Abstract
Baux commerciaux - Indemnité d'éviction - Demande de nouvelle expertise - Rejet
Résumé
La société locataire doit être déboutée de sa demande de nouvelle expertise pour évaluer l'indemnité d'éviction. Le fonds de commerce n'a pas été perdu et a pu faire l'objet d'un transfert au sein de la Principauté, ce qui permet de disposer d'éléments objectifs et concrets sur le coût du transfert et le cas échéant les troubles annexes.
Motifs
COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX
n° C2002/000023
JUGEMENT DU 14 OCTOBRE 2020
En la cause de :
* - la société anonyme monégasque A, dont le siège social est sis X2 à MONACO, prise en la personne de son Administrateur-délégué en exercice, Monsieur m. F. domicilié en cette qualité audit siège,
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part,
Contre :
- la société civile particulière dénommée B, dont le siège social est sis X1 à MONACO, prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur j-p. M. né le 30 novembre 1955 à PIAN CAMUNO (Province de Brescia - Italie), de nationalité italienne, demeurant X3 à MONACO,
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 16 mai 2002, enregistré (rôle n°2002/000023) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 16 décembre 2009 s'étant déclarée incompétente pour connaître de la question inhérente à l'existence d'un fonds de commerce et ayant sursis à statuer sur le surplus des demandes ;
Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 2 juin 2010 ayant notamment ordonné une mesure d'expertise confiée à r. M. expert-comptable ;
Vu le rapport de cet expert déposé au Greffe Général le 27 mai 2015 ;
Vu le renvoi subséquent de la cause et des parties à l'audience du Tribunal du 21 octobre 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour la SAM A, demanderesse, en date des 24 février 2016, 29 juillet 2016, 3 mai 2017, 11 octobre 2017, 14 février 2018, 4 juillet 2018, 16 janvier 2019 et 12 juin 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour la SCI B, défenderesse, en date des 18 janvier 2017, 22 juin 2017, 13 décembre 2017, 9 mai 2018, 14 novembre 2018 et 10 janvier 2019 ;
Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour la SAM A, demanderesse ;
Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour la SCI B, défenderesse ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Par jugement en date du 2 juin 2010 auquel il convient de se reporter pour plus ample exposé des faits de la cause, la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux a dit et jugé que la SAM A était en droit de prétendre à une indemnité d'éviction et a désigné r. M. en qualité d'expert afin de fournir à la Commission les éléments d'appréciation de la valeur de l'indemnité d'éviction.
r. M. ne pouvant accomplir sa mission, il était procédé à son remplacement et Mme M-S. était désignée en ses lieux et place par ordonnance du 5 octobre 2011.
L'expert rendait un rapport en date du 26 mai 2015 et procédait à l'évaluation des différents préjudices en fonction des scenarii possibles de transfert ou de perte de l'activité.
La SAM A demande à la commission de désigner un nouvel expert avec la même mission que celle confiée au précédent et lui donner acte de ce qu'elle se réserve de conclure sur le fond du litige.
Elle fait valoir à l'appui de ses demandes que l'indemnité évaluée par l'expert serait dérisoire au regard du préjudice réel notamment en ce que la valeur du fonds de commerce a été sous-évaluée, qu'il a été appliqué une pondération qui n'a pas lieu d'être pour l'évaluation d'une indemnité d'éviction et que la valeur du droit au bail retenu ne correspond pas au marché monégasque et représente une valeur dérisoire, notamment au vu de la taille du local.
Elle estime que les évaluations versées aux débats et qui avaient été transmises à l'expert démontrent cette disparité.
Elle considère que les comparatifs versés par la défenderesse ne sont pas pertinents en ce qu'ils ne sont pas justifiés et portent sur des locaux qui n'auraient pas la même commercialité.
Elle estime encore que la méthode de barèmes professionnels utilisée par l'expert pour évaluer la valeur du fonds de commerce n'est pas utilisable en l'espèce en ce qu'il s'agit d'un outil fiscal utilisé uniquement en France et abouti à une évaluation minimaliste.
Elle fait valoir que la valeur du droit au bail ne saurait être inférieure à 4.500.000 euros à laquelle il convient d'ajouter les frais annexes et notamment la perte de concessions automobiles consécutive à la perte de l'activité réparation et entretien qui est une composante essentielle de l'activité automobile et qu'une réinstallation en France n'était pas sérieusement envisageable.
Elle considère que les contrats de vente et d'après-vente sont intimement liés et ne peuvent fonctionner de manière séparée.
Elle expose que d'autres concessions avaient été déplacées en France, à proximité, et se sont révélées en perte par rapport à un exercice sur le territoire monégasque, de sorte qu'une réinstallation en France n'est pas forcément une bonne opération et qu'elle n'avait donc aucune raison objective de ce faire.
Elle fait encore valoir que des travaux de réinstallation dans un local équivalent en France auraient un coût très supérieur à l'indemnité d'éviction retenue par l'expert.
Elle indique également que l'état de vétusté des locaux est de la responsabilité du bailleur qui n'a pas rempli ses obligations en ne réalisant pas les travaux lui incombant, ce qui explique que ceux-ci ont dû être réalisés postérieurement au départ de la requérante.
Elle déclare en outre que la SCI B souhaite en réalité profiter de son départ pour détruire l'immeuble et effectuer une promotion immobilière d'envergure.
Elle rappelle que si la procédure a duré et qu'elle s'est maintenue dans les lieux, cela a été la conséquence de la contestation initialement portée par la défenderesse qui contestait le droit à indemnité d'éviction, puis au délai de l'expertise.
Elle expose n'avoir pu trouver de locaux commerciaux équivalent en Principauté et avoir procédé en urgence à un aménagement temporaire dans des locaux qu'elle exploitait déjà pour une autre partie de son activité, ce qui, afin de conserver le contrat de concession et respecter les normes du constructeur, lui a imposé des dépenses très importantes, de l'ordre de 600.000 euros et doit désormais se contenter de 460m2 alors qu'elle occupait précédemment 1.600 m2 et déclare que cela aurait un impact important sur son chiffre d'affaires, ce qui rend l'évaluation opérée par l'expert dérisoire.
Elle indique que cela a causé une perte de chiffre d'affaire sur l'activité atelier comprise entre 25 et 30%.
Elle considère que ces éléments doivent être pris en compte dans le calcul de son préjudice alors que l'expert les a ignorés.
En réponse, la SCI B demande à la commission d'homologuer le rapport du 26 mai 2015 et en conséquence fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 270.000 euros et condamner la SAM A à rembourser le surplus des sommes déjà versées dans le cadre de l'indemnité provisionnelle déjà versée.
Elle fait valoir que l'expert a évalué l'indemnité d'éviction en fonction des différentes hypothèses de transfert ou de perte du fonds de commerce.
Elle considère, comme l'expert, qu'il est possible pour le locataire de continuer son activité de vente des véhicules sur les autres sites exploités par la demanderesse et que l'activité de réparation est indépendante.
Elle relève que la demanderesse disposait d'ores et déjà d'un local pouvant accueillir son activité de réparation et donc que la question de l'acquisition d'un nouveau bail n'était pas réellement pertinente.
Elle estime que les valeurs de droit au bail annoncées par la demanderesse ne sont pas justifiées et ne concernent que des baux qui ne sont pas sur le marché ou qui intègrent la valeur du fonds de commerce ou encore que les objets et les conditions économiques de l'activité étaient très différentes.
Elle rappelle d'ailleurs que l'expert s'est prononcé sur les comparaisons citées par la demanderesse.
Elle considère encore qu'une réinstallation en France étaient possible, contractuellement et matériellement.
Elle estime que les méthodes d'évaluation utilisées par l'expert sont conformes aux pratiques et barèmes professionnels.
Elle fait valoir en outre que la surface louée n'est pas de 1.600 m2 mais de 645 m2 utiles et 130m2 de surfaces extérieures.
Elle rappelle que si le local bénéficie d'une bonne situation géographique, il n'a pas de vitrine, pas de visibilité, un accès et une configuration peu commode.
Elle indique en outre que la demanderesse n'est plus concessionnaire Z, sans que cela n'ait de lien avec la présente procédure, que les résultats des exercices précédant l'expertise étaient en perte et que le chiffre d'affaires avait également fortement diminué.
Elle estime que l'indemnité de remploi doit être écartée puisque la demanderesse s'est réinstallée dans un local qu'elle exploitait déjà, de même que pour le trouble commercial, les frais de licenciement ainsi que les coûts fiscaux et sociaux d'un transfert de l'activité vers la France.
Elle fait valoir que l'ensemble des critiques formulées par la demanderesse ont été exposées dans un dire fait à l'intention de l'expert, laquelle a d'ores et déjà répondu dans son rapport.
Elle estime que les rapports d'évaluation versés aux débats sont soit trop anciens, soit dénués de toute analyse technique.
Elle considère que l'expert a réalisé ses opérations correctement, que le transfert vers la France était parfaitement envisageable, que la valeur du fonds de commerce a été évaluée correctement.
Elle estime que les valeurs de droit au bail avancées par la SAM A sont surréalistes, injustifiées et sans objectivité ou sont encore basées sur des locaux qui ont des caractéristiques totalement différentes et ne sont donc pas comparables ou sont encore basées sur la valeur des murs et non la valeur locataire et rappelle que l'expert a répondu sur ces questions.
Elle relève que l'expert a répondu à la question de la pondération de la valeur du local en ce qu'un local en étage n'a pas la même valeur locative qu'un local en rez de chaussée et rappelle que sur les trois évaluations versées par la défenderesse, deux ont opéré une pondération.
Elle estime que la méthode du différentiel de loyer est conforme aux locaux tels que celui objet de l'éviction et que l'analyse des éléments négatifs correspond à la réalité.
Elle considère que les rapports critiques versés aux débats ne peuvent être retenus en ce que la méthode retenue par b. D. dans son rapport du 7 novembre 2001 n'est pas conforme aux usages et basée sur une stabilité et une liquidation totale de la société, en ce compris l'activité de vente qui est située dans un autre local et qu'en outre, son rapport était basé sur des activités depuis perdues, notamment les concessions Z et Y qui ont impacté le commerce.
De même elle considère que le rapport de Monsieur B. manque de sérieux et que contrairement à ce qu'il indique, la réinstallation de l'activité de réparation en France était envisageable et d'ailleurs pratiquée par d'autres concessions, qu'il n'y a pas d'acharnement judiciaire puisque les seules procédures entre les parties sont uniquement celles relatives à la fixation de l'indemnité d'éviction, l'expulsion et l'article 18 de la 490, que le fait que la demanderesse serait une « institution » n'a aucune incidence sur la valeur de l'indemnité d'éviction et enfin que le dénigrement des diplômes de l'expert et le ton déplacé utilisé rendent ce document inopérant.
Elle conteste la pertinence du courrier du chef de département de développement réseau de la société G lorsque celui-ci indique que la perte de l'activité réparation remettrait en cause l'existence de l'activité de distribution alors qu'il s'agit de contrats qui n'ont pas de liens et en relève que le lien économique entre les deux activités n'empêche nullement une réinstallation en France et que la perte de l'activité de vente n'est qu'hypothétique.
Elle rappelle que suite à son éviction le 30 janvier 2018, la SAM A a pu se réinstaller dans une rue adjacente, dans un local qu'elle occupe depuis le début de la procédure, soit 2001 et en déduit que c'est de manière mensongère qu'elle avait toujours nié pouvoir transférer son activité dans ledit local.
Elle relève d'ailleurs que l'expert avait sollicité qu'il lui soit communiqué les informations relatives à ce local, ce à quoi la demanderesse n'a jamais répondu.
Elle estime que cette réinstallation n'a rien de provisoire et que le local est parfaitement adapté à l'activité et a d'ailleurs été agréé par la société G et que la valeur des travaux annoncée ne saurait concerner des travaux provisoires.
Elle relève que la situation du local est identique au précédent puisque situé à 50m de celui-ci, que la surface utile du local était de 645 m2 et que du fait que la demanderesse a perdu la marque Z, ses besoins en termes de superficie sont réduits.
Elle fait valoir encore que le mode de calcul de l'expert quant à une réinstallation à Monaco n'est pas contesté en soit.
Elle considère que le fait qu'elle projette une opération immobilière est sans incidence sur la valeur de l'indemnité d'éviction et rappelle que cette opération intervient 18 ans après la notification du congé.
Elle estime que l'expert a correctement évalué la valeur du droit au bail mais qu'il convient d'écarter l'indemnité de remploi puisqu'il n'y a eu aucun frais relatif à une recherche d'un nouveau local, de même que le trouble commercial qui est inexistant puisque l'activité a pu être transférée avant même que l'expulsion ne puisse être effectuée et n'a donc jamais été interrompue.
Elle considère que les frais de déménagement pourraient être pris en charge mais ne sont pas justifiés.
Elle relève que le montant réel des travaux de réaménagement est de 326.463,83 euros hors taxe et non 600.000 euros, que les factures ne permettent pas de savoir quels travaux ont été effectués, qu'il n'est pas justifié de ce qu'ils étaient nécessaires à la réinstallation et que les documents comptables ne sont pas certifiés.
Elle note également que la demanderesse indique dans ses conclusions que le local servait déjà pour la préparation et les réparations de véhicules de la sociéét G utilitaires et en déduit que ces locaux étaient déjà aux normes de la marque.
Elle déclare que la SAM A n'a pas tenu les locaux en bon état de réparations locatives et que c'est de parfaite mauvaise foi qu'elle lui impute la responsabilité du délabrement et rappelle que suite au signalement d'une fuite dans le toit, des travaux ont été réalisés en 2014 et 2016, de sorte que les obligations du bailleur ont été remplies.
Elle en déduit en outre que la nécessité d'effectuer des travaux ne saurait être retenue vu l'état de délabrement des locaux litigieux.
Elle indique que le coût des travaux de remise en état des locaux litigieux s'élève à 227.478,24 euros.
SUR QUOI :
Il résulte des éléments du débat que, contrairement à ce qui a été soutenu par la SAM A devant l'expert, le fonds de commerce n'a pas été perdu et a pu faire l'objet d'un transfert au sein de la Principauté.
Elle dispose donc d'éléments objectifs et concrets sur le coût du transfert et le cas échéant les troubles annexes.
En outre, les échanges entre les parties permettent de considérer que chacun est à même de faire valoir des arguments concrets et complets sur les différents postes de préjudice retenus ou non par l'expert et notamment concernant les questions d'évaluation de la valeur du droit au bail.
La commission n'étant pas tenue par les conclusions de l'expert, il résulte de ces considérations et des longs et nombreux échanges durant les débats qu'une nouvelle expertise n'est pas nécessaire à la parfaite information de la Commission en ce qu'avec les éléments de cette expertise et les éléments objectifs des débats, il lui sera parfaitement possible de fixer le montant de l'indemnité d'éviction.
En outre, une nouvelle expertise retarderait inutilement l'issue de la présente instance.
Il résulte de ces considérations qu'il convient de débouter la SAM A de sa demande de nouvelle expertise.
Si les éléments principaux du préjudice de la SAM AT ont déjà été discutés dans les échanges concernant la demande de nouvelle expertise, celle-ci s'est expressément réservé de conclure au fond sur ses demandes qui ne sont d'ailleurs pas formulées dans le dispositif de ses conclusions.
Il n'a pas été enjoint à la SAM A de conclure au fond.
Il y a donc lieu de renvoyer l'affaire pour les conclusions au fond de la SAM GA et non de d'ores et déjà fixer le montant de l'indemnité d'éviction, bien que l'ensemble des éléments aient été évoqués dans les différentes conclusions.
Il convient en outre de réserver les dépens en fin de cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
Statuant contradictoirement,
Déboute la SAM A de sa demande de nouvelle expertise ;
Renvoie l'affaire et les parties à l'audience du MERCREDI 11 NOVEMBRE 2020 ;
Enjoint à la SAM A de conclure sur le fond ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition
Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux, au Palais de Justice à Monaco le 14 OCTOBRE 2020 par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Madame Florence PRONZATI et Messieurs m. COSTA, Jean-Claude DEGIOVANNI et Laurent ALTARE, assesseurs, assistés Madame Florence TAILLEPIED, Greffier
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