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14/03/1995 | MONACO | N°26354

Monaco | Cour d'appel, 14 mars 1995, Société Sapin Trust Reg. c/ Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble Le Granada.


Abstract

Copropriété

Action d'un copropriétaire contre la copropriété - Objet : nullité de la résolution de l'assemblée générale interdisant l'usage de parties communes aux locataires - Recevabilité de l'action du copropriétaire et non du locataire - Clause compromissoire : Inapplicable, ne s'agissant pas de difficultés entre copropriétaires au sujet de l'application du règlement - Résolution contestée portant atteinte au droit fondamental d'un copropriétaire - Compétence du tribunal de première instance

Résumé

L'action intentée par le copropr

iétaire de garages donnés en location, contre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble, q...

Abstract

Copropriété

Action d'un copropriétaire contre la copropriété - Objet : nullité de la résolution de l'assemblée générale interdisant l'usage de parties communes aux locataires - Recevabilité de l'action du copropriétaire et non du locataire - Clause compromissoire : Inapplicable, ne s'agissant pas de difficultés entre copropriétaires au sujet de l'application du règlement - Résolution contestée portant atteinte au droit fondamental d'un copropriétaire - Compétence du tribunal de première instance

Résumé

L'action intentée par le copropriétaire de garages donnés en location, contre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble, qui tend à l'annulation d'une résolution de l'assemblée générale interdisant aux locataires des garages l'accès au hall d'entrée et aux ascenseurs, parties communes de la copropriété, appartient à tout copropriétaire et non aux locataires, quand bien même ces derniers seraient concernés par la résolution contestée.

Ce litige, qui n'a pas pour but de régler des difficultés nées entre divers copropriétaires pris individuellement au sujet de l'application du règlement de propriété - auquel cas jouerait une clause compromissoire met en réalité en cause les droits fondamentaux d'un copropriétaire sur l'utilisation et la consistance même de ses lots de copropriété, ce qui rend inapplicable la clause d'arbitrage. En effet, le règlement de copropriété prévoit que « chacun des copropriétaires », pour la jouissance des locaux qui lui appartiennent divisément, pourra user librement des parties communes suivant leur destination et sans faire obstacle aux droits des autres copropriétaires ; aucune disposition de règlement ne fait de distinction entre les droits des propriétaires d'appartements et ceux des propriétaires de garages et il n'est aucunement établi que l'utilisation du hall d'entrée et des ascenseurs par les locataires de garages soit un obstacle aux droits des autres copropriétaires ; il s'ensuit que le droit fondamental de l'appelant d'user des parties communes que sont le hall d'entrée et les ascenseurs, ne pourrait être limité que par une modification apportée à la répartition des fractions de copropriété, décidée à l'unanimité, conformément à la loi et au règlement de copropriété, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Motifs

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 9 décembre 1993 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant la société Sapin Trust Rég. au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Granada.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

La Société Sapin Trust est propriétaire dans l'immeuble Le Granada, situé à Monaco, de trois lots portant les numéros 120, 121 et 122.

Ces lots consistent en trois emplacements de garage, numéros 26, 27 et 28 du cahier des charges, au troisième sous-sol et « la part afférente auxdites parties d'immeubles, dans la généralité des choses communes de l'ensemble de l'immeuble dénommé Le Granada, telle qu'elle est déterminée dans le cahier des charges et règlements de copropriété. »

La Société Sapin Trust donne ces emplacements en location à des personnes qui ne sont ni copropriétaires ni locataires d'appartements dans l'immeuble.

Le 17 avril 1970, le Bureau du Syndicat des copropriétaires décidait « de demander aux copropriétaires louant leurs garages d'interdire à leurs locataires d'utiliser le hall d'entrée de l'immeuble ainsi que les ascenseurs. »

Des actes de vandalisme ayant été commis en 1991, une Assemblée générale extraordinaire des copropriétaires tenue le 18 février 1992 votait, à la majorité de 30 287 parts contre 3 791 et 7 165 abstentions la résolution n° 11 suivante : « Les copropriétaires maintiennent la décision prise par le Bureau du Syndicat le 17 avril 1970 ».

Par acte du 3 juin 1992, la Société Sapin Trust a fait assigner le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Granada aux fins de voir déclarer nulle et de nul effet la résolution n° 11 susvisée comme étant contraire aux dispositions du cahier des charges et règlement de copropriété du 28 janvier 1965 et de voir condamner le Syndicat des copropriétaires au paiement de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Par le jugement déféré, le Tribunal, estimant applicable une clause compromissoire figurant à l'article 23 alinéa 1er du règlement de copropriété :

* s'est déclaré incompétent pour connaître du litige ;

* a débouté le Syndicat des copropriétaires de sa demande de dommages-intérêts ;

* a condamné la société Sapin Trust aux dépens.

La Société Sapin Trust a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, elle fait valoir en premier lieu que la clause compromissoire n'est applicable qu'aux difficultés qui pourraient naître entre les copropriétaires au sujet de l'application du règlement de copropriété.

Elle soutient que le litige ne touche pas à l'application du règlement de copropriété mais concerne une atteinte au droit de propriété.

Elle prétend en effet que la résolution contestée modifierait la répartition des fractions de copropriété.

En deuxième lieu, elle s'estime fondée à agir contre le Syndicat en sa qualité de copropriétaire même si la décision contestée vise essentiellement ses locataires, faisant observer que ceux-ci ne peuvent agir directement.

En troisième lieu, sur le fond, elle rappelle que le hall d'entrée et les ascenseurs constituent des parties communes de l'immeuble.

Elle prétend que la résolution du 18 février 1992 porte atteinte à son droit de propriété en ce qu'elle ne lui permet pas d'user librement des parties communes en assurant le droit de passage de ses locataires. Elle estime qu'il s'agit là d'une restriction injustifiée de son droit de propriété.

En quatrième lieu, elle déclare que s'agissant d'une décision modifiant les répartitions des fractions de copropriété, la résolution attaquée n'aurait pu être prise que dans les formes et conditions prévues à l'article 22-8-D du cahier des charges, c'est-à-dire à l'unanimité des copropriétaires.

En cinquième lieu, elle affirme que le comportement de la copropriété lui a occasionné un préjudice.

Elle demande en conséquence à la Cour :

* d'infirmer le jugement entrepris ;

* de déclarer nulle et de nul effet la résolution litigieuse du 18 février 1992 ;

* de condamner le Syndicat des copropriétaires au paiement de 30 000 francs de dommages-intérêts ;

* de le condamner aux dépens.

Le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Granada, pour sa part, soutient en premier lieu que la société Sapin Trust serait irrecevable pour défaut de qualité à agir.

Elle prétend en effet qu'elle n'agit pas pour son compte, mais pour celui de ses locataires, seuls touchés par la mesure contestée.

En deuxième lieu, il déclare que le litige ne concerne pas le droit de propriété mais seulement une restriction d'accès à certaines parties communes des locataires de propriétaires de garages, c'est-à-dire une limitation de l'usage des parties communes telles que définies par l'article 6 du règlement de copropriété.

Elle en déduit que le différend concernant l'application du cahier des charges aurait dû être soumis à l'arbitrage institué par l'article 23 de ce cahier des charges.

En troisième lieu, sur le fond, il rappelle que la mesure contestée avait été prise pour la première fois par le Bureau du Syndicat en 1970 et n'avait soulevé aucune opposition pendant 20 ans.

Il expose que l'Assemblée Générale, d'une manière régulière, n'a fait que confirmer par sa résolution du 18 février 1992 une décision antérieure.

En quatrième lieu, il prétend que la décision contestée ne porte aucune atteinte au droit de propriété personnel de la société Sapin Trust dans la mesure où elle n'interdit l'entrée principale de l'immeuble et les ascenseurs qu'à certains locataires de garages.

En cinquième lieu, il expose que les parties communes doivent être utilisées « selon leur destination » et affirme que le hall et les ascenseurs de l'entrée principale sont destinés à l'usage des copropriétaires ou locataires d'appartements et non à celui des locataires de garages.

En sixième lieu, il déclare que la décision contestée a été régulièrement prise par l'Assemblée générale s'agissant d'un litige relatif à l'usage des ascenseurs.

En septième lieu, il prétend que la Société Sapin Trust ne justifie d'aucun préjudice.

En huitième lieu, et enfin, il prétend avoir subi lui-même un préjudice du fait d'avoir été obligé d'exposer des frais pour se défendre dans une action « vouée à l'échec ».

Il demande en définitive à la Cour :

* de confirmer le jugement d'incompétence attaqué ;

* de déclarer au surplus la société Sapin Trust irrecevable en son action ;

* de réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas condamné la Société Sapin Trust au paiement de dommages-intérêts ;

* de débouter la Société Sapin Trust de toutes ses demandes ;

* de la condamner au paiement de 20 000 francs de dommages-intérêts au titre de la première instance et de 20 000 francs au titre de l'appel ;

* de la condamner aux dépens.

Ceci étant exposé, la Cour :

Sur la recevabilité :

Considérant que l'action intentée par la Société Sapin Trust contre le Syndicat des copropriétaires tend pour l'essentiel à l'annulation d'une résolution de l'Assemblée générale des copropriétaires ;

Qu'une telle action appartient à tout copropriétaire et non aux locataires, quand bien même ces derniers seraient concernés par la résolution contestée ;

Considérant en outre que toute mesure restreignant les droits de certains locataires intéresse directement le copropriétaire des lots concernés dont la valeur se trouve de ce fait affectée ;

Considérant que la Société Sapin Trust, dont la qualité de copropriétaire n'est pas contestée, ne saurait être déclarée irrecevable ;

Sur la clause compromissoire :

Considérant que l'article 23 alinéa 1 du règlement de propriété du 23 novembre 1964 (et non du cahier des charges comme indiqué à plusieurs reprises dans les écritures des parties), dispose, sous la rubrique « arbitrage » :

« Les difficultés qui pourraient naître entre les divers copropriétaires au sujet de l'application du présent règlement seront soumises à l'arbitrage... »

Que la procédure d'arbitrage ainsi instituée est réglée par les alinéas suivants ;

Considérant que la résolution contestée, décidant, par réitération sous forme de décision de ce qui n'était jusque-là qu'une recommandation émise par le Bureau Syndical en 1970, d'interdire l'accès au hall d'entrée et aux ascenseurs aux locataires de certains lots n'a pas pour seul but de régler une difficulté née entre divers copropriétaires au sujet de l'application du règlement de propriété ;

Considérant en particulier qu'elle n'a pas pour but de préciser, comme il est soutenu, le point 7 (Ascenseurs) de l'article 9 du Règlement de copropriété, lequel ne concerne que les prescriptions de sécurité ou à caractère technique que doivent respecter les usagers des ascenseurs ;

Considérant qu'elle met en cause les droits fondamentaux d'un copropriétaire sur l'utilisation et la consistance même de ses lots de copropriété ;

Considérant en outre que le litige n'oppose pas, comme le suppose l'article 23 susvisé, des copropriétaires, pris individuellement, entre eux, mais l'un des copropriétaires à la copropriété elle-même à propos d'une décision d'un de ses organes statutaires ;

Considérant dans ces conditions que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré applicable la clause d'arbitrage et se sont déclarés incompétents ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement attaqué, d'évoquer les points non jugés et de statuer sur le fond ;

Sur le fond :

Considérant que la propriété de la Société Sapin Trust, soit les lots n° 120, 121 et 122 s'étend non seulement aux trois emplacements de garage, numéros 26, 27 et 28, mais également à « la part afférente auxdites parties d'immeuble dans la généralité des choses communes de l'ensemble de l'immeuble Le Granada telle qu'elle est déterminée dans le cahier des charges et règlements de copropriété » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 du règlement de copropriété, le hall d'entrée et les ascenseurs sont expressément désignés comme parties communes ;

Considérant que l'article 9-1° dudit règlement de copropriété prévoit que « chacun des copropriétaires, pour la jouissance des locaux qui lui appartiendront divisément, pourra user librement des parties communes suivant leur destination et sans faire obstacle aux droits des autres copropriétaires » ;

Considérant qu'aucune disposition du règlement de copropriété n'établit de distinction entre les droits des propriétaires d'appartements et ceux des propriétaires de garages :

Considérant que l'article 8-C dudit règlement qui édicté quelques dispositions spécifiques à l'usage des garages ne vise aucunement les moyens et conditions d'accès à ces locaux ;

Considérant que l'allégation selon laquelle le hall d'entrée et les ascenseurs ne seraient pas destinés à la desserte des garages ne repose sur aucune disposition du règlement de copropriété ;

Considérant qu'il n'est aucunement établi, ni même sérieusement soutenu que l'utilisation du hall d'entrée et des ascenseurs par les locataires de garages ferait obstacle aux droits des autres copropriétaires ;

Considérant que le droit, fondamental, pour la Société Sapin trust d'user des parties communes de l'immeuble que sont le hall d'entrée et les ascenseurs, ne pourrait être limité que par une modification apportée à la répartition des fractions de copropriété, décidée à l'unanimité conformément à la loi et au règlement de copropriété, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Considérant que ce droit d'usage dont est titulaire la société Sapin Trust a été conféré à ses locataires par l'effet normal des baux consentis ;

Considérant que la société Sapin Trust, qui invoque un préjudice dont elle demande réparation, ne fournit à la cour aucun élément relatif à sa nature, à son fondement, ni à son évaluation ;

Que le Syndicat des copropriétaires, qui succombe, ne peut prétendre à l'allocation de dommages-intérêts ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la principauté de Monaco,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance de Monaco du 9 décembre 1993,

Dit recevables l'action et l'appel de la Société Sapin Trust Reg ;

Évoque les points non jugés ;

Dit nulle et de nul effet la résolution n° 11 prise le 18 février 1992 par l'Assemblée générale extraordinaire des copropriétaires de l'immeuble Le Granada ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Composition

MM. Sacotte, prem. prés. ; Carrasco, proc. gén. ; Mes Brugnetti, Sbarrato, av. déf. ; Palmero, av.

Note

Cet arrêt infirme le jugement du Tribunal de première instance du 9 décembre 1993 qui estimant applicable la clause compromissoire s'était déclaré incompétent.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26354
Date de la décision : 14/03/1995

Analyses

Copropriété


Parties
Demandeurs : Société Sapin Trust Reg.
Défendeurs : Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble Le Granada.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1995-03-14;26354 ?

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