Tribunal administratif N° 52912 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52912 5e chambre Inscrit le 27 mai 2025 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), … contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52912 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2025 par Maître Max LENERS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribué au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 13 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 juin 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Brice CLOOS, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2025, Maître Max LENERS s’étant excusé.
Le 19 septembre 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
En date du 19 septembre 2023, les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, criminalité organisée, dans un rapport, tandis qu’une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait été appréhendé en Italie date du 14 août 2023 lors d’un franchissement illégal de la frontière.
Par arrêté du 19 septembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (« SHUK »), entretemps dénommée maison retour, pour une durée de trois mois à partir de la notification 1dudit arrêté. L’assignation à résidence fut prorogée trois fois et rapportée, en définitive, par le ministre par arrêté du 13 juin 2024.
Le 6 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de prise en charge de Monsieur (A), sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », demande qui fut acceptée tacitement sur base de l’article 22, paragraphe (7) dudit règlement par lesdites autorités en date du 7 janvier 2024 suivant un courrier des autorités luxembourgeoises leurs adressés par courrier du lendemain.
Par courrier du 12 juillet 2024, le ministre informa Monsieur (A) que le Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale en vertu des dispositions de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Le 23 août 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens pour les informer que le Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de la protection internationale de Monsieur (A), tout en leur adressant une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement Dublin III, courrier auquel répondirent les autorités italiennes par courrier du 11 septembre 2024.
Les 5 et 25 mars 2025, Monsieur (A) fit l’objet d’un entretien auprès du ministère en vue de l’entendre sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 13 mai 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé le 21 mai 2025, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Ladite décision repose sur les motifs et considérations suivants : « […] Vous déclarez être né le … à … au Cameroun, être de nationalité camerounaise, d’ethnie Ewondo, de confession chrétienne et avoir vécu à … avant de vous rendre à … où vous auriez vécu occasionnellement avec des copines jusqu’en janvier 2021.
En cas de retour dans votre pays d’origine, vous craindriez d’être incarcéré par les autorités camerounaises en raison de votre participation à une manifestation non autorisée (Page 9/18 du rapport d’entretien).
A cet égard, vous précisez faire l’objet de recherches de la part des autorités camerounaises en raison de votre participation à une manifestation organisée par le parti politique « Mouvement pour la Renaissance du Cameroun » (ci-après « MRC ») qui se serait tenue à … en septembre 2020 (Page 9 et 10/18 du rapport d’entretien).
En effet, vous affirmez avoir pris part, aux côtés d’un nombre « incomptable » de personnes (Page 10/18 du rapport d’entretien), à une marche non autorisée dans le quartier … au cours de laquelle les forces de l’ordre camerounaises seraient intervenues en dispersant la 2foule à l’aide de gaz lacrymogènes et de véhicules équipés de canons à eau.
Vous indiquez avoir été interpellé vers treize heures en même temps que de nombreuses autres personnes alors que vous tentiez de fuir par un tunnel. Les autorités vous auraient ensuite conduit dans une salle où vous auriez été placé en garde à vue pendant six jours. Vous précisez qu’aucune procédure judiciaire n’aurait été engagée à votre encontre et que les forces de l’ordre se seraient contentées de relever vos empreintes digitales tout en vous demandant de verser une somme d’argent en échange de votre libération (Page 14/18 du rapport d’entretien).
Vous expliquez que votre mère aurait versé la somme de 90.000 francs CFA afin d’obtenir votre libération et que vous seriez par la suite rentré à votre domicile aux alentours du mois d’octobre 2020 (Page 14/18 du rapport d’entretien).
En janvier 2021, vous auriez reçu une convocation vous enjoignant de vous présenter à la brigade de recherche de …. À la suite de ladite convocation, vous auriez pris la décision de quitter le Cameroun de manière clandestine pour vous rendre au Nigéria (Page 15/18 du rapport d’entretien).
Par ailleurs, vous notez sur votre fiche de motifs qu’il serait difficile de trouver un emploi au Cameroun sans disposer de relations au sein du gouvernement. Vous précisez également avoir été licencié de votre poste en 2013 à la suite d’un changement de direction.
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document d’identité ni aucun autre élément justificatif permettant de corroborer vos déclarations.. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 13 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 13 mai 2025, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui des trois volets de son recours et en fait, le demandeur rappelle les rétroactes gisant à la base des décisions déférées, en précisant qu’il serait de confession chrétienne et qu’il aurait participé à une manifestation organisée par le parti politique « Mouvement pour la Renaissance du Cameroun », ci-après désigné par le « parti politique MRC », qui se serait tenue à … au Cameroun. Cette manifestation n’aurait pas été autorisée et lors de cette marché, les forces de l’ordre camerounaises seraient intervenues et auraient dispersé la foule à l’aide de gaz 3lacrymogène et de véhicules équipés de canons à eau. Le demandeur affirme qu’il aurait été interpellé en essayant de quitter les lieux par un tunnel et qu’il aurait été placé en garde à vue pendant six jours, sans qu’aucune poursuite judiciaire ne soit engagée à son encontre. Les forces de l’ordre lui auraient relevé ses empreintes digitales et lui aurait demandé de verser la somme de … francs CFA en échange de sa libération. Le demandeur indique que ce serait sa mère qui aurait versé la somme requise et qu’il aurait été libéré en octobre 2020. Il poursuit ses explications en affirmant qu’il aurait reçu une convocation en janvier 2021 pour se présenter à la « brigade de recherche de … » et que ce serait suite à cette convocation qu’il aurait pris la décision de quitter le Cameron de manière clandestine pour se rendre au Nigéria, puis au Niger, en Algérie, en Tunisie avant d’arriver en Italie par bateau. Il serait ensuite parti vers la France pour finalement arriver au Luxembourg.
En droit, le demandeur se réfère au point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 pour contester les motifs du ministre l’ayant amené à prendre la décision déférée.
Par rapport au reproche du ministre suivant lequel ses déclarations quant à sa date de départ du Cameroun seraient manifestement contradictoires, le demandeur explique que son état général de santé à son arrivée au Luxembourg aurait été tel qu’il ne se serait plus correctement rappelé quand il aurait quitté son pays d’origine. Le « traumatisme » dont il aurait fait état lors de son entretien auprès de la police, ainsi que le fait qu’il aurait passé « trois jours dans l’eau » serait en rapport avec sa traversée en bateau depuis la Tunisie jusqu’en Italie. Ses contradictions quant à cette date d’arrivée au Luxembourg ne devraient pas ébranler sa crédibilité.
Le demandeur prend ensuite position par rapport au reproche du ministre suivant lequel il ne se souviendrait plus de la date exacte de la manifestation organisée par le parti politique MRC et donne à considérer qu’il se souviendrait tout de même qu’elle aurait eu lieu en septembre ou en octobre. Cet élément ne devrait pas ébranler la crédibilité quant à sa participation à cette « marche populaire ».
Il ajoute que le fait qu’il ne se souviendrait pas non plus du nombre de personnes qui auraient participé à cette manifestation ne devrait pas non plus ébranler sa crédibilité. Il en serait de même quant au lieu exact de la manifestation, le demandeur affirmant qu’il serait aisé de « perdre l’orientation » dans une foule.
Il estime qu’il devrait bénéficier du doute conformément à l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, alors que le ministre ne pourrait pas lui reprocher de ne pas être en mesure d’étayer ses déclarations par des éléments de preuve tangibles quant à son implication à la manifestation, ni encore qu’aucun document, aucune photographie, aucun article de presse, aucune publication sur les réseaux sociaux ne viendraient corroborer ses propos et sa véritable participation à la manifestation.
Le demandeur fait encore valoir que le fait qu’il ignorerait des éléments relatifs à la création et les fondements du parti politique MRC ne pourrait pas ébranler la crédibilité de son récit au motif qu’il serait « assez fréquent » que les membres d’un parti politique ne connaissent ni les fondements idéologiques, ni les événements marquant sa création, et que ses membres se contentent de rejoindre ce mouvement en vertu d’un « sentiment de sympathie ». Le fait qu’une conviction idéologique profonde pousse la majorité des militants à rejoindre un mouvement politique serait « une vision sympathique mais naïve du monde politique ».
Par rapport à la question de l’agent ayant mené son entretien relative à l’identité des forces de l’ordre qui l’auraient arrêté, le demandeur fait valoir qu’ « en vertu du fait que des 4gendarmes et des policiers se sont occupés « d’éparpiller la foule », les personnes qui [l’]ont arrêté […] feraient aussi partie de ces corps, une présomption logique, laquelle ne devrait pas ébranler la crédibilité du Requérant. ».
Quant aux doutes émis par le ministre sur le fait que sa mère aurait payé la somme de … francs CFA, eu égard à sa propre situation socio-économique, tel que le métier de … de sa mère, le demandeur reproche au ministre de se fonder sur les revenus moyens d’une … et d’exclure que certaines … au Cameroun puissent gagner mensuellement plus qu’entre … et … francs CFA contrairement à ce qu’il affirmerait.
Le demandeur fait valoir, ensuite, que le ministre aurait dû lui accorder le statut de réfugié en application des articles 2, point f), 39, 40, points a) et b), 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 au motif qu’il aurait relaté qu’en vertu de sa participation à une manifestation du partie politique MRC, il aurait été incarcéré par les autorités camerounaises et qu’il aurait fait et ferait toujours l’objet de recherches de la part de ces autorités.
L’ordre de quitter le territoire serait la conséquence automatique du refus de lui accorder une protection internationale, de sorte que la réformation de la décision portant refus de sa demande de protection internationale devrait entraîner la réformation dudit ordre de quitter le territoire pour les mêmes raisons. Le demandeur ajoute que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’Immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », au motif qu’« un retour en Côte d’Ivoire impliquerait que [s]a vie et [s]a liberté […] y serait gravement menacée pour toutes les raisons évoquées ci-avant. ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pris en son triple volet pour être manifestement infondé.
Le soussigné relève qu’il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé.
Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans 5cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
S’agissant ainsi du point a) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, le soussigné relève, tout d’abord, qu’il en ressort que le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux 6termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
7Il y a, ensuite, lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.
Or, l’analyse de la pertinence des faits invoqués, au regard des conditions d’octroi d’une protection internationale rappelées ci-avant, nécessite en premier lieu d’apprécier la valeur des éléments de preuve et de vérifier la crédibilité du récit du demandeur.
A cet égard, le soussigné précise que l’examen de crédibilité du récit d’un demandeur d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si le demandeur d’asile a présenté ou non des raisons pertinentes de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 et la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par la « Convention de Genève », ou de risquer de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de ladite loi3.
Il s’ensuit qu’il appartient au soussigné de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit, d’autant plus qu’en l’espèce, c’est la crédibilité générale du demandeur qui est mise en doute, cette question influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont le soussigné est saisi.
Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-
ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves4.
En l’espèce, le soussigné partage les doutes exprimés par le ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.
S’agissant des motifs gisant à la base de la demande de protection internationale du demandeur, le soussigné constate que lors de son audition auprès de la police, le demandeur a indiqué avoir introduit une demande de protection internationale, en premier lieu, au motif qu’il aurait été persécuté à cause de son appartenance au « parti politique MRC (Mouvement de la renaissance du Cameroun) ». Sur la fiche manuscrite remplie par ses soins lors du dépôt de sa demande de protection internationale, le demandeur avait déjà, à ce sujet, préalablement indiqué appartenir à ce parti, en précisant qu’il aurait participé à une « marche pacifique » pour réclamer le départ du chef d’Etat en 2021 et qu’il aurait été brutalisé par la police.
Le soussigné estime que la circonstance non contestée par le demandeur qu’il ne se souvient plus de la date exacte de la manifestation à laquelle il aurait participé, encore qu’il s’agisse a fortiori de la date de son arrestation alléguée par les forces de l’ordre lors de cette même manifestation, ne revêt pas, à elle seule, un élément déterminant de nature à ébranler la 3 Trib. adm., 27 novembre 2006, n° 21556 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers n° 151 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.
8crédibilité du récit du demandeur dans son ensemble, alors que l’intéressé a été en mesure d’indiquer que « C’était…euh…entre septembre et octobre 2020, ne je me rappelle plus… c’était quand même en fin d’année »5.
En revanche, le défaut patent du demandeur de fournir le moindre élément factuel précis et circonstancié quant au déroulé de cette manifestation est, quant à lui, de nature à jeter un sérieux doute quant à sa participation à cette manifestation, sinon à tout le moins quant à son degré d’implication dans cette manifestation, alors que d’après les explications non contestées du ministre, cette manifestation au Cameroun était un évènement d’une ampleur nationale et internationale qui a été largement relayé par les médias, tel que le demandeur l’a d’ailleurs lui-
même expliqué6. C’est, en effet, l’impossibilité pour le demandeur de fournir des détails précis et concrets sur les faits qui gisent pourtant, selon sa thèse, à la base même de sa demande de protection internationale, qui sont de nature à ébranler la crédibilité du récit du demandeur dans son ensemble, tel que l’affirme le ministre par ailleurs.
Sur question afférente de l’agent ayant mené l’entretien quant aux personnes qui ont participé à cette manifestation, le demandeur s’est limité à indiquer, en souriant, qu’il s’agirait de la population et d’êtres humains7. Le demandeur n’a pas non plus été en mesure d’indiquer le lieux précis de cette manifestation8, tel que relevé par le ministre.
Au-delà du fait que le demandeur ne dispose d’aucune photo ou vidéo du jour de la manifestation, le demandeur ne conteste pas l’affirmation du ministre suivant laquelle il n’aurait pas non plus fait une publication à ce sujet sur ses réseaux sociaux, étant relevé que l’intéressé dispose d’un profil « Facebook », ainsi qu’un téléphone portable9.
Surtout, le soussigné rejoint le ministre dans son constat que les vagues explications fournies par le demandeur au sujet de son arrestation alléguée et sa libération consécutive sont à apprécier avec circonspection.
Premièrement, c’est avec hésitation que le demandeur explique que les « forces de l’ordre » qui l’auraient arrêté lors de cette manifestation seraient « La gendarmerie et la police…c’était mix »10, étant relevé qu’il indique avoir déduit qu’il s’agirait d’eux à la vue de leurs armes et ce alors même qu’ils auraient été en tenue civile11.
Deuxièmement, le demandeur explique qu’il aurait été retenu pendant cinq ou six jours12 et puis libéré sans procès après que ses empreintes auraient été prises13, sans fournir le moindre élément, a fortiori circonstancié, notamment (i) quant à son vécu durant ces six jours, (ii) sur la manière dont il aurait été traité par lesdites « forces de l’ordre », et (iii) sur la nature des 5 Page 10 du rapport d’entretien.
6 « Est-ce que cette marche dont vous parlez a été relaté dans les médias au Cameroun ? Oui ; Si tel est le cas, avez-vous quelconque élément matériel à nous présenter à ce sujet ? Je ne lis pas les journaux, mais ça a été relayé dans les journaux… […] Non, j’ai rien », page 10 du rapport d’entretien.
7 « Et la deuxième partie de la question précédente était : qui y a participé ? Monsieur sourit. La population… […] des êtres humains », page 10 du rapport d’entretien 8 « Dans quel quartier, quel arrondissement de … [a] eu lieu cette marche ? Je ne maitrise pas ça bien, mais il me semble que c’était à … », page 10 du rapport d’entretien.
9 Page 12 du rapport d’entretien.
10 « Qui des forces de l’ordre vous a arrêté, précisément, et où était-ce ? Pardon ? L’agent répète la question. La gendarmerie et la police…c’était mix. », page 13 du rapport d’entretien.
11 Page 13 du rapport d’entretien.
12 Page 14 du rapport d’entretien.
13 Page 14 du rapport d’entretien.
9persécutions qu’il aurait subies, alors que c’est pourtant en raison de son appartenance au parti politique MRC – elle-même à la base de son arrestation dans le cadre de sa participation à la manifestation – que le demandeur affirme avoir été persécuté14.
Troisièmement, l’affirmation du demandeur suivant laquelle les « forces de l’ordre » l’auraient libéré sous condition de payer la somme de … francs CFA15, que lui-même aurait été dans l’impossibilité financière de payer, de sorte que ce serait sa mère qui aurait versé cet argent16 est, à défaut d’autres explications, effectivement douteuse. Le ministre affirme, en effet, preuves à l’appui, que cette somme correspond a un peu plus de deux mois du salaire minimum légal fixé à … francs CFA au Cameroun, et à un peu plus d’un mois de revenu d’un couturier qui est le métier exercé par sa mère17. Si le demandeur affirme, dans le cadre du recours sous examen, que certaines …s auraient des revenus biens plus élevés, le soussigné est amené à constater qu’il ne s’est vu soumettre aucun élément tangible à ce sujet, ni d’ailleurs que sa mère percevrait effectivement de tels revenus bien plus élevés.
Quatrièmement, le soussigné constate que ce n’est qu’à partir de la réception alléguée d’une convocation une matinée de janvier 202118 que le demandeur aurait décidé de quitter le Cameroun le soir même19. Or, sur questions afférentes de l’agent ayant mené l’entretien, le demandeur a éprouvé des difficultés20 à expliquer dans quelles circonstances concrètes cette convocation pour se rendre « à la brigade de recherche de … »21 lui aurait été remise. Le soussigné rejoint le ministre dans son constat qu’il semble peu probable qu’un « gendarme en civil » se serait rendu à son domicile pour lui délivrer la convocation en question, alors qu’une intervention en tenue civile est destinée à préserver l’anonymat ou la discrétion de l’opération et qu’aucun élément factuel fourni par le demandeur ne permet de déceler la raison pour laquelle le gendarme en question n’aurait pas souhaité être reconnu en se rendant à son domicile.
Cinquièmement, le soussigné rejoint le ministre dans son constat qu’il n’est pas crédible que suite à sa libération alléguée « en octobre 2020 », le demandeur n’ait pas été inquiété jusqu’à la réception de cette convocation en janvier 2021 et que ce serait cette seule convocation qui l’aurait poussé à quitter son pays, alors qu’un individu véritablement menacé et persécuté dans son pays d’origine après avoir été détenu arbitrairement n’aurait pas, tel que l’affirme le ministre, continué à mener sa vie au même endroit.
Le soussigné est encore amené à relever que si le demandeur affirme avoir reçu cette convocation en janvier 2021, qu’il n’est pas crédible que le demandeur ne soit plus en mesure de s’en souvenir du mois exact du départ de son pays d’origine, alors que c’est pourtant la réception alléguée de cette convocation en janvier 2021 qui l’aurait forcé à quitter le Cameroun.
A cet égard, le soussigné relève que le demandeur a indiqué être parti du Cameroun en « novembre 2021 » lors de son audition auprès de la police, mais qu’il a indiqué à l’agent ayant 14 Page 2 du rapport d’audition auprès de la police.
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20 « Qui vous l’a envoyé, et pour quelles raisons ? Long silence. La personne qui m’a remis la convocation, m’a demandée de signer pour…la confirmation que je l’ai reçue. Qui précisément vous l’a remis ? Il s’est…présenté comme un gendarme en civil. Il m’a…montré une convocation dont je devais signer… et me présenter un mercredi », page 15 du rapport d’entretien.
21 Page 15 du rapport d’entretien.
10mené l’entretien qu’il serait parti en « janvier 2021 »22. Si l’impossibilité de fournir une date exacte de départ ne saurait constituer, aux yeux du soussigné, un indice déterminant quant à la crédibilité du récit d’un demandeur de protection internationale, il n’en reste pas moins qu’une variation de près de dix mois est en revanche à tout le moins de nature à susciter des interrogations quant à la véracité du récit du demandeur, tel que relevé par le ministre. Confronté à cette incohérence par l’agent ayant mené l’entretien, le demandeur a, non sans hésitations, affirmé qu’il aurait eu un « traumatisme » et qu’il aurait passé trois jours dans l’eau23. Le soussigné conçoit que le demandeur a, en substance, fait référence au fait qu’il a traversé la Méditerranée à bord d’une embarcation depuis la Tunisie qu’il aurait quitté en « août 2023 » en direction de …, en l’Italie24, mais ces explications sont dénuées de pertinence quant à la question de l’agent relative à sa date de départ de son pays d’origine. Il ressort, en effet, des explications du demandeur fournies par ailleurs lors de son audition qu’il serait arrivé en Europe le « … août 2023 », de sorte que son argumentation suivant laquelle il aurait, lors de cette audition effectuée le 19 septembre 2023, encore été traumatisé au point de confondre la date de départ de son pays d’origine de dix mois est à apprécier avec circonspection.
Ensuite, le soussigné rejoint le ministre dans son constat que les connaissances superficielles du demandeur au sujet du parti politique MRC ne sont pas de nature à corroborer un rapport avéré du demandeur avec la politique en général et son opposition au régime au gouvernement en place qui serait tels, que l’intéressé encourrait un risque de persécutions de la part des autorités de son pays d’origine eu égard à son attitude d’opposant politique, le demandeur affirmant lui-même ne pas être intéressé aux circonstances entourant la création de ce parti25.
D’une part, le fait que le demandeur n’a pas été en mesure de fournir les grandes lignes du parti politique MRC dont il affirme pourtant partager les idées jette un doute sérieux quant à son dévouement pour ce parti, tel que l’affirme le ministre. S’il n’est pas déterminant que le demandeur n’ait pas été en mesure de fournir la date à laquelle président du parti politique MRC en est devenu le président contrairement à ce que semble soutenir le ministre, le soussigné partage néanmoins le constat du ministre suivant lequel il est insuffisant pour le demandeur de mentionner (i) que le parti politique MRC militerait pour un accès au travail, non pas seulement pour les citoyens qui auraient des connaissances au gouvernement, mais pour l’ensemble des citoyens, sans discrimination, (ii) que le président dudit parti politique aurait étudié en Europe et aurait été professeur à l’université, ou encore (iii) que lui-même partagerait la volonté de « changer le Cameroun » avec ce parti26 et voudrait « reconnaître les droits et les obligations de tout un chacun »27. En effet, alors même que c’est pendant l’élection présidentielle de 2018 que le demandeur affirme avoir entendu parler du parti politique MRC pour la première fois28, le soussigné retient que la circonstance que le demandeur n’ait fait aucune mention d’autres axes majeurs du programme et qui, d’après les explications non contestées ministres, sont des éléments centraux du programme de ce parti lors desdits élections présidentielles, telles que la réforme institutionnelle, la résolution de la crise anglophone ou encore la restauration de la 22 Page 7 du rapport d’entretien.
23 « Vous savez, là je venais d’arriver…et…euh…j’avais un traumatisme…et j’avais fait trois jours dans l’eau », page 2 du rapport d’entretien.
24 Page 2 du rapport d’entretien.
25 Page 11 du rapport d’entretien.
26 « Quels sont vos liens avec le MRC, quel est votre affinité avec ce parti ? Et comment les définiriez-vous ? Pour changer le Cameroun… ; C’est-à-dire ? Long Silence. Je veux reconnaître les droits et les obligations de tout un chacun », page 12 du rapport d’entretien 27 Page 12 du rapport d’entretien.
28 Page 11 du rapport d’entretien.
11gouvernance démocratique, est de nature à jeter un doute sérieux quant à l’implication du demandeur dans ce parti politique et a fortiori quant au risque de subir des persécution en raison de son appartenance à ce parti.
D’ailleurs, si le demandeur a encore indiqué suivre la compagne de ce parti politique en 202529 et qu’il serait en contact avec un « ami » qui serait membre du parti politique MRC en Belgique avec qui il communiquerait sur l’application « Facebook Messenger » à ce sujet, force est au soussigné de constater que le demandeur est resté en défaut de produire des éléments probants à ce sujet à l’appui de son recours, alors même qu’il dispose de son téléphone portable qu’il a consulté lors de l’entretien avec l’agent à ce sujet30. Surtout, la circonstance que le demandeur n’ait pas été en mesure de fournir le nom de famille et le prénom de cet « ami » au motif qu’il « ne le connait pas de tête »31 est, en tout état de cause, de nature à jeter un doute quant à la crédibilité des déclarations afférentes du demandeur.
D’autre part, le fait que le demandeur affirme lui-même n’être qu’un « militant, mais pas adhérent » et ne soutenir que les « idées du parti »32, combinée avec le fait que le demandeur ne dispose pas de carte du parti politique MRC33 – certes pour des motifs financiers34 qui ne peuvent être ignorés –, corroborent d’autant plus un défaut d’implication formelle du demandeur dans le parti politique MRC, de même qu’un absence de visibilité de sa personne et un défaut de toute responsabilité au sein du mouvement, tel que le relève le ministre.
L’ensemble de ce pan du récit du demandeur exposé ci-avant qui devrait, suivant ses explications, pourtant constituer des éléments déterminants dans sa démarche de quitter son pays d’origine pour solliciter une protection internationale au Luxembourg doit être considéré comme étant empreint de déclarations vagues, dépourvues du moindre détail quant au déroulé des évènements, qui ne sont pas à même d’établir un vécu cohérent et avéré de ces évènements dans le chef du demandeur, mais sont, au contraire, de nature à jeter un doute sur son récit dans son ensemble au point d’en ébranler sa crédibilité eu égard aux considérations qui précèdent.
Pour le surplus, le soussigné relève, pour être tout à fait complet, que dans sa fiche de motifs remplie par ses soins lors du dépôt de sa demande de protection internationale, le demandeur a encore mentionné, en tant que second motif gisant à la base de sa demande protection internationale, que « dans ce pays le Cameroun ne peut travailler que celui qui a quelqu’un dans le gouvernement » et que lui-même aurait travaillé de 2010 à 2013 jusqu’à un changement de direction qui l’aurait licencié.
Or, tel que relevé par le ministre, de tels motifs d’ordre économique et de convenance personnelle ne sauraient justifier l’octroi ni du statut de réfugié ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015 et pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.
Il suit des considérations qui précèdent que l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale amène le 29 Page 11 du rapport d’entretien.
30 Pages 12 et 13 du rapport d’entretien.
31 Page 12 du rapport d’entretien.
32 Page 12 du rapport d’entretien.
33 Page 12 du rapport d’entretien.
34 « Pour quelles raisons n’avez-vous pas payé cette somme au parti pour obtenir cette carte ? Parce que je n’avais pas cet argent [… francs CFA] », page 12 du rapport d’entretien 12soussigné à retenir que c’est à bon droit que le ministre a conclu que le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que les conditions pour l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies en l’espèce.
Il s’ensuit que le recours tendant à la réformation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale Force est de rappeler que le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition respective, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et du dossier administratif versé en cause, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par la référence faite par le demandeur à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 qui dispose comme suit : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées 13ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».
Si ledit article 129 de la loi du 29 août 2008 est certes applicable conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 201535, il n’en reste pas moins que dans la mesure où le soussigné vient de confirmer, d’une part, le constat du manque de crédibilité du récit du demandeur justifiant le recours par le ministre à la procédure accélérée, et, d’autre part, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, la conclusion s’impose que le renvoi du demandeur n’est pas incompatible avec ledit article 12936, tel qu’argumenté par le délégué du gouvernement.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la cinquième du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2025 par le soussigné, Benoît HUPPERICH, premier juge du tribunal administratif, en présence du greffier Shania HAMES.
s.Shania HAMES s.Benoît HUPPERICH Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 35 Article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 : « Une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphes (1) et (2), point d). L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire, ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office. […] Les articles 103, 111, paragraphe (3), point c), 112, 116, 117, 118 et 120 à 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration sont applicables. […] ».
36 Cour adm., 21 novembre 2023, n° 49266C du rôle ; Cour adm., 18 juin 2024, n° 50282C du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.