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20/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52909

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2025, 52909


Tribunal administratif N° 52909 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52909 Inscrit le 26 mai 2025 Audience publique du 20 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52909 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 mai 2025 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour,

assisté par Maître Elena FROLOVA, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre de...

Tribunal administratif N° 52909 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52909 Inscrit le 26 mai 2025 Audience publique du 20 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52909 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 mai 2025 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, assisté par Maître Elena FROLOVA, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribué au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 14 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO et Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juin 2025.

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Le 12 mars 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, criminalité organisée, dans un rapport du même jour, tandis qu’une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla un « No hit ».

Le 17 mars 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 14 mai 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé lemême jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision repose sur les motifs et considérations suivants : « (…) Vous déclarez être de nationalité géorgienne, d'ethnie Yézidie, célibataire et originaire de …, où vous auriez travaillé comme mécanicien. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que des habitants de votre quartier vous voudraient du mal et vous provoqueraient.

En janvier ou février 2024, vous auriez vendu votre « appartement » (p. 2 du rapport d'entretien), voire, votre « maison » (p. 4 du rapport d'entretien) à … pour vous acheter, en mai 2024, un appartement et une voiture. Les gens seraient alors devenus jaloux et vous seriez d'avis qu'en France, une femme aurait lancé un sort contre vous. En Géorgie, des personnes vous auraient par ailleurs provoqué et auraient vandalisé votre voiture, tandis que des voisins seraient devenus « méchants » (p. 4 du rapport d'entretien). Un habitant du quartier et son frère vous auraient une fois frappé en 2024. Tout le monde se serait retourné contre vous. Depuis, vous seriez malade et vous ne vous sentiriez pas bien. Vous développez en parallèle l'histoire que, suite à cette acquisition d'un appartement et d'une voiture en mai 2024, vos deux sœurs ainsi que l'époux d'une d'elles seraient passés chez vous pour vous provoquer et vous frapper dans le but de s'approprier l'appartement ou du moins pour vous faire partager avec eux l'argent de la vente de l'appartement.

Vous expliquez ensuite avoir conduit votre en Géorgie sans permis de conduire, raison pour laquelle vous auriez déjà été arrêté à huit reprises par la police. Vous auriez en outre été condamné dans ce contexte à une peine de prison de cinq jours et auriez dû payer une amende.

Vous ajoutez être endetté de 8 000.- dollars, voir, 10 000.- dollars auprès d'une banque alors que vous auriez été obligé de contracter un prêt pour rembourser un particulier. Vous prétendez aussi dans ce contexte qu'un agent immobilier vous aurait forcé à souscrire ce crédit, voire, vous dites que vous auriez aussi emprunté 8 000.- dollars auprès d'une agence immobilière mais que cet agent vous aurait arnaqué et aurait gardé 4 500.- dollars pour lui. Il s'agirait du même agent que celui qui vous aurait vendu l'appartement. Dans ce contexte, vous ajoutez que cet appartement n'aurait pas été enregistré à votre nom, respectivement, l'agent vous aurait expliqué que vous ne seriez pas le propriétaire dudit appartement. Vous auriez alors menacé cet agent de le traduire en justice en précisant que votre avocat en Géorgie détiendrait tous les documents. Vous finissez toutefois ce récit en ajoutant que les gens qui habiteraient dans votre appartement vous auraient prêté 29 000.- dollars pour payer vos dettes. « Ensuite » (p. 5 du rapport d'entretien), vous seriez parti à … pour oublier vos problèmes. A votre retour, tout le monde aurait voulu quelque chose de vous mais vous ne vous seriez plus senti en sécurité et vous seriez resté chez vous. Vous devriez actuellement 29 000.- dollars à la famille habitant dans votre appartement, vous devriez 5 000.- Iari à une banque et vous ne sauriez pas à quel montant s'élèveraient vos amendes impayées en lien avec la conduite sans permis de conduire.

Enfin, vous auriez quitté la Géorgie parce que vous auriez le sentiment d'être suivi. Vous estimez que des inconnus vous auraient une fois accosté en Géorgie et demandé votre nom de famille. Ensuite, ils vous auraient demandé si l'« audience » (p. 6 du rapport d'entretien) avait eu lieu et auraient constaté que vous boiriez à nouveau. Après leur avoir demandé, ces personnes vous auraient répondu qu'ils feraient partie de la police.

2 A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- une copie d'une photo de la page biométrique de votre passeport géorgien émis le 8 janvier 2025, ainsi qu'une copie d'une photo de votre carte d'identité. Vous dites que ces documents auraient disparu en France. Vous ne vous rappelleriez en outre pas ce que vous auriez fait de votre ancien passeport en janvier 2025, «Je l'ai soit jeté, soit déchiré » (p. 2 du rapport d'entretien);

- une copie de votre acte de naissance ;

- neuf certificats médicaux ou des ordonnances médicales établies au Luxembourg.

(…) ».

Le ministre l’informa ensuite qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre estima, à cet égard, que le demandeur n’aurait soulevé que des faits sans pertinence, les persécutions alléguées constituant des motifs économiques, médicaux et de convenance personnelle et ne rentrant dès lors pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève ».

Par ailleurs, le ministre constata que les faits invoqués par Monsieur (A) manqueraient de gravité, de sorte à ne pas être de nature à constituer des actes de persécution, tout en précisant que les menaces et agressions mentionnées seraient à définir comme de simples infractions de droit commun, commises par des personnes privées et punissables par la loi géorgienne, ne pouvant fondées une crainte légitime de persécution qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités du pays d’origine, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce en ce qu’il n’aurait jamais déposé plainte contre ces faits.

Quant à sa prétendue impression d’être poursuivie en Géorgie, le ministre fait noter qu’il ne serait jamais rien arrivé à Monsieur (A) et qu’il baserait cette impression sur le seul incident isolé lors duquel des policiers en civil l’auraient une fois questionné sur une audience tout en lui faisant comprendre qu’ils auraient constaté qu’il aurait recommencé à boire de l’alcool, craintes purement hypothétiques, voire non fondées.

Le ministre critique encore Monsieur (A) de ne pas avoir, dans les plus brefs délais et dans le premier pays sûr rencontré, introduit sa demande de protection internationale, ce qui serait incompatible avec l’existence d’une crainte de persécution dans son chef.

Finalement, le ministre estima que les faits mis en avant par Monsieur (A) ne justifieraient pas non plus l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire puisqu’il n’établirait pas qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Le ministre rejeta ensuite la demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en ordonnant à Monsieur (A) de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation (i) de la décision du ministre du 14 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 14 mai 2025, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui des trois volets de son recours et en fait, le demandeur, outre de rappeler certains des rétroactes passés en revue ci-avant, explique avoir quitté son pays d’origine, la Géorgie, en date du 9 janvier 2025 par avion, à destination de Paris, suite à la prescription de son interdiction de séjour en France, de sorte qu’il serait entré en France légalement. Il y aurait vécu dans la rue pendant deux mois, puis serait reparti pour …, où il serait également resté dans la rue.

Il aurait voulu introduire une demande d’asile à …, mais on le lui aurait refusé compte tenu du fait qu’il aurait déjà été débouté précédemment. Le demandeur indique s’être ensuite rendu au Luxembourg où il serait arrivé le 9 mars 2025, en précisant que lors de son entretien avec la police le 12 mars 2025, il aurait déclaré avoir quitté son pays d’origine en raison de problèmes avec les autorités géorgiennes, de problèmes financiers, de dettes auprès de particuliers et d’une banque, ainsi que d’un problème de dépendance aux stupéfiants.

Il explique, par ailleurs, avoir vendu son appartement vers février / mars 2024 pour racheter un petit appartement vers le 15 mai 2024, ainsi qu’une voiture, tout en indiquant avoir été obligé de contracter un emprunt auprès d’une banque afin de rembourser un particulier.

En plus, il fait valoir qu’il aurait conduit sans permis de conduire valable, en Géorgie, aurait été arrêté par la police à 8 reprises pour ces faits, aurait été condamné à une peine de prison de 5 jours et aurait dû payer une amende de 2500 Iaris.

L’agent immobilier qui lui aurait vendu l’appartement de deux pièces l’aurait prévenu qu’il allait encore recevoir d’autres amendes à son nom par sms pour conduite sans permis, lui aurait conseillé d’emprunter de l’argent et lui aurait expliqué avoir des connaissances auprès de la police, en lui proposant de l’aide afin de régler ses problèmes. Le demandeur soutient que le prédit agent immobilier aurait proposé de lui faire un prêt de 8.000 dollars via l’agence immobilière, mais que ce dernier aurait, à cette occasion, gardé 4.500 dollars pour lui-même en lui remettant uniquement 3.500 dollars.

Suite à cette histoire de dettes, l’agent immobilier l’aurait informé qu’il ne serait pas le propriétaire de l’appartement. Le demandeur indique l’avoir menacé de le poursuivre en justice, avoir présumé une arnaque et avoir cessé toute relation avec ledit agent immobilier.

Par ailleurs, au décès de sa mère, il aurait emprunté 10.000 dollars à une personne physique en échange d’un gage sur son appartement, somme qu’il aurait remboursé tous les mois, sans que cette somme n’aurait diminué. Le demandeur aurait donc décidé de contracter un prêt de 10.000 dollars auprès d’une banque pour rembourser sa dette et lever le gage. De plus, le demandeur affirme que des personnes habitant son appartement lui auraient prêté 29.000 dollars pour payer ses dettes et il espère qu’elles lui rachèteront l’appartement.

Il se serait encore avéré que l’appartement acheté ne serait pas enregistré à son nom, mais au nom d’une certaine, …, et ce en raison de ses dettes envers les autorités et autres, afin d’éviter une saisie et une vente aux enchères de son bien.

Le demandeur donne encore à considérer que tout son entourage se serait retourné contre lui, et que des connaissances auraient vandalisé sa voiture, alors qu’un homme de son quartier prénommé …, qui travaillerait dans un car Wash, l’aurait, à l’occasion d’un lavage de sa voiture dans ledit établissement, frappé et lui aurait lancé des cailloux ensemble avec son frère, le demandeur précisant en outre qu’une autre personne, du même établissement, aurait également essayé de le provoquer, de même, le fils de son voisin aurait eu un comportement agressif à son encontre après qu’il lui aurait emprunté un téléphone, un autre voisin, un certain …, l’ayant aussi agressé et frappé.

Il indique n’avoir porté plainte contre personne, alors qu’il n’aurait pas été en mesure d’engager un avocat par manque d’argent et par défiance envers les autorités.

Le demandeur fait en outre valoir qu’il aurait l’impression d’être persécuté par tout le monde, par les autorités, les médecins, ses voisins, des inconnus et sa famille. Il explique avoir d’énormes problèmes psychologiques liés à des addictions à l’alcool et aux drogues.

Finalement, il donne encore à considérer que malgré le fait d’avoir 3 sœurs, il aurait été obligé de s’occuper seule de sa mère et que deux de ses sœurs, ainsi que le mari, ex-policier, de l’une d’elles, l’auraient frappé et lui auraient jeté des bouteilles en vue de s’approprier son appartement, respectivement en vue de le forcer à partager l’argent de la future vente dudit appartement.

Compte tenu de toutes ces raisons, le demandeur affirme craindre pour son intégrité physique et indique ne pas pouvoir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine, raison pour laquelle il aurait fui de nouveau son pays pour la France.

En droit, le demandeur estime que dans la décision déférée, le ministre aurait tiré des conclusions hâtives concernant sa situation, du fait de ne pas avoir pris en considération son récit et la réalité des conditions de vie pour la population en Géorgie.

Ce serait d’abord à tort que le ministre aurait pris sa décision dans le cadre de l’application de la procédure accélérée sur base du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sans même tenir compte de son état de faiblesse physique et morale, ainsi que de ses problèmes psychologiques dus aux persécutions ou mauvais traitements subis dans son pays d’origine, sans qu’il n’aurait pu obtenir la moindre protection des autorités à cet égard.

Le ministre aurait ainsi commis une fausse application de la loi, sinon une erreur manifeste d’appréciation des faits, alors que son départ de la Géorgie serait motivé par la crainte pour sa vie et sa liberté, ainsi que pour celle d’être persécuté par les autorités géorgiennes parmanque de protection dans son chef.

Il estime qu’il aurait présenté, lors de son entretien, des faits précis et datés où il aurait été victime de violences et de menaces Il ne faudrait pas oublier que la Géorgie ne serait pas un pays sûr pour la population géorgienne, de sorte que le maintien de ce dernier sur la liste des pays d’origine sûr reviendrait à méconnaître le risque de persécutions et d’autres traitement intolérables que les personnes pourraient subiraient en Géorgie. Il donne à considérer, dans ce contexte, que la Belgique aurait retiré la Géorgie de sa liste des pays d’origine sûr par un arrêté royal du 7 avril 2023.

Le demandeur considère que ses motifs de fuite tirés d’une crainte pour sa vie, de se faire persécuter par son entourage et par les autorités géorgiennes par manque de sécurité, respectivement par défaut de protection, soulèveraient des questions pertinentes quant à l’examen visant à déterminer s’il remplirait les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, ce dernier estimant ainsi avoir établi une crainte fondée d’être « persécuté » dans son pays d’origine au sens de l’article 1er , section 1, paragraphe (2) de la de la Convention de Genève, ainsi que des articles 41 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, respectivement une crainte d’être victime de traitements inhumains et dégradants de la part du pouvoir en place.

Relevant qu’il aurait précisé en détail les violences, les intimidations, les menaces et les mauvais traitements qu’il aurait subi dans son pays d’origine, lesquels seraient réels, actuels et concrets, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération ses déclarations et d’avoir pris une décision dépourvue de toute motivation.

En effet, le demandeur reproche, dans ce contexte, au ministre d’avoir violé l’article 19 de la loi du 18 décembre 2015 pour ne pas avoir procédé, dans un délai raisonnable et avant toute prise de décision, à une évaluation des garanties procédurales spéciales qui pourraient s’avérer nécessaires pour certains demandeurs du fait notamment de troubles mentaux, ce dernier rappelant, à cet égard, le certificat du Dr. …. psychiatre à Paris, lequel l’aurait soigné pendant 11 années pour « troubles anxieux majeurs, avec une angoisse très prégnante, sans doute post-

traumatique, entrainant une phobie sociale sévère, avec éléments psychotiques de persécution, très handicapante », le demandeur, précisant encore souffrir d’une dépendance opiacée qui serait de nouveau actuelle. Il estime présenter des troubles mentaux dus à ses addictions qui auraient fait de lui une personne vulnérable en Géorgie où il serait en danger en cas de retour, ses traumatismes et troubles psychiatriques réclamant, selon lui, des besoins spécifiques et non pas une décision de refus et de retour.

Le demandeur reproche finalement au ministre d’avoir violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », ainsi que les droits de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », alors que si le Luxembourg procéderait à son éloignement vers son pays d’origine, il l’exposerait à des atteintes graves au sens de l’article 48 de loi du 18 décembre 2015.

Quant à la motivation du ministre, relative au refus de sa demande de protection internationale, le demandeur lui reproche de ne pas avoir procédé à l’évaluation individuelle de sa demande de protection internationale, comme l’exigerait l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, en tenant compte de tous les faits pertinents concernant son pays d’origine au moment de statuer sur sa demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et lamanière dont ils sont appliqués.

Or, en Géorgie, l’efficacité du système judiciaire resterait préoccupante et le temps des jugements resterait une source de préoccupation du fait d’être « globalement beaucoup trop longs et inefficaces ».

Par ailleurs, malgré le fait que le cadre institutionnel pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales serait en place, il ne s’appliquerait pas. La mise en œuvre de la législation relative aux droits de l’homme ainsi que la supervision et la coordination des mécanismes de protection des droits de l’homme existants, resteraient un défi surtout en raison du manque de ressources humaines, financières et administratives, ainsi qu’en raison d’un manque de volonté politique.

Le demandeur relève qu’il n’aurait pas pu défendre ses droits et demander justice et protection en Géorgie, compte tenu du fait que les autorités géorgiennes seraient défaillantes, voire conciliantes avec ses agresseurs.

Il en conclut qu’il aurait valablement fait état d’une crainte fondée de persécutions conformément aux exigences de la Convention de Genève et qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015, la décision ministérielle du 14 mai 2025 étant dès lors à réformer.

Il en serait de même, en conséquence, quant à l’ordre de quitter le territoire, qui serait contraire au principe de précaution, suivant lequel il serait préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où elle risquerait de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève, respectivement de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en son triple volet.

La soussignée relève qu’il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé.

Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

A titre liminaire et quant à la légalité externe des décisions déférées, et, plus particulièrement, du moyen tiré d’un défaut de motivation, la soussignée est amenée à constater que le demandeur est resté en défaut de préciser dans quelle mesure les décisions déférées encourraient la réformation pour défaut de motivation, le demandeur restant non seulement en défaut de citer une quelconque base légale, mais encore de présenter des développements circonstanciés à l’appui dudit moyen, de sorte que celui-ci encourt d’ores et déjà le rejet pour être manifestement infondé, étant encore relevé qu’il n’appartient pas à la soussignée de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Dès lors, le moyen du demandeur tendant à une violation de l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 qui dispose que « Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants: a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués (…) », et plus particulièrement son argumentation suivant laquelle le ministre n’aurait pas tenu compte des faits pertinents pour prendre sa décision, revient, en définitive, à contester le bien-fondé du recours à la procédure accélérée, ensemble le recours par le ministre au point a) de l’article 27, paragraphe (1) de ladite loi, et sera analysé dans ce contexte.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. »qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ».

Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Sur base de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation, en ce compris le dossier administratif, la soussignée est amenée à constater, à l’instar du ministre, que la demande de protection internationale de Monsieur (A) est, en substance, basée sur des motifs d’ordre économique, médical et de convenance personnelle.

La soussignée constate, tout d’abord, que la demande en obtention d’une protection internationale de Monsieur (A) est basée sur des motifs économiques alors qu’ il déclare notamment dans son rapport d’entretien auprès du ministère le 17 mars 2025, avoir des problèmes en lien avec des prêts contractés en Géorgie, des amendes non-payées pour conduite sans permis, une arnaque liée à un prêt accordé par un agent immobilier, son appartement non enregistré à son nom sur les registres officiels, ainsi qu’un problème en lien avec ses sœurs voulant s’approprier son appartement, voire la somme récupérée par lui lors de la vente de son ancien appartement.

A cet égard, il convient de préciser que lors de son audition auprès de la police grand-

ducale le 12 mars 2025, le demandeur a uniquement fait état de problèmes d’ordre financier en Géorgie sans y invoquer un quelconque autre motif de fuite, alors qu’il ressort dudit rapport que « Ich musste Georgien verlassen, da ich Probleme mit dem Staat habe. Ich verkaufte mein Haus, 10 um die medizinische Behandlung meiner kranken Mutter zu finanzieren. Nach ihrem Tod musste ich hohe Kosten für die Beerdigung tragen und nahm dafür Schulden auf. (…) Auf die Frage, ob er Georgien aufgrund seiner Schulden verlassen habe, antwortete er entschieden mit „Nein".

Dennoch begann er erneut, detailliert über Hausverkäufe und finanzielle Angelegenheiten zu sprechen, ohne eine klare Erklärung für seine Ausreise zu liefern ».

Or, force est de constater que de tels motifs d’ordre économique ne sauraient manifestement justifier l’octroi ni du statut de réfugié ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015 et pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Quant aux problèmes soulevés par le demandeur avec ses sœurs et l’un de leurs époux, force est à la soussignée de relever que le demandeur lie lesdits faits à une jalousie financière apparue suite à la vente de son appartement et à l’achat d’un autre appartement et d’une voiture, tandis que ses problèmes avec les habitants de son quartier sont eux liés à une raison inconnue, le demandeur n’étant pas en mesure d’expliquer la méchanceté, les provocations, les actes de violence et de vandalisme desdits habitants à son égard, de sorte que ces faits ne sont aucunement liés à l’un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015, pouvant justifier l’octroi du statut de réfugié.

C’est encore à bon droit que le ministre a retenu, au-delà de la considération que les explications du demandeur concernant les soucis mentionnés avec ses sœurs, l’un de leurs époux et les habitants de son quartier sont décrites de manière vague et superficielle, que si ces menaces et agressions sont certes à qualifier d’infractions de droit commun, commises par des personnes privées, punissables selon la loi géorgienne, il n’en demeure pas moins que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale, donc tant du statut de réfugié que du statut conféré par la protection subsidiaire, est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine, au cas où les auteurs des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, sont des personnes privées sans lien avec l’Etat, ce qui est le cas en l’espèce, dans la mesure où le demandeur déclare être la victime des agissements de membres de sa famille et d’habitants de son quartier, ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.

En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet pas à la soussignée de retenir que le demandeur aurait apporté une raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée contre les agissements des membres de sa famille et des habitants de son quartier.

Il y a, en effet, lieu de rappeler dans ce cadre que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle quesoit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, force est toutefois à la soussignée de constater que le demandeur n’a pas effectivement recherché l’aide des autorités géorgiennes, alors que sur question de l’agent ayant mené son entretien, le demandeur a déclaré ne jamais avoir dénoncé lesdits faits aux autorités géorgiennes, de sorte qu’il est établi qu’il n’a même pas tenté d’obtenir une protection de la part desdites autorités.

Le seul fait d’avoir affirmé ne plus faire confiance aux autorités et à la police ne saurait justifier son inaction dans la dénonciation des faits liés aux agissements des membres de sa famille et des habitants de son quartier. Ce constat vaut d’autant plus qu’il ressort des déclarations de Monsieur (A) qu’il a déjà eu recours à des avocats en Géorgie dans le cadre de son conflit avec l’agent immobilier et qu’il a l’intention de déposer plainte contre cette personne dans le futur, de sorte que la soussignée doit constater que la justification de ce dernier tenant à son manque de confiance dans le système judiciaire et envers les autorités géorgiennes est dès lors mise à mal.

Ce constat n’est pas remis en cause par l’argumentation du demandeur selon laquelle la Géorgie ne serait pas un pays sûr pour sa population, ne devrait pas figurer sur une liste de pays d’origine sûr, ce dernier affirmant encore ne pas pouvoir y voir défendre ses droits et demander justice et protection, compte tenu du fait que les autorités géorgiennes seraient défaillantes, voireconciliantes avec ses agresseurs, dans la mesure où cette argumentation reste à l’état de pure allégation en ce qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à l’analyse de la soussignée que les autorités et la police géorgiennes connaîtraient effectivement les problèmes tels qu’allégués par le demandeur. Le même constat s’impose quant aux développements de ce dernier tenant à l’efficacité du système judiciaire géorgien, ainsi qu’au défaut d’application du cadre institutionnel pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en raison du manque de ressources humaines, financières, administratives et de volonté politique, faute d’éléments objectifs de nature à corroborer lesdites allégations.

Or, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, la soussignée doit retenir que le demandeur n’a pas fourni des éléments suffisants permettant de conclure que de manière générale, la police géorgienne serait impuissante ou non disposée à lui offrir une protection contre les problèmes dont il fait état.

Quant à l’impression du demandeur d’être suivi en Géorgie, par des personnes non autrement identifiées, force est à la soussignée de relever que c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’il ne lui est jamais rien arrivé dans son pays d’origine, de sorte que cette crainte doit être qualifiée de purement hypothétique, ne pouvant dès lors justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni celui conféré par la protection subsidiaire, étant encore précisé que cette impression est basée sur l’incident isolé au cours duquel des policiers en civils l’auraient questionné sur une audience tout en lui faisant comprendre qu’ils auraient constaté qu’il aurait recommencé à boire de l’alcool, sans que ce dernier ne soit, dans ce contexte, inquiété d’une quelconque manière.

En ce qui concerne finalement l’invocation par le demandeur d’un risque lié à son état de santé en cas de retour en Géorgie, alors qu’il estime qu’il y serait considéré comme une personne vulnérable, nécessitant de besoins spécifiques pour faire traiter ses traumatismes et troubles psychiatriques, force est de constater que les difficultés alléguées ayant trait, de l’entendement de la soussignée, à un défaut d’accès aux soins de santé en Géorgie, ne tombent pas, de par leur nature, dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur n’ayant, à cet égard, pas non plus fait état d’un quelconque traitement discriminatoire basé sur sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social, dont il pourrait être victime dans son pays d’origine.

Il en est de même si le fait d’être privé d’un accès aux soins médicaux dans son pays d’origine serait à qualifier de traitements inhumains ou dégradants au sens du point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, alors que l’article 48, précité, se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de santé à lui seul, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays de destination, ou encore l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Pour le surplus, les développements tout à fait généraux et vagues du demandeur quant à la réalité des conditions de vie pour la population en Géorgie, sont à rejeter, le demandeur n’ayant soumis ni explications circonstanciées, ni un quelconque document ou rapport d’une organisation internationale, à ce sujet. Contrairement à ce que le demandeur soutient, il n’a manifestement pas décrit avec précision et en détail des faits de violences, intimidations, menaces, mauvais traitements qu’il aurait personnellement et concrètement subis, ni d’ailleursqu’il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, de subir, le récit du demandeur étant, au contraire, résolument superficiel.

C’est dès lors à tort que le litismandataire du demandeur fait valoir que le ministre aurait fait une fausse application de la loi ou une erreur d’appréciations des faits et, en substance, un examen superficiel et insuffisant de ceux-ci, en ce qu’il n’aurait pas pris en compte la situation individuelle du demandeur, le seul fait que le ministre les ait, à juste titre d’ailleurs, considérés comme étant non pertinents n’est pas de nature à remettre en cause la circonstance que l’autorité ministérielle les a pris en compte. Le moyen fondé sur une violation de l’article 37, paragraphe (3) encourt, dès lors, également le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale amène la soussignée à conclure que les éléments soumis ne sont manifestement pas pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire et que le recours tendant à la réformation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

Le rejet du recours, pour autant qu’il vise la décision ministérielle de recourir à la procédure accélérée pour statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur (A), n’est pas remise en cause par l’argumentation du demandeur fondée sur l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, suivant lequel « Lorsqu’un demandeur a été identifié comme étant un demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales, il se voit accorder un soutien adéquat, et notamment du temps suffisant, afin de créer les conditions requises pour que le demandeur ait effectivement accès aux procédures et pour qu’il puisse présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande. Si dans le cadre de la procédure accélérée visée à l’article 27 un tel soutien adéquat ne peut être fourni au demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales et notamment au demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales parce qu’il est victime de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle, cette procédure n’est pas appliquée. ».

En effet, bien que le demandeur invoque des motifs d’ordre médical, alors qu’il déclare être malade, des suites d’un sort jeté contre lui, souffrir d’une dépendance opiacée qui serait de nouveau actuelle, présenter des troubles mentaux dus à ses addictions et être victime de traumatismes et troubles psychiatriques, problèmes susceptibles d’affecter sa santé physique et psychique, la soussignée est amenée à constater que le demandeur reste en défaut de préciser les garanties procédurales qui auraient dû être concrètement prises à son égard, étant, dans ce contexte, encore relevé que Monsieur (A) a été auditionné par un agent du ministère en date du 17 mars 2025 et que son litismandataire n’a pas avancé, dans le cadre du recours sous examen, un quelconque élément que celui-ci n’aurait pas pu faire valoir à l’appui de sa demande de protection internationale en raison de sa situation médicale particulière. Au regard de ces considérations, le moyen du demandeur tendant à la violation de l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 est à rejeter pour être manifestement non fondé.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale Force est de rappeler que la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.

Or, la soussignée, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition respective, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution, tel qu’invoqué par le demandeur.

Il s’ensuit et à défaut de tout autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ces trois décisions ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2025, par la soussignée, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Emilie Da Cruz De Sousa Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52909
Date de la décision : 20/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-20;52909 ?

Source

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