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23/10/1984 | MONACO | N°25997

Monaco | Cour d'appel, 23 octobre 1984, Dame L.-D. c/ Sté « Meubles du Béguinage ».


Abstract

Stipulation pour autrui

Effets. Création au profit du bénéficiaire acceptant et contre le promettant d'un droit direct trouvant sa source et sa mesure dans la convention passée entre ce dernier et le stipulant. Droit tiré du contrat dont il est dépendant, autorisant le promettant à opposer au bénéficiaire toutes les exceptions et tous les moyens de défense découlant dudit contrat. Possibilité pour le promettant d'opposer au bénéficiaire le moyen tiré du contrat générateur de la stipulation relatif à l'application d'une clause d'arbitrage prévue audit c

ontrat (oui).

Résumé

La convention par laquelle l'une des parties stipule au...

Abstract

Stipulation pour autrui

Effets. Création au profit du bénéficiaire acceptant et contre le promettant d'un droit direct trouvant sa source et sa mesure dans la convention passée entre ce dernier et le stipulant. Droit tiré du contrat dont il est dépendant, autorisant le promettant à opposer au bénéficiaire toutes les exceptions et tous les moyens de défense découlant dudit contrat. Possibilité pour le promettant d'opposer au bénéficiaire le moyen tiré du contrat générateur de la stipulation relatif à l'application d'une clause d'arbitrage prévue audit contrat (oui).

Résumé

La convention par laquelle l'une des parties stipule au profit d'un tiers bénéficiaire acceptant un avantage auquel s'engage le promettant constitue une stipulation pour autrui qui déroge, conformément aux dispositions de l'article 1020 du Code civil, au principe de l'effet relatif des contrats ; le tiers bénéficiaire acceptant en est dès lors partie et le promettant peut lui opposer toutes les exceptions et tous les moyens de défense découlant de ladite convention.

Motifs

La Cour,

Statuant sur l'appel interjeté par Dame N. L. D. d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 19 mai 1983 ;

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure ;

Le 7 juillet 1980 intervenait entre la Dame L. D. et la Société de droit belge dénommée « Société internationale de publicité et d'agences commerciales » ci-après SIPAC, une convention aux termes de laquelle et en contre partie, d'une part de la concession exclusive pour la Principauté et sa périphérie du droit d'user de l'enseigne « L. M. H. H. », et d'autre part de diverses facilités d'approvisionnement et de crédit concernant les marchandises distribuées par la Société Gaiac, ladite dame L. D. s'engageait à réserver dans un magasin à l'enseigne « L. M. » 60 % de la surface d'exposition aux produits distribués par la Société Gaiac et à réaliser 60 % de son chiffre d'affaires au moyen de la vente de ses produits ;

De son côté, la SIPAC s'engageait à assurer par ses services et ses conseils l'homogénéité de la chaîne des magasins moyennant une redevance trimestrielle de 2 % sur le montant du chiffre d'affaires réalisé par le magasin précité de Monaco ;

Elle s'engageait en outre à faire exécuter à des conditions particulièrement avantageuses des travaux de transformation et de décoration dudit magasin qui allaient en fait, être conçus et effectués par la Société Gaiac ;

En l'état des dispositions de ce contrat de franchise à l'exécution duquel les parties convenaient, dès le 9 décembre 1980, de mettre fin, et des livraisons de marchandises par elle effectuées au magasin « L. M. » et dont elle avait vainement réclamé le règlement au mois d'octobre précédent, la Société Gaiac mettait, par courrier du 23 mars 1981, la dame L. D. en demeure de lui payer un relevé de factures impayées s'élevant à 1163 562 francs Belges, avant de l'assigner, le 2 septembre 1981, d'une part en paiement de l'équivalent en Francs français de la somme de 963 962 francs belges compte tenu d'une déduction au titre de marchandises retournées, en suite de ladite mise en demeure, pour un montant de 199 600 francs belges représentant selon elle, leur valeur réelle en raison de la vétusté les affectant, d'autre part en paiement d'une somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et, à défaut de règlement des sommes ainsi réclamées, en déclaration de cessation des paiements avec toutes conséquences de droit ;

Après avoir excipé de la nullité de l'assignation pour irrespect des prescriptions légales relatives aux mentions relatives à l'identité de la demanderesse ex-Société Gaiac devenue Société Meubles du béguinage, actuellement en liquidation, Dame L. D. s'abstenait de poursuivre sur cette exception mais, estimant que la Société précitée ne pouvait, faute de justifier d'autres liens contractuels, fonder son action que sur la convention de franchise susvisée, elle concluait, dans ses dernières écritures, à l'irrecevabilité de la demande en vertu de la clause compromissoire figurant dans ladite convention et devant, selon elle, recevoir application en l'espèce ;

Elle soutenait subsidiairement sur le fond n'avoir passé aucune commande tant avec la SIPAC qu'avec la Société Gaiac et que ces Sociétés lui avaient, en abusant des dispositions de la convention dont s'agit, livré de leur seule initiative des marchandises qu'elle n'avait pas été en mesure de sélectionner au préalable ; qu'ainsi la créance de la Société demanderesse était donc contestable en son principe et devait, en toute hypothèse, être sensiblement réduite compte tenu de l'incomplétude et de la défectuosité des travaux exécutés par cette société dans les locaux du magasin « L. M. » et qui auraient dû l'être contractuellement par la SIPAC ;

Arguant du fait que l'exception d'incompétence opposée par la défenderesse n'avait pas été soulevée in limine litis et que seule la SIPAC non partie à l'instance avait adhéré à la clause compromissoire en vertu d'un contrat auquel elle était quant à elle étrangère, la Société Gaiac concluait au rejet de ladite exception et à l'adjudication du bénéfice de son exploit introductif d'instance ;

Après avoir constaté l'accord des parties quant à la régularité de la procédure et, par jugement susvisé, le Tribunal rejetait l'exception d'incompétence soulevée par Dame L. D., disait n'y avoir lieu de déclarer celle-ci en état de cessation des paiements, la condamnait à payer à la Sté Meubles du béguinage, ex-sté Gaiac l'équivalent en francs français de la somme de 830 921 francs belges avec intérêts au taux légal à compter dudit jugement, déboutait la Sté précitée de sa demande de dommages-intérêts et les deux parties du surplus de leurs prétentions et condamnait Dame L. D. aux dépens ;

Aux termes de son acte d'appel, celle-ci fait grief aux premiers Juges d'avoir, en statuant ainsi, erré tant en fait qu'en droit ;

Elle considère, d'une part, que le rejet de son exception d'incompétence procède d'une méconnaissance de l'opposabilité de la convention du 7 juillet 1980 à la Sté Gaiac pour le compte de laquelle la SIPAC a contracté, et qui a accepté cette stipulation à son profit de la part de celle-ci en donnant à ladite convention un commencement d'exécution, de telle sorte que la clause d'arbitrage incluse en son article 10 devait recevoir application en l'espèce ;

Elle soutient, d'autre part que sa condamnation au paiement des sommes arrêtées par les Premiers juges est d'autant moins justifiée qu'elle ne tient aucun compte du fait qu'elle n'a jamais commandé les marchandises à elle livrées et de ce qu'en raison de l'inexécution à son endroit de leurs engagements SIPAC et GAIAC lui ont causé un important préjudice dont elle était fondée à réclamer réparation ;

Elle demande en conséquence à la Cour de dire et juger, par réformation du jugement entrepris, au principal que la convention intervenue entre elle et Sipac est opposable à la Sté Gaiac et de renvoyer partant les parties à la procédure d'arbitrage prévue par l'article 10 de ladite convention, très subsidiairement que ladite société Gaiac à laquelle elle n'avait jamais rien commandé ne lui a autoritairement livré la marchandise litigieuse qu'en vertu de la convention susvisée, de constater qu'elle a, du fait de l'inexécution des engagements des Sociétés Sipac et Gaiac à son endroit, subi un préjudice de l'ordre de 200 000 francs, somme excédant donc ce qu'elle peut rester devoir au titre des seules marchandises dont elle a reçu livraison et qu'elle a utilisés, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve de réclamer séparément paiement de la différence pouvant ainsi exister à son profit et de débouter la Sté intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Ajoutant à son exploit d'appel par des écritures en date du 28 février 1984 elle conclut plus subsidiairement encore et pour le cas où la Cour s'estimerait insuffisamment éclairée à l'institution d'une expertise à l'effet de rechercher si les travaux réalisés par la Sté Gaiac sont conformes à ceux qui avaient été conventionnellement prévus, de faire l'inventaire des matériaux mis en œuvre pour l'exécution desdits travaux, de fournir enfin à la Cour tous éléments de nature à lui permettre d'apprécier tant le trouble de jouissance que le préjudice commercial qu'elle a subi ;

Estimant que les premiers Juges ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et pertinemment déduit leur décision, la Sté Meubles du béguinage, ex-société Gaiac, dûment représentée par ses liquidateurs, conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré ;

Elle demande, à titre subsidiaire, que soit ordonnée la production aux débats des pièces invoquées par l'appelante dans ses écritures précitées ;

Sur ce :

Considérant que, pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse, les premiers juges, après avoir relevé à juste titre qu'une telle exception peut être opposée à tout moment de la procédure conformément aux dispositions de l'article 263 du Code de procédure civile, ont estimé que, bien qu'intéressée par l'exécution de la convention de franchise conclue le 7 juillet 1980 entre la SIPAC et la Dame L. D., et à laquelle elle n'a pas été elle-même partie, la Sté Gaiac ne saurait, sur la seule base de ce contrat, se trouver soumise à la clause compromissoire qu'il contient, laquelle lui demeurant étrangère ne lui est donc pas opposable ;

Or, considérant que, bien que conclue entre la Sipac d'une part, et la Dame L. D. d'autre part, la convention de franchise litigieuse constitue une opération à trois personnes dans laquelle en faisant en sorte de procurer un avantage à un tiers, la Sté Gaiac, par l'engagement envers celle-ci de ladite dame L. D., la Sipac a greffé la société précitée sur une opération juridique dans laquelle elle est dès lors personnellement partie et réalisé ce faisant une stipulation pour autrui au sens de l'article 976 du Code civil qui constitue, comme il s'évince des dispositions de l'article 1020 du même Code, une exception au principe de l'effet relatif des contrats ;

Qu'il apparaît en effet, en l'espèce, qu'en provoquant l'engagement de sa cocontractante de réserver 60% de la surface d'exposition de son magasin aux produits distribués par la Sté Gaiac et de réaliser 60 % de son chiffre d'affaires annuel au moyen de ces produits, le stipulant Sipac a fait produire effet à la convention passée avec le promettant Dame L. D. à l'égard d'un tiers bénéficiaire acceptant, ladite Sté Gaiac et fait naître au profit de celle-ci contre ce promettant un droit direct trouvant sa source et sa mesure dans la convention dont s'agit ;

Que ce droit ainsi tiré du contrat dont il est dépendant, par exception au principe édicté par l'article 1020 du Code civil, excluant nécessairement la possibilité de considérer son titulaire comme un tiers au sens contractuel du terme et autorisant, au vœu de la doctrine et de la jurisprudence concordantes à cet égard, le promettant à opposer au bénéficiaire toutes les exceptions et tous les moyens de défense découlant du contrat générateur de la stipulation lorsque, comme en l'espèce, ledit bénéficiaire est en mesure d'en discuter le fondement, il en découle par là-même la possibilité pour Dame L. D. es-qualité de promettant, d'opposer directement à la Sté Gaiac, bénéficiaire, le moyen tiré dudit contrat relatif à l'application de la clause d'arbitrage prévue par son article 10 sous réserve d'établir que, par sa nature, leur différend relève de cette clause ;

Considérant qu'il est constant que le litige opposant les parties à la présente instance est né à l'occasion de l'exécution de la convention de franchise litigieuse et non d'un quelconque engagement unilatéral du promettant envers le bénéficiaire en sorte qu'il ressortit nécessairement à la compétence du collège arbitral visé à la clause précitée du contrat litigieux aux termes de laquelle « tout différend entre parties trouvant sa cause ou son occasion dans la présente convention sera tranché par un collège de deux arbitres conformément aux règles du Code Judiciaire... » ;

Qu'il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré inopposable à la Sté Gaiac la clause d'arbitrage dont s'agit et rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Dame L. D. ; que leur décision doit donc être infirmée et les parties renvoyées à la procédure d'arbitrage telle que précisée ci-dessus ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Cour ;

Reçoit dame N. L. D. en son appel ;

Dit et Juge que la clause d'arbitrage incluse dans le contrat de franchise conclu le 7 juillet 1980 entre la Sipac et la Dame L. D. et qui s'analyse en une stipulation pour autrui est opposable à l'ex-société Gaiac devenue Société Meubles du béguinage ;

Infirme en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Dame L. D. devant les premiers juges et en ce que ces derniers ont statué au fond ;

Renvoie les parties à la procédure d'arbitrage prévue par la clause susvisée ;

Composition

MM. Vialatte, prem. prés. ; Merqui, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clerissi et Marquilly, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25997
Date de la décision : 23/10/1984

Analyses

Contrat - Général ; Contrat - Formation


Parties
Demandeurs : Dame L.-D.
Défendeurs : Sté « Meubles du Béguinage ».

Références :

article 1020 du Code civil
article 976 du Code civil
article 263 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1984-10-23;25997 ?

Source

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