Abstract
Baux commerciaux - Indemnité d'éviction - Évaluation
Résumé
L'indemnité d'éviction, due en application de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, doit être égale à la valeur du droit au bail puisque le locataire s'est réinstallé. Compte tenu de sa localisation et de sa surface ainsi que du marché immobilier monégasque, le bien loué était un bien rare. La valeur du droit au bail est fixée à 2,2 millions d'euros. En ajoutant les frais d'aménagement des nouveaux locaux, l'indemnité d'éviction s'élève à 2 618 963 euros.
Motifs
COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX
n° C2002/000023
JUGEMENT DU 7 JUILLET 2021
En la cause de :
* - la société anonyme monégasque A, dont le siège social est sis X1 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur-délégué en exercice, Monsieur m. F. domicilié en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part,
Contre :
- la société civile particulière dénommée B, dont le siège social est sis X2 à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur j-p. M. né le 30 novembre 1955 à Pian Camuno (Province de Brescia - Italie), de nationalité italienne, demeurant X3 à Monaco ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 16 mai 2002, enregistré (rôle n°2002/000023) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 16 décembre 2009 s'étant notamment déclarée incompétente pour connaître de la question inhérente à l'existence d'un fonds de commerce et ayant sursis à statuer sur le surplus des demandes ;
Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 2 juin 2010 ayant notamment ordonné une mesure d'expertise confiée à r. ME., expert-comptable ;
Vu le rapport de cet expert déposé au Greffe Général le 27 mai 2015 ;
Vu le renvoi subséquent de la cause et des parties à l'audience du Tribunal du 21 octobre 2015 ;
Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 14 octobre 2020 ayant notamment débouté la SAM A de sa demande de nouvelle expertise et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 11 novembre 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour la SAM A, demanderesse, en date du 11 novembre 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour la SCI B, défenderesse, en date du 20 janvier 2021 ;
Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour la SAM A, demanderesse ;
Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour la SCI B, défenderesse ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Le 3 janvier 1990, un contrat de bail commercial à effet du 1er novembre 1989 a été signé entre la SCI B en qualité de bailleresse et la SAM A, portant sur un local situé X8.
Le 17 avril 2001, la SCI B a fait signifier à la SAM A un congé pour l'échéance du 31 octobre 2001.
Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation du 27 février 2002, la SAM A a fait assigner, suivant exploit du 16 mai 2002, la SCI B aux fins de paiement d'une indemnité d'éviction.
La SCI B contestant la nature commerciale du bail, Notre Commission, suivant jugement du 16 décembre 2009 s'est déclarée incompétente pour trancher de la question inhérente à l'existence d'un fonds de commerce, et a sursis à statuer sur le surplus des demandes.
Par jugement en date du 2 juin 2010, cette Commission a dit et jugé que la SAM A était en droit de prétendre à une indemnité d'éviction et a désigné r. ME. en qualité d'expert afin de fournir les éléments d'appréciation de la valeur de l'indemnité d'éviction.
r. ME. ne pouvant accomplir sa mission, il était procédé à son remplacement et Mme M-S. était désignée en ses lieux et place par ordonnance du 5 octobre 2011.
L'expert rendait un rapport en date du 26 mai 2015 et procédait à l'évaluation des différents préjudices en fonction des scenarii possibles de transfert ou de perte de l'activité.
La SAM A contestant ces conclusions, sollicitait la désignation d'un nouvel expert avec la même mission que celle confiée au précédent et se réservait de conclure sur le fond du litige.
Suivant jugement du 14 octobre 2020, la Commission arbitrale des loyers commerciaux déboutait la SAM A de sa demande de nouvelle expertise et lui enjoignait de conclure sur le fond, retenant notamment que :
* contrairement à ce qui a été soutenu par la SAM A devant l'expert, le fonds de commerce n'a pas été perdu et a pu faire l'objet d'un transfert au sein de la Principauté,
* la Commission dispose d'éléments objectifs et concrets sur le coût du transfert et le cas échéant les troubles annexes,
* chaque partie est à même de faire valoir des arguments concrets et complets sur les différents postes de préjudice notamment quant à l'évaluation de la valeur du droit au bail,
* avec les éléments de l'expertise et les éléments objectifs des débats, il sera possible à la Commission de fixer le montant de l'indemnité d'éviction.
Dans une procédure parallèlement introduite par la SCI B devant le Tribunal de première instance, un jugement a été rendu le 24 mars 2016, ordonnant l'expulsion de la SAM A de l'immeuble situé X8. La société A a interjeté appel contre cette décision.
Par ailleurs, saisi sur le fondement de l'article 18 de la loi 490, le Président de cette Commission rendait une ordonnance en date du 25 novembre 2016 fixant à 662.934,90 euros le montant de l'indemnité d'éviction provisionnelle devant être versée par la SCI B à la SAM A.
Cette ordonnance était confirmée en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour d'appel en date du 13 juin 2017. Le pourvoi en révision interjeté par la SAM A a été rejeté par la Cour de révision suivant arrêt du 27 novembre 2017.
L'expulsion est intervenue, à la requête de la SCI B, à la fin du mois de janvier 2018.
Suivant « conclusions récapitulatives et responsives n°7 » en date du 11 novembre 2020, la SAM A sollicite de :
* lui donner acte de ce qu'elle se réserve de chiffrer définitivement ultérieurement le poste de préjudice liée à la perte de chiffre d'affaires, cité pour mémoire,
* voir fixer à la somme de 5.502.000 euros (+ mémoire) le montant de l'indemnité d'éviction que le bailleur devra lui verser et condamner la SCI B au paiement de cette somme, déduction faite de la somme d'ores et déjà versée au titre de l'indemnité provisionnelle.
La société demanderesse fait valoir que :
* le local exploité à usage de garage avec entrepôt attenant est occupé depuis 1957 et comporte des locaux d'une surface totale de 851m² dans lesquels ont été exercés une activité d'atelier de réparation de véhicule, de stockage et de gestion des pièces détachées ainsi que de bureaux administratifs,
* le rapport d'expertise est très critiquable en ce que le montant de l'indemnité d'éviction définitive évalué par l'expert est dérisoire par rapport au préjudice réel qui résulte de la décision de non-renouvellement de son bail commercial,
* pour fixer le montant de l'indemnité d'éviction, il convient de s'interroger essentiellement sur la valeur d'un droit au bail pour un local équivalent,
* le local est remarquablement bien situé, est conçu pour cette activité, dispose d'un accès direct sur une route extrêmement fréquentée, ce type de local étant en outre rare à Monaco,
* il n'y a pas lieu d'appliquer une quelconque pondération à la valeur locative du local objet de l'éviction, les étages auxquels la pondération a été appliquée présentant une utilité au même titre que la surface de travail principale, rendant cette dernière possible,
* les locaux cités par l'expert à titre de comparaison ont pour partie une activité totalement différente de la sienne et pour partie des facteurs de commercialité très éloignés de ceux du local litigieux,
* le fait que les locaux soient situés à Monaco constitue un avantage considérable rendant impossible toute comparaison inspirée des valeurs françaises, basée sur des Communes,
* l'absence d'une vitrine sur rue est indifférente dans le cadre d'une activité de réparation,
* la visibilité depuis la rue est très satisfaisante, contrairement à ce qu'a retenu l'expert, l'enseigne étant visible sur un lieu de passage incontournable pour les véhicules quittant la Principauté, la voie d'accès étant également adaptée,
* seule la méthode par comparaison peut être retenue en Principauté pour fixer la valeur du droit au bail, les estimations effectuées par plusieurs agences de la place fixant cette valeur entre 4.080.000 euros et 5.500.000 euros, valeurs correspondantes au marché monégasque en tenant compte de la situation du local, de ses points négatifs et positifs, de sorte qu'elle sollicite 5 millions d'euros pour le droit au bail,
* l'expert n'a retenu qu'une surface de 645m² à laquelle s'ajoute 130 m² d'extérieur alors que les professionnels de l'immobilier qu'elle a consultés ont retenu des surfaces de 680m² (Agence de la Gare), 773, 5 m² (Dotta) et 851 m² (Deplanche immobilier),
* à titre de comparaison, elle a conclu une promesse de vente en 2006 avec la SAM C pour 1 million d'euros (la transaction n'ayant pas abouti), un local situé X4 d'une superficie de 200 m² ayant par ailleurs fait l'objet d'une cession de droit au bail en 2010 de 650.000 euros,
* la méthode, utilisée par l'expert, dite des « barèmes professionnels », fournissant la valeur la plus basse, n'est pas utilisable, constituant un outil purement fiscal utilisé en France,
* récemment, la CALC a fixé à 1,5 millions d'euros le montant de l'indemnité définitive d'éviction due au locataire évincé d'un local de 89 m² situé dans un couloir de l'Hôtel de Paris
* Monsieur BR., expert-comptable connaissant le marché monégasque, a estimé la valeur du droit au bail à 4.500.000 euros et a livré une critique acerbe du rapport de Madame MA.-SE., notamment en ce que cette dernière propose l'exil de la SAM A, invitée à s'installer en France où les conditions économiques, fiscales et sociales sont bien moins favorables qu'à Monaco,
* il résulte d'un rapport complet de b. R. que la perte totale que représenterait la cessation de son activité, conséquence directe du non-renouvellement du bail commercial, s'élèverait à la somme de 3.593.528,20 euros,
* selon un courrier rédigé par le constructeur Y, la perte pour un distributeur agréé Y, de son contrat de réparateur agréé de cette marque constitue un risque concernant la rentabilité de l'exploitation, susceptible de remettre en cause la viabilité et donc l'existence de son activité de distribution de la marque,
* le transfert de son activité en France présente un caractère irréaliste au regard non seulement de l'activité économique elle-même (risque pour la rentabilité de la concession) mais aussi de l'impact négatif du système fiscal et social français alors qu'elle serait en outre soumise à tous les standards de la marque Y dont elle est dispensée en étant installée à Monaco,
* la responsabilité de l'état de vétusté des locaux incombe à la SCI B qui n'a pas effectué les travaux relevant de ses obligations de propriétaire des locaux alors qu'elle se plaint depuis 2013 d'infiltrations d'eaux pluviales affectant l'atelier, la réalisation des travaux de réparation incombant au bailleur,
* en tout état de cause, la SCI B n'a aucunement l'intention de faire réaliser les travaux de remise en conformité des locaux dans la mesure où elle a présenté une demande de démolition de tout l'immeuble,
* la SAM A a été expulsée des locaux dans lesquels elle exerçait régulièrement son activité pour permettre au bailleur de réaliser une opération de promotion immobilière d'envergure, le montant de l'indemnité d'éviction devant être mise en perspective avec cette opération immobilière qui devrait s'annoncer extrêmement rentable pour le bailleur,
* la SCI B a, de parfaite mauvaise foi pendant plus de 9 années, contesté au preneur son droit à la propriété commerciale et à une indemnité d'éviction,
* malgré des recherches constantes, elle n'a pas été en mesure de trouver des locaux commerciaux présentant des facteurs de commercialité similaires de sorte que, pour éviter de devoir brutalement cesser son activité et licencier son personnel, elle a aménagé provisoirement des locaux situés X4, dans lesquels elle exploitait déjà une partie de son activité (véhicules utilitaires),
* cet aménagement provisoire a nécessité au préalable la réalisation de travaux, de près de 479.101 euros HT,
* cet aménagement provisoire, soumis à l'accord final du groupe après audit, permet uniquement de maintenir l'activité et n'a pas vocation à se pérenniser, la SAM A recherchant toujours un local à Monaco pour exercer ses activités,
* les facteurs de commercialité des nouveaux locaux sont bien inférieurs à ceux du local litigieux, la surface étant de 460 m², le nombre de ponts permettant l'accueil des véhicules étant moindre, ce qui réduit le nombre d'entrées journalières et impacte le chiffre d'affaires, les locaux étant moins visibles et moins bien situés, l'accès étant moins aisé et la circulation et le stationnement délicats,
* elle a été contrainte de réunir dans ces locaux plusieurs de ses activités comme le SAV et la préparation des véhicules neufs, au détriment du stockage, en particulier des véhicules neufs en vue de leur préparation, de sorte qu'elle a été contrainte de louer des emplacements de parkings à Fontvieille pour stocker ces véhicules ce qui engendre des coûts supplémentaires pour le gardiennage de ces véhicules neufs ainsi que des coûts importants en heures de travail pour effectuer les déplacements entre l'atelier et Fontvieille,
* s'agissant des frais de déménagement et de réinstallation, au coût des travaux de rénovation du nouvel atelier s'ajoute celui lié à la valorisation des salaires du personnel d'un montant de 7.900 euros pour 6 personnes, ayant effectué pendant 15 jours le déménagement, aucun déménageur n'ayant accepté cette prestation en raison de la faible distance entre les deux ateliers,
* durant ce déménagement, l'activité de la société a tourné au ralenti, ce qui a engendré, sur la période, une perte sur le chiffre d'affaires d'environ 15.000 euros,
* la surface exploitable ayant diminué de 851 à 431 m², elle dispose désormais de 2 ponts de levage au lieu de cinq et a perdu environ 2 à 3 entrées de voitures par jour suite à la perte de surface de l'atelier lui servant à la réparation des véhicules utilitaires et à la préparation des véhicules neufs et d'occasions,
* aucune valorisation définitive de cette perte de préjudice n'a été faite mais, dans la mesure où il était prévu de réaliser environ 20 entrées de véhicules utilitaires par mois alors qu'elle n'en réalise que 7, la perte se chiffre à 100.100 euros par an, s'agissant d'un chiffrage théorique estimatif, ce poste de préjudice étant cité pour mémoire dans l'attente d'un chiffrage définitif.
La SCI B, suivant « conclusions récapitulatives n° 7 » en date du 20 janvier 2021, sollicite quant à elle de :
* fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 270.000 euros,
* dire et juger que la SCI B a déjà versé à la SAM A la somme de 662.934, 90 euros à titre d'indemnité d'éviction provisionnelle,
* condamner la SAM A, en fonction de l'indemnité d'éviction retenue par la Commission, à rembourser à la SCI B le surplus des sommes en sa possession.
Elle soutient que :
* le rapport établi par l'expert judiciaire est exhaustif, les arguments développés par la SAM A ayant été pris en considération par l'expert, laquelle propose plusieurs solutions en fonction de plusieurs hypothèses selon la possibilité de réinstallation du fonds de commerce en France ou à Monaco, ou de sa perte pure et simple ainsi que de la possibilité de dissocier l'activité de vente de celle de SAV,
* les activités de réparation et de vente exercées par la SAM A sont indépendantes l'une de l'autre, la perte de l'activité de réparateur n'entrainant pas la disparition de l'activité de vente,
* la SAM A s'est bien gardée d'indiquer à l'expert judiciaire qu'elle disposait depuis des années d'un local susceptible d'accueillir son activité, se situant à proximité immédiate de celui qui lui était loué par la SCI B,
* l'expert a évalué le fonds de commerce à la somme de 470.000 euros, calculant la valeur du fonds de commerce de la seule branche d'activité exploitée dans le local objet de l'éviction (réparation et SAV), l'expert ayant employé les méthodes dites « retail », de capitalisation du bénéfice et des barèmes professionnels, la valeur retenue correspondant à la moyenne des trois résultats,
* l'expert a évalué le droit au bail à la somme de 270.000 euros en utilisant la méthode du différentiel de loyer et la méthode par comparaison,
* les valeurs du droit au bail et du fonds de commerce, constituant la base du calcul de l'indemnité d'éviction, ont été déterminées par l'expert qui a pris en compte les caractéristiques des locaux, les contrats de concession dont est ou a été titulaire la société demanderesse, ainsi que le bénéfice et le chiffre d'affaires réalisé par la SAM A au cours des exercices 2011 à 2013,
* le local est situé dans un vieil immeuble et dispose d'une surface de 645 m² à laquelle s'ajoute 130 m² de surfaces extérieures, ne bénéficie d'aucune vitrine, d'aucune visibilité, dispose d'un accès incommode, les seconds-œuvres étant très dégradés de sorte qu'il ne s'agit pas d'un bien de prestige,
* au moment du congé, la SAM A était titulaire d'un contrat de concession avec la marque Y et avec la marque Z, dont elle n'est cependant plus concessionnaire depuis le 1er octobre 2008, cette perte d'activité ayant causé une baisse dont l'expert a tenu compte,
* les résultats courants des trois derniers exercices ont fait apparaître des pertes considérables, le chiffre d'affaires étant passé de 6.348.000 euros en 2010 à 4.459.000 euros en 2013, soit une baisse de plus de 42%, ces chiffres interrogeant quant à la pérennité de l'exploitation et impactant la valeur du fonds de commerce,
* l'expert judiciaire a considéré que les indemnités secondaires n'étaient pas cumulatives et devaient être retenues en fonction du contexte futur de l'éviction,
* l'indemnité de remploi, couvrant les frais inhérents à la recherche d'un nouveau local, doit être écartée en l'état de la réinstallation de la SAM A dans son local sis X4, tout comme le trouble commercial, les frais de licenciement de personnel et le coût fiscal de réinstallation en France,
* s'agissant du trouble commercial, la SAM A a, dès le printemps 2017, préparé son départ dans les locaux sis X4, la proposition d'honoraires de l'architecte pour la rénovation du local datant de mars 2017 de sorte que la demanderesse s'est immédiatement réinstallée dès sa sortie des lieux du local litigieux sans interrompre son activité, ne pouvant en outre arguer d'une perte de clientèle compte tenu de la proximité des deux locaux,
* le chiffrage retenu par l'expert judiciaire, sur l'hypothèse d'une éventuelle réinstallation et basé sur les exercices 2011 à 2013 ne peut être retenu dès lors que la réinstallation est effectivement intervenue,
* le poste de préjudice relatif aux frais de déménagement doit être apprécié concrètement eu égard à la réinstallation de la SAM A, celle-ci ne produisant aucune facture de déménagement, aucune indemnité ne peut lui être allouée,
* pour les frais de rénovation du nouveau local, il ressort de la note d'honoraires de l'architecte que le montant réel des marchés de travaux est de 326.463, 83 euros HT, les factures produites aux débats par la SAM A n'étant cependant pas détaillées de sorte qu'il est impossible de connaître précisément les travaux entrepris et qu'il n'est en tout état de cause pas établi que les travaux entrepris dans le local étaient nécessaires et liés à la réinstallation de la société,
* le rapport de b. R. du 7 novembre 2001 ne saurait représenter une base de calcul de l'indemnité d'éviction en ce qu'elle a utilisé la méthode d'évaluation appelée « actualisation des flux à venir », ne s'appliquant qu'en l'état d'une grande stabilité des résultats de la structure évaluée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, qu'elle a également tenu compte de l'activité de vente située X5, que les valeurs retenues sont trop anciennes et que, depuis ce rapport, la SAM A a perdu les concessions Z et W ce qui impacte forcément à la baisse l'évaluation de la valeur du préjudice,
* l'évaluation effectuée par Monsieur B. ne repose sur aucune appréciation d'ordre technique de nature à contredire les constatations de l'expert judiciaire, celui-ci employant en outre un ton déplacé et dénigrant envers l'expert judiciairement désigné, de sorte que son rapport ne saurait représenter un élément probant pour la fixation du montant de l'indemnité,
* la pénalisation fiscale et sociale revendiquée par la SAM A en cas de réinstallation en France n'est pas conforme à la réalité économique, l'expert ayant prévu, en tout état de cause, l'incidence économique d'un déplacement en France,
* les attestations établies par trois agences immobilières monégasques quant à la valeur du droit au bail ont été établies pour les besoins de la cause, ne sont pas documentées et ne peuvent remettre en cause les évaluations de l'expert judiciaire qui les a d'ailleurs écartées en raison de leur absence de justification et de leur défaut d'objectivité,
* la rareté des locaux à Monaco n'implique pas une valorisation démesurée du droit au bail dès lors que l'activité de réparateur agréé peut être transférée à Beausoleil ou Cap d'Ail sans aucun dommage pour l'activité, cette option ayant d'ailleurs été retenue depuis de nombreuses années par quasiment tous les concessionnaires en Principauté,
* le droit au bail du local qui était exploité par la société F X6 a été cédé pour un prix de 230.000 euros,
* la pondération appliquée par l'expert pour les étages est justifiée et a été expliquée par l'expert, son taux ayant une incidence sur la valeur locative,
* en l'état de l'indépendance des contrats de concession et de réparation, le risque de perte de l'activité de distribution du groupe Y concerne un hypothétique préjudice lié à l'activité de distribution qui n'entre pas en ligne de compte dans l'évaluation de l'indemnité relative à l'éviction du local litigieux dans lequel seule l'activité de réparation est exploitée,
* la SAM A a libéré les lieux le 30 janvier 2018 et s'est immédiatement réinstallée dans un local situé dans la rue adjacente, à 50 mètres du local litigieux, alors qu'elle disposait de ce local depuis le début de la procédure de sorte que c'est de manière mensongère et en faisant preuve de totale mauvaise foi que la SAM A a toujours nié la possibilité de pouvoir se réinstaller dans ce local,
* cette réinstallation ne semble pas provisoire dans la mesure où les locaux apparaissent convenir parfaitement à l'exploitation de l'activité de la demanderesse, en accord avec le groupe Y, les photographies versées aux débats établissant que ces locaux ont un caractère définitif, la façade ayant été repeinte, l'enseigne de la SAM A et le logo du groupe Y posés, les courriels échangés entre la SAM A et le groupe Y démontrant en outre qu'il n'est pas fait état d'une réinstallation provisoire, la société faisant état de 600.000 euros de travaux et exerçant dans ce local depuis deux ans,
* il n'est pas sérieux pour la demanderesse de soutenir que son éviction aurait été motivée par une opération immobilière qui intervient 18 ans après le congé qui lui a été notifié, l'indemnité ne devant en aucune manière prendre en considération le profit que pourrait retirer la propriétaire du fait de la reprise de ses locaux,
* les valeurs de droit au bail citées à titre de comparaison par la demanderesse n'ont aucun rapport avec la présente instance puisqu'il s'agit de boutiques situées en plein cœur du X7, qui ne peuvent être comparées au local à usage de garage qui était occupé par la SAM A,
* il est faux de prétendre que la SCI B aurait manqué à ses obligations contractuelles de bailleresse, les infiltrations d'eau alléguées par la SAM A n'ayant en outre occasionné aucun dommage alors que l'état d'insalubrité dans lequel la demanderesse a laissé les locaux est la conséquence du manque total d'entretien qui lui incombait depuis de nombreuses années, le montant total des travaux de remise en conformité du local étant de 227.478,24 euros.
SUR CE,
Attendu qu'aux termes de l'article 9 de la loi 490 sur les loyers commerciaux, « si le bailleur s'oppose au renouvellement du bail ou s'il refuse le renouvellement aux conditions déterminées par application des articles précédents et si les motifs allégués par lui ne sont pas jugés graves et légitimes à l'encontre du locataire sortant, celui-ci aura droit à une indemnité égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement » ;
Attendu que la perte d'un fonds de commerce doit être indemnisée à la valeur du fonds de commerce et, le cas échéant des frais accessoires, alors que le transfert doit être évalué en fonction du coût de l'achat d'un nouveau droit au bail, des frais de déménagement et des frais accessoires, ainsi que, dans une certaine proportion de la perte d'exploitation et l'augmentation de loyers ;
Qu'en l'espèce, il est constant que la SAM A a transféré son activité de sorte qu'il y a lieu d'évaluer la valeur locative d'un nouveau droit au bail équivalent, outre les frais accessoires ;
* Sur la valeur du droit au bail
Attendu qu'au titre de l'indemnisation de la valeur du droit au bail d'un local de remplacement, la société A sollicite de se voir attribuer la somme de 5 millions d'euros tandis que la SCI B estime ce chef de préjudice à la somme de 270.000 euros ;
Que l'expert a effectivement estimé la valeur du droit au bail d'un local de remplacement à 270.000 euros, en faisant application d'une méthode dite comparative et d'une méthode dite du différentiel de loyer ;
Que la SAM A produit quant à elle trois estimations de la valeur du droit au bail de ce local, établies en 2015 par des agences immobilières de la Principauté, retenant une valeur entre 4.080.000 et 5.500.000 euros ;
Qu'un rapport de f. B., expert-comptable, estime la valeur du droit au bail du local à 4.500.000 euros ;
Que le rapport de b. R., établi en novembre 2000, ne sera pas retenu par la Commission en ce qu'il a eu pour objet de déterminer les dommages subis par la société en cas de fermeture de toute son exploitation et de la perte de l'ensemble de son activité, ce qui n'est pas le cas du fait du transfert de l'activité dans un nouveau local ;
Qu'en l'espèce, il est constant que :
* le local est situé X8,
* il se développe sur trois niveaux,
* selon l'expert, il est d'une surface utile totale de 645 m², outre 130 m² de surface extérieure, l'expert ayant ensuite retenu une surface pondérée de 428 m² tandis que les agences immobilières sollicitées par la demanderesse retiennent des surfaces de 680 à 851 m²,
* le montant du loyer annuel révisé était de 38.512,19 euros,
* compte tenu de sa localisation et de sa surface ainsi que du marché immobilier monégasque, il s'agit d'un bien rare,
* les équipements sont vétustes, les locaux nécessitant une remise en état,
* le local ne dispose pas de vitrine sur la rue
Attendu qu'il est indéniable que les estimations immobilières produites par la demanderesse sont très différentes du montant retenu par l'expert ;
Que la Commission n'est cependant pas liée par les conclusions de l'expert, la valeur probatoire du rapport d'expertise étant soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond ;
Qu'ainsi, en tenant compte de l'ensemble des éléments d'appréciation soumis et plus particulièrement des éléments développés par l'expert ainsi que des estimations produites par la demanderesse, il conviendra de fixer la valeur du droit au bail d'un local de remplacement à 2.200.000 euros ;
* Sur les frais de déménagement
Attendu que la société demanderesse soutient qu'aucune société n'a accepté de réaliser le déménagement compte tenu de la faible distance entre l'ancien et le nouveau local et estime donc devoir être indemnisée à hauteur de la valorisation des salaires du personnel ayant effectué le déménagement pendant 15 jours, soit environ 7.900 euros pour 6 personnes ;
Mais attendu que la SAM A ne produit aucune pièce susceptible de démontrer la réalité ni l'ampleur du préjudice ainsi invoqué ;
Qu'aucune somme ne pourra en conséquence lui être attribuée au titre des frais de déménagement ;
* Sur les frais d'agencement
Attendu que la SAM A est en droit d'obtenir remboursement des travaux d'aménagement dans les nouveaux locaux, qu'elle a réalisés afin d'y exercer l'activité précédemment exercée dans le local litigieux ;
Que la société demanderesse soutient avoir effectué des travaux de rénovation du local dans lequel elle a transféré son activité à hauteur de 479.101 euros ;
Qu'elle produit à cet égard la note d'honoraires finale du cabinet d'architectes G relative au « projet de rénovation du local service après-vente du groupe Y sis X4, faisant état du montant d'honoraires de l'architecte de 33.086, 31 euros HT ainsi que du montant réel des marchés, y compris les ordres de service, arrêté au 16 février 2018, pour un montant total de 326.463, 83 euros HT ;
Qu'elle produit en outre diverses factures non comprises dans la note de l'architecte, s'agissant de matériel et d'interventions justifiées par le réaménagement du local situé X4 aux fins d'installation de l'activité préalablement exercée dans le local objet du présent litige ;
Que les éléments ainsi produits permettent de chiffrer le montant des frais engagés pour l'aménagement du nouveau local à la somme de 418.963,84 euros ;
Que, pour démontrer la réalité des travaux diligentés et des montants engagés aux fins d'aménagement du nouveau local, contestés par la société défenderesse, la SAM A verse également aux débats des extraits de son Grand livre fournisseurs, lesquels permettent effectivement d'établir la réalité du paiement des factures produites ;
Qu'il sera donc alloué à la SAM A la somme de 418.963,84 euros au titre des frais d'agencement de son nouveau local ;
* Sur la perte d'exploitation
Attendu que la SAM A soutient avoir subi une perte de chiffre d'affaires dans le cadre de son éviction du local litigieux qu'elle chiffre « pour mémoire » à hauteur de 100.100 euros par an ;
Qu'elle soutient n'avoir plus que trois ponts de levage dans le nouveau local au lieu de 5 dans l'ancien, que le nouvel atelier servait à l'origine à la réparation des véhicules utilitaires et à la préparation des véhicules neufs et d'occasions de sorte que l'utilisation de ce local à d'autres fins a entrainé la perte de 13 entrées de véhicules par mois ;
Mais attendu que la perte d'exploitation d'un local commercial dont le locataire est évincé correspond au trouble commercial pendant le temps nécessaire à la réinstallation ;
Qu'en l'espèce, la SAM A chiffre la perte de chiffre d'affaires de l'activité qu'elle exerçait auparavant dans le nouveau local situé X4 et non le trouble commercial, durant le temps nécessaire à sa réinstallation, relatif à l'activité exercée dans le local dont elle a été évincée ;
Qu'ainsi, le préjudice allégué ne relève pas de la perte d'exploitation du local commercial dont la SAM A a été évincé par la SCI B, de sorte qu'il ne peut être fait droit à la demande d'indemnisation de la SAM A de ce chef ;
Que la société demanderesse, à laquelle il appartenait le cas échéant de chiffrer dans le cadre de la présente instance sa perte d'exploitation, ne produit par ailleurs aucune pièce justificative quant à la perte d'exploitation durant le temps nécessaire à sa réinstallation alors qu'elle s'est installée dans un temps très réduit dans un local situé à quelques mètres de l'ancien ;
Qu'aucun montant ne lui sera en conséquence alloué de ce chef ;
Qu'il résulte de ces considérations qu'il convient de fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 2.618.963,84 euros et condamner la SCI B à verser cette somme à la SAM A, sous déduction de la provision de 662.934,90 euros déjà perçue.
Et attendu enfin que la SCI B, qui succombe, devra supporter les dépens de la présente décision et de ceux réservés dans les précédents jugements rendus en la présente l'instance.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Statuant contradictoirement,
Fixe à la somme de 2.618.963,84 ¿ le montant de l'indemnité d'éviction due par la Société civile immobilière dénommée SCI B à la société anonyme monégasque dénommée A ;
Condamne la SCI B à payer à la SAM A ladite somme, sous déduction de la provision de 662.934,90 euros déjà perçue ;
Rejette les autres demandes formulées par les parties ;
Condamne la SCI B aux dépens, qui comprendront ceux réservés par les jugements en date du 16 décembre 2009, 2 juin 2010 et du 14 octobre 2020, avec distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 7 JUILLET 2021 dont la date a été donnée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Alexia BRIANTI, Président, Mesdames Carole MILLO et Florence PRONZATI et Messieurs m. COSTA et Nicolas MATILE, assesseurs, assistés Madame Isabel DELLERBA, Greffier, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.
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