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19/03/1985 | MONACO | N°25082

Monaco | Cour d'appel, 19 mars 1985, M. c/ Époux R.


Abstract

Servitude par destination du père de famille

Preuve - Conditions - Caractères de la servitude.

Résumé

Les demandeurs dans une action confessoire se prévalant d'une servitude dite « d'aération » par destination du père de famille qui grèverait la cave d'un voisin doivent établir, aux termes de l'article 578 du Code civil que les deux fonds aujourd'hui séparés appartenaient jadis au même propriétaire et que ceux-ci ont été mis par ce dernier dans l'état permanent et actuel duquel résulte la servitude, dès lors que celle-ci étant continu

e et apparente peut être invoquée, en application de l'article 579 du Code civil même contre l...

Abstract

Servitude par destination du père de famille

Preuve - Conditions - Caractères de la servitude.

Résumé

Les demandeurs dans une action confessoire se prévalant d'une servitude dite « d'aération » par destination du père de famille qui grèverait la cave d'un voisin doivent établir, aux termes de l'article 578 du Code civil que les deux fonds aujourd'hui séparés appartenaient jadis au même propriétaire et que ceux-ci ont été mis par ce dernier dans l'état permanent et actuel duquel résulte la servitude, dès lors que celle-ci étant continue et apparente peut être invoquée, en application de l'article 579 du Code civil même contre le titre qui en dénierait l'existence.

Motifs

La Cour,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause, la relation suivante des faits et de la procédure :

Dame I. C. Veuve R., propriétaire d'une partie de la villa A., sise à Monaco, . a vendu le 18 janvier 1978 aux époux E. O. les parties privatives suivantes situées en sous-sol dépendant de cette villa savoir : un appartement composé de 2 pièces - figurant sur le plan du sous-sol sous le numéro 3, un water-closet porté audit plan sous le numéro 4, une cave portant le n° 8 ;

Ces mêmes biens immobiliers ont été revendus par les époux E. O. aux époux J.-P. R. suivant acte notarié du 5 janvier 1983 ;

R. M. a par acte des 22 juillet et 4 août 1980 acquis de dame C. Veuve R. une cave du sous-sol de la villa A., portant sur le plan le n° 5 et jouxtant le water-closet n° 4 ;

Prétendant que les époux M. avaient le 27 août 1983 tenté d'obturer l'ouverture d'aération du water-closet (n° 4) donnant sur leur cave n(° 5) en déposant à cet effet une grille métallique et une armoire à pharmacie, les époux R. ont assigné ces derniers devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de les condamner à leur rembourser le montant des frais de réparations nécessitées par le dommage (détérioration du cadre de la grille et du porte manteau, arrachement du papier peint) et à leur payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour les préjudices matériel et moral subis ;

M. qui a dénié avoir commis des actes dommageables en reconnaissant avoir déposé la grille et l'armoire à pharmacie sans les avoir détériorées, a soutenu que l'ouverture dite d'aération constituait en réalité, originairement une fenêtre à ouvrant vitré destinée à éclairer les caves ; que cette fenêtre qui avait été remplacée par une grille aurait dû être obturée lors de l'aménagement de l'appartement des demandeurs dans le sous-sol ;

Par jugement du 23 février 1984 le Tribunal a décidé en se fondant sur l'article 579 du Code civil que le water-closet des époux R. bénéficiait d'une servitude d'aération sur la cave n° 5 appartenant à M., a condamné M. à payer aux époux R. la somme de 4 000 francs ;

Par exploit d'huissier du 26 août 1984 M. a relevé appel de cette décision et assigné les époux R. devant la Cour d'appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris de déboutement des époux R., de condamnation de ceux-ci au paiement des dommages-intérêts réclamés dans la demande reconventionnelle et aux dépens de première instance et d'appel ;

Il fait valoir que le Tribunal a mal interprété les textes applicables en matière de servitude par destination du père de famille ; qu'il appartenait aux juges du premier degré de rechercher s'il y avait eu ou non une convention à l'origine de la servitude dont l'existence est alléguée par les époux R. ; que ni les actes de propriété respectifs ni le cahier des charges de l'immeuble établi par l'auteur commun ne fait mention de la servitude d'aérateur invoquée ;

Que les époux R. ne peuvent justifier d'aucun des 2 modes d'acquisition prévus par l'article 575 du Code civil lequel dispose : « les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans » ;

Qu'au regard des articles 577 et suivants dudit code retenus par le Tribunal il convient de prouver que les 2 fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire - ce qui est constant mais aussi que c'est par ce dernier que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude - ce qui n'est pas démontré, la motivation de la décision attaquée ayant été à cet égard vague et imprécise et s'étant bornée à énoncer que « l'ouverture litigieuse... a été destinée, par le propriétaire ou avec son accord, à assurer la ventilation du cabinet de toilettes au moment de l'aménagement de celui-ci » ; que la preuve n'est point rapportée ni de l'intervention volontaire de dame Veuve R., ni de l'expression de l'accord de celle-ci pour créer une servitude d'aération ; que la tolérance du propriétaire à l'égard d'un aménagement effectué par le locataire ne peut faire obstacle à l'application de l'article 578 du Code civil ;

Que l'absence de mention de servitudes dans les actes de vente et le cahier des charges établit que dame Veuve R. a clairement manifesté que de par sa volonté elle n'avait créé aucune servitude ;

Que retenant la seule hypothèse possible d'une servitude continue non apparente ou d'une servitude discontinue apparente ou non apparente, il fait observer que celles-ci ne pouvaient être établies que par titres en vertu de l'article 576 du Code civil, ce qui est impossible en l'espèce ;

Qu'il a toujours contesté cette servitude tant à l'égard des époux O. que des époux R. de telle sorte que les premiers n'ayant pas introduit une action dans le cadre des articles 81 et suivants du Code civil, prescrite par une annonce, les seconds ne peuvent l'invoquer ;

Dans ses conclusions du 16 octobre 1984, M. rejette l'appel incident des époux R. et leurs prétentions ;

Dans les conclusions du 25 janvier 1985, M. observe que les réclamations des époux R. sont infondées et injustifiées ; que le devis de travaux produit ne correspond pas à la réalité ;

Qu'il ressort des photocopies annexées au procès-verbal dressé par Maître Escaut-Marquet, huissier, le 24 novembre 1984 que l'usage et la jouissance de la fenêtre étaient à son profit exclusif de telle sorte que les époux R. ne peuvent formuler aucune revendication à son encontre, que dès lors ils n'avaient aucun droit d'y fixer une armoire de toilette ; qu'il apparaît aussi des descriptions opérées qu'il est difficile de prétendre qu'ils aient subi des dégâts ;

Les époux R. ont conclu les 26 juin et 13 novembre 1984 à la confirmation du jugement entrepris ; ils soutiennent que les prescriptions des articles 575, 577 à 578 du Code civil se trouvent remplies et font état des attestations à cet égard de dame P. et de sa fille dame O. - en faisant remarquer que l'installation litigieuse remonte à plus de quarante ans ;

Faisant appel incident, en ce qui concerne les dommages matériels prétendus, ils font état du constat du 27 août 1983, du devis du 12 octobre 1983 d'un montant de 8 471,60 francs dont ils sollicitent la réactualisation et réclament l'allocation de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Sur ce,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause que l'action introduite par les époux R. ressortit non point d'une action possessoire mais d'une action confessoire donnant support à leur demande en réparation d'un préjudice allégué ;

Considérant que la question que pose en effet le présent litige est de savoir si les époux R. sont fondés à se prévaloir d'une servitude dite « d'aération » par destination du père de famille qui grèverait la cave appartenant à M. (fonds servant) au profit du water-closet dont ils sont propriétaires (fonds dominant) ou de cette servitude par possession trentenaire ;

Qu'une telle servitude au regard de son mode d'exercice revêtirait un caractère apparent - s'agissant d'une ouverture visible avec grille et continu - le fait actuel de l'homme n'étant pas nécessaire ;

Considérant qu'il importe peu non seulement que les actes de propriété et le règlement de propriété produits par les parties ne fassent pas état de l'existence de la servitude qu'invoquent les époux R. mais encore que l'acte d'acquisition de M. mentionne que la venderesse dame Veuve R. n'a personnellement créé aucune servitude ;

Qu'en effet il est de principe par application de l'article 579 du Code civil que la destination du père de famille peut être invoquée même contre le titre qui dénierait l'existence de servitudes dès lors que la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues apparentes en vertu de l'article 577 du Code civil ; que la règle sus énoncée ne pourrait être écartée - que si les parties avaient nettement manifesté l'intention de s'opposer au maintien de la servitude réclamée - ce qui, à l'examen des actes n'apparaît pas être le cas en l'espèce ;

Considérant qu'aux termes de l'article 578 du Code civil deux conditions sont nécessaires pour que soit constituée la servitude par destination du père de famille à savoir :

1°) que les deux fonds aujourd'hui séparés aient jadis appartenu au même propriétaire,

2°) qu'il soit prouvé que les choses aient été mises par ce dernier dans l'état permanent et actuel duquel résulte la servitude ;

Que la preuve de ces conditions peut être administrée par témoins sans qu'il soit besoin d'un commencement par écrit ;

Considérant qu'il est constant que la première condition est remplie, dès lors qu'il est établi que les fonds numéros 4 (water-closet) et 5 (cave) appartenant actuellement respectivement aux époux R. et à M. avaient été la propriété de dame Veuve R. ;

Considérant relativement à la deuxième condition que s'il ressort des attestations émanant de dame M.-A. P. épouse O. et de dame Veuve H. P. que le water-closet avait été installé par l'époux de dame R. et n'avait jamais subi de modification, l'incertitude demeure quant aux circonstances exactes ayant accompagné la création de l'ouverture dans le water-closet : époque, auteur, destination et sur l'état des lieux litigieux au moment de la division des fonds ;

Considérant qu'il convient à défaut de précisions sur ces points, dans l'intérêt d'une bonne administration de la preuve d'ordonner d'office en vertu de l'article 302 du Code de procédure civile aux fins d'être éclairé à cet égard une mesure d'enquête, de même que l'interrogatoire des parties - prévu par les articles 365 et suivants du même Code ;

Considérant qu'en l'état de ces mesures d'instructions, il convient conséquemment de surseoir à statuer sur les demandes en réparation des préjudices allégués ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Déclare recevable en la forme l'appel interjeté par M. à l'encontre du jugement du 23 février 1984 ;

Avant dire droit au fond, tous droits et moyens des parties étant réservés ;

Ordonne une mesure d'enquête laquelle sera poursuivie à la diligence des époux R. sur les circonstances de fait ayant accompagné la création de l'ouverture dans le water-closet dont s'agit : auteur, époque, destination et sur l'état des lieux litigieux au moment de la division des fonds la preuve contraire étant réservée à M. ;

Dit que les parties se conformeront aux dispositions des articles 307 et 308 du Code de procédure civile ;

Ordonne l'interrogatoire des parties ;

Dit que ces mesures d'instruction seront exécutées en chambre du conseil de la Cour d'appel le vendredi 3 mai 1985 à 9 heures 30.

Composition

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi, Sbarrato, av. déf. ; Brugnetti, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25082
Date de la décision : 19/03/1985

Analyses

Droit des biens - Biens et patrimoine


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : Époux R.

Références :

articles 307 et 308 du Code de procédure civile
article 302 du Code de procédure civile
article 578 du Code civil
article 575 du Code civil
article 576 du Code civil
Code civil
articles 575, 577 à 578 du Code civil
article 579 du Code civil
article 577 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1985-03-19;25082 ?

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