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25/03/1980 | MONACO | N°25893

Monaco | Cour d'appel, 25 mars 1980, S.A.M. Hôtel Mirabeau c/ Dame V. et Compagnie U.A.P. et Compagnie U.A.P.


Abstract

Hôtelier - Vol - Responsabilité dans le cadre du dépôt nécessaire (articles 1792 et 1793 du Code civil).

Vol à main armée par plusieurs individus, de fonds, de bijoux et autres valeurs déposés dans un compartiment du coffre d'un hôtel.

Assimilation avec le « vol fait avec force armée » constitutif au sens de l'article 1793 du Code civil monégasque d'un cas de force majeure exonérant l'hôtelier de toute responsabilité (non).

Résumé

Les termes « vols faits avec force armée » procèdent d'une dialectique juridique très ancienn

e puisque remontant à la création du Code Napoléon dont la législation monégasque s'est inspirée et que, ...

Abstract

Hôtelier - Vol - Responsabilité dans le cadre du dépôt nécessaire (articles 1792 et 1793 du Code civil).

Vol à main armée par plusieurs individus, de fonds, de bijoux et autres valeurs déposés dans un compartiment du coffre d'un hôtel.

Assimilation avec le « vol fait avec force armée » constitutif au sens de l'article 1793 du Code civil monégasque d'un cas de force majeure exonérant l'hôtelier de toute responsabilité (non).

Résumé

Les termes « vols faits avec force armée » procèdent d'une dialectique juridique très ancienne puisque remontant à la création du Code Napoléon dont la législation monégasque s'est inspirée et que, pour sa part, le Code civil français, héritier de la même législation consulaire, a abandonnée en 1973 en la remplaçant par les termes « vols ou dommages qui arrivent par force majeure ».

Dès lors, si les termes « vols faits avec force armée » perdurent encore dans le Code civil monégasque, ils n'en impliquent pas moins une toute autre idée que le vol à main armée commis à l'époque actuelle, par un ou plusieurs individus, dans la mesure où ils évoquent l'intervention d'une véritable troupe armée se livrant à un pillage dans des conditions d'irrésistibilité absolue.

Le vol simple ou en réunion et à main armée ne peut donc être assimilé au vol prévu par l'article 1793 du Code civil et constituer en conséquence un cas de force majeure exonérant l'hôtelier de toute responsabilité, et ce, d'autant qu'il ne peut être considéré de nos jours où les crimes et délits contre la propriété défraient quotidiennement la chronique judiciaire, comme un événement échappant aux prévisions humaines et notamment à celles des détenteurs ou dépositaires de fonds, bijoux et autres valeurs.

Il s'ensuit que la direction d'un grand hôtel n'est pas fondée à soutenir qu'un « hold-up » perpétré dans son établissement était imprévisible à Monaco où, nonobstant la vigilance des services de police, le nombre relativement important et l'apparente opulence des palaces et autres établissements de luxe rendent parfaitement envisageable en toute saison et à toute heure du jour et de la nuit une telle entreprise criminelle.

Motifs

La Cour

Statuant sur les appels régulièrement interjetés en la forme, d'une part, par la S.A.M. Hôtel Mirabeau, d'autre part, par la Compagnie d'assurances U.A.P., d'un jugement contradictoirement rendu le 8 novembre 1979 par le Tribunal de première instance, lequel a dit que cette société et son assureur la Compagnie U.A.P. sont responsables du vol commis le 8 mars 1977 dans le coffre n° 18 attribué à la dame V., a réservé les droits et prétentions de ladite compagnie d'assurances quant à la distribution des indemnités entre toutes les victimes, jusqu'à concurrence de 1 000 000 de francs, a sursis à statuer sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. Hôtel Mirabeau, formée à l'encontre du sieur Z. pris en sa qualité de curateur de ladite dame V. placée par jugement du 27 juin 1977 sous un régime de curatelle et tendant au paiement d'un solde de factures de 55 814 40 francs, relatives aux séjours de celle-ci à l'hôtel du mois de mars au 21 juin 1977 et ce, avec intérêts de droit, et, avant dire droit au fond sur le préjudice invoqué par la dame V., a désigné Monsieur Orecchia en qualité d'expert avec mission de préciser les circonstances du dépôt par cette dernière de ses bijoux à l'Hôtel Mirabeau, d'établir la consistance et la valeur au jour dudit jugement des bijoux placés dans le coffre de cet hôtel, de recueillir tous éléments sur la profession, la situation sociale, les habitudes et l'honorabilité de la demanderesse, d'indiquer enfin la classe d'hôtel et la qualité de sa clientèle ;

Attendu qu'il est constant que dans la nuit du 8 au 9 mars 1977 et dans les circonstances parfaitement relatées dans la décision entreprise à laquelle il convient de se reporter à cet égard, une agression à main armée a permis à trois malfaiteurs, après avoir neutralisé le concierge et le standardiste de nuit de l'hôtel Mirabeau qui occupe cinq des vingt-sept étages de l'immeuble « Résidence Mirabeau » à Monte-Carlo, de forcer 39 des 43 coffres de l'armoire blindée - dont la porte était demeurée ouverte - installée dans le bureau de la comptabilité sis au rez-de-chaussée dudit hôtel, et de s'emparer de leur contenu ;

Attendu que par exploit du 16 juin 1977, la dame G. épouse V., attributaire de l'un des coffres forcés portant le numéro 18 dans lequel elle soutenait avoir déposé un certain nombre de bijoux tels qu'énumérés, décrits et évalués dans les motifs de la décision déférée tenus ici pour répétés, a assigné la S.A.M. Hôtel Mirabeau aux fins de s'entendre déclarer responsable du vol desdits bijoux et condamner à lui payer, en réparation du préjudice subi, la somme de 227 000 francs ;

Attendu qu'en l'état de la mise en curatelle de la dame V. en vertu d'un jugement du 27 juin 1977, le sieur Z., par acte du palais du 10 janvier 1978, intervenait en la cause en qualité de curateur de cette dernière et, en des conclusions, en date du 8 octobre 1979, prises tant en cette qualité qu'au nom de ladite dame V., élevait la demande à la somme de 301 000 francs compte tenu de la valeur sentimentale des bijoux dont s'agit estimée à 40 000 francs ;

Attendu que sur l'assignation qui lui a été délivrée la S.A.M. Hôtel Mirabeau, après avoir conclu au rejet de la demande motif pris que les circonstances de l'agression caractérisaient un cas fortuit ou de force majeure l'exonérant de toute responsabilité, a appelé en cause sa compagnie d'assurances, l'U.A.P. aux fins d'être relevée et garantie par celle-ci de toutes condamnations qui seraient susceptibles d'être prononcées contre elle, et a formé une demande reconventionnelle contre Z., ès qualités, en paiement du solde de factures visé ci-avant relatif au séjour de dame V. à l'Hôtel ;

Attendu que pour faire échec à l'action en garantie dirigée contre elle, la compagnie U.A.P. a soutenu que la responsabilité de la S.A.M. Hôtel Mirabeau ne pouvait être retenue en l'état des dispositions de l'article 1793 du Code civil, et fait observer subsidiairement que dame V. ne rapportait nullement la preuve de la réalité du vol litigieux non plus que celle de la valeur des bijoux prétendument dérobés, en sorte qu'il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une telle preuve soit administrée et de prendre en considération le fait que sa garantie était, en tout état de cause, conventionnellement limitée à la somme de 1 million de francs ;

Attendu que pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges - après avoir observé que rien ne permettait de supposer, en présumant que les malfaiteurs auraient contraint par la force les préposés de nuit de l'hôtel à leur remettre la clef de l'armoire blindée, que l'opération se serait déroulée de la même façon et aurait abouti au même résultat si la porte de ladite armoire avait été fermée - ont estimé que le fait que cette porte soit demeurée ouverte en pleine nuit sans raison valable (si ce n'est pour la commodité d'éviter des dérangements) et le défaut de solidité des serrures des coffres révélaient une négligence et une insuffisance du dispositif de sûreté ayant joué un rôle causal dans le processus d'exécution du cambriolage et la réalisation des dommages allégués et excluant par là même toute idée de force majeure ;

Que pour retenir également la responsabilité de la Compagnie d'assurances U.A.P. et réserver les droits et prétentions de celle-ci quant à la distribution des indemnités entre toutes les victimes jusqu'à hauteur de 1 000 000 de francs, ils ont considéré que le recours en garantie de la S.A.M. Hôtel Mirabeau était recevable dans la mesure de la démonstration du préjudice prétendument subi par dame V. et que celle-ci ne pouvait ignorer les clauses de la police d'assurance contractée par ladite société limitant la couverture des risques jusqu'à la somme susvisée ;

Qu'enfin, pour surseoir sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. Hôtel Mirabeau, ils ont invoqué la compensation à intervenir avec les dommages-intérêts à allouer à dame V. ;

Attendu que réitérant en cause d'appel l'argumentation développée dans ses conclusions de première instance, la S.A.M. Hôtel Mirabeau fait grief au tribunal d'avoir retenu sa responsabilité au mépris des dispositions de l'article 1793 du Code civil aux termes duquel les hôteliers « ne sont pas responsables des vols faits avec force armée ou autre force majeure, non plus que ceux qui sont la conséquence d'une négligence grave du voyageur », alors surtout que l'agression à main armée telle qu'elle s'est déroulée dans la nuit du 8 au 9 mars 1977 est normalement imprévisible à Monaco où elle est pratiquement sans précédent et a été tout autant irrésistible en l'état de la conception de la structure des compartiments de l'armoire blindée de l'hôtel qui ne sauraient être, en aucun cas, considérés comme de véritables coffres-forts et comporter par eux-mêmes un moyen de protection très efficace ; qu'insistant sur le caractère inévitable du dommage ayant résulté de l'agression dont s'agit et estimant que ce dommage est lié à une grave négligence de la dame V. dans la mesure où elle n'avait pas souscrit pour ses bijoux une assurance directe couvrant le risque vol, elle demande à la Cour de dire et juger, par réformation parte in qua du jugement attaqué, que les circonstances du vol litigieux caractérisent un cas fortuit ou de force majeure au sens de l'article 1793 du Code civil, et de débouter dame V. et Z., ès qualités, de leurs demandes, fins et conclusions, subsidiairement de confirmer ledit jugement en ce qui concerne la garantie par l'U.A.P. de toute responsabilité susceptible de lui être imputée en l'infirmant toutefois du chef de la réserve des droits et prétentions de cette compagnie d'assurances quant à la distribution des indemnités à allouer à toutes les victimes, de confirmer enfin la même décision en ce qu'elle a reconnu fondée sa demande reconventionnelle mais de l'infirmer du chef du sursis à statuer et de condamner en conséquence Z. ès qualités à lui payer la somme de 55 814 40 francs avec intérêts de droit à compter du 21 juin 1977 ;

Attendu qu'en des conclusions en date du 5 février 1980, dame V. et Z. ès qualités reprennent, en les complétant, leurs écritures de première instance tendant à démontrer que la responsabilité de la S.A.M. Hôtel Mirabeau se trouve nécessairement engagée, dès lors que les circonstances de l'espèce sont révélatrices d'une absence de force majeure et que cette société a manqué à l'obligation de résultat contractée par elle en qualité d'hôtelier envers ses clients en négligeant de fermer la porte d'accès aux compartiments de l'armoire blindée et en ayant fait installer de tels compartiments de coffres dans des conditions telles que leur fragilité est apparue à l'usage ;

Qu'estimant sans pertinence l'argumentation de la société appelante et infondé le reproche qu'elle leur fait de ne pas avoir souscrit une assurance directe contre le vol alors qu'elle aurait dû se préoccuper plutôt de la couverture des risques auxquels ses clients se trouvaient exposés, ils soutiennent que c'est à bon droit que ladite société a été, ensemble avec sa compagnie d'assurances, déclarée responsable du vol litigieux et condamnée à en réparer les conséquences dommageables, faisant observer à cet égard qu'outre la somme de 301 000 francs à laquelle doivent être évalués les bijoux dérobés compte tenu de leur valeur de remplacement, il doit leur être alloué une somme complémentaire de 92 800 francs en compensation de la plus-value acquise par certains desdits bijoux ;

Qu'ils concluent en conséquence à la confirmation du jugement entrepris ;

Attendu qu'à l'appui de son appel, la Compagnie U.A.P. soutient qu'elle n'a été attraite devant le tribunal qu'en sa qualité d'assureur de la S.A.M. Hôtel Mirabeau qui exploite cet établissement et que n'ayant donc pas la charge de la gestion de cet hôtel ni même la possibilité de s'immiscer dans celle-ci, elle ne saurait être considérée comme responsable au même titre que son assurée, la S.A.M. précitée, des vols commis dans ledit établissement ;

Qu'elle fait donc grief au jugement entrepris de l'avoir déclarée, ensemble avec la S.A.M. Hôtel Mirabeau, responsable du vol commis le 8 mars 1977 dans le compartiment de coffre n° 18, faisant valoir que le tribunal n'avait pu, en toute hypothèse, après avoir retenu la responsabilité de ladite S.A.M. sur le fondement de l'article 1791 du Code civil, dire et juger que son assureur serait contractuellement tenu de prendre en charge l'indemnisation des victimes de ce vol dans les limites de la garantie prévue par la police liant les parties ;

Qu'indiquant toutefois que ce grief n'est formulé qu'à titre très subsidiaire, elle reproche essentiellement aux premiers juges d'avoir méconnu les dispositions de l'article 1793 du Code civil applicables en l'espèce en raison des circonstances particulières du vol litigieux commis « avec force armée » et en vertu desquelles l'hôtelier se trouve exonéré de plein droit de toute responsabilité, et, à tout le moins, d'avoir dénaturé les termes pourtant clairs et précis de ce texte en se bornant simplement à rechercher si le vol perpétré dans la nuit du 7 au 8 mars 1977 constituait ou non un cas de force majeure ;

Qu'elle objecte encore - en invoquant une autre décision du tribunal en date du 29 mars 1979 rendue dans une instance opposant son assurée à d'autres victimes du même vol et excluant de la part des préposés de nuit de l'hôtel toute obligation d'héroïsme ainsi que la possibilité pour eux de résister à des menaces ayant pour objet de les contraindre à ouvrir la porte du coffre si elle avait été fermée - que cette juridiction s'est manifestement contredite en retenant, pour déclarer la S.A.M. Hôtel Mirabeau responsable en l'espèce du vol litigieux, que ses préposés avaient, en laissant ladite porte ouverte, commis une faute rendant possible cette soustraction frauduleuse ;

Qu'elle estime enfin que les intimés n'administrent pas en tout état de cause la preuve que si la porte du coffre s'était trouvée fermée les cambrioleurs n'auraient pas pu parvenir à leurs fins et qu'il est vain, par ailleurs, de prétendre que si les serrures de ce coffre avaient été plus résistantes le vol n'aurait pu être perpétré ; qu'elle demande en conséquence à la Cour de réformer le jugement entrepris et de débouter dame V. et Z., ès qualités, de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre ;

Qu'elle conclut en outre, au déboutement de la S.A.M. Hôtel Mirabeau des fins de son appel tendant subsidiairement à voir confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la garantie par l'U.A.P. de toute responsabilité susceptible de lui être imputée, et à la confirmation dudit jugement en ce qu'il a réservé les droits et prétentions de cette compagnie quant à la distribution des indemnités entre toutes les victimes jusqu'à concurrence de la somme de 1 000 000 de francs ;

Attendu qu'en raison des liens de connexité qui existent entre les instances diligentées devant la Cour de céans, par la S.A.M. Hôtel Mirabeau, d'une part, la Compagnie d'assurances U.A.P. d'autre part, il y a lieu de joindre leurs appels respectifs et de statuer sur tout par un seul et même arrêt ;

I. - Sur l'appel de la S.A.M. Hôtel Mirabeau :

Attendu qu'il est constant que le 8 mars 1977, date du vol litigieux, dame V. séjournait à l'Hôtel Mirabeau en qualité de cliente et y disposait, pour y déposer ses bijoux, du compartiment de coffre n° 18 qui a été forcé et délesté de son contenu dans les circonstances rappelées ci-avant ;

Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont relevé que les faits de la cause étaient régis par les dispositions des articles 1792 et 1793 du Code civil relatifs à la responsabilité de l'hôtelier dans le cadre du dépôt nécessaire en cas de vol commis au préjudice des voyageurs ;

Attendu qu'en l'état de l'argumentation développée par la société appelante et des dispositions de l'article 1793 précité du Code civil aux termes desquelles les hôteliers « ne sont pas responsables des vols faits avec force armée ou autre force majeure, non plus que de ceux qui sont le résultat d'une négligence grave du voyageur », il y a lieu de se demander si, tel qu'il est décrit dans les procès-verbaux de police versés aux débats, le cambriolage effectué par trois individus armés de pistolets constitue ou non le « vol fait avec force armée », qui, au sens du législateur, caractérise un cas de force majeure parmi d'autres, exonérant l'hôtelier de toute responsabilité ;

Attendu qu'il doit être observé que les termes « vols faits avec force armée » procèdent d'une dialectique juridique très ancienne puisque remontant à la création du Code Napoléon dont la législation monégasque s'est inspirée et que, pour sa part, le Code civil français, héritier de la même législation consulaire a abandonnée en 1973 en la remplaçant par les termes « vols ou dommages qui arrivent par force majeure » ;

Que, dès lors, si les termes « vols faits avec force armée » perdurent encore dans le Code civil monégasque, ils n'en impliquent pas moins une toute autre idée que le vol à main armée commis à l'époque actuelle, par un ou plusieurs individus, dans la mesure où ils évoquent l'intervention d'une véritable troupe armée se livrant à un pillage dans des conditions d'irrésistibilité absolue ;

Que le vol litigieux ne saurait donc être assimilé à celui de l'article 1793 du Code civil et constituer en conséquence un cas de force majeure exonérant l'hôtelier de toute responsabilité, la doctrine antérieure à la modification de l'article 1954 du Code civil français, homologue du texte précité monégasque, entendant par « vol avec force armée » le vol « commis par bande armée, et non par un ou deux individus, même pourvus d'armes, et même avec escalade ou effraction » (cf. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, Tome XI, p. 531) ;

Attendu que le cambriolage dont s'agit n'apparaît pas davantage comme un cas de cette « autre force majeure » non définie mais réputée par l'article 1793 du Code civil exonératoire de toute responsabilité au même titre que le cas défini de « vol fait avec force armée », dès lors que cette force majeure s'entend d'un événement que la vigilance ou l'industrie des hommes n'ont pu ni prévoir ni empêcher ;

Or attendu que le vol simple ou en réunion et à main armée ne saurait être considéré de nos jours, où les crimes et délits contre la propriété défraient quotidiennement la chronique judiciaire, comme un événement échappant aux prévisions humaines et notamment à celles des détenteurs ou dépositaires de fonds et autres valeurs ou bijoux ;

Qu'il s'ensuit que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le « hold-up » perpétré le 8 mars 1977 dans l'Hôtel qu'elle exploite était imprévisible à Monaco où, nonobstant la vigilance des services de police, le nombre relativement important et l'apparente opulence des palaces et autres établissements de luxe rendent parfaitement envisageable en toute saison et à toute heure du jour et de la nuit une telle entreprise criminelle ;

Attendu que si l'irrésistibilité d'un tel événement apparaît théoriquement à elle seule constitutive de la force majeure dans la mesure où sa prévision ne saurait permettre d'en empêcher les effets, la jurisprudence estime qu'il n'en est pas ainsi lorsque, comme en l'espèce, le débiteur pouvait normalement prévoir cet événement au moment de la conclusion du contrat sur le fondement duquel sa responsabilité est recherchée ;

Attendu au demeurant que la force majeure, à la supposer établie, ne saurait exonérer de ses obligations celui qui s'en prévaut que tout autant que ce ne soit pas de sa propre faute qu'elle s'est produite et que cette faute, au cas où elle aurait été commise, ne revête pas un caractère de gravité suffisante pour écarter les effets normaux de ladite force majeure ;

Or, attendu qu'il est constant en l'espèce qu'outre le fait que l'armoire coffre-fort de l'hôtel n'était pas installée dans une chambre forte mais dans une simple pièce attenante au bureau de la comptabilité et dépourvue de toute installation de protection, la porte blindée de cette armoire n'était pas fermée à clef lors de la commission du vol litigieux et que, de l'aveu même du sieur M. A., directeur dudit établissement, recueilli au cours de l'enquête policière, cette porte n'était jamais fermée de la sorte « par mesure de commodité », si bien que les compartiments intérieurs au nombre de 43 et munis d'une serrure mais ne comportant aucun blindage de nature à en garantir sinon une inviolabilité absolue du moins une certaine résistance à une éventuelle effraction étaient parfaitement accessibles et se trouvaient à tout moment, y compris à toutes les heures de la nuit, exposés à toute entreprise de forcement ;

Que de tels faits et circonstances établissent à l'encontre de la société appelante un manquement grave à l'obligation de résultat par elle contractée envers les intimés dans la mesure où pour des raisons purement commerciales, elle n'a pas cru devoir ordonner, au moins durant la nuit, la fermeture à clef de la porte blindée du coffre qui seule aurait été de nature à procurer aux objets déposés dans ses compartiments une certaine sécurité ;

Qu'il s'ensuit qu'un tel manquement apparaît de nature à écarter en toute hypothèse la force majeure que la société appelante se borne à alléguer ;

Attendu enfin, que cette société n'est pas davantage fondée à invoquer, aux fins de s'exonérer de sa responsabilité, une prétendue faute de la dame V. à laquelle elle fait vainement grief de ne pas avoir souscrit, alors qu'elle n'ignorait rien des conditions dans lesquelles était utilisé le coffre de l'hôtel, une assurance directe couvrant le risque-vol pour les bijoux qu'elle y avait déposés ;

Qu'il est, en effet, de jurisprudence constante que le défaut de souscription d'une telle assurance de la part d'un voyageur utilisant un coffre de l'hôtel ne peut lui être imputé à faute et en aucun cas être invoqué par l'hôtelier pour échapper à sa responsabilité ;

Attendu qu'il apparaît en conséquence que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré la S.A.M. Hôtel Mirabeau responsable du préjudice subi par dame V. et tenue de le réparer ;

II. - Sur l'appel de la Compagnie U.A.P. :

Attendu qu'en l'état de la motivation qui précède, la compagnie d'assurances U.A.P. est mal fondée à soutenir que son assurée, la société d'exploitation hôtelière Hôtel Mirabeau ne saurait être tenue pour responsable du vol commis dans son établissement le 8 mars 1977 ; qu'il doit être considéré, en revanche, que c'est à tort que les premiers juges saisis d'une action intentée par la dame V. et sieur Z., ce dernier ès qualités de tuteur, contre la société précitée et ladite compagnie d'assurances, ont déclaré l'une et l'autre responsables du vol dont s'agit alors que retenant la responsabilité de l'assurée ils auraient dû déclarer la compagnie U.A.P. assureur tenue in solidum avec celle-ci à réparer le préjudice en résultant pour les demandeurs dans les limites des garanties prévues à la police telle que modifiée par un avenant d'augmentation en date du 13 juin 1974 ;

Attendu que c'est également à tort que les juges du premier degré ont estimé - après avoir retenu la responsabilité de la S.A.M. Hôtel Mirabeau et déclaré celle-ci, ensemble avec sa compagnie d'assurance l'U.A.P., tenue à réparer le préjudice subi par les demandeurs à l'action qui étaient fondes à invoquer la garantie de leur assureur telle que découlant pour eux du contrat d'assurances - qu'il y avait lieu à réserver les droits et prétentions de ladite compagnie d'assurance quant à la distribution des indemnités entre toutes les victimes jusqu'à concurrence de la somme de 1000 000 de francs, en sorte que l'U.A.P. est mal fondée de ce chef à solliciter la confirmation du jugement entrepris ;

III. - Sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. Hôtel Mirabeau :

Attendu qu'en l'état de la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal dont la décision doit être de ce chef confirmée et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu de surseoir à statuer sur une telle demande, fondée en son principe, jusqu'au résultat de ladite mesure ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte et fait siens,

La Cour,

Joignant les instances visées au motifs et statuant sur le tout dans les limites des appels dont elle est saisie,

Confirme la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré la S.A.M. Hôtel Mirabeau responsable du vol commis le 8 mars 1977 dans le compartiment n° 18 du coffre de cet hôtel, et a dit y avoir lieu à surseoir à statuer sur la demande reconventionnelle de cette société ;

L'infirmant pour le surplus,

Déclare la Compagnie d'assurances U.A.P. tenue in solidum, avec la S.A.M. Hôtel Mirabeau, à réparer le préjudice ayant pu résulter pour la dame V. du vol dont s'agit et dit qu'elle devra garantie à ladite société, son assurée, dans les limites prévues à la police d'assurance ;

Dit n'y avoir lieu à réserver les droits et prétentions de ladite Compagnie d'assurances quant à la distribution des indemnités entre toutes les victimes jusqu'à concurrence de 1 000 000 de francs ;

Composition

M. Merqui, prés., Mme Picco-Margossian, subst. gén., MMe Boisson, Marquilly, Clérissi, av, déf., Auguy, Blot et Sbarrato, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25893
Date de la décision : 25/03/1980

Analyses

Hôtel, café, restaurant ; Infractions contre les biens


Parties
Demandeurs : S.A.M. Hôtel Mirabeau
Défendeurs : Dame V. et Compagnie U.A.P. et Compagnie U.A.P.

Références :

articles 1792 et 1793 du Code civil
article 1793 du Code civil
Code civil
article 1791 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1980-03-25;25893 ?

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