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24/06/1986 | MONACO | N°25230

Monaco | Cour d'appel, 24 juin 1986, Société Arts et Couleurs c/ Société Éditions d'Art « Les Heures Claires » et hoirs B.


Abstract

Contrat d'édition

Résumé

L'article 48 de la loi française du 11 mars 1957 définit le contrat d'édition comme étant un contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent dans des conditions déterminées à une personne appelée éditeur, le droit de fabriquer ou de faire fabriquer un nombre d'exemplaires de l'œuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et de la diffuser.

La vente d'exemplaires d'un ouvrage par l'éditeur avec l'autorisation de les présenter et illustrer différemment ne confère pas au cessi

onnaire des droits d'édition dès lors que la cession des droits d'édition implique pour pro...

Abstract

Contrat d'édition

Résumé

L'article 48 de la loi française du 11 mars 1957 définit le contrat d'édition comme étant un contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent dans des conditions déterminées à une personne appelée éditeur, le droit de fabriquer ou de faire fabriquer un nombre d'exemplaires de l'œuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et de la diffuser.

La vente d'exemplaires d'un ouvrage par l'éditeur avec l'autorisation de les présenter et illustrer différemment ne confère pas au cessionnaire des droits d'édition dès lors que la cession des droits d'édition implique pour produire effet une délimitation dans son étendue, sa destination, son lieu et sa durée et que l'agrément des ayants droit de l'auteur n'a pas été accordé.

Motifs

La Cour,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :

La Société Éditions d'Art H. P. alors titulaire du droit d'éditer le roman de Tristan et Iseut écrit par J. B., a vendu le 18 juin 1979 à la Société Arts et Couleurs suivant facture, 2 500 exemplaires à plat de ce roman avec « autorisation d'utilisation pour la vente avec d'autres illustrations et une autre présentation, avec mention sur la justification des indications nécessaires à cette vente » ;

De son côté, la Société Les Heures Claires a acquis le 24 octobre 1980 sur adjudication les éléments subsistant (enseigne, clientèle, achalandage) d'un fonds de commerce d'imprimerie, d'édition et de librairie qui était exploité par la Société Éditions d'Art H. P. à Alfortville, laquelle en état de règlement judiciaire depuis le 14 mai 1980, a été déclarée en liquidation de biens le 1er octobre 1980 ;

Par ailleurs la Société Les Heures Claires a acquis le 2 novembre 1981, de l'Union générale d'Éditions, le droit exclusif de publier le texte de J. B. intitulé le Roman de Tristan et Iseut sous forme d'édition de luxe illustrée et de vendre l'édition réalisée dans le monde entier, l'Union générale d'Éditions tenant elle-même ses droits d'un contrat signé à Paris le 18 mars 1981 avec les héritiers de J. B. ;

A la suite de la cession des exemplaires à plat du Roman de Tristan et Iseut intervenue entre la Société Éditions d'Art H. P. et la Société Arts et Couleurs, cette dernière a mis en vente courant 1981-1982 un livre intitulé le Roman de Tristan et Iseut de J. B., illustré par A. avec la mention « L'Édition d'Art H. P. - . » et avec indication dans le tirage que le livre avait été imprimé à Alfortville sur les presses de l'Imprimerie P. à 3 000 exemplaires numérotés et que sur le tirage initial, 2 000 exemplaires avaient été réservés aux Éditions Arts et Couleurs ;

A la requête de la Société Les Heures Claires des saisies contrefaçon furent opérées courant 1982 en France et à Monaco ; mainlevée fut ordonnée de la saisie contrefaçon pratiquée à Monaco (arrêt du 23 novembre 1982 de la Cour d'appel) ;

A la suite de ces faits, la Société Les Heures Claires a, le 28 septembre 1982, assigné devant le Tribunal de première instance de Monaco la S.A.M. Arts et Couleurs aux fins de s'entendre dire et juger qu'elle est la seule titulaire, d'une part, des droits d'auteur concernant une édition de luxe illustrée, de l'œuvre de J. B. pour avoir acquis ces droits de l'Union générale d'Éditions suivant contrat du 2 novembre 1981, cette dernière les tenant elle-même des héritiers de J. B. suivant contrat du 18 mars 1981, d'autre part, de l'enseigne Éditions d'Art H. P. pour l'avoir acquise ainsi que les autres éléments du fonds de commerce de la Société Éditions d'Art H. P. le 24 octobre 1980, enseigne sous laquelle la Société Arts et Couleurs a fait paraître le livre de J. B. ; la Société Les Heures Claires sollicitait en conséquence la condamnation de la Société Arts et Couleurs au paiement d'une somme de 675 000 francs à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues, la destruction, sous le contrôle d'un huissier, de tous les ouvrages ayant fait l'objet du procès-verbal de saisie contrefaçon du 21 avril 1982 et ce aux frais de la défenderesse, la publication à titre de complément de dommages-intérêts, du dispositif du jugement à intervenir dans trois journaux de son choix ;

La Société Les Heures Claires a fait valoir que la cession invoquée par la Société Arts et Couleurs s'analysait en une vente de marchandises et ne constituait qu'une simple autorisation d'utilisation pour la vente, laquelle ne pouvait intervenir qu'autant que les titulaires du droit d'auteur, les hoirs B., étaient remplis de leurs droits ; que l'autorisation comportait l'obligation de réaliser d'autres illustrations et une autre présentation alors que la Société Arts et Couleurs a utilisé sur la page de garde du livre qu'elle a publié le nom de H. P. sur lequel elle n'avait aucun droit ;

Par conclusions du 17 octobre 1983, les ayants droit de J. B. d'une part, l'Union générale d'Éditions d'autre part, sont intervenus volontairement dans l'instance aux fins de s'entendre dire et juger que le document du 18 juin 1979 sur lequel se fonde la Société Arts et Couleurs pour se prévaloir de la propriété des droits d'édition du texte écrit par J. B., ne s'aurait s'analyser en une cession de droit d'édition alors qu'une telle cession ne pouvait intervenir indépendamment de la cession du fonds de commerce de la Société P., sans l'autorisation de l'auteur ou de ses ayants droits ;

Ils ont soutenu que le contrat liant la Société H. P. à J. B. ne pouvait s'analyser qu'en une simple autorisation de reproduction révocable « ad nutum » ; ils ont demandé que soient déclarées bonnes, valables et régulières les cessions intervenues les 18 mars 1981 et 21 novembre 1981 et ont réclamé la condamnation de la Société Arts et Couleurs au paiement d'une somme de 10 000 francs tant à titre de dommages-intérêts qu'en remboursement des frais de procédure irrépétibles exposés ;

Dans des conclusions additionnelles, les intervenants ont demandé de dire et juger qu'en application de l'article 62 alinéa 1 de la loi française du 11 mars 1957, la Société Éditions d'Art H. P. n'avait pas le pouvoir de transférer à la Société Arts et Couleurs le bénéfice du contrat d'édition relatif à Tristan et Iseut ayant existé entre elle-même et les hoirs B., sans l'autorisation expresse de ces derniers ; ils ont sollicité en outre la désignation d'un expert avec mission d'évaluer l'importance de l'exploitation contrefaisante par la Société Arts et Couleurs de l'œuvre de J. B. ainsi que la condamnation de celle-ci au paiement de 50 000 francs, d'une part, aux hoirs B., d'autre part, à l'Union générale d'Éditions ;

La Société Arts et Couleurs s'est opposée à ces actions dirigées contre elle, a invoqué le préjudice résultant de la saisie contrefaçon dont elle a fait l'objet, mesure ultérieurement levée par ordonnance de référé ;

Elle a formé une demande reconventionnelle tendant à l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 200 000 francs en attendant l'accomplissement d'une expertise comptable sollicitée aux fins d'évaluer son préjudice ;

Elle a prétendu que la Société Éditions d'Art H. P. qui avait acquis dès avant 1946 les droits d'auteur de J. B. décédé en 1938 avait des droits exclusifs sur ceux-ci, qu'elle avait donc le droit de vendre en juin 1979 les 2 500 exemplaires à plat qu'elle avait imprimés le 20 mai 1955 ; de telle sorte que la Société Arts et Couleurs avait la possibilité d'achever l'édition avec une autre illustration et une autre présentation, la Société Éditions d'Art H. P. étant demeurée titulaire des droits d'édition jusqu'au 1er octobre 1980 date du jugement ayant converti en liquidation de biens le règlement judiciaire prononcé le 14 mai 1980 ;

Elle a par ailleurs soulevé l'irrecevabilité de l'intervention des hoirs B. et de l'Union générale d'Éditions ;

Par jugement du 10 janvier 1985 le Tribunal a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée à l'encontre de l'intervention volontaire des hoirs B. et l'Union Générale d'Éditions ; a dit et jugé que la S.A.M. Arts et Couleurs ne pouvait se prévaloir d'un contrat d'édition portant sur 2 500 exemplaires à plat du roman Tristan et Iseut par J. B. qu'elle a acquis de la Société Éditions d'Art H. P. ; a dit et jugé en conséquence que les ventes de tout ou partie de ces exemplaires ont été faites sans droit, et avant de statuer sur les dommages-intérêts sollicités, a désigné en qualité d'expert Madame Boni, demeurant ., avec mission :

* de rechercher le nombre de volumes reliés et vendus par la Société Arts et Couleurs à partir des 2 500 exemplaires du roman de Tristan et Iseut acquis à plat à la Société Éditions d'Art H. P. ;

* de déterminer le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés consécutivement à ces ventes,

* de se faire représenter le surplus des exemplaires « à plat » acquis par la Société Arts et Couleurs, en déterminer le nombre et les conserver en qualité de séquestre,

a dit n'y avoir lieu à l'allocation d'une provision aux intervenants ; a débouté la S.A.M. Arts et Couleurs et l'a condamnée aux dépens avec distraction au profit de l'avocat-défenseur de la société demanderesse ;

Par exploit d'huissier du 25 février 1985, la S.A.M. Arts et Couleurs a relevé appel de cette décision et assigné devant la Cour d'appel la Société Anonyme Éditions d'Arts Les Heures Claires, l'hoirie B. composée de G. et J. B., A. H. veuve de B. M., E., E. et L. M. ayants droit de J. B., l'Union générale d'Éditions aux fins de mettre à néant le jugement du 10 janvier 1985, d'entendre déclarer tant la Société Les Heures Claires que les différentes parties intervenantes volontaires, irrecevables et en tout état de cause mal fondées en leurs prétentions, de voir en conséquence débouter les divers intimés de toutes leurs demandes, d'accueillir l'appelante en sa demande reconventionnelle telle que formulée devant le Tribunal, de voir instaurer une expertise comptable à l'effet de chiffrer le préjudice occasionné à l'appelante du fait de la saisie abusivement pratiquée par la Société Les Heures Claires, d'entendre condamner celle-ci à lui payer une indemnité provisionnelle de 200 000 francs ainsi qu'aux dépens « in solidum » avec les diverses parties intervenantes ;

L'appelante soutient que la Société Les Éditions d'Árt H. P. qui était titulaire d'un droit exclusif, était en droit de lui céder les exemplaires à plat, que le fait d'utiliser un autre illustrateur ainsi qu'une couverture différente ne saurait avoir d'importance puisque dans une édition c'est l'impression qui constitue l'élément essentiel, que n'ayant pas apporté de modification à l'impression elle n'a pu porter atteinte aux intérêts moraux de l'auteur ;

Que l' « intuitu personnae » à laquelle le jugement entrepris fait référence ne présente pas un caractère aussi absolu puisque aussi bien, en cas de cession d'un fonds de commerce d'édition, les contrats conclus avec l'auteur sont cédés en même temps que les autres éléments du fonds, et la cession de ces droits ne se trouve donc pas subordonnée au consentement préalable de l'auteur ; qu'admettre le contraire interdirait en fait toute cession de fonds ; qu'elle n'a pas acquis en l'espèce des droits d'édition mais des ouvrages déjà imprimés et prêts à être mis en vente ; que la commercialisation sous le nom Éditions d'Art H. P. était licite dès lors que les vendeurs ne lui ont point interdit d'utiliser leur nom, celui-ci se trouvant d'ailleurs déjà imprimé sur les 2 500 ouvrages à plat ; qu'il apparaît que les interventions volontaires ont été suggérées, que les parties intervenantes n'ont point indiqué leur domicile actuel, qu'elles n'ont point produit le contrat liant leur auteur aux Éditions d'Art H. P., que la connaissance du pré-rapport établi par l'expert désigné par le Tribunal de Créteil ne manquerait pas d'intérêt ;

Dans ces conclusions du 3 décembre 1985, la Société Arts et Couleurs fait observer qu'il n'y a eu à aucun moment entre elle et la Société Éditions d'Art H. P. une cession de droits d'auteur, que c'est pour cette raison qu'elle n'avait pas à consulter les héritiers de feu J. B. et qu'elle ne les a pas consultés ; que les droits précis et limités que la Société Les Heures Claires tenait de l'Union générale d'Éditions ne l'autorisait pas à prétendre que les exemplaires à plat vendus auraient constitué une contrefaçon alors que le travail d'illustration et d'habillage avait été effectué depuis longtemps ; que l'Union générale d'Éditions ne possède pas davantage de droits que ceux appartenant à la Société Les Heures Claires, que ce n'est que le 18 mars 1981 qu'elle a traité avec les hoirs B. soit 21 mois après la facture-vente du 18 juin 1979 ; que l'Union générale d'Éditions n'a à aucun moment acquis des hoirs B. des droits quelconques pour une période antérieure au 22 décembre 1980 date à laquelle le syndic de la liquidation de biens de la Société Éditions d'Art H. P. aurait écrit à l'Union générale d'Éditions pour indiquer que le contrat intervenu entre la Société Éditions d'Art H. P. et feu J. B. était désormais résolu ; que les hoirs B. n'ont pas versé aux débats le contrat d'édition originairement intervenu entre feu J. B. et les Éditions H. P. ; que la question se pose de savoir si les hoirs B. ont produit à la liquidation de biens des Éditions d'Art P., que l'expert Georges Albert désigné par jugement du Tribunal de grande instance de Créteil en date du 4 juillet 1979 n'a pas eu connaissance du contrat passé entre J. B. et H. P. à l'exception d'une lettre datée du 15 octobre 1916 relative à un retirage de Tristan et Iseut et d'un droit d'auteur de 10 % du prix de vente par exemplaire vendu ; qu'ainsi le problème de savoir quels étaient les droits dont les Éditions d'Art P. étaient redevables ou auraient dû être redevables envers l'auteur ou envers ses ayants droit concerne uniquement les hoirs B. et la Société d'éditions P. ; qu'en effet, le droit d'auteur naît uniquement du double fait de l'impression et de la mise en vente du texte ; qu'en l'espèce, ce sont les Éditions d'Art P. qui ont imprimé les 2 500 exemplaires à plat et qui ont vendu ceux-ci à la Société Arts et Couleurs ;

Dans des conclusions du 7 janvier 1986, la S.A.M. Arts et Couleurs a demandé de surseoir à statuer jusqu'à communication par les diverses parties intimées du contrat d'édition originaire intervenu entre feu J. B. et H. P. et d'une lettre en date du 27 novembre 1980 écrite par la Société Éditions d'Art Les Heures Claires ;

Dans de nouvelles conclusions en date du 25 février 1986, la Société Arts et Couleurs a demandé de constater que ni l'Union générale d'Éditions, en l'état du contrat que celle-ci avait conclu le 18 mars 1981 avec les hoirs B., ni la Société Éditions d'Arts Les Heures Claires, au vu du contrat intervenu le 2 novembre 1981 entre cette société et l'Union générale d'Éditions ne possédaient aucun droit sur la propriété littéraire de feu J. B. intitulée Tristan et Iseut, telle que cette œuvre avait fait l'objet des exemplaires à plat imprimés par la Société Éditions d'Art H. P. avant la faillite de celle-ci, et qui ont été ensuite vendus au mois de juin 1979, par H. P. qui se trouvait alors « in bonis » à la Société Arts et Couleurs ; d'ordonner la communication de la lettre adressée le 22 décembre 1980 par le syndic de la Société Éditions d'Art P. telle que cette lettre se trouve formellement mentionnée dans le contrat conclu le 18 mars 1981 entre l'Union générale d'Éditions et les hoirs B. ; de lui adjuger pour le surplus l'entier bénéfice tant de l'exploit d'appel signifié à sa requête le 25 février 1985 que des conclusions au fond prises par cette société le 29 novembre 1985, lesdites écritures judiciaires se trouvant en tant que de besoin tenues pour intégralement reprises ; de condamner « in solidum » toutes les parties intimées aux entiers dépens avec distraction au profit de son avocat-défenseur, le tout sous les réserves de l'exercice d'une action pénale ;

L'Union générale d'Éditions a conclu le 25 juin 1986 ; elle a sollicité la confirmation du jugement entrepris, la condamnation à son profit de la Société Arts et Couleurs au paiement de 10 000 francs de dommages-intérêts pour appel abusif et aux dépens avec distraction ;

Elle fait valoir que faute d'une autorisation expresse et par écrit des héritiers B. en application de l'article 62 alinéa 1er de la loi du 11 mars 1957, l'exploitation par Arts et Couleurs des ouvrages litigieux s'avère bel et bien contrefaisante ; que la circonstance que Arts et Couleurs ait procédé à la mise en vente sous l'enseigne Éditions d'Art H. P. outre qu'elle est contrefaisante à l'égard de la Société Les Heures Claires est inopérante à l'égard de l'Union générale d'Éditions compte tenu du fait que l'autorisation de reproduction d'origine s'est trouvée résolue de facto dès 1977 puis confirmée en 1980 par Maître M. syndic ; que la société appelante ne justifie aucunement du moindre droit d'exploitation des ouvrages litigieux ; que ce procédé - à l'instar de l'argumentation développée - n'apparaît que plus délibérément trompeur et pour tout dire frauduleux ;

La Société Éditions d'Art Les Heures Claires dans ses conclusions du 25 juin 1985 a demandé la confirmation du jugement entrepris, la condamnation de la Société Arts et Couleurs au paiement d'une provision de 150 000 francs outre une indemnité de 20 000 francs pour frais irrépétibles ;

Elle soutient que la Société Arts et Couleurs ne justifie pas d'une autorisation de l'auteur ou de ses héritiers qui puisse rendre la cession du contrat d'édition qui revêt un caractère « intuitu personnae » opposable à ceux-ci ; que dès lors l'antériorité des droits qu'elle aurait acquis et qu'elle invoque à l'encontre de la Société Les Heures Claires est sans portée dans le litige ; que la Société Arts et Couleurs a volontairement tenu à conserver abusivement le nom d'H. P. beaucoup plus connu dans le monde des éditions de luxe ; qu'ainsi la Société Arts et Couleurs ne peut se prévaloir d'un droit de commercialisation de l'ouvrage de J. B. faisant échec aux droits d'auteur ; que la commercialisation du livre Arts et Couleurs a été faite en violation des droits de la Société Éditions d'Art Les Heures Claires, d'une part, propriétaire depuis le 24 octobre 1980 du nom commercial : Éditions d'Art H. P., et d'autre part, titulaire d'un contrat d'édition exclusif portant sur l'édition d'un ouvrage de luxe du roman de Tristan et Iseut de J. B. ;

Les hoirs B. dans des conclusions du 21 janvier 1986 se sont associés aux écritures prises le 25 juin 1985 par l'Union générale d'Éditions et la Société Éditions d'Art Les Heures Claires en demandant la condamnation aux entiers dépens de la S.A.M. Arts et Couleurs avec distraction ;

Dans ces mêmes conclusions, toutes les parties intimées ont rejeté l'exception de communication de pièces en observant que la lettre du 27 novembre 1980 avait été communiquée et que l'expert Albert avait indiqué qu'il n'avait pas eu connaissance au cours de ses opérations d'un contrat passé entre feu J. B. et H. P. ;

Par conclusions du 25 février 1986 Maître Philippot ès-qualités d'administrateur judiciaire de la Société Éditions d'Art Les Heures Claires, désigné à ce titre par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 février 1986, est volontairement intervenu dans l'instance d'appel en tenant pour siennes les conclusions déposées par la Société Éditions d'Art Les Heures Claires ;

Sur ce,

Sur les exceptions de procédure :

Considérant que les incidents de procédure soulevés par l'appelante ne sauraient tirer à conséquence ; que le contrat d'édition originaire conclu il y a de nombreuses années entre J. B. et H. P. n'a pu être découvert au cours de l'expertise accomplie par Georges Albert ; que la lettre du Syndic M. du 22 décembre 1980 a été versée aux débats ; que l'absence d'indication dans les conclusions du domicile réel des ayants droit de J. B. ne constitue pas une irrégularité viciant la procédure et faisant grief à l'appelante ceux-ci ayant fait élection de domicile chez leur avocat-défenseur Maître Hélène Marquilly ;

Sur le fond :

Considérant que le litige concernant l'exploitation des droits patrimoniaux de feu J. B., en tant qu'auteur, la question se pose de savoir s'il convient d'appliquer au cas d'espèce la loi monégasque du 27 novembre 1948 ou celle française du 11 mars 1957 instituées pour la protection des œuvres littéraires et artistiques ;

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 27 novembre 1948 les dispositions de ce texte législatif sont applicables

1°) aux œuvres publiées ou non et ayant pour auteur ou co-auteur un ressortissant monégasque,

2°) aux œuvres publiées pour la première fois à Monaco, quelle que soit la nationalité de leur auteur ;

Considérant que ces conditions n'étant pas remplies, il en résulte a contrario que la loi française est applicable comme d'ailleurs les conventions internationales ;

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause et plus particulièrement d'un pré-rapport d'expertise de Georges Albert - expert national désigné par jugement du Tribunal de grande instance de Créteil du 4 juillet 1979, pré-rapport daté du 15 septembre 1980, régulièrement versé aux débats -, que J. B., membre de l'Académie française auteur entre autres d'une adaptation du roman de Tristan et Iseut, a confié suivant des accords écrits ou verbaux conclus antérieurement au 16 octobre 1916 à H. P. éditeur l'exploitation de son œuvre littéraire dont le roman susvisé moyennant un droit d'auteur de 10 % du prix de vente par exemplaire vendu ;

Qu'après le décès de J. B. survenu en 1938 et d'H. P. l'exploitation s'est poursuivie, la Société d'Éditions d'Art H. P. continuant les tirages et réglant les droits d'auteur aux héritiers de J. B. et ce jusqu'en 1977 alors que la Société d'Éditions d'Art H. P. était déclarée en état de règlement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 14 mai 1980 ;

Considérant qu'en l'état d'une facture datée du 18 juin 1979 établie par la Société d'Éditions d'Art H. P. celle-ci livrait à la Société Arts et Couleurs 2 500 exemplaires à plat du roman Tristan et Iseut adapté par J. B. pour un montant de 53 500 francs toutes taxes comprises ; que cette facture portait la mention suivante : « Bon pour autorisation d'utilisation pour la vente avec d'autres illustrations et une autre présentation avec mention sur la justification des indications nécessaires à cette vente » suivie d'une signature illisible ;

Considérant qu'après avoir soutenu que la Société Éditions d'Art H. P. lui avait vendu 2 500 exemplaires à plat avec possibilité d'achever l'édition avec une autre illustration et une autre présentation ce qui laissait présumer d'un rôle de co-éditeur ou de participant à une œuvre composite, la Société Arts et Couleurs a prétendu en cause d'appel que la Société Éditions d'Art P. ne lui avait nullement consenti une cession de droits d'auteur mais vendu des ouvrages prêts à être mis en vente, tout en contestant cependant les droits invoqués par l'Union générale d'Éditions et la Société Éditions d'Art Les Heures Claires alors qu'elle reconnaissait dans ses conclusions de première instance que la Société Éditions d'Art H. P. était demeurée titulaire des droits d'édition jusqu'au 1er octobre 1980 date du jugement prononçant la liquidation de cette société - ce qui ne laisse pas de faire apparaître une contrariété dans l'argumentation de l'appelante ; considérant qu'en fait la Société Arts et Couleurs a procédé à un tirage du texte de J. B. à 2 000 exemplaires mis en vente en 1981 et 1982 comportant une gravure, une série de vingt nouvelles illustrations réalisées par A. nouvel illustrateur (remplaçant L.) et en les habillant d'une reliure de luxe, tout en utilisant le nom de la maison d'éditions H. P. - comme si celle-ci en était toujours l'éditeur ;

Considérant cependant que la facture du 18 juin 1979 avec sa mention ne saurait s'analyser en un contrat d'édition celui-ci étant défini par l'article 48 de la loi française du 11 mars 1957 comme un contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur, le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'œuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffuser ;

Qu'en effet une cession des droits d'édition pour produire effet doit être délimitée dans son étendue, sa destination, son lieu et sa durée ;

Considérant qu'en agissant de la sorte, comme si elle avait été cessionnaire de droits d'édition sans l'agrément à cette cession des ayants droit de J. B. dont les droits sont fondés sur l'article 21 alinéa 2 de la loi susvisée, la Société Arts et Couleurs a méconnu les dispositions de l'article 62 de la même loi selon lequel l'éditeur ne peut transmettre à titre gratuit ou onéreux, le bénéfice du contrat d'édition à des tiers indépendamment de son fonds de commerce, sans avoir préalablement obtenu l'autorisation de l'auteur ;

Considérant qu'en admettant que l'œuvre exploitée par la Société Arts et Couleurs soit une œuvre composite dans la mesure où serait juxtaposée une œuvre dérivée caractérisée par de nouvelles illustrations et présentation, à une œuvre préexistante, sans la collaboration de l'auteur, il n'en demeurerait pas moins qu'une telle exploitation n'aurait été possible qu'avec le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ;

Considérant qu'en fait les droits d'édition que tenait la Société Éditions d'Art H. P. de feu J. B. et de ses héritiers ont subsisté jusqu'à la période où après le jugement convertissant le règlement judiciaire en liquidation de biens le Syndic M. désigné, estimant qu'il n'y avait pas lieu de continuer l'exploitation du fonds d'édition, le contrat d'édition litigieux s'est trouvé résolu de facto ainsi qu'il résulte d'une lettre de P. M., syndic, du 22 décembre 1980 ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'après cette résolution l'Union générale d'Éditions en l'état du contrat conclu le 18 mars 1981 avec les hoirs B. puis la Société Éditions d'Art Les Heures Claires, avec l'assentiment de ces derniers, sont devenus régulièrement cessionnaires successifs des droits d'auteur de J. B. et se trouvent en conséquence fondés dans leurs prétentions à l'encontre de la Société Arts et Couleurs laquelle ne saurait légitimement leur opposer une antériorité de droits ;

Considérant qu'il échet, en conséquence, de conformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sans statuer plus avant et sans faire droit en l'état aux diverses demandes d'indemnités tant à titre provisionnel qu'à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ou frais irrépétibles, à défaut de justifications suffisantes ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déclare recevable l'appel interjeté par la S.A.M. Arts et Couleurs ;

Déclare recevables les appels incidents relevés par l'Union générale d'Éditions et la S.A. Éditions d'Art Les Heures Claires ;

Rejette les exceptions de procédure soulevées par l'appelante ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions y compris les dépens de première instance ;

Déboute l'Union générale d'Éditions et la Société Éditions d'Art Les Heures Claires de leurs appels incidents ;

Composition

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clérissi et Marquilly, av. déf. ; Nicolaï, Ciccolini et Champetier-de-Riibes, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25230
Date de la décision : 24/06/1986

Analyses

Contrat - Général ; Propriété intellectuelle - Général ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : Société Arts et Couleurs
Défendeurs : Société Éditions d'Art « Les Heures Claires » et hoirs B.

Références :

loi du 11 mars 1957
article 34 de la loi du 27 novembre 1948


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1986-06-24;25230 ?

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