou de faillite du porteur ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'A. W. ne pouvait justifier son opposition au paiement du chèque dont s'agit au motif qu'il l'aurait émis alors qu'il ne reposait sur aucun titre de créance de la bénéficiaire de chèque à son encontre ;

Que cette argumentation est dépourvue de tout effet sur le plan pénal, l'élément matériel tel que prévu par l'article 331-1er du Code pénal du délit qui lui est reproché étant constitué par la défense faite au tiré de payer, en dehors des cas limitativement prévus par l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance susvisée, dès lors que le prévenu ne rapporte pas, en l'espèce la preuve dont la charge lui incombe, de la perte du chèque, alors d'autant qu'il a reconnu s'en être volontairement dépossédé en le remettant à R. F. ;

Considérant que, par ailleurs, la mauvaise foi exigée par l'article précité du Code pénal, laquelle constitue l'élément intentionnel de ce délit consiste uniquement dans la connaissance par le tireur que l'opposition est faite hors des cas ci-dessus limitativement déterminés, sans qu'il soit besoin de rechercher, en outre, si l'opposant a eu l'intention de porter atteinte aux droits du bénéficiaire du chèque, cette condition n'étant nullement requise par la législation pénale monégasque en matière de chèques mais résultant de la loi française n° 75-4 du 3 janvier 1975 relative à la prévention et à la répression en matière de chèques laquelle ne saurait recevoir application à Monaco ;

Considérant qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré A. W. coupable du délit prévu et réprimé par les articles 331 et 330 du Code pénal ;

Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de faire bénéficier ce même prévenu au regard des circonstances atténuantes existant en la cause et de sa qualité de délinquant primaire, du sursis quant à la peine d'amende prononcée à son encontre, le jugement entrepris devant être réformé de ce chef ;

* Quant à l'action civile :

Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré prescrite l'action de R. F. tendant au paiement du chèque litigieux, dès lors que ledit chèque n'a pas été présenté à l'encaissement dans le délai prévu par l'article 29, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936 et qu'aux termes de l'article 52, alinéa 1er de cette même ordonnance l'action du porteur contre le tireur se prescrit par six mois à compter de l'expiration du délai de présentation du chèque ;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré de ce chef ;

Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de débouter cette partie civile de sa demande en paiement de dommages-intérêts en l'absence de justification d'un préjudice direct et certain alors d'autant que son comportement est seul à l'origine d'un tel préjudice, le jugement entrepris devant être réformé de chef ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Jugeant en matière correctionnelle,

* Sur l'action publique :

Confirme le jugement du 17 octobre 1995 sauf en ce qu'il a condamné A. W. à la peine de quinze mille francs d'amende.

Le réforme de ce chef et statuant à nouveau,

Condamne v à la peine de quinze mille francs d'amende avec sursis, l'avertissement prévu par la loi n'ayant pu lui être donné, en raison de son absence ;

* Sur l'action civile :

Confirme ce même jugement sauf en ce qu'il a condamné A. W. à payer à R. F. la somme de trente mille francs à titre de dommages-intérêts.

Le réforme de ce chef et statuant à nouveau,

Déboute R. F. de sa demande en paiement de dommages-intérêts.

Condamne A. W. aux frais.

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Composition

MM. Sacotte, prem. prés. ; Carrasco, prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot, av. déf. ; Schiléo, av. bar. de Nice.

Note

Le jugement du Tribunal correctionnel en date du 17 octobre 1995 qui a été déféré à la Cour est publié ci-dessous.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26494
Date de la décision : 11/03/1996

Analyses

Instruments de paiement et de crédit


Parties
Demandeurs : W.
Défendeurs : Ministère public

Références :

loi du 13 mai 1936, article 29, alinéa 2
articles 331 et 330 du Code pénal
Code pénal
article 29, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936
article 32, alinéa 2 de l'ordonnance n° 1876 du 13 mai 1936
article 331-1er du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1996-03-11;26494 ?

Source

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