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10/05/1994 | MONACO | N°26287

Monaco | Cour d'appel, 10 mai 1994, B. c/ Sté « Single Buoy moorings offshore contraction Inc. » et O « l'Union des Assurances de Paris incendie-accidents ».


Abstract

Accident du travail

Présomption d'imputabilité, non irréfragable - Décès, dû à un état pathologique antérieur, étranger à l'accident

Résumé

La présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 dont les ayants droit de la victime peuvent légalement se prévaloir à la suite du décès de leur auteur survenu au temps et au lieu de son travail, n'est point irréfragable et celle-ci peut être combattue par l'employeur et l'assureur-loi auxquels incombe la charge de cette preuve, si la cause de la lésion, voire en l'espèce

du décès, est totalement étrangère au travail, lequel ne doit avoir joué aucun rôle dans sa surve...

Abstract

Accident du travail

Présomption d'imputabilité, non irréfragable - Décès, dû à un état pathologique antérieur, étranger à l'accident

Résumé

La présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 dont les ayants droit de la victime peuvent légalement se prévaloir à la suite du décès de leur auteur survenu au temps et au lieu de son travail, n'est point irréfragable et celle-ci peut être combattue par l'employeur et l'assureur-loi auxquels incombe la charge de cette preuve, si la cause de la lésion, voire en l'espèce du décès, est totalement étrangère au travail, lequel ne doit avoir joué aucun rôle dans sa survenance.

En effet, il résulte des circonstances de la cause que le décès est dû à une cause naturelle inhérente à une pathologie préexistante (anévrisme thoracique ascendant) ; que l'activité professionnelle du défunt n'était pas limitée par ses médecins eu égard à la pathologie dont il était atteint ; qu'aucun épisode violent et inattendu n'est survenu dans le déroulement de son travail susceptible de jouer un rôle quelconque dans l'accident cardiaque qui l'a frappé, alors qu'il téléphonait à son employeur ; qu'en l'absence du traumatisme occasionné par l'action soudaine et violente d'une cause extérieure, le décès, contrairement à ce qu'ont estimé à tort les premiers juges, n'apparaît pas avoir été causé par le travail.

Motifs

La Cour,

La Cour statue sur ses appels relevés le 30 juillet 1993 par la société de droit suisse Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc., et par l'Union des Assurances de Paris, et le 2 août 1993 par M. B., à rencontre d'un jugement rendu le 1er juillet 1993 dans un litige opposant d'une part la dame veuve M. B. et M. B., sa fille majeure, et d'autre part la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. et la Compagnie L'Union des Assurances de Paris Incendie-Accidents.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus au jugement susvisé et aux écritures échangées devant la cour,

Victime d'un accident cardiaque le 3 janvier 1991 ayant entraîné son décès le même jour, alors qu'il se trouvait au service de son employeur, la société Single Buoy Moorings dont l'assureur-loi est la Compagnie l'Union des Assurances de Paris, G. B. a laissé une veuve, M. B. et deux filles légitimes dont l'une M. est majeure.

L'assureur-loi ayant refusé de prendre en charge les conséquences de ce décès au motif qu'il ne résulterait pas d'un accident de travail au sens de la loi sur les accidents du travail, M. B., la veuve, agissant tant pour elle-même que pour sa fille mineure et ensuite M. B., agissant sur intervention volontaire, ont saisi le Tribunal de Première Instance aux fins de voir dire et juger que l'accident mortel survenu le 3 janvier 1991 à G. B. relève de la législation sur les Accidents du Travail, et que les conséquences pécuniaires de cet accident doivent être prises en charge par l'assureur-loi, substitué à l'employeur. Par le jugement déféré, le tribunal a :

* donné acte à M. B. de son intervention volontaire ;

* dit que la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 doit bénéficier aux ayants droit de G. B. décédé le 3 janvier 1991 sur son lieu de travail ;

* condamné la compagnie l'Union des Assurances de Paris substituée à la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. à verser à M. B., conjoint survivant, une rente annuelle et viagère de 91 721,59 F calculée en fonction du taux légal de 30 % et d'un salaire annuel de 305 738,64 F et ce à compter du 4 janvier 1991 ;

* débouté M. B. de sa demande en paiement d'une rente ;

* condamné la Compagnie Union des Assurances de Paris, substituée à la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. à payer à M. B., ès qualités de représentant légal de sa fille mineure A., une rente annuelle de 45 860,79 F calculée en fonction du taux légal de 5 % et d'un salaire annuel de 305 738,64 F, à compter du 4 janvier 1991 ;

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont estimé au vu des pièces de la procédure, que l'accumulation des contrariétés et fatigues professionnelles n'ont pu que contribuer à la détérioration fatale de l'état de santé de G. B. et favoriser révolution de la pathologie dont il était porteur et qui n'avait jusqu'alors pas présenté de signes alarmants ;

Ils ont déduit de cette appréciation que subsistait la présomption d'imputabilité, étant donné qu'il n'était pas établi que le malaise cardiaque de la victime pouvait être attribué exclusivement à des prédispositions pathologiques, à l'exclusion de toute cause extérieure en rapport avec le travail ;

Ils ont par conséquent admis M. B., la veuve, et A. B., fille mineure de la victime, en leur prétention à obtenir une rente selon les conditions instituées par l'article 4-1° de la loi n° 636 ;

Ils ont, en revanche, décidé que la fille majeure, M. B. ne remplissait pas les conditions légales pour l'obtention de la rente réclamée, faute de justifier du bénéfice des prestations familiales, condition exigée par l'article 4-6° de la loi susvisée ;

À l'appui de leur appel, la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. et l'Union des Assurances de Paris soutiennent au vu du rapport d'autopsie, des certificats médicaux du médecin traitant de la victime et du témoignage d'un directeur technique présent sur les lieux, que la cause du décès est totalement étrangère au travail, et que rien ne permet d'affirmer, comme l'ont relevé à tort les premiers juges, que les contraintes et les fatigues liées à la profession d'ingénieur exercée par G. B. n'avaient pu que contribuer à la détérioration de son état de santé ;

Elles font valoir que le tribunal a méconnu un principe jurisprudentiel constant sanctionné par de nombreux arrêts de la Cour de Cassation Française, selon lequel la réparation au titre de la législation sur les Accidents du Travail ne peut intervenir que si l'accident provient d'un traumatisme occasionné par l'action soudaine et violente d'une cause extérieure ;

Elles font observer que le décès du préposé de la société Single Buoy Moorings n'est pas intervenu à la suite d'une discussion particulièrement animée, ni d'une dispute ou d'une altercation ;

En définitive, elles demandent à la cour de mettre à néant parte in qua, le jugement déféré, et statuant à nouveau, de dire que le décès de G. B., survenu le 3 janvier 1991, n'est aucunement dû à un Accident du Travail, de dire et juger que M. B. ne peut revendiquer tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille mineure A., le bénéfice des dispositions sur la loi sur les Accidents du Travail et que la Compagnie l'Union des Assurances de Paris sera déchargée des condamnations prononcées contre elle au profit de M. B., tant pour elle-même que pour sa fille mineure ;

À titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale aux fins de rechercher si le décès de G. B. trouve exclusivement la cause soit dans le travail accompli par celui-ci soit dans révolution normale de la très grave affection cardiaque dont il souffrait depuis plusieurs années ;

L'intimée, M. B. sollicite la confirmation du jugement entrepris, en relevant que la pathologie dont son époux était porteur n'avait pas jusqu'alors présenté de signes alarmants et que ce sont effectivement les contrariétés, les fatigues et les responsabilités résultant des journées de travail précédentes qui ont contribué à la détérioration fatale de son état de santé ;

À l'appui de son appel relevé le 2 août 1993, M. B. expose que bien que devenue majeure elle poursuit des études à Paris où elle est inscrite actuellement à l'école du Louvre, et qu'elle doit être considérée à ce titre comme enfant à charge puisqu'elle ne dispose d'aucune source de revenus ;

Qu'en conséquence aux termes de la loi n° 595, elle remplit les conditions pour percevoir les prestations familiales, ce qui lui ouvre droit à bénéficier de l'allocation d'une rente au titre des dispositions de la loi n° 636 sur les Accidents du Travail ;

Elle soutient avoir versé aux débats toutes les pièces justificatives nécessaires (notamment les certificats de scolarité de 1988 à 1994) pour l'obtention de la rente sollicitée ;

Elle demande à la cour de réformer la décision entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en paiement d'une rente, et, statuant à nouveau, de dire et juger que M. B. doit bénéficier des prestations prévues par les dispositions de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, et en conséquence, obtenir une rente ; et que les intimées doivent être condamnées à prendre en charge toutes les conséquences pécuniaires consécutives au décès accidentel de son père G. B. ;

Les intimées, la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. et la Compagnie Union des Assurances de Paris reprenant leurs conclusions de première instance, sollicitent de la cour la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M. B., 23 ans, de sa demande tendant à obtenir, à titre personnel le bénéfice d'une rente viagère faute de justifier qu'elle remplit les conditions impérativement prévues par l'article 4-6° de la loi n° 636 ;

Elles font valoir, de surplus, que si l'appelante justifie devant la cour qu'elle est régulièrement inscrite à l'école du Louvre à Paris, elle n'a pas rapporté la preuve exigée par l'article susvisé de la loi sur les Accidents du Travail qu'elle bénéficie des allocations familiales par application de l'article 7 de la loi n° 595 modifiée ;

Ceci étant exposé,

Considérant qu'il y a lieu, pour une meilleure administration de la justice de procéder à la jonction des appels parte in qua formalisés les 30 juillet 1993 par la société de droit suisse dénommée Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc. et la Compagnie l'Union des Assurances de Paris Incendie-Accidents, et le 2 août 1993 par M. B., à l'encontre du même jugement rendu le 1er juillet 1993 dans un litige opposant d'une part M. B. agissant tant pour elle-même que pour le compte de sa fille mineure A. et M. B., intervenante volontaire, d'autre part la société Single Buoy Moorings Offshore Contractors Inc., employeur, et la Compagnie l'Union des Assurances de Paris, Incendie-Accidents, assureur-loi, et qu'il y a lieu en conséquence de statuer sur ces appels par un seul et même arrêt ;

Considérant que si le décès de G. B. s'est effectivement produit le 3 janvier 1991 au temps et au lieu du travail dans les circonstances rapportées par les premiers juges, la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 dont les ayants-droit de la victime peuvent légalement se prévaloir, n'est pas irréfragable et celle-ci peut être combattue si la cause de la lésion, voire en l'espèce du décès, est totalement étrangère au travail, lequel ne doit avoir joué aucun rôle dans sa survenance ;

Considérant que la charge de cette preuve incombe à l'employeur et à l'assureur-loi ;

Considérant qu'il est établi par les documents médicaux-légaux versés aux débats (rapport d'autopsie du 8 janvier 1991 et certificats du docteur K., médecin traitant de la victime, en date des 19 septembre et 10 octobre 1991), que le décès de G. B. est dû à une cause naturelle suite à une pathologie préexistante (anévrisme thoracique ascendant) diagnostiqué depuis mai 1988 et susceptible d'évoluer rapidement pour son propre compte en dehors de toute relation avec le travail ;

Considérant que les renseignements rapportés le 3 mars 1991 par le nommé K., directeur d'un département technique auprès duquel la victime a passé ses dernières heures le 3 janvier 1991, et selon lesquels G. B. a téléphoné pendant 10 minutes en français depuis la Libye à son employeur à Monaco pour rendre compte de ses activités, puis, son visage étant devenu tendu et rouge, il s'est assis à la fin de l'entretien sur le fauteuil le plus proche, respirant avec peine et demandant un médecin, ne permettent pas de déduire, comme l'a fait deux ans et demi plus tard, le même K. dans une lettre adressée à la veuve M. B. que son mari se serait mis graduellement en colère au téléphone en raison de ce que son employeur lui demandait alors qu'il est constant que K. qui ne connaissait pas alors la langue française, ne pouvait pas comprendre les propos échangés au téléphone, et que par ailleurs, la teneur ou le contenu de cette communication n'a jamais été révélé ;

Considérant en outre qu'il ressort de l'ensemble des éléments versés aux débats que l'activité professionnelle de B. n'était pas limitée par ses médecins eu égard à la pathologie dont il était atteint, que la victime ne s'était pas plainte précédemment de ses problèmes cardiaques, que depuis plusieurs années G. B. exerçait sa profession d'ingénieur qui l'amenait à effectuer de nombreux déplacements à l'étranger sur des sites pétrolières au climat souvent pénible, sans être affecté par des problèmes de santé ;

Que si effectivement G. B. avait déclaré à son épouse et à son collègue de travail, K. que ce voyage impromptu en Libye à compter du 26 décembre 1990 l'avait contrarié puisqu'il le privait d'une période de congé qui lui avait été accordée et de la joie de passer les fêtes de fin d'année en famille, il est établi que le 3 janvier 1991, aucun épisode violent et inattendu n'est survenu dans le déroulement de son travail susceptible de jouer un rôle quelconque dans l'accident cardiaque qui l'a frappé, alors qu'il téléphonait à son employeur ;

Considérant dès lors, qu'en l'absence du traumatisme occasionné par l'action soudaine et violente d'une cause extérieure, le décès de G. B., contrairement à ce qu'ont estimé à tort les premiers juges dans le jugement querellé, n'apparaît pas avoir été causé par le travail ;

Qu'il suit que la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 ne saurait bénéficier aux ayants droit de la victime qui doivent en conséquence être déboutés des fins de leur demande ;

Que cette décision s'applique tant à M. B. agissant en son nom propre et comme représentant légal de sa fille mineure, qu'à M. B., sans qu'il y ait lieu d'examiner le bien-fondé de son appel tendant à établir qu'elle remplissait les conditions ouvrant droit aux prestations familiales ;

Considérant que M. B. et M. B. qui ont succombé en appel doivent supporter les dépens de la présente instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Ordonne la jonction des procédures n° 94-19 du 2 août 1993 et n° 94-29 du 30 juillet 1993,

Infirme le jugement déféré du Tribunal de Première Instance,

Statuant a nouveau,

Dit et juge que le travail n'a joué aucun rôle dans le décès de G. B. survenu le 3 janvier 1991 sur son lieu de travail,

Déclare détruite la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958,

Déboute M. B. des fins de son appel,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions,

Composition

MM. Sacotte, prem. prés. ; Carrasco proc. gén. ; Mes Lorenzi et Clerissi, av. déf.

Note

Cet arrêt infirme le jugement rendu le 1er juillet 1993 par le Tribunal de première instance.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26287
Date de la décision : 10/05/1994

Analyses

Social - Général ; Sécurité au travail


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : Sté « Single Buoy moorings offshore contraction Inc. » et O « l'Union des Assurances de Paris incendie-accidents ».

Références :

loi n° 636 du 11 janvier 1958
article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1994-05-10;26287 ?

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