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05/07/1994 | MONACO | N°26294

Monaco | Cour d'appel, 5 juillet 1994, R., M., Sté House of Chinacraft c/ Sté Lalique, Sté S. et Cie.


Abstract

Vente

Refus de vente à des revendeurs habituels des produits de marque, en raison de la conclusion d'un contrat de distribution exclusive - Finalité du contrat de distribution exclusive : satisfaire une clientèle exigeante et non point limiter la concurrence - Indisponibilité des produits fabriqués à compter de la conclusion du contrat - Abus de position dominante (non)

Résumé

Aux termes de l'article 26 de l'ordonnance-loi n° 307 du 10 janvier 1941 modifiée par l'ordonnance-loi n ° 384 du 5 mai 1944, relative à la législation sur les prix, « 

est considéré comme majoration illicite de prix, le fait : 1°) par tout commerçant, in...

Abstract

Vente

Refus de vente à des revendeurs habituels des produits de marque, en raison de la conclusion d'un contrat de distribution exclusive - Finalité du contrat de distribution exclusive : satisfaire une clientèle exigeante et non point limiter la concurrence - Indisponibilité des produits fabriqués à compter de la conclusion du contrat - Abus de position dominante (non)

Résumé

Aux termes de l'article 26 de l'ordonnance-loi n° 307 du 10 janvier 1941 modifiée par l'ordonnance-loi n ° 384 du 5 mai 1944, relative à la législation sur les prix, « est considéré comme majoration illicite de prix, le fait : 1°) par tout commerçant, industriel ou artisan a) de conserver les produits destinés à la vente en refusant de satisfaire dans la mesure de ses disponibilités, aux demandes des acheteurs... dès lors que ces demandes ne présentent aucun caractère anormal (en l'espèce elles s'inscrivent dans la continuité d'une longue série de commandes antérieures) et que la vente des produits... n'est pas soumise à une réglementation spéciale ». Même en l'absence de caractère anormal de la demande, le refus de vente peut être justifié par la création d'un réseau de distribution qui rend la marchandise juridiquement indisponible à l'égard des tiers.

Il en est ainsi lorsque le contrat invoqué comporte une exclusivité d'achats et de reventes réciproques, qu'il laisse le concessionnaire libre de fixer les prix de revente, qu'il tend à assurer une amélioration du service rendu à la clientèle et qu'il n'apparaît pas comme ayant pour seul but de porter atteinte aux droits des tiers ou de limiter volontairement la concurrence.

Étant constant que le fabricant d'articles d'art en cristal de réputation mondiale a concédé l'exclusivité de la vente de ses produits de cristallerie de haute gamme à une société ce qui permet d'assurer à une clientèle souvent exigeante, dans un cadre luxueux et avec une compétence particulière, une qualité de service que de simples revendeurs ne sont pas en mesure d'atteindre, il n'apparaît pas de ce fait, que ce contrat ait eu pour seul but de porter atteinte aux droits des tiers ou de limiter volontairement la concurrence en restreignant artificiellement le nombre des revendeurs.

Le contrat de concession a eu aussi pour effet de rendre juridiquement indisponible à compter de la date de sa conclusion les produits de la marque du fabricant à l'égard des tiers ; dès lors le refus de vente opposé aux anciens revendeurs se trouve justifié.

L'exploitation d'une position dominante, même si elle se réalise sous la forme d'un monopole de fait ou d'une entente, n'est prohibée que si elle présente un caractère abusif ;

Si la mise en place d'un système de distribution sélective peut, dans certains cas constituer un abus de position dominante, il ne saurait en être ainsi lorsque, comme en l'espèce, elle se réalise par le moyen d'une concession exclusive déclarée légitime.

Motifs

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 21 janvier 1993 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant d'une part C. R., épouse R., J.-F. M. et la société House of Chinacraft et, d'autre part, la société Lalique et la société S. et Cie.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision attaquée et aux écritures échangées en appel :

La société Lalique, dont le siège est à Paris, fabrique et vend des articles d'art en cristal de réputation mondiale. La distribution de ses produits est assurée dans de nombreux pays, soit par des boutiques gérées directement, soit par des boutiques bénéficiant d'un contrat de distribution exclusive soit par des commerçants revendeurs.

Jusqu'au mois de septembre 1989, les produits Lalique étaient distribués à Monaco par trois commerçants : C. R., depuis plus de dix ans, la société House of Chinacraft, depuis 1981, et J.-F. M., depuis novembre 1988.

Par contrat du 4 septembre 1989, la société Lalique confiait à la société S. et Cie la concession exclusive de la vente de ses produits à Monaco.

Par lettres recommandées avec avis de réception en date du 5 septembre 1989, la société Lalique faisait connaître aux trois commerçants susvisés qu'elle ouvrait à Monaco, selon un concept équivalant à celui de la rue Royale, une boutique Lalique qui serait seule habilitée à vendre ses produits en Principauté. Elle proposait de leur livrer les commandes déjà enregistrées et de racheter, s'ils le souhaitaient, leurs stocks Lalique à prix coûtant. A partir de la fin octobre 1989, la société Lalique refusait de livrer aux trois revendeurs toutes leurs commandes.

Par actes des 9 janvier et 26 février 1991, C. R., J.-F. M. et la société House of Chinacraft faisaient assigner la société Lalique et la société S. et Cie devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de les voir condamner au paiement de 1 000 000 de F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; de les voir condamner sous astreinte à reprendre les livraisons ; de leur voir déclarer inopposable le contrat de concession exclusive ; de voir ordonner une expertise pour déterminer le montant de leur préjudice et accorder une provision.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

- débouté les demandeurs de toutes leurs prétentions ;

- débouté les sociétés Lalique et S. des fins de leurs demandes reconventionnelles ;

- condamné les demandeurs aux dépens ;

C. R., J.-F. M. et la société House of Chinacraft ont relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 1er juin 1993, l'Union des commerçants et artisans de Monaco (UCAM) est intervenue volontairement à l'instance.

A l'appui de leurs prétentions, les appelants exposent, en premier lieu qu'ils n'étaient pas de simples revendeurs, mais qu'ils avaient été choisis et agréés par la société Lalique pour distribuer ses produits à Monaco. Ils font valoir qu'un accord était intervenu, aux termes duquel ils avaient accepté de se soumettre à diverses obligations, notamment quant à la présentation des produits et à l'agencement des magasins.

Ils déclarent avoir toujours respecté leurs engagements et n'avoir encouru aucune critique de la part de la société Lalique.

En deuxième lieu, ils rappellent que la société S. avait été créée pour les besoins de la cause et que la rupture unilatérale de leur contrat, et le refus de vente qui en est résulté, sont intervenus le lendemain même de la conclusion entre la société Lalique et la société S. du contrat de concession exclusive.

En troisième lieu, ils soutiennent que l'article 26 de l'ordonnance du 10 janvier 1941, modifiée, seul texte applicable en la matière, interdit à un commerçant de refuser de satisfaire, dans la mesure de ses possibilités, aux demandes des acquéreurs dès lors qu'elles ne présentent aucun caractère anormal et que la vente des produits n'est pas soumise à une réglementation spéciale.

Ils affirment que leurs demandes ne présentaient aucun caractère anormal et qu'aucun fait de nature à justifier le refus de vente ne pouvait être invoqué par la société Lalique. Ils soutiennent en particulier que le contrat de concession exclusive ne constitue pas en lui-même un fait justificatif du refus de vente.

En quatrième lieu, ils prétendent que la conclusion d'un contrat de concession exclusive pour tout le territoire national crée une situation de monopole, interdite par la loi, et constitue une entente brisant le jeu de la libre concurrence au préjudice des commerçants et des consommateurs.

En cinquième lieu, ils contestent la bonne foi des sociétés Lalique et S. en relevant que les arguments commerciaux invoqués ne seraient pas sérieux, dans la mesure où la boutique gérée par la société S., loin de constituer une réplique de celle de la rue Royale à Paris, ne serait qu'un commerce identique aux leurs, vendant non seulement des produits Lalique, mais également des objets de porcelaine et divers articles de vaisselle d'autres marques, leur faisant ainsi une concurrence déloyale.

Ils déclarent enfin que les agissements de la société Lalique, qui ne sont pas imités par d'autres fabricants de produits de luxe ayant leur propre boutique à Monaco, sont de nature à mettre en péril le commerce de la Principauté.

Ils demandent en conséquence à la Cour, outre de dire et juger divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt, dont ils peuvent éventuellement constituer des motifs :

- d'infirmer le jugement déféré,

- d'ordonner à la société Lalique de reprendre ses livraisons, sous astreinte,

- de condamner la société Lalique et la société S., in solidum, à payer à chacun des appelants la somme de un million de F en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale,

- de les condamner in solidum au paiement d'une indemnité provisionnelle correspondant au bénéfice moyen annuel que chacun d'eux avait réalisé à la date du refus de vente et d'ordonner une mesure d'expertise pour déterminer le montant de leur préjudice,

- de les condamner aux dépens.

L'Union des commerçants et artisans de Monaco (UCAM), syndicat professionnel patronal, expose pour sa part que son objet social comprend « l'action en prévention ou en défense des droits et intérêts généraux des professions et commerces représentés, ainsi que ceux de ses adhérents ».

Elle déclare que son président a été régulièrement mandaté pour intervenir à l'instance, estimant que les intérêts en la cause dépassaient ceux des seuls appelants.

Elle précise que son intervention vise uniquement la société Lalique, seule responsable, selon elle, d'un refus de vente sans cause légitime.

l'appui de son intervention, l'UCAM fait valoir que les textes monégasques, comme les textes français, ont pour fondement la protection de la concurrence et tendent à éviter les situations de position dominante.

Elle invoque la jurisprudence française qui n'admettrait le refus de vente que dans les seuls cas expressément prévus par la loi, c'est-à-dire en cas de demande anormale ou de mauvaise foi du demandeur. Elle soutient que tel n'est pas le cas des commerçants appelants et affirme que, dès lors, le changement de politique commerciale de la société Lalique ne peut justifier ni la cessation des relations commerciales avec ses distributeurs de longue date, ni le refus de vente qui leur est opposé.

Elle fait enfin ressortir le caractère dangereux que présentent de tels agissements pour le commerce de la Principauté et la sécurité des approvisionnements des commerçants de Monaco.

Elle demande en conséquence à la Cour :

- de condamner la société Lalique conformément aux demandes qui ont été faites par les requérants ;

- d'ordonner la publication dans la presse de l'arrêt à intervenir contre la société Lalique ;

- de condamner la société Lalique aux dépens ;

La société Lalique, après avoir rappelé les faits, fait observer en premier lieu que les trois appelants n'étaient en aucune façon des distributeurs agréés de ses produits. Elle remarque qu'il n'est versé aux débats qu'un modèle de contrat qui n'a jamais été signé par aucune des parties. Elle déclare n'avoir exercé aucun contrôle sur l'activité de ces commerçants. Elle relève que dans les boutiques concernées étaient vendus des produits de diverses marques, l'enseigne de l'un des magasins étant même « P. C. ». Elle affirme que leurs relations commerciales se limitaient à une succession de ventes faites comme à n'importe quel revendeur.

En deuxième lieu, la société Lalique soutient qu'à compter de la date du contrat de distribution exclusive, les articles dont elle a refusé la livraison étaient devenus juridiquement indisponibles.

Elle rappelle le prestige de sa marque et le caractère luxueux de ses produits.

Se fondant sur une précédente décision de justice, elle prétend que, dans le domaine de la commercialisation des produits revêtus d'une marque de prestige ou de haute qualité, un contrat de concession exclusive qui tend essentiellement à une amélioration du service rendu aux consommateurs peut avoir pour effet de rendre juridiquement indisponible la marchandise détenue par le vendeur. Elle en déduit qu'en l'espèce le principe posé par l'article 26 de l'ordonnance-loi n° 384 du 5 mai 1944, complétant celle du 10 janvier 1941, doit être assoupli.

Tout en contestant les références faites par les appelants à la foi et à la jurisprudence françaises, elle relève qu'en toute hypothèse, le juge doit apprécier non pas la simple existence d'un contrat de distribution exclusive, mais les faits justificatifs allégués, incluant le contrat en cause, en termes de bilan économique.

En troisième lieu, la société Lalique déclare que sa nouvelle politique commerciale n'a aucunement pour but de préjudicier aux droits des tiers en limitant la concurrence. Elle fait observer que les appelants, qui n'ont agi que plusieurs années après les faits, ne peuvent justifier du montant du préjudice qu'ils allèguent. Elle soutient que le contrat d'exclusivité est favorable aux consommateurs et que, loin de constituer un monopole ou une position dominante, il serait en définitive favorable au commerce de luxe de la Principauté.

En quatrième lieu, la société Lalique estime irrecevable l'intervention en cause d'appel de l'UCAM.

Elle fait remarquer à cet effet que ce syndicat n'aurait pas eu le droit de former tierce opposition au jugement dont appel, dans la mesure où toutes les parties intéressées étaient présentes et ou aucun préjudice n'est porté à ses droits.

Elle fait valoir également que l'UCAM ne se contente pas d'appuyer la demande d'une partie, mais que, d'une façon ambiguë et contradictoire, elle prétend dissocier le cas des sociétés Lalique et S. et qu'elle présente pour la première fois en appel une demande de publication de l'arrêt à intervenir.

En cinquième lieu, après avoir repris les moyens opposés précédemment aux appelants, la société Lalique explique que la position soutenue par l'UCAM pourrait se retourner contre ceux de ses propres membres qui bénéficient déjà de relations commerciales privilégiées avec des marques de prestige.

En définitive, la société Lalique demande à la Cour :

- de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts ;

-de condamner les appelants à lui payer solidairement la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- de les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- de dire irrecevable et en tout cas mal fondée l'intervention de l'UCAM ;

- de condamner les appelants aux entiers dépens et l'UCAM, solidairement avec eux, aux dépens d'appel.

La société S., enfin, conteste en premier lieu la qualité et l'intérêt de l'UCAM à intervenir dans la procédure. Elle relève en particulier les contradictions de la position de ce syndicat qui intervient en l'espèce alors qu'il existe à Monaco de nombreux autres cas d'exclusivité ; qui prétend dissocier les deux parties au contrat d'exclusivité en déclarant n'agir que contre la société Lalique, faisant ainsi apparaître qu'elle n'agit pas dans le cadre de l'intérêt général ; qui invoque les textes et la jurisprudence du pays voisin et non les règles monégasques seules applicables.

En deuxième lieu, reprenant pour l'essentiel les moyens développés par la société Lalique, elle expose que les appelants, simples revendeurs, n'étaient tenus, contrairement à elle, à aucune des obligations financières et commerciales liées à un contrat d'exclusivité. Elle relève, d'une part, l'importance de ses investissements et, d'autre part, l'absence de toute justification d'un préjudice de la part des appelants.

En troisième lieu, elle affirme que l'indisponibilité juridique des produits Lalique ne saurait être sérieusement contestée, la qualité du service rendu aux consommateurs s'étant trouvée incomparablement améliorée.

En quatrième lieu, elle prétend que l'appel abusif lui a occasionné un préjudice qui doit être réparé.

Elle demande en conséquence à la Cour :

- de déclarer irrecevable et mal fondée l'intervention de l'UCAM ;

- de confirmer le jugement entrepris ;

- de condamner Madame R., Monsieur M. et la société House of Chinacraft, solidairement, à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

- de les condamner aux dépens.

Ceci étant exposé, la Cour :

Sur l'intervention de l'UCAM :

Considérant que l'article 432 du Code de procédure civile dispose :

peuvent seuls intervenir en cause d'appel ceux qui auraient le droit de former tierce opposition à l'arrêt. Néanmoins, toute autre personne peut intervenir pour appuyer la demande d'une partie. «

Considérant qu'aux termes de l'article 436 du même code :

toute personne peut former tierce opposition à un jugement ou à un arrêt qui préjudicie à ses droits et lors duquel, ni elle, ni ceux qu'elle représente n'auront été appelés. »

Considérant qu'en l'espèce, l'UCAM qui affirme représenter les intérêts généraux des commerçants de Monaco, ne peut prétendre être fondée à former tierce opposition dans le cadre d'un litige opposant entre eux plusieurs desdits commerçants dont les intérêts sont divergents, ce qui exclut à l'évidence la notion d'intérêts généraux de la profession ;

Considérant que les écritures et les prétentions de l'UCAM démontrent en outre clairement qu'elle ne se contente pas d'appuyer la demande d'une des parties ;

Qu'en effet elle se démarque nettement de la position des appelants dans la mesure où elle déclare ne formuler aucun reproche ou aucune demande à l'encontre de l'une des deux intimées, modifiant ainsi totalement les données du litige ;

Qu'elle forme également des demandes, notamment de publication de la décision à intervenir, qui ne sont ni reprises, ni soutenues par les appelants ;

Considérant en conséquence que l'intervention en cause d'appel de l'Union des commerçants et artisans de Monaco doit être déclarée irrecevable ;

Sur le fond :

Considérant que les commerçants appelants ne justifient en aucune façon de leur qualité de distributeurs agréés de la société Lalique ;

Que les pièces versées aux débats établissent seulement l'existence entre eux et cette société, de relations commerciales anciennes et régulières, les appelants passant des commandes à la société Lalique qui les honorait ;

Que le fait que les produits Lalique aient été exposés au public dans des présentoirs spéciaux n'implique aucunement l'existence entre les parties d'un contrat d'agréation ou d'un statut juridique spécial pour les commerçants distributeurs ;

Que le document présenté par les appelants comme un contrat d'agréation ne constitue qu'un projet d'accord qui n'a été ni signé par les parties, ni suivi d'aucun effet, les conditions proposées par la société Lalique n'ayant pas été acceptées ;

Qu'en définitive, comme l'ont justement relevé les premiers juges, les trois appelants n'étaient que de simples revendeurs des produits Lalique, ainsi d'ailleurs que de produits d'autres marques, parfois concurrentes ;

Considérant en conséquence que la société Lalique, qui n'était tenue envers les revendeurs à aucune obligation particulière, était libre, dans les seules limites fixées par la loi, de modifier sa politique commerciale, et notamment de conclure avec la société S. un contrat de concession exclusive, sans encourir de ce seul fait une quelconque responsabilité à l'égard des autres commerçants ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de l'ordonnance-loi n° 307 du 10 janvier 1941, modifiée par l'ordonnance-loi n° 384 du 5 mai 1944, relative à la législation sur les prix, « est considéré comme majoration illicite de prix, le fait : 1° par tout commerçant, industriel ou artisan a) de conserver les produits destinés à la vente en refusant de satisfaire, dans la mesure de ses disponibilités, aux demandes des acheteurs... dès lors que ces demandes ne présentent aucun caractère anormal et que la vente des produits... n'est pas soumise à une réglementation spéciale » ;

Considérant que les commandes passées par les trois appelants ne présentaient aucun caractère anormal, dans la mesure où elles s'inscrivaient dans la continuité d'une longue série de commandes antérieures ;

Considérant cependant que, même en l'absence de caractère anormal de la demande, le refus de vente peut être justifié par la création d'un réseau de distribution qui rend la marchandise juridiquement indisponible à l'égard des tiers ;

Qu'il en est ainsi lorsque le contrat invoqué comporte une exclusivité d'achat et de revente réciproque ; qu'il laisse le concessionnaire libre de fixer le prix de revente ; qu'il tend à assurer une amélioration du service rendu à la clientèle et qu'il n'apparaît pas comme ayant pour seul but de porter atteinte aux droits des tiers ou de limiter volontairement la concurrence ;

Considérant qu'en l'espèce le contrat de concession exclusive conclu le 4 septembre 1989 entre la société Lalique et la société S. et Cie, régulièrement versé aux débats, prévoit une exclusivité réciproque de vente et d'achat, sans qu'il puisse être tiré argument de la présence relevée dans la boutique de la société S. d'un certain nombre de pièces de vaisselle de porcelaine accompagnant les objets en cristal Lalique, ce mode de présentation étant pratiqué dans tous les commerces de luxe ;

Que ce contrat prévoit également une délimitation précise du territoire de la concession, étant observé que l'extension de ce territoire à la totalité de la Principauté de Monaco ne saurait entraîner aucune conséquence ;

Considérant que ce même contrat de concession, dans son article 2, laisse en principe le concessionnaire libre de fixer ses prix de vente, sous la seule réserve de ne pouvoir pratiquer de soldes et de limiter les rabais et les remises individuelles ;

Considérant qu'il est constant que la société Lalique fabrique et vend des produits de cristallerie de haute qualité ;

Que sa marque jouit d'une renommée mondiale ;

Que le contrat de concession exclusive permet d'assurer à une clientèle souvent exigeante, dans un cadre luxueux et avec une compétence particulière, une qualité de service que de simples revendeurs ne sont pas en mesure d'atteindre ;

Considérant que le contrat conclu avec la société S. s'inscrit dans le cadre d'une modification globale de la politique commerciale de la société Lalique qui a entrepris d'implanter dans les villes les plus prestigieuses du monde des boutiques conçues sur le modèle de son magasin de la rue Royale à Paris ;

Qu'il n'apparaît pas, de ce fait, que ce contrat ait eu pour seul but de porter atteinte aux droits des tiers ou de limiter volontairement la concurrence en restreignant artificiellement le nombre des revendeurs ;

Considérant que le contrat de concession du 4 septembre 1989 a eu ainsi pour effet de rendre juridiquement indisponibles à compter de cette date les produits de la marque Lalique à l'égard des tiers ;

Que, dès lors, le refus de vente opposé aux appelants se trouvait justifié ;

Considérant que l'exploitation d'une position dominante, même si elle se réalise sous la forme d'un monopole de fait ou d'une entente, n'est prohibée que si elle présente un caractère abusif ;

Que, si la mise en place d'un système de distribution sélective peut, dans certains cas, constituer un abus de position dominante, il ne saurait en être ainsi lorsque, comme en l'espèce, elle se réalise par le moyen d'une concession exclusive déclarée légitime ;

Considérant qu'aucun acte de concurrence déloyale n'est établi par les appelants à l'encontre des sociétés Lalique ou S. la seule exposition, ou vente, d'accessoires destinés à mettre en valeur les produits Lalique n'étant pas, comme déjà indiqué, de nature à constituer une telle infraction ;

Qu'au surplus, les appelants, qui prétendent avoir subi un préjudice du fait de la concurrence déloyale par eux alléguée, se contentent de solliciter l'instauration d'une mesure d'expertise pour en déterminer le montant ;

Considérant que la société Lalique, dans ses écritures, ne fournit aucun motif et ne présente aucun moyen à l'appui de sa demande de dommages-intérêts ;

Que la société S. invoque le caractère abusif de l'appel et la nécessité d'engager des frais pour assurer sa défense ;

Que les intimées ne formulent aucune demande de dommages-intérêts à l'encontre de l'UCAM ;

Considérant que les appels ne sont pas manifestement abusifs, malicieux ou dilatoires ;

Que les appelants, dans l'exercice normal de leurs droits, n'ont commis aucune faute de nature à justifier leur condamnation au paiement de dommages-intérêts ;

Audience du 21 janvier 1993,

En la cause de :

- La dame C. R. née R., propriétaire exploitante du fonds de commerce à l'enseigne P. C. à Monte-Carlo ;

- Le sieur J.-F. M., propriétaire-exploitant du fonds de commerce à l'enseigne M. C. à Monaco ;

- La société House of Chinacraft AG, House of Chinacraft SA, House of Chinacraft LTD, dont le siège social est à Xeidtrasse 6 A, 6300 ZUD, Suisse, exploitant un établissement à l'Hôtel Loews, à Monte-Carlo, agissant sur poursuites et diligences de son agent responsable, la dame M.-H. F. née M., y demeurant en cette qualité ;

Demandeurs, ayant élu domicile en l'étude de Maître Etienne Léandri, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

- La société Lalique SA, dont le siège est à 75 008 Paris, prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges Blot, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sinard, avocat au Barreau de Paris, substitué par Maître Iman, avocat en ce même Barreau ;

- La société en commandite simple « SCS S. et Cie », ayant pour dénomination commerciale Société d'exploitation de la boutique Lalique, Monte-Carlo, dont le siège social est sis à Monte-Carlo, prise en la personne de sa gérante en exercice, la dame M.-C. B. épouse de J.-P. S., demeurant en cette qualité audit siège ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges Blot, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Élie Cohen, avocat au Barreau de Nice ;

d'autre part ;

Le tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse Escaut-Marquet, Huissier, en date du 9 janvier 1991, enregistré ;

Vu l'attestation de réassignation en date du 14 février 1991 ;

Vu l'exploit de réassignation du ministère de Maître Marie-Thérèse Escaut-Marquet, Huissier, en date du 26 février 1991, enregistré ;

Vu les conclusions de Maître Georges Blot, avocat-défenseur, au nom des sociétés Lalique et S. et Cie, en date des 27 juin 1991 et 14 mai 1992 ;

Vu les conclusions de Maître Étienne Léandri, avocat-défenseur, au nom de la dame C. R., du sieur J.-F. M. et de la société House of Chinacraft, en date du 27 février 1992 ;

Ouï Maître Étienne Léandri, avocat-défenseur, pour la dame C. R., le sieur J.-F. M. et la société House of Chinacraft, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Georges Iman, avocat au Barreau de Paris, substituant Maître Sinard, avocat en ce même Barreau, assisté de Maître Georges Blot, avocat-défenseur, pour la société Lalique, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Élie Cohen, avocat au Barreau de Nice, assisté de Maître Georges Blot, avocat-défenseur, pour la SCS S. et Cie, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le Ministère public ;

Considérant les faits suivants :

La société Lalique, société anonyme de droit français dont le siège social est situé à Paris, et qui fabrique et commercialise des articles d'art en cristal à travers le monde entier, a eu depuis une dizaine d'années, divers clients revendeurs sur le Territoire monégasque, soit successivement, la dame C. R., la société Chinacraft et J.-F. M., lesquels vendaient les produits de sa marque dans leurs magasins respectifs ;

Suivant courrier du 5 septembre 1989, lesdits revendeurs se voyaient toutefois signifier un refus de vente émanant de la société Lalique, motivé par une nouvelle politique de commercialisation développée dans la Principauté de Monaco, et en l'état de laquelle seule une unique boutique Lalique allait être désormais habilitée à vendre les produits de cette marque sur le Territoire monégasque, à savoir, la société S. et Cie avec laquelle la société Lalique venait de conclure le 4 septembre 1989 un contrat de concession exclusive ;

Les revendeurs évincés saisissaient alors le juge des référés afin qu'il soit mis un terme à cet état de fait et qu'il leur soit permis de poursuivre la vente d'articles Lalique ; la demande, déclarée recevable en la forme, n'était cependant pas examinée quant à son bien-fondé et les parties étaient, selon ordonnance du 16 juillet 1990, renvoyées devant le juge du fond en l'état d'une contestation sérieuse existant en la cause ;

Suivant exploit du 9 janvier 1991, réitéré le 26 février 1991, par suite du défaut de la société en commandite simple S. et Cie, C. R., J.-F. M. et la société House of Chinacraft, agissant en leur qualité de distributeurs agréés de la société Lalique, ont fait assigner cette dernière, ainsi que la société S. devant le tribunal aux fins de voir condamner solidairement ces parties à leur payer à chacun une somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, et une indemnité provisionnelle correspondant au bénéfice moyen annuel dont ils estiment justifier, ainsi que l'institution d'une expertise à l'effet d'évaluer le montant du préjudice subi depuis le 5 septembre 1989 du fait du refus de vente opposé par la société Lalique, et afin que ladite société soit condamnée à reprendre ses livraisons, ce, sous astreinte de 50 000 francs par jour de retard pendant un délai d'un mois, passé lequel il serait à nouveau statué ;

l'appui de leurs prétentions, les demandeurs unis d'intérêt font valoir que la situation de refus de vente relève des dispositions de l'article 26 de l'ordonnance-loi n° 307 du 10 janvier 1941 ayant modifié la législation sur les prix, aux termes desquelles seule une demande présentant un caractère anormal ou la mauvaise foi du demandeur, sont susceptibles de justifier un refus de vente ; qu'à défaut de satisfaire à de telles conditions, l'attitude de la société Lalique a, en l'espèce, caractérisé sur le marché intérieur, un abus de position dominante et entravé de la sorte le jeu de la libre concurrence ; qu'en effet, les codemandeurs font valoir que leur demande de livraison ne présentait aucun caractère anormal, alors que les sociétés Lalique et S. auraient eu, pour leur part, une volonté délibérée de créer, au détriment des distributeurs agréés déjà en place, un réseau à caractère discriminatoire ;

Ils ajoutent que le contrat de concession exclusive consenti à la société S. ne devait en fait pas avoir pour effet d'exclure la présence et l'activité effective des autres distributeurs établis en Territoire monégasque, sauf à induire une situation de monopole sanctionnée par la loi ;

Les trois codemandeurs font également grief aux sociétés Lalique et S. d'avoir été à l'origine d'actes délibérés de concurrence déloyale, et ce, dès lors que la boutique ouverte en Principauté de Monaco vendait d'autres produits que des cristaux Lalique et concurrençait de la sorte les distributeurs dont la clientèle se trouvait détournée au profit du concessionnaire exclusif qui leur proposait également des porcelaines et de l'argenterie ;

La société Lalique estime, pour sa part, totalement infondées les accusations dont elle fait l'objet de la part des codemandeurs et expose que les produits dont elle a refusé la livraison - à dater du contrat de concession exclusive qu'elle a consenti à la société S. - étaient en fait juridiquement indisponibles, dès lors qu'il s'agissait d'articles de prestige et de haute qualité ; que, dans un tel cas, par application tant de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944 que de la jurisprudence monégasque, le refus de vente s'avérait possible et n'engageait nullement la responsabilité de son auteur ;

Ladite société en déduit le caractère infondé de la demande dirigée à son encontre, en ce qu'elle tend à voir qualifier d'abusif et injustifié le refus de vente opposé à des détaillants monégasques distincts du concessionnaire exclusif ;

En ce qui concerne la concurrence déloyale alléguée par les codemandeurs au motif que la société S. vendait d'autres produits que ceux de marque Lalique, la défenderesse rétorque que la meilleure présentation et mise en valeur du cristal exige l'association de ce matériau à de la porcelaine et de l'argenterie, et que cette pratique de commercialisation est suivie par toutes les boutiques Lalique à travers le monde ;

La société Lalique conclut en définitive au rejet des fins de la demande et sollicite la condamnation solidaire des codemandeurs au paiement de la somme de 100 000 F de dommages-intérêts ;

La société S. rappelant que le contrat de concession exclusive a été conclu le 4 septembre 1989 entre la société Lalique et C. S., explique que dans le cadre de cette concession, elle s'est engagée à supporter les frais d'aménagement et décoration de la boutique Lalique et à constituer un important stock de marchandises ; que de telles obligations n'ont, selon la société S., jamais été imposées aux trois demandeurs, qui n'étaient en fait que de simples revendeurs et non des distributeurs agréés ; que, dès lors, le contrat d'exclusivité, dont la validité trouve son fondement dans l'amélioration du service rendu au consommateur, a eu pour effet de justifier tout refus de vente opposé par la société Lalique à des revendeurs exerçant leurs activités sur le Territoire monégasque déjà concédé ;

La société S. qui se trouve responsable d'une boutique unique en Principauté de Monaco, et dit assurer de façon optimale la distribution des produits Lalique, ne s'estime pas plus responsable du refus de vente invoqué, que des actes de concurrence déloyale que lui imputent les codemandeurs ; elle précise à cet égard que la vente d'articles distincts de ceux fabriqués par la concédante, apparaît très secondaire et s'avère indispensable à la commercialisation des produits de la boutique Lalique ;

La société S. ne se dit en conséquence responsable d'aucun fait fautif susceptible d'engager sa propre responsabilité envers les codemandeurs et entend voir condamner ces derniers à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Sur ce,

Attendu qu'il convient au préalable de qualifier les relations commerciales des différentes parties entre elles ;

Attendu qu'il ressort des pièces produites que la société Lalique qui fabrique et vend des produits d'art en cristal de réputation mondiale, était en relation d'affaires avec les trois demandeurs, auxquels elle vendait ses produits, respectivement depuis l'année 1980 pour la dame R., l'an 1981 pour la société Chinacraft et l'an 1988 pour J.-F. M. ;

Attendu que si l'existence de commandes apparaît bien établie par les courriers échangés entre ces commerçants et la société Lalique, cette dernière ne justifie toutefois nullement de l'existence d'un contrat d'agréation qui l'aurait liée aux trois demandeurs ; qu'en effet, si la lettre modèle de souscription est bien produite aux débats, aucun exemplaire signé n'est versé à la procédure pour établir la qualité de distributeurs agréés de C. R., la société Chinacraft ou J.-F. M., laquelle ne saurait se présumer en l'état de simples livraisons et doit résulter d'un échange exprès de consentements, compte tenu notamment des obligations réciproques qu'elle induit ;

Attendu qu'il apparaît en fait que les trois demandeurs n'avaient aucune obligation de promouvoir la marque « Lalique » et ne se voyaient nullement imposer, à la différence des concessionnaires exclusifs, des sujétions strictes et définies, inhérentes au maintien du prestige de la marque dont les concessionnaires sont les garants à l'égard du concédant ; qu'en outre, et à la différence des distributeurs liés par un contrat d'agréation, les demandeurs n'apparaissaient pas désignés à l'attention de la clientèle en qualité de distributeurs officiels des produits de la société Lalique - qui leur aurait de la sorte conféré son label - et n'avaient en contrepartie aliéné ni leur autonomie juridique, ni leur indépendance économique ;

Attendu, dès lors, que c'est dans le cadre d'un tel contexte - faisant apparaître les trois demandeurs comme de simples revendeurs des produits Lalique en Principauté de Monaco - que de nouvelles relations d'affaires se sont établies entre, d'une part, la société Lalique, et, d'autre part, la SCS S. et Cie, laquelle s'est, à la date du 4 septembre 1989, vue consentir un contrat de concession exclusive, visant la promotion de la marque Lalique selon un concept « équivalant à celui de la rue Royale », devant permettre la « présentation valorisante d'un produit de luxe et de qualité déjà doté d'une réputation mondiale » ; qu'aux termes dudit contrat, le concédant et le concessionnaire limitaient réciproquement leur liberté commerciale, dès lors que le premier s'engageait à ne vendre ses produits dans le secteur considéré qu'à la SCS S., laquelle souscrivait, pour sa part, une clause d'exclusivité d'approvisionnement au profit de la société Lalique ;

Attendu qu'il convient alors de déterminer, en l'état de tels rapports juridiques, si le refus de vente opposé le 5 septembre 1989 par la société Lalique aux trois demandeurs, - au motif mentionné dans le courrier de l'habilitation concédée à une unique boutique Lalique, soit en fait la société S. - caractérise ou non une faute de la société Lalique susceptible d'engager sa responsabilité envers C. R., la société Chinacraft et J.-F. M. ;

Qu'il doit, à cet égard, être fait référence aux dispositions de l'article 26 de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944 qui considère comme majoration illicite de prix, érigée en délit, le fait pour un commerçant de refuser de satisfaire une demande qui ne présente « aucun caractère anormal » ;

Attendu que si, en l'espèce, lesdites demandes semblent remplir cette condition, puisque s'inscrivant dans le cadre de relations d'affaires existant déjà entre la société Lalique et divers revendeurs habitués à acheter et revendre les produits de cette société, il n'en demeure pas moins que la commercialisation d'articles revêtus d'une marque de prestige ou de haute qualité, permet d'assouplir un tel principe du fait de l'aptitude inégale des divers revendeurs à assurer la distribution de ces articles ;

Qu'il est dans ce cas admis que l'existence d'un contrat de concession exclusive - dont l'objet est d'améliorer le service rendu aux consommateurs - a pour effet de rendre « juridiquement indisponibles » les marchandises détenues par le producteur et vendeur ;

Attendu que la conclusion du contrat d'exclusivité en date du 4 septembre 1989 caractérise ce fait justificatif dans le cadre de la nouvelle politique commerciale de distribution menée par la société Lalique, dont les produits et articles d'art en cristal s'avèrent extrêmement prestigieux et notoirement connus dans le monde entier ;

Attendu qu'étant établi que les trois codemandeurs ne bénéficiaient dans la Principauté de Monaco d'aucune garantie de la part de la société Lalique, qui n'exerçait en contrepartie aucun contrôle sur l'organisation de leurs boutiques et leur politique de distribution, les relations commerciales même anciennes entretenues avec la société Lalique ne doivent nullement avoir pour effet d'induire la responsabilité de cette dernière, qui demeurait libre d'adopter une nouvelle politique de vente, dont l'efficacité - compte tenu de l'exiguïté du territoire monégasque - était subordonnée à l'exclusion de tous revendeurs et distributeurs autres que le concessionnaire choisi pour mettre en pratique les nouvelles règles de commercialisation ;

Attendu que la société Lalique ne saurait, de la sorte, être tenue pour responsable du préjudice commercial allégué du chef de son refus légitime de satisfaire aux commandes des demandeurs ;

Attendu par ailleurs, que les codemandeurs font également grief aux sociétés Lalique et S. d'avoir fait échec au jeu de la libre concurrence, dès lors que la société concessionnaire vendait d'autres produits que ceux de la marque Lalique et monopolisait de la sorte leur propre clientèle ;

Attendu qu'il appartient toutefois à la partie qui invoque un cas de concurrence déloyale, d'établir tant la réalité du fait fautif, qui consisterait en l'espèce en des manœuvres visant le détournement de la clientèle des demandeurs, que l'existence du préjudice qui en serait résulté ; qu'à défaut pour C. R., la société Chinacraft et J.-F. M. de rapporter de telles preuves, il y a lieu de les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à rencontre des sociétés Lalique et S. ;

Et attendu, quant à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts, formulée tant par la société Lalique que par la société S., que les demandeurs ont pu se méprendre sur la portée de leurs droits à l'égard de ces deux sociétés qui doivent en conséquence être déboutées de leurs demandes d'indemnisation ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;PAR CES MOTIFS,

Le tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute C. R., la société House of Chinacraft et J.-F. M. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, tant à l'encontre de la société Lalique que de la société en commandite simple S. et Cie ;

Déboute les sociétés Lalique et S. des fins de leurs demandes reconventionnelles ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

* dit irrecevable l'intervention de l'Union des commerçants et artisans de Monaco ;

* confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de première instance du 21 janvier 1993 ;

* déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

* condamne C. R., J.-F. M., la société House of Chinacraft et l'Union des commerçants et artisans de Monaco, aux dépens d'appel ;

* admet Maître Blot, avocat-défenseur, au bénéfice de la distraction, sur son affirmation de droit ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef ;

Et Monsieur le Premier Président a signé avec le Greffier en chef.

Note : Cet arrêt infirme en toutes ces dispositions un jugement du tribunal de première instance du 21 janvier 1993 (également publié).

Note

Cet arrêt infirme en toutes ces dispositions un jugement du tribunal de première instance du 21 janvier 1993 (également publié).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26294
Date de la décision : 05/07/1994

Analyses

Vente ; Contrat - Effets


Parties
Demandeurs : R., M., Sté House of Chinacraft
Défendeurs : Sté Lalique, Sté S. et Cie.

Références :

article 26 de l'ordonnance-loi n° 384 du 5 mai 1944
ordonnance-loi du 5 mai 1944
ordonnance du 16 juillet 1990
article 26 de l'ordonnance-loi n° 307 du 10 janvier 1941
article 26 de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944
article 26 de l'ordonnance du 10 janvier 1941
ordonnance-loi n ° 384 du 5 mai 1944
article 432 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1994-07-05;26294 ?

Source

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