La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/05/1986 | MONACO | N°25217

Monaco | Cour d'appel, 20 mai 1986, Compagnie d'assurances Aetna Casualty and Surety c/ Société Loews Hôtel Monte-Carlo.


Abstract

Responsabilité civile

Responsabilité civile de l'hôtelier (non) - Vol dans une chambre au préjudice d'un client de l'hôtel

Résumé

Le client d'un hôtel victime d'un vol de bijoux et de numéraire dans sa chambre agissant contre l'hôtelier sur le fondement de l'article 1792 du Code civil doit établir la preuve de la faute invoquée consistant selon lui de la part de l'hôtelier à n'avoir point exercé par l'intermédiaire de ses préposés toute la vigilance qu'imposait la configuration des lieux prétendument ouverts à tout venant et exposant la

clientèle de l'hôtel à des risques à défaut de moyens de sécurité active appropriée.

Cette...

Abstract

Responsabilité civile

Responsabilité civile de l'hôtelier (non) - Vol dans une chambre au préjudice d'un client de l'hôtel

Résumé

Le client d'un hôtel victime d'un vol de bijoux et de numéraire dans sa chambre agissant contre l'hôtelier sur le fondement de l'article 1792 du Code civil doit établir la preuve de la faute invoquée consistant selon lui de la part de l'hôtelier à n'avoir point exercé par l'intermédiaire de ses préposés toute la vigilance qu'imposait la configuration des lieux prétendument ouverts à tout venant et exposant la clientèle de l'hôtel à des risques à défaut de moyens de sécurité active appropriée.

Cette preuve n'étant pas rapportée, l'hôtelier a par ailleurs la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité en démontrant conformément à l'article 1793 du Code civil que le vol litigieux provenait d'une négligence grave du voyageur.

Si en dépit du dépôt nécessaire auquel sont soumis, aux termes de l'article 1791 du Code civil, les effets apportés par les voyageurs logeant chez l'hôtelier, il ne peut être imposé à la clientèle d'un grand hôtel de déposer de manière permanente au cours de leur séjour dans celui-ci des objets de valeur. Une élémentaire prudence commande à cette clientèle d'utiliser en vue de la protection de ces objets le coffre que la direction de l'établissement met par annonce gracieusement à leur disposition et auquel elle peut accéder à toute heure du jour et de la nuit.

Motifs

La Cour,

Statuant sur l'appel relevé par la compagnie d'assurances Aetna Casualty and Surety (ci-après Compagnie A.C.A.C.), société de droit américain dont le siège est . à New-York (U.S.A.), d'un jugement du Tribunal de première instance du 27 juillet 1984 qui l'a déboutée de son action engagée contre la S.A.M. Loews Hôtel Monte-Carlo tendant au remboursement de l'indemnité versée à ses assurés les époux B. ensuite du vol dont ils avaient été victimes dans cet établissement ;

Vu l'arrêt du 23 avril 1985 ayant déclaré recevable l'exception de caution judicatum solvi soulevée par la Société Loews Hôtel en cause d'appel, arbitré à la somme 7 500 francs le montant de cette caution prévue par l'article 259 du Code de procédure civile, dit que la Compagnie A.C.A.S. serait tenue de justifier de ladite caution sous forme d'un engagement irrévocable d'un établissement bancaire établi en Principauté, et renvoyé la cause et les parties à une audience ultérieure pour être conclu sur le fond par ladite société sous réserve de la justification préalable d'un tel engagement ;

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits de la procédure, des moyens et prétentions des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel il suffit de rappeler que, pour statuer comme indiqué ci-avant sur l'action de la Compagnie A.C.A.S., agissant comme subrogée dans les droits des époux B., auxquels elle déclarait avoir versé une somme de 98 687 dollars U.S. à la suite d'un vol de bijoux et de numéraire commis à leur préjudice dans les chambres qu'ils occupaient à l'Hôtel Loews à Monte-Carlo, le Tribunal, après avoir réputé applicables aux époux B. et partant à la Compagnie A.C.A.S., subrogée dans leurs droits les dispositions des articles 1792 et 1793 du Code civil relatives au contrat hôtelier, estimait d'une part que le fait que la serrure de la porte 1026 donnant accès aux chambres desdits époux ait été forcée sans autre précision sur le modus operandi était suffisant pour caractériser un manquement par la Société Loews à ses obligations contractuelles générales de surveillance et établir à sa charge une faute en relation directe avec le dommage de nature à engager sa responsabilité au-delà des limites prévues par l'article 1792 alinéa 2 du Code civil et dans les termes du droit commun, d'autre part qu'en abandonnant dans leurs chambres desquelles ils devaient s'absenter toute la journée du 16 juillet 1978, des bijoux nombreux et de très grande valeur ainsi que des espèces qui nécessitaient des mesures particulières de protection et une grande vigilance, et en négligeant les avis à cet effet affichés de manière ostensible dans les locaux qu'ils occupaient, les époux B. avaient commis une négligence et une imprudence d'une gravité telle qu'elles caractérisaient une faute de nature à exonérer totalement l'hôtelier de toute responsabilité dans les termes de l'article 1793 du Code civil ;

La Compagnie A.C.A.S. fait grief aux premiers juges d'avoir, en statuant ainsi, affirmé sans droit que les articles 1792 et 1793 étaient applicables en l'espèce et méconnu le fait que l'ensemble de l'Hôtel Loews ne saurait être considéré comme un établissement hôtelier ordinaire puisque s'agissant d'une grande surface - comportant 636 chambres, 4 restaurants, plusieurs bars et night-clubs, des salles de jeux et de galeries marchandes - largement ouverte au public et offrant plusieurs possibilités d'accès ;

Elle leur reproche en outre d'avoir écarté la responsabilité illimitée de la Société Hôtel Loews au simple motif de l'insuffisance de précision du modus operandi du forcement de la porte d'accès aux chambres des époux B. alors que les auteurs du vol ont nécessairement mis un certain temps à le réaliser et, pour y parvenir, fait un certain bruit compte tenu des « moyens de fermeture et de sécurité solides et particuliers » dont, de l'aveu même de la société intimée, sont dotées les portes des chambres de l'hôtel, en sorte qu'il y a eu de la part de celle-ci un défaut de surveillance de nature à engager sur le fondement de l'article 1230 du Code civil sa responsabilité au-delà des limites propres aux obligations découlant du contrat hôtelier proprement dit ;

Faisant valoir enfin que la direction de l'Hôtel Loews ne peut prétendre imposer à sa clientèle de déposer dans ses coffres et de venir en retirer plusieurs fois par jour les bijoux qu'elle a l'habitude de porter à moins qu'il ne s'agisse de bijoux, effets ou valeurs tout à fait exceptionnels, elle persiste à soutenir que la société intimée n'établit en aucune manière l'existence d'une faute quelconque à la charge des époux B. susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ;

Elle demande en conséquence à la Cour de réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de condamner la S.A.M. Loews Hôtel au paiement de la somme de 98 687 dollars U.S. avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ce au cours du change lors du règlement, d'ordonner la restitution des cautions qu'elle a constituées à la requête de la S.A.M. Loews Hôtel pour les besoins de la procédure, de condamner enfin celle-ci aux dépens tant de première instance que d'appel ;

Reprenant pour l'essentiel l'argumentation par elle développée en défense devant le Tribunal, la S.A.M. Loews Hôtel objecte à nouveau que la Compagnie A.C.A.S. se borne à lui imputer un défaut de surveillance d'ordre général au demeurant démenti par les pièces qu'elle verse aux débats et qui attestent de mise sous surveillance permanente de l'établissement par le truchement du service Monaco Sécurité ;

Elle fait valoir qu'un contrôle absolu de toute la clientèle de l'ensemble hôtelier - tel qu'il se présente avec ses chambres, restaurants, bars, magasins et autres services annexes propres à tout établissement d'un tel standing et qui ne sauraient en aucun cas exclure la notion de contrat hôtelier et par là-même l'application des articles 1792 et 1793 du Code civil - étant cependant impossible, il appartenait aux époux B. de se conformer aux prescriptions ostensiblement portées à leur connaissance par des avis rédigés tant en français qu'en anglais quant aux mesures à prendre en vue d'assurer la protection de leurs bijoux et autres espèces, ce qu'ils n'ont pas cru devoir faire en abandonnant imprudemment ces derniers dans l'une des deux chambres par eux occupées au lieu de les déposer eu égard à leur grande valeur dans le coffre de l'hôtel à ce destiné ;

Elle soutient que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu le caractère de gravité exceptionnelle d'une telle négligence pour faire supporter auxdits époux B. les conséquences dommageables en résultant pour eux et ont débouté la Compagnie A.C.A.S. subrogée dans leurs droits de fins de son assignation ;

Elle conclut en conséquence au déboutement de cette dernière de son appel et à la confirmation pure et simple du jugement déféré ;

Sur ce,

Considérant que des deux attestations établies par les services de la Sûreté publique à la demande de C. B., Président Directeur Général de la Société Gulf Western Ind., domicilié à New-York (U.S.A.), il résulte que le 16 juillet 1978 vers 22 h 20 à son retour de l'Hôtel Loews Monte-Carlo où il était descendu la veille avec son épouse mais dont tous deux s'étaient absentés pour la journée en quittant vers 8 h 30 les chambres 1024 et 1026 qui leur avaient été attribuées, ledit B. constatait que la porte 1026 avait été forcée, que les chambres avaient été fouillées par un ou des malfaiteurs et que des documents (passeports, cartes de crédit dont une de l'American Express) et de nombreux bijoux en or ou platine dont certains sertis de diamants ou autres pierres précieuses ainsi que 10 travellers-chèques de 100 dollars U.S., 300 livres sterling et 500 francs suisses avaient disparu ;

Considérant que ce vol s'étant produit à l'occasion du contrat hôtelier nécessairement intervenu entre les époux B. et la S.A.M. Loews Hôtel Monte-Carlo qui exploite un hôtel de grand luxe dont les divers services annexes : restaurants, bars, night-clubs, salles de jeux et autre galerie marchande ouverts au public et destinés à agrémenter le séjour de la clientèle qui ne sauraient affecter en rien la qualité d' « hôtelier » au sens de l'article 1791 du Code civil de ladite société, la responsabilité de celle-ci ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l'article 1792 dudit code, sauf pour l'hôtelier la possibilité de s'exonérer d'une telle responsabilité en démontrant que le vol litigieux provenait d'une négligence grave du voyageur - en l'espèce des époux B. - ainsi qu'énoncé à l'article 1793 ;

Que ces dispositions applicables auxdits époux le sont par voie de conséquence à la Compagnie A.C.A.S. subrogée dans leurs droits et dont l'action en paiement de l'équivalent en francs français au cours du change de 98 687 dollars U.S., somme représentant la valeur des bijoux et espèces dérobés et excédant les limites de la responsabilité hôtelière telle que fixée par l'article 1792 du Code civil, tendait par là-même à voir consacrer la responsabilité illimitée de la S.A.M. Loews Hôtel dans les termes du droit commun en raison d'une faute génératrice du dommage et justifiant à sa charge une indemnisation complète ;

Or, considérant qu'aux termes d'une jurisprudence constante en la matière, il appartient au voyageur de prouver la faute qu'il invoque et qui, en l'espèce, aurait consisté de la part de l'hôtelier à ne pas exercer par l'intermédiaire de ses préposés toute la vigilance qu'imposait la configuration des lieux prétendument ouverts à tout venant et exposant la clientèle de l'hôtel à des risques à défaut de moyens de sécurité active appropriés ;

Qu'il apparaît que la Compagnie A.C.A.S. - qui ne produit aucun document photographique ni aucun constat d'huissier permettant de déterminer le modus operandi du forcement de la porte n° 1026 - entend déduire le prétendu manquement de l'hôtelier à son devoir de prudence et de surveillance des seuls faits qu'il y a eu, selon elle, effraction et que, eu égard aux moyens de sécurité dont toutes les portes de l'hôtel sont dotées, cette effraction n'a pu être réalisée avec une discrétion telle qu'elle n'était pas susceptible d'attirer l'attention ;

Qu'une telle démarche intellectuelle non étayée sur des indices matériels patents ne saurait équivaloir à l'administration de la preuve, incombant à la Compagnie A.C.A.S., de la faute contractuelle par elle imputée à la S.A.M. Loews Hôtel dont il est par ailleurs établi - par des documents versés aux débats - qu'elle utilise, depuis le 1er février 1977, les services d'une société de surveillance, laquelle à raison de deux gardes dans la journée et de trois gardes la nuit, outre les services complémentaires, assure une surveillance générale permanente de l'établissement (« 24 heures sur 24 heures ») ;

Qu'il suit que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ladite Compagnie A.C.A.S. était mal fondée à rechercher la responsabilité illimitée et dans les termes du droit commun de la S.A.M. Loews Hôtel pour le vol commis dans son établissement au préjudice des époux B. ;

Considérant que si, en dépit du dépôt nécessaire auquel sont soumis, aux termes de l'article 1791 du Code civil, les effets apportés par les voyageurs logeant chez l'hôtelier, il ne peut être imposé à la clientèle d'un hôtel tel que le Loews Hôtel de déposer de manière permanente au cours de son séjour dans celui-ci les objets de grande valeur (bijoux, espèces, travellers-chèques, etc.) dont elle dispose, il demeure qu'une élémentaire prudence commande à cette clientèle d'utiliser, en vue de la protection de ces objets, le coffre que la direction de cet établissement met gracieusement à sa disposition et auquel elle peut accéder à toute heure du jour et de la nuit ;

Qu'une telle prudence s'imposait d'autant plus aux époux B. que devant s'absenter de l'hôtel durant toute une journée, il leur appartenait - ainsi que cette possibilité leur était rappelée par des affichettes ostensiblement exposées à leur vue dans les salles de bains - de ne pas négliger les mesures de sécurité qui leur étaient ainsi offertes en déposant au coffre de l'hôtel des bijoux et espèces dont la grande valeur justifiait en cette circonstance un tel dépôt ;

Qu'il apparaît qu'en abandonnant dans leurs chambres, au mépris des règles les plus élémentaires de prudence et desdites prescriptions, ces objets précieux et autres valeurs sans protection particulière, les époux B. ont commis à tout le moins une très grande négligence au sens de l'article 1793 du Code civil dont le vol perpétré à leur préjudice doit être considéré comme ayant été le résultat en sorte qu'en vertu de ce même texte une telle faute exonère la S. A. M. Loews Hôtel de toute responsabilité ;

Considérant qu'il échet en conséquence de débouter la Compagnie A. C. A. S. des fins de son appel et de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Accueille, en la forme, la Compagnie d'assurances Aetna Casualty And Surety en son appel ;

L'y déclarant mal fondée, l'en déboute ;

Composition

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boisson et Clérissi, av. déf. ; Sagot, av.

Note

Cet arrêt confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 27 juillet 1984.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25217
Date de la décision : 20/05/1986

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle ; Social - Général ; Responsabilité de l'employeur


Parties
Demandeurs : Compagnie d'assurances Aetna Casualty and Surety
Défendeurs : Société Loews Hôtel Monte-Carlo.

Références :

article 1792 du Code civil
articles 1792 et 1793 du Code civil
article 1793 du Code civil
article 259 du Code de procédure civile
article 1791 du Code civil
article 1230 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1986-05-20;25217 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award