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06/07/1993 | MONACO | N°26243

Monaco | Cour d'appel, 6 juillet 1993, État de Monaco c/ Société Pastor et Société monégasque d'assainissement


Abstract

Juge des référés

Expertise - Recevabilité de la demande : préjudice éventuel (1) - Mission ne préjugeant pas au fond : recherche des préjudices (2) - Urgence : défaut quant à la recherche du préjudice patrimonial : mais recherche accessoire à l'essentiel (3) - Trouble de voisinage incompétence : appréciation relevée du juge du fond (4)

Résumé

S'il est constant qu'une société immobilière a vendu ou loué divers appartements d'un ensemble immobilier, il n'en demeure pas moins que le préjudice allégué par cette société lui est personne

l dans la mesure où il serait constitué d'une part par un accroissement des charges d'entretien e...

Abstract

Juge des référés

Expertise - Recevabilité de la demande : préjudice éventuel (1) - Mission ne préjugeant pas au fond : recherche des préjudices (2) - Urgence : défaut quant à la recherche du préjudice patrimonial : mais recherche accessoire à l'essentiel (3) - Trouble de voisinage incompétence : appréciation relevée du juge du fond (4)

Résumé

S'il est constant qu'une société immobilière a vendu ou loué divers appartements d'un ensemble immobilier, il n'en demeure pas moins que le préjudice allégué par cette société lui est personnel dans la mesure où il serait constitué d'une part par un accroissement des charges d'entretien et, d'autre part, par une dévalorisation des parties vendues ou louées (1).

La mission conférée par le juge des référés tendant à la recherche des préjudices de toute nature ayant résulté des nuisances, éventuellement constatées, constitue un élément classique de l'expertise, dans un litige qui concerne les effets des fumées produits par une usine d'incinération de déchets, voisine ;

Elle ne préjuge en rien du fond, dans la mesure où cette partie de la mission est subordonnée à la constatation préalable, et éventuelle, des nuisances prétendues ; au surplus les droits des parties demeurent évidemment, réservés quant au fond (2).

Si la recherche de l'importance d'un préjudice patrimonial peut apparaître dénuée de tout caractère d'urgence si elle est envisagée isolément de son contexte, il n'en demeure pas moins en l'espèce, qu'elle est un complément indispensable de ce qui constitue l'essentiel de l'expertise, à savoir de rechercher s'il existe une pollution. Il a pu ainsi à juste titre apparaître souhaitable au premier juge dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de confier dès à présent à l'expert ce chef de mission (3).

La préexistence de l'ouvrage public en cause (usine d'incinération) et les conséquences juridiques de cette situation sur la nature des troubles pouvant être invoqués, constitue à l'évidence, un moyen de fond qui ne peut être examiné au cours de l'instance en référé (4).

Motifs

La Cour,

La cour statue sur l'appel d'une Ordonnance du 12 juillet 1990 rendue par Monsieur le Président du Tribunal de première instance de Monaco, statuant en référé dans le litige opposant la SAM Pastor à l'État de Monaco et à la Société monégasque d'assainissement (SMA).

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être exposés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel ;

La société Pastor a édifié au quartier de Fontvieille un ensemble immobilier dénommé Gildo Pastor Center. Cet ensemble est situé à proximité de l'usine d'incinération des déchets dont l'exploitation a été concédée par l'État à la SMA. La partie la plus proche de l'usine d'incinération est l'immeuble dit « Le Coronado ».

Dès l'achèvement de l'ensemble « Le Coronado », la SAM Pastor, propriétaire, constatait que des fumées provenant de l'usine d'incinération atteignaient les derniers étages dudit immeuble, y déposant des résidus nocifs et attaquant les parties métalliques. Malgré plusieurs interventions auprès de l'État, notamment par lettres des 2 mars 1989 et 20 mars 1989, les troubles persistaient. Ils faisaient l'objet d'un constat dressé le 14 juillet 1989 par Maître Escaut-Marquet, huissier.

Au vu de cette situation, la SAM Pastor, par acte du 24 juillet 1989, faisait assigner en référé l'État de Monaco et la Société monégasque d'assainissement aux fins de désignation d'un expert.

Par ordonnance du 12 juillet 1990, le juge des référés désignait en qualité d'expert Monsieur Stéphane Deswarte avec pour mission :

* d'opérer toutes constatations nécessaires au sujet des troubles décrits dans l'exploit du 24 juillet 1989 de la SAM Pastor ;

* de rentrer dans les locaux de la SMA pour déceler l'origine des fumées et les émanations en cause ;

* de procéder à l'analyse de leurs émanations et d'en préciser le degré de nocivité ;

* de proposer les remèdes techniques à apporter pour mettre fin aux nuisances constatées ;

Par acte du 8 avril 1992, la SAM Pastor a fait assigner en référé l'État de Monaco, la Société monégasque d'assainissement et l'expert Deswarte en vue de voir ordonner une extension de la mission confiée à l'expert. Elle exposait en effet, pour l'essentiel, que les troubles n'étaient pas limités au seul immeuble « Le Coronado », mais affectaient l'ensemble du « Gildo Pastor Center » et lui occasionnaient un préjudice tenant non seulement en une charge accrue d'entretien, mais aussi en une dépréciation de la valeur locative ou vénale des locaux.

Par l'ordonnance du 8 juillet 1992, dont appel, le juge des référés, faisant droit à la demande d'extension de mission sollicitée par la SAM Pastor et au complément de mission sollicité par l'État de Monaco lui-même a :

* imparti à l'expert Stéphane Deswarte précédemment commis, lequel opérera désormais au besoin avec le concours de tout sapiteur expert-comptable de son choix, la mission complémentaire qui suit :

* 1°) poursuivre ses investigations dans l'ensemble des parties d'immeuble construites par la société Pastor dans le quartier de Fontvieille inclus le complexe immobilier dénommé « Gildo Pastor Center », voisin de l'immeuble « Le Coronado », à charge pour la société demanderesse de préciser à l'expert la situation exacte desdites parties d'immeuble ;

* 2°) examiner celles-ci, tant intérieurement qu'extérieurement, à l'effet d'y déceler les nuisances, du type de celles originairement alléguées, qui les affecteraient en leurs structures ou super-structures ;

* 3°) après examen des nuisances éventuellement constatées, indiquer leur origine, en précisant l'incidence qu'ont pu avoir sur leur survenance les éventuelles variations des conditions intérieures de fonctionnement de l'usine ou extérieures de circulation d'air ;

* 4°) déterminer les préjudices de toute nature étant résulté de ces nuisances au regard, le cas échéant, d'une dépréciation des immeubles, ayant pu se manifester lors des ventes ou locations des appartements, et compte tenu, par ailleurs, d'un éventuel accroissement des frais d'entretien desdits immeubles ;

* 5°) décrire et chiffrer les mesures techniques devant être adoptées, tant au sein de l'usine d'incinération, s'il y a lieu, que sur les parties d'immeubles affectées par les nuisances dont s'agit, pour faire cesser la survenance de celles-ci et leurs effets dommageables pour la société Pastor.

L'État de Monaco a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, l'État conteste en premier lieu l'objet et le champ de l'expertise. Il estime en effet que la mission confiée à l'expert est trop vague et qu'il appartenait à la société Pastor de préciser dans son assignation quels étaient les immeubles affectés par les émanations nocives. En contradiction évidente avec ce qui précède, l'État soutient également sur ce point qu'il n'est pas possible de laisser à la société Pastor le soin de décider unilatéralement quels sont les immeubles ou parties d'immeuble dans lesquels l'expert devra procéder à de nouvelles investigations.

En deuxième lieu, l'État rappelle que la SAM Pastor, promoteur immobilier, a vendu à des tiers une partie des locaux du Gildo Pastor Center. Il soutient que, par application de la règle « nul ne plaide par procureur », la SAM Pastor serait irrecevable à solliciter une expertise concernant des locaux ne lui appartenant plus.

En troisième lieu, il soutient qu'en chargeant l'expert de déterminer les préjudices de toute nature ayant résulté des nuisances provenant de l'usine d'incinération au regard, notamment, d'une dépréciation des immeubles, ayant pu être constatée lors des ventes ou locations d'appartements, et compte tenu, par ailleurs, d'un éventuel accroissement des frais d'entretien desdits immeubles, le juge des référés aurait préjudicié au fond.

En quatrième lieu, l'État affirme que la recherche de l'importance d'un préjudice d'ordre patrimonial ne présente aucun caractère d'urgence.

En cinquième lieu, et enfin, l'État prétend que le trouble de voisinage allégué résultant du fonctionnement d'un ouvrage public préexistant, la SAM Pastor ne pourrait invoquer un préjudice qu'en cas de trouble anormal. Il soutient que le complément de mission ordonné par le juge des référés préjudicierait au principal en ce qu'il impliquerait la recevabilité à alléguer un tel préjudice.

Il demande en conséquence à la Cour :

* de réformer partiellement la décision entreprise ;

* de dire et juger que la SAM Pastor devra préciser dans de nouvelles écritures quels sont les immeubles ou parties d'immeubles dans lesquels l'expert devra poursuivre ses investigations ;

* de dire et juger que l'expert devra limiter ses investigations aux immeubles ou parties d'immeubles dont la SAM Pastor sera à même de justifier qu'ils lui appartiennent toujours ;

* de dire et juger que le juge des référés était incompétent pour confier à l'expert la mission complémentaire de « déterminer » les préjudices de toute nature ayant résulté de ces nuisances... « ;

* d'ajouter à la mission complémentaire » fournir tous éléments d'information, au besoin en ayant recours à un sapiteur si sa spécialité le requiert, sur la circulation des vents, l'effet des courants ascendants sur la dispersion des émanations avant l'édification de l'ensemble immobilier Gildo Pastor Center, puis postérieurement à son édification, et préciser la nature des ouvrages ou des équipements nécessaires pour retrouver les conditions de l'aérologie préexistante, en définir les caractéristiques et les coûts " ;

* de condamner la SAM Pastor aux dépens ;

La SAM Pastor, pour sa part, fait valoir en premier lieu que toutes les parties de l'ensemble immobilier sont atteintes à des degrés divers et qu'il n'est pas possible de désigner de manière précise et exhaustive les éléments sur lesquels devra porter l'expertise ;

En deuxième lieu, elle affirme que le préjudice qu'elle invoque lui est personnel et consiste à la fois en un préjudice d'entretien et en un préjudice de dévalorisation. Elle relève que ce second chef de préjudice existe même dans les cas où les locaux ont été vendus par elle.

En troisième lieu, elle fait observer que l'expert n'aura à rechercher des préjudices de toute nature que dans la mesure où il aura préalablement constaté des nuisances. Elle en déduit que l'ordonnance attaquée ne préjudicie pas au fond, alors surtout qu'une ordonnance de référé ne s'impose pas au juge du fond.

En quatrième lieu, elle déclare que la recherche de l'importance du préjudice patrimonial n'est que l'accessoire de l'essentiel de la mission de l'expert, à savoir de rechercher s'il existe une pollution et comment y parer. Elle estime souhaitable, pour une bonne administration de la justice, que la mission confiée à l'expert soit la plus complète possible.

Elle demande en conséquence à la cour :

* de débouter l'État de Monaco de ses demandes ;

* de le condamner aux dépens.

La Société monégasque d'assainissement, enfin, affirme que ses méthodes d'incinération des déchets sont conformes aux règles de la profession et déclare s'en rapporter à justice.

Elle demande qu'il lui en soit donné acte et sollicite la condamnation de tout contestant aux dépens.

Ceci étant exposé, la cour :

Considérant, sur le premier moyen, qu'il ne saurait être reproché à l'assignation un manque de précision quant à la localisation des troubles allégués, ni, partant, dans la mission confiée à l'expert ;

Considérant en effet que les troubles allégués concernent des éléments de nature différente répartis tant à l'intérieur qu'à l'extérieur d'un ensemble immobilier ;

Qu'il relève du simple bon sens qu'il n'appartient pas au demandeur de fournir dans son assignation la liste exhaustive des éléments atteints ni leur localisation exacte ;

Que ce n'est qu'au cours de l'expertise que ces précisions pourront être apportées, non pas de manière unilatérale, mais, au contradictoire de la partie adverse ;

Considérant que, s'il est constant que la SAM Pastor a vendu ou loué divers appartements de l'ensemble immobilier dont s'agit, il n'en demeure pas moins que le préjudice allégué par cette société lui est personnel dans la mesure où il serait constitué d'une part par un accroissement des charges d'entretien et, d'autre part, par une dévalorisation des parties vendues ou louées ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à ce deuxième moyen ;

Considérant, sur le troisième moyen, que la recherche des préjudices de toute nature ayant résulté des nuisances, éventuellement constatées, constitue un élément classique de toute mission expertale dans ce type de litige ;

Qu'elle ne préjuge en rien du fond, dans la mesure où cette partie de la mission est subordonnée à la constatation préalable, et éventuelle, des nuisances prétendues ;

Qu'au surplus, les droits des parties demeurent évidemment, réservés quant au fond ;

Considérant, sur le quatrième moyen, que si la recherche de l'importance d'un préjudice patrimonial peut apparaître dénuée de tout caractère d'urgence si elle est envisagée isolément de son contexte, il n'en demeure pas moins, en l'espèce, qu'elle est un complément indispensable de ce qui constitue l'essentiel de l'expertise ;

Qu'il a pu ainsi à juste titre apparaître souhaitable au premier juge, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de confier dès à présent à l'expert ce chef de mission ;

Considérant que le cinquième moyen, tenant au caractère préexistant de l'ouvrage public en cause, et aux conséquences juridiques de cette situation sur la nature des troubles pouvant être invoqués, constitue, à l'évidence, un moyen de fond qui ne peut être examiné à ce stade de la procédure ;

Que, contrairement aux allégations de l'État, il ne conditionne pas la recevabilité de l'action ;

Que l'extension de mission ordonnée par le juge des référés ne peut, de ce chef non plus, être considérée comme préjudiciant au fond ;

Considérant que le complément de mission sollicité par l'État de Monaco lui-même et tendant à une étude aérologique des lieux litigieux, est inutile, dans la mesure où il est déjà inclus, de manière plus sommaire, dans les points 3 et 5 du complément de mission ordonné ;

Qu'il appartiendra à l'État, le cas échéant, de préciser en cours d'expertise les points particuliers qu'il souhaiterait voir examiner ;

Considérant, sur les autres demandes des parties, qu'il ne peut, en l'état, être donné mission à l'expert de constater une conformité des méthodes de traitement des déchets par la Société monégasque d'assainissement, cette conclusion ne pouvant, éventuellement, résulter que des constatations qui seront faites par l'expert dans le cadre du point 3 de sa mission complémentaire ;

Qu'il y a lieu, en revanche, de donner acte à la Société monégasque d'assainissement de ce qu'elle s'en rapporte à justice ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Confirme en toutes ses dispositions l'Ordonnance de référé du 8 juillet 1992 ;

Donne à la Société monégasque d'assainissement l'acte sollicité ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Composition

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet. prem. subst. proc. gén. ; Mes Clérissi et Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Charrières et Escoffice, av. barr. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26243
Date de la décision : 06/07/1993

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile contractuelle


Parties
Demandeurs : État de Monaco
Défendeurs : Société Pastor et Société monégasque d'assainissement

Références :

ordonnance du 8 juillet 1992
Ordonnance du 12 juillet 1990


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1993-07-06;26243 ?

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