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15/02/1994 | MONACO | N°26268

Monaco | Cour d'appel, 15 février 1994, R. c/ E. F.


Abstract

Procédure civile

Exception d'incompétence : moment où elle doit être soulevée (CPC, art. 252) - Justification d'un domicile dans le pays où l'étranger possède sa nationalité (CPC, art. 4) - Existence de ce domicile antérieurement à la demande en justice et non à l'arrivée de l'étranger à Monaco

Résumé

L'article 4 du Code de procédure civile, relatif à la compétence dispose que les tribunaux monégasques « ne peuvent connaître des actions relatives à l'état d'un étranger lorsque cet étranger décline leur compétence conformément

à l'article 262 du Code de procédure civile et justifie avoir conservé dans son pays un domicile de dr...

Abstract

Procédure civile

Exception d'incompétence : moment où elle doit être soulevée (CPC, art. 252) - Justification d'un domicile dans le pays où l'étranger possède sa nationalité (CPC, art. 4) - Existence de ce domicile antérieurement à la demande en justice et non à l'arrivée de l'étranger à Monaco

Résumé

L'article 4 du Code de procédure civile, relatif à la compétence dispose que les tribunaux monégasques « ne peuvent connaître des actions relatives à l'état d'un étranger lorsque cet étranger décline leur compétence conformément à l'article 262 du Code de procédure civile et justifie avoir conservé dans son pays un domicile de droit et de fait devant les juges duquel la demande pourrait être utilement portée ».

La partie qui décline la compétence du Tribunal de première instance, conformément à l'article 262 du Code de procédure civile, c'est-à-dire préalablement à toute exception, hormis celle de la caution à fournir par les étrangers, doit justifier qu'elle a conservé un domicile dans le pays dont elle possède la nationalité (quel que soit celui-ci, l'intéressé possédant en l'espèce la double nationalité) sans pour autant qu'il s'agisse nécessairement de son pays d'origine.

Le terme « conservé » employé dans l'article 4 n'implique nullement que le domicile dont l'étranger entend se prévaloir soit antérieur à son arrivée à Monaco ; il suffit que ce domicile existe antérieurement à la demande en justice.

Motifs

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi, les débats, hors la présence du public devant la Cour de Céans, ayant été mis en continuation à l'audience du 23 novembre 1993 et repris, hors la présence du public, à l'audience du 18 janvier 1994 pour l'arrêt être rendu ce jour,

La cour statue sur l'appel du jugement rendu le 31 janvier 1991 par le Tribunal de Première Instance de Monaco dans le litige opposant les époux E. F.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel ;

N. M. E. F. et M. M. R. ont contracté mariage à Tripoli (Libye) le 12 mai 1963.

Les époux, qui possédaient alors la seule nationalité Libyenne, fixèrent en 1973 leur domicile conjugal à Monaco.

Courant 1983, ils sollicitèrent ensemble la nationalité dominicaine qui leur fut accordée. Ils demandèrent, et obtinrent, en conséquence, des documents d'identité et passeports faisant mention de leur nouvelle nationalité et un domicile en République dominicaine.

Toutefois M. R. continua à résider seule à Monaco, ne faisant à Saint-Domingue que de brefs séjours, tandis que son mari s'établissait à Saint-Domingue, ne faisant à Monaco que de rapides passages jusqu'en 1988 ou 1989.

Le 18 juillet 1988, N. E. F. introduisait une instance en divorce contre son épouse devant une juridiction dominicaine pour cause d'injures graves. Sur appel, la décision de divorce rendue le 4 octobre 1988, devait être révoquée par arrêt du 8 novembre 1990 qui rejetait la demande du mari.

Pendant le cours de cette procédure, M. R. présentait à son tour, le 13 décembre 1989, une requête en divorce devant le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco, puis, dûment autorisée, faisait assigner son mari devant ledit tribunal par acte du 28 mars 1990.

Par le jugement déféré, le tribunal, faisant droit au déclinatoire de compétence formulé par le mari sur la base des articles 4 et 262 du Code de procédure civile, se déclarait incompétent pour statuer sur l'action en divorce et déclarait M. R. irrecevable en sa demande de mesures provisoires.

M. R. a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, elle expose en premier lieu qu'en matière de divorce, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel est situé le domicile conjugal.

Elle soutient que ce domicile conjugal a été fixé à Monaco et que son mari l'a abandonné pour aller résider à Saint-Domingue. Elle précise que si elle s'est elle-même rendue en République dominicaine, elle n'y a fait que de courts séjours dans des hôtels, sans que jamais un domicile conjugal ait existé dans ce pays. Elle déclare que les adresses portées sur divers documents administratifs sont purement fictives. Elle prétend que le domicile dominicain de son mari serait également fictif puisque fixé tantôt dans un immeuble de bureaux, tantôt à une adresse inexistante.

Elle fait observer que son mari lui-même continue à se prétendre domicilié à Monaco dans ses rapports avec diverses administrations, notamment française et suisse.

En deuxième lieu, elle soutient que son mari ne peut se prévaloir, pour écarter la compétence monégasque, des dispositions de l'article 4 du Code de procédure civile.

Selon elle, en effet, cette exception n'aurait pas été soulevée « in limine litis » comme exigé à peine d'irrecevabilité par l'article 262 du Code de procédure civile.

En outre, les conditions de l'article 4 ne seraient pas réunies. Rappelant les termes de cet article, elle affirme :

* que le pays visé par ce texte serait en l'espèce la Libye, état d'origine de son mari qui en a conservé la nationalité effective, la nationalité dominicaine n'ayant été acquise que pour des raisons de convenance.

Elle fait valoir qu'aucun domicile n'a pu être « conservé » en République dominicaine puisque son mari y est parti fictivement, seul et postérieurement à leur établissement à Monaco ;

* que son mari ne justifierait pas d'un domicile de droit et de fait en République dominicaine. Elle fait observer que certaines adresses figurant sur des documents d'identité se sont révélées inexactes et affirme que Saint-Domingue n'est, pour son mari, qu'une résidence parmi d'autres, réparties à travers le monde ;

* qu'enfin, il n'est pas démontré que les juridictions dominicaines pourraient être utilement saisies d'une demande en divorce des époux E. F., les procédures engagées par son mari devant ces juridictions étant, selon elle, insuffisantes pour prouver leur compétence. Elle croit même pouvoir affirmer que les hommes de lois de ce pays seraient peu regardants sur les règles de compétence et que « les divorces dominicains se vendent par petites annonces ».

En troisième lieu, M. R. conclut au rejet de l'exception tirée par son mari d'un prétendu statut diplomatique estimant que les documents produits n'établissent en sa faveur qu'un simple titre honorifique.

En quatrième lieu, elle conteste la validité d'un « acte de répudiation révocable pour la première fois » établi selon la loi Libyenne, relevant, entre autres, qu'il ne s'agit pas d'une décision judiciaire de divorce et qu'il ne remplirait pas les conditions exigées par la loi Libyenne elle-même.

En cinquième lieu, elle rappelle qu'il ne peut exister de litispendance entre les procédures dominicaine et monégasque.

En sixième lieu elle se dit fondée à solliciter de la Cour la fixation de mesures provisoires.

Elle demande en conséquence à la cour :

* d'infirmer le jugement déféré ;

* de dire et juger N. E. F. irrecevable à se prévaloir des dispositions de l'article 4 du Code de procédure civile ;

* de déclarer la juridiction monégasque compétente pour connaître du divorce ;

* de statuer sur les mesures provisoires comme sollicité dans ses conclusions du 5 mai 1992 ;

* de condamner N. E. F. aux dépens ;

N. E. F., pour sa part, déclare en premier lieu renoncer à invoquer une exception de litispendance internationale, celle-ci n'étant pas reconnue à Monaco.

En deuxième lieu, il persiste à se prévaloir d'une immunité de juridiction, tirée de la Convention de Vienne de 1961 et d'un statut diplomatique résultant selon lui de sa nomination en qualité d'Ambassadeur auprès du Ministère des Affaires Étrangères par décret du 3 octobre 1991 du Président de la République dominicaine.

En troisième lieu, il déclare avoir invoqué l'exception d'incompétence tirée de l'article 4 du Code de procédure civile « in limine litis », c'est-à-dire dès ses premières écritures, même si l'exception précédente, tirée du Droit international public, avait été placée en tête de celles-ci.

En quatrième lieu, tout en admettant que le domicile conjugal avait été établi à Monaco en 1963, il rappelle qu'en 1983, les époux, d'un commun accord, avaient sollicité, et obtenu la nationalité dominicaine avec la volonté de faire de Saint-Domingue leur patrie d'adoption.

Il fait observer que son épouse s'est rendue à de nombreuses reprises dans ce pays dès 1983 ; qu'elle a elle-même obtenu des documents d'identité faisant état de sa résidence dans le pays, aux adresses mêmes qu'elle prétend aujourd'hui inexistantes ; qu'elle a fait allégeance à l'État dominicain.

Il expose que dès janvier 1984 il a acquis un appartement duplex à Santo Domingo, mais que M. R. n'ayant trouvé à son goût ni l'appartement, ni la ville, aurait préféré retourner à Monaco, malgré l'obligation de résider avec son époux mise à sa charge par l'article 187 du Code civil monégasque comme par la loi dominicaine.

En cinquième lieu, il soutient que toutes les conditions d'application de l'article 4 du Code de procédure civile sont remplies. À cet effet, il affirme :

* qu'à la date de l'assignation (1988), il avait depuis plusieurs années son domicile, de droit et de fait en République dominicaine. Il soutient que l'antériorité de ce domicile suffit à répondre aux exigences de l'article 4 qui n'implique pas que le domicile ait été conservé dans le pays d'origine de l'intéressé mais dans son pays, c'est-à-dire, selon lui, la République dominicaine ;

* que les adresses contestées par son épouse sont celles-là même qui figurent sur ses propres documents d'identité et qu'en tout cas, à la date de l'assignation il disposait depuis plusieurs années de l'appartement sus-mentionné, constituant son domicile et parfaitement connu de son épouse. Il affirme le caractère réel de ce domicile, conforté par l'exercice en République dominicaine d'une activité professionnelle ;

* que les juridictions dominicaines ont été utilement saisies par lui d'une demande en divorce et que la procédure s'est normalement déroulée au contradictoire de son épouse.

Il fait observer que son épouse a reconnu la compétence de ces juridictions devant lesquelles elle a régulièrement fait valoir ses moyens, obtenant même à plusieurs reprises l'adjudication de ses demandes, ce qui démontre le caractère sérieux de la Justice dominicaine.

En sixième lieu, il déclare ne pas soumettre à la Cour le moyen tiré de l'existence d'un divorce qui aurait été prononcé selon la loi Libyenne.

Enfin, et de manière superfétatoire, il conteste les allégations de son épouse relatives à ses moyens financiers et à son train de vie.

Il demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. R. aux dépens.

Ceci étant exposé, la cour,

Considérant que l'article 262 du Code de procédure civile dispose que « la partie qui entendra décliner la compétence du Tribunal de première instance devra la déclarer préalablement à toute exception hormis celle de la caution à fournir par les étrangers » ;

Considérant que dès les premières conclusions déposées les 3 avril et 21 juin 1990 devant le Tribunal de première instance, N. E. F. a soulevé l'incompétence de la juridiction monégasque au triple motif de son statut diplomatique prétendu, de son domicile allégué en République dominicaine et, subsidiairement de la litispendance ;

Que l'ordre d'exposition de ces trois motifs importe peu dès lors qu'ils tendent tous à voir déclarer l'incompétence des juridictions monégasques ;

Considérant qu'il est constant que l'incompétence a été soulevée par N. E. F. avant toute autre exception ou défense au fond ;

Que les dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile ayant ainsi été respectées, aucune irrecevabilité ne saurait être retenue ;

Considérant que l'article 4 du Code de procédure civile, relatif à la compétence des tribunaux monégasques, dispose :

« ils ne peuvent connaître des actions relatives à l'état d'un étranger lorsque cet étranger décline leur compétence conformément à l'article 262 et justifie avoir conservé dans son pays un domicile de droit et de fait devant les juges duquel la demande pourrait être utilement portée » ;

Qu'il y a lieu d'examiner successivement chacune des conditions ainsi posées ;

Considérant que le pays visé par l'article 4 est celui, ou l'un de ceux, dont l'étranger possède la nationalité ;

Qu'aucune disposition de la loi n'exige qu'il s'agisse du pays d'origine ;

Qu'en l'espèce le pays en question peut aussi bien être la République dominicaine que la Libye, dont les époux possèdent la double nationalité sans qu'il y ait lieu, à ce stade du raisonnement, de faire un choix entre les deux ;

Considérant que le terme « conservé » employé dans l'article 4 n'implique nullement que le domicile dont l'étranger entend se prévaloir soit antérieur à son arrivée à Monaco ;

Qu'il suffit que ce domicile existe antérieurement à la demande en justice ;

Qu'en l'espèce N. E. F. se prévaut non pas de son domicile d'origine en Libye, mais d'un domicile établi à Saint-Domingue en 1983, soit plus de cinq ans avant le début de la procédure de divorce, et dont il y a lieu d'examiner ci-après la réalité ;

Considérant qu'il est établi par les pièces versées aux débats que N. E. F. dispose en République dominicaine d'un domicile de fait ;

Que si les premières adresses figurant sur les papiers des deux époux ont pu n'avoir qu'une réalité administrative, il n'en demeure pas moins d'une part qu'elles étaient connues de M. R. et utilisées par elle-même et, d'autre part, que dès janvier 1984 N. E. F. avait acquis, au su de son épouse, l'appartement duplex sus-mentionné ;

Qu'il importe peu que des changements d'adresse soient intervenus par la suite, toujours en République dominicaine ;

Considérant que ce domicile est également un domicile de droit ;

Qu'il ne peut en effet être sérieusement soutenu que N. E. F. aurait abandonné son domicile à Monaco pour aller subrepticement s'établir à Saint Domingue ;

Qu'en effet son départ n'est que la conséquence normale d'une démarche conjointe des deux époux qui, en sollicitant ensemble la nationalité dominicaine, ont clairement manifesté leur intention d'adopter une nouvelle patrie, avec toutes les conséquences qu'implique cette décision et en particulier d'y établir un domicile, ce que seul l'époux devait faire par la suite ;

Considérant que la domiciliation de N. E. F. n'est pas fictive ou même de simple convenance comme le soutient son épouse ;

Que si l'intéressé dispose de plusieurs résidences dispersées à travers le monde, sa nationalité, ses fonctions auprès du Ministère des Affaires Étrangères, les procédures en cours dans ce pays démontrent qu'il a en République dominicaine le centre de ses activités ;

Considérant que la demande en divorce pourrait être utilement portée devant le juge dominicain ;

Qu'en effet non seulement cette possibilité existe, mais qu'elle a été utilisée par le mari ;

Que les procédures intentées par lui ont été suivies au contradictoire de l'épouse qui y a été régulièrement représentée et qui, après avoir exercé les recours légaux a même obtenu l'infirmation en appel d'une première décision et l'adjudication de ses demandes ;

Qu'ainsi M. R. est mal fondée à prétendre que la Justice dominicaine manquerait de sérieux ou de fiabilité ;

Considérant que M. R. a elle-même reconnu devant la Justice suisse dans des écritures du 24 avril 1989 régulièrement versées aux débats (pièce n° 48 du dossier d'E. F.) :

« c'est aux tribunaux de Saint-Domingue qu'il reviendra de statuer non seulement sur le divorce mais également et surtout sur la liquidation du régime matrimonial ».

Qu'elle a également, devant la Justice dominicaine, donné pouvoir à ses avocats pour agir en son nom et « pour qu'ils manifestent devant n'importe quel tribunal de la République dominicaine ma sujétion à leur compétence » (pièce n° 73 du dossier d'E. F.).

Considérant en conséquence, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens des parties, que c'est à juste titre que les premiers juges, sur la base des articles 4 et 262 du Code de procédure civile, se sont déclarés incompétents pour connaître de la demande en divorce formée par M. R. ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Ordonne, en tant que de besoin, l'enregistrement avec le présent arrêt des pièces qui y sont visées ;

Note

Cet arrêt confirme en toutes ses dispositions le jugement du 31 janvier 1991 du Tribunal de première instance.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26268
Date de la décision : 15/02/1994

Analyses

Procédure civile ; Droit de la famille - Dissolution de la communauté et séparation de corps


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : E. F.

Références :

articles 4 et 262 du Code de procédure civile
article 262 du Code de procédure civile
article 187 du Code civil
CPC, art. 252
CPC, art. 4
31 janvier 1991


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1994-02-15;26268 ?

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