Tribunal administratif N° 52768 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52768 3e chambre Inscrit le 29 avril 2025 Audience publique du 21 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52768 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2025 par Maître Max LENERS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Côte d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 18 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus d’octroi d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport à l’audience publique du 20 mai 2025.
Le 27 décembre 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée, dans un rapport du même jour. Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 2 mai 2023.
Le 4 janvier 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de 1l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 16 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée sur base du même article par les autorités italiennes par courrier daté du 26 janvier 2024.
Par courrier du 31 juillet 2024, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale en vertu des dispositions de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Le 19 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé le 22 avril 2025, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] En date du 27 décembre 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux En mains votre fiche de motifs remplie manuscritement et le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 décembre 2023 ainsi que votre rapport d'entretien « Dublin III » du 4 janvier 2025 et votre rapport d'entretien du 19 février 2025 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Monsieur, il résulte d'une comparaison de vos empreintes digitales effectuée dans la base de données « Eurodac » le jour de l'introduction de votre demande que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 2 mai 2023.
Partant, une demande de prise en charge a été adressée aux autorités italiennes en date du 16 janvier 2024, laquelle a été acceptée le 26 janvier 2024 conformément aux dispositions du règlement « Dublin III ».
Dans la mesure où la procédure de transfert n'a pas pu être menée à bien dans les délais légalement prévus, les autorités luxembourgeoises sont devenues responsables pour le traitement et l'examen de votre demande de protection internationale en date du 31 juillet 2024.
2 Ainsi, un entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale a été mené en date du 19 février 2025.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être né le … à … en Côte d'Ivoire, être de nationalité ivoirienne, d'ethnie Baoulé, de confession chrétienne et avoir vécu avec une amie dans la commune de … à … de 2016 à 2020.
S'agissant des motifs invoqués à l'appui de votre demande de protection internationale, vous mentionnez d'une part—tant sur votre fiche de motifs que lors de votre audition auprès de l'agent de la Police Judiciaire en date du 27 décembre 2023 (page 2/2 du rapport de la Police Judiciaire) — avoir été victime de violences de la part de gendarmes ivoiriens, dans le cadre d'un litige foncier relatif à une parcelle de terre contenant de l'or, dont votre mère aurait hérité.
D'autre part, vous faites état d'une seconde crainte, à savoir celle d'être recherché par votre père biologique ainsi que par certains membres de sa famille, depuis que vous avez atteint l’âge de la majorité en …. Vous affirmez que ces derniers souhaiteraient vous initier à des pratiques spirituelles et rituelles, liées à leur croyance animiste, et qui seraient exclusivement réservées aux hommes de leur lignée (page 9/17 du rapport d'entretien).
À cet égard, vous expliquez d'abord être né avec une malformation congénitale au niveau du pied gauche, consistant en une duplication partielle d'un orteil. Vous indiquez que ce fait aurait conduit votre père biologique à renier sa paternité. Vous ajoutez que votre mère vous aurait élevé seule, aux côtés de vos frères et sœurs nés d'un autre père, dont vous portez également le nom de famille (pages 9 et 10/17 du rapport d'entretien).
Selon vos déclarations, votre mère vous aurait informé que votre père biologique aurait exprimé, à l'approche de votre majorité, sa volonté de vous faire intégrer une confrérie pratiquant des rites ancestraux dans une forêt sacrée. Elle aurait toutefois refusé catégoriquement cette demande, considérant que vous n'aviez pas été élevé dans cet environnement culturel et que vous ne deviez pas y être soumis (page 9/17 du rapport d'entretien).
Vous affirmez également que, depuis cette époque, votre père biologique et certains membres de sa famille auraient entrepris de vous rechercher afin de vous contraindre à participer à ces rituels d'initiation (page 12/17 du rapport d'entretien).
Vous soutenez que cette pression familiale et communautaire se serait accentuée au fil des années, vous poussant à vous déplacer au sein du territoire ivoirien, notamment à … en février 2019, avant de quitter temporairement le pays pour le Ghana. Vous précisez être retourné en Côte d'Ivoire en juillet 2020 en raison de difficultés financières avant de la quitter définitivement en décembre 2020 lorsque vos ressources vous l'auraient permis (page 14/17 du rapport d'entretien).
Vous indiquez ne pas avoir sollicité la protection des autorités ivoiriennes, ni déposé de plainte, au motif que les pratiques culturelles en question relèveraient des us et coutumes 3traditionnels, relevant de la chefferie locale et non régis ou réprimés par le droit national (page 14/17 du rapport d'entretien).
Enfin, en cas de retour dans votre pays d'origine, vous affirmez être contraint d'intégrer ladite confrérie et de subir une initiation que vous jugez incompatible avec votre mode de vie et vos convictions personnelles (page 9/17 du rapport d'entretien).
À l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document d'identité ni aucun autre élément justificatif permettant de corroborer vos déclarations.
3. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
« a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve être d'application pour les raisons étayées ci-après.
4. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits ainsi que des craintes d'être victime de persécutions ou d'atteintes par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre les autorités en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
Dès lors, la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d'origine doit être réfutée pour les raisons suivantes.
4Avant tout autre développement en cause, il convient de souligner que des doutes sérieux subsistent quant à votre réelle identité, dans la mesure où vous demeurez en défaut de produire le moindre document officiel et authentique permettant de corroborer vos déclarations et d'établir de manière certaine votre identité ainsi que votre nationalité ivoirienne.
Cette carence documentaire est d'autant plus douteuse alors que, lors de votre entretien individuel avec l'agent ministériel en date du 19 février 2025, vous avez expressément affirmé être en possession de captures d'écran de votre passeport et avoir la possibilité de les transmettre à votre mandataire (page 3/17 du rapport d'entretien), engagement que vous n'avez à ce jour pas respecté.
Par ailleurs, vous avez également déclaré que votre passeport ivoirien se trouverait toujours dans l'habitation que vous occupiez à … en Tunisie, ce qui laisse supposer qu'il vous serait possible, par l'intermédiaire de vos connaissances encore présentes sur place, d'en solliciter la transmission (page 3/17 du rapport d'entretien). Or, aucune démarche concrète n'a été entreprise de votre part en ce sens, malgré les moyens à votre disposition.
Même constat s'impose en ce qui concerne votre acte de naissance, que vous déclarez avoir laissé chez une amie avec laquelle vous résidiez pendant quatre années à …. Vous avez affirmé que vous prendriez contact avec ladite personne afin qu'elle vous fasse parvenir le document en question (page 10/17 du rapport d'entretien), sans qu'aucune suite concrète n'ait été donnée à ce jour.
Le fait que vous n'ayez entrepris aucune démarche pour obtenir ces documents élémentaires à l'établissement de votre identité, alors même que vous en auriez la possibilité, ne peut être interprété autrement que comme un manquement délibéré à votre obligation de collaboration avec les autorités luxembourgeoises dans le cadre de la procédure de protection internationale.
Ceci étant dit, il échet de souligner que dès l'introduction de votre demande de protection internationale, des incohérences majeures apparaissent, jetant des doutes sérieux sur la véracité de votre récit.
Monsieur, vous avez en effet déclaré, tant sur la fiche manuscrite des motifs que lors de votre audition devant la Police Judiciaire, avoir quitté la Côte d'Ivoire en raison de violences subies de la part de gendarmes dans le cadre d'un litige foncier relatif à une parcelle de terre contenant de l'or et héritée par votre mère.
Ce motif, que vous avez mentionné en premier lieu sur votre fiche et de manière exclusive auprès de l'agent de police à ce stade de la procédure, aurait donc constitué selon vous l'élément déclencheur de votre départ de la Côte d'Ivoire. Or, il est particulièrement étonnant de constater que ce motif initialement mis en avant a été entièrement omis lors de votre entretien individuel avec l'agent du ministère, entretien pourtant destiné à vous permettre de détailler de manière complète et exhaustive l'ensemble de vos craintes et raisons de votre départ.
Ainsi, il sied de noter que vous n'avez évoqué ledit conflit foncier ou les prétendues violences policières à aucun moment au cours de cet échange, concentrant votre discours exclusivement sur un autre motif, à savoir la crainte liée à une initiation rituelle imposée par 5votre prétendu père biologique, en lien avec des pratiques ancestrales et religieuses dans la région de ….
A ce sujet, il sied de relever que ce revirement complet soulève légitimement des interrogations quant à votre démarche, de sorte qu'il est valablement permis de penser que vous avez avancé des motifs inventés dans le but d'accentuer artificiellement la gravité de votre situation en Côte d'Ivoire. En effet, constatant la faiblesse ou l'insuffisance de votre premier motif au regard des critères d'octroi de la protection internationale, vous auriez avancé un second récit - fondé cette fois sur des considérations culturelles et religieuses - dans l'espoir de conférer à votre récit une dimension plus personnelle, plus sensible, et donc potentiellement plus recevable. Or, une telle évolution dans votre discours ne relève manifestement pas d'un oubli ou d'une confusion, mais bien d'une stratégie narrative délibérée et opportuniste.
Votre explication, selon laquelle « le policier m'a dit d'être bref » (page 7/17 du rapport d'entretien), ne saurait à cet égard emporter aucune conviction alors que vous vous bornez à rejeter la faute sur l'agent de police sans explication valable. De plus, votre affirmation est non seulement infondée, mais également contradictoire, puisque si un devoir de brièveté vous avait été imposé, il serait logique que certaines informations aient été omises à ce stade, et non pas exclusivement mentionnées lors de l'audition policière puis passées sous silence lors de l'entretien individuel, qui vous offrait au contraire l'occasion de vous exprimer librement et de manière approfondie. Cette justification apparaît dès lors comme une tentative maladroite de masquer une incohérence majeure dans votre parcours déclaratif.
En définitive, force est de noter que votre comportement traduit un manque évident de sincérité dès les premières étapes de votre demande de protection internationale. En effet, vous adaptez votre discours selon les interlocuteurs, modifiez les motifs en fonction du contexte, et introduisez des éléments narratifs sans cohérence ni constance. Cette manière de procéder nuit gravement à votre crédibilité, révèle une volonté manifeste de manipuler la procédure de protection internationale à votre avantage, et remet en question la réalité même des persécutions que vous invoquez.
Il en résulte que votre demande de protection internationale ne repose pas sur des faits avérés, mais sur une construction artificielle visant à satisfaire les critères d'éligibilité et partant vos propos doivent être considérés comme dépourvus de toute crédibilité.
Concernant votre prétendue crainte liée à une initiation rituelle imposée par votre prétendu père biologique en lien avec des pratiques ancestrales et religieuses dans la région de …, force est de constater que de nombreux éléments incohérents affaiblissent la crédibilité de votre récit.
En effet, la prétendue crainte que vous invoquez se fonde sur des faits qui remontent à … ans, plus précisément à …, année de votre majorité. Or, il convient de noter que vous n'auriez été inquiété d'aucune manière dans votre pays d'origine de 2014 jusqu'à votre départ en 2020.
Au contraire, selon vos propos, vous auriez vécu librement en Côte d'Ivoire durant cette période et travaillé sans rencontrer quelconques problèmes, notamment dans une brasserie entre 2014 et 2016, au sein de l'entreprise « … » pendant dix mois ainsi que trois mois dans la librairie de votre cousin (pages 2 et 3/17 du rapport d'entretien). En plus, vous reconnaissez vous-même que votre père aurait eu largement le temps de vous retrouver entre 2014 et 2020 s'il avait réellement souhaité vous causer du mal (page 14/17 du rapport d'entretien). Dès lors, ce long 6laps de temps écoulé sans incident est en totale contradiction avec l'existence d'une menace réelle et imminente à votre égard et remet fortement en cause la crédibilité de vos déclarations.
Le constat que votre deuxième motif est inventé de toutes pièces et que vous ne craigniez absolument rien en Côte d'Ivoire est corroboré par vos dires selon lesquels vous auriez voyagé librement, à la fois à l'intérieur de votre pays et à l'étranger, sans jamais rencontrer de problèmes liés à la crainte invoquée. En effet, vous vous êtes rendu sans difficulté de … à … en 2019, puis au Ghana en février 2020, avant de revenir volontairement à … en juillet 2020 (page 14/17 du rapport d'entretien). Monsieur, si vous aviez réellement été en danger en Côte d'Ivoire, vous n'y seriez certainement pas retourné de votre plein gré après un séjour à l'étranger, comme vous l'avez fait. La liberté de mouvement dont vous avez bénéficié et votre retour volontaire dans une zone supposée dangereuse ne sont pas compatibles avec l'existence d'une menace sérieuse et actuelle à votre encontre.
De plus, Monsieur, vous affirmez avoir été « recherché » (page 9/17 du rapport d'entretien) par votre père et d'autres membres de votre famille, mais vous êtes incapable de nommer la moindre personne ni de fournir le moindre élément concret pour étayer cette affirmation. Force est de constater que vous ne citez aucun incident spécifique qui montrerait que quelqu'un aurait activement tenté de vous retrouver. Cette absence totale de détails vérifiables rend votre allégation selon laquelle votre famille vous recherchait très peu crédible.
Par ailleurs, force est encore de soulever que vous décrivez votre père comme un adepte de pratiques animistes, sans toutefois pouvoir expliquer précisément ce que cela implique. Vos déclarations sur la religion et les croyances de votre père restent extrêmement vagues et générales, dépourvues de toute illustration concrète qui démontrerait une familiarité authentique avec les rites ou coutumes auxquelles vous prétendez être exposé. Or, une personne réellement confrontée à une menace d'ordre culturel ou rituel est généralement en mesure d'en décrire les pratiques (pages 11 et 12/17 du rapport d'entretien). L'absence de précisions dans vos explications conduit à considérer cet aspect du récit comme peu crédible.
À cela s'ajoute que, tout au long de votre récit, vous affirmez que les rites initiatiques et pratiques ancestrales que vous craignez auraient lieu dans une « forêt sacrée » située dans la région de … (page 9/17 du rapport d'entretien). Toutefois, vous êtes dans l'incapacité de fournir une description claire et détaillée de ces pratiques. Interrogé à plusieurs reprises sur la nature précise de ces rites ou sur ce qu'ils impliqueraient concrètement pour vous, vous vous contentez de réponses vagues, telles que « c'est spirituel », sans jamais illustrer vos propos par un exemple concret ou une explication cohérente.
En ce sens, vous n'êtes pas à même de mentionner une personne de votre entourage ou de votre région ayant été confrontée à une situation similaire ce qui aurait pu crédibiliser vos propos. Vous ne décrivez pas davantage de façon exhaustive l'endroit où ces pratiques auraient lieu, pourtant qualifié par vous-même de « forêt sacrée ». L'absence de tout détail sur cet environnement qui selon vos dires jouerait un rôle central dans le danger que vous invoquez, contribue à donner à votre récit un caractère abstrait et peu convaincant. L'ensemble de ces imprécisions renforce l'impression que votre crainte repose sur des généralités sans fondement tangible et non sur une expérience vécue de manière personnelle et directe.
Lorsque vous évoquez les membres de la famille qui vous auraient prétendument recherché, vos propos se contredisent et trahissent une histoire mal maîtrisée. Vous déclarez par exemple : « ses frères, ses sœurs…moi, je ne sais pas » (page 12/17 du rapport d'entretien) 7en parlant de l'identité des personnes qui seraient à votre poursuite. Cette déclaration incohérente où vous vous contredites et admettez ne pas savoir exactement de qui il s'agit, démontre le flou de vos affirmations. Une telle contradiction interne — ne pas être capable de désigner clairement qui vous en voudrait — indique que vous peinez à maintenir la cohérence de votre récit, comme si vous improvisiez des éléments sans lien réel avec votre expérience vécue et contredit votre affirmation selon laquelle vous seriez recherché par votre père biologique.
Monsieur, vos déclarations manquent une fois encore de cohérence lorsqu'elles portent sur la prétendue malformation congénitale de votre pied et le rejet qu'elle aurait suscité de la part de votre père biologique dès votre naissance.
À cet égard, il convient tout d'abord de relever que vous n'apportez aucun élément médical permettant d'attester l'existence de cette malformation. Or, une simple consultation auprès d'un professionnel de santé au Luxembourg aurait permis de constater ce fait. Vous affirmez que cette particularité physique aurait été mentionnée dans votre acte de naissance, document que vous auriez laissé chez votre ancienne colocataire à …. Vous avez vous-même indiqué qu'il vous serait possible de la contacter afin d'en solliciter la transmission, sans toutefois avoir entrepris la moindre démarche en ce sens. Ce manque d'initiative, alors que les moyens étaient à votre disposition, ne peut qu'alimenter les doutes quant à la véracité de vos affirmations.
Par ailleurs, il apparaît profondément illogique qu'un père vous ayant prétendument renié dès la naissance, du fait de cette malformation, manifeste dix-huit ans plus tard le désir de vous réintégrer au sein de sa lignée à des fins rituelles ou culturelles. Une telle contradiction dans l'attitude que vous lui attribuez soulève une interrogation légitime sur le fait pourquoi un homme ayant volontairement coupé tout lien avec son enfant pendant près de deux décennies chercherait soudainement à le récupérer pour lui faire subir une initiation censée être réservée aux membres choisis et valorisés de sa communauté. Cette incohérence majeure entache fortement la crédibilité de votre récit et donne à penser que celui-ci repose davantage sur une construction narrative de votre part que sur des faits réellement vécus.
En outre, force est encore de constater que l'essentiel de votre récit repose non pas sur des faits que vous auriez vécus directement, mais sur ce que votre mère vous aurait raconté.
En effet, vous répétez fréquemment « c'est ma mère qui me l'a dit » (page 13/17 du rapport de l'entretien) à propos des intentions supposées de votre père ou des dangers allégués. Or, cela montre que vous n'avez jamais été personnellement confronté aux événements que vous décrivez, de sorte que votre crainte déclarée repose uniquement sur des ouï-dire et non sur une expérience directe, ce qui affaiblit davantage son crédit.
Enfin, il sied de relever que vous n'avez jamais porté plainte ni sollicité la protection des autorités de votre pays d'origine face à la menace que vous alléguez. Vous admettez également ignorer le cadre juridique ivoirien existant pour protéger les enfants ou les personnes vulnérables contre ce type de pratiques culturelles préjudiciables. Cette méconnaissance est d'autant plus surprenante que vous avez suivi des études universitaires, de sorte qu'on pourrait s'attendre à ce qu'une personne instruite et se disant en danger se renseigne sur les recours légaux possibles ou cherche de l'aide auprès des institutions de son pays. Le fait que vous n'ayez entrepris aucune démarche de protection locale et que vous ne connaissiez rien des lois applicables renforce l'impression que la situation que vous décrivez n'a pas été réellement vécue.
8 En conclusion, l'ensemble de ces éléments démontre que votre récit manque de cohérence, de constance et d'éléments probants et qu'il a été inventé dans le seul but d'obtenir une protection internationale. Par conséquent, la crainte que vous dépeignez en cas de retour dans votre pays d'origine pour soutenir votre demande doit être considérée comme non crédible.
À toutes fins utiles, il convient de relever que vous n'avez pas jugé nécessaire d'introduire une demande de protection internationale lors de votre séjour en Tunisie en 2021 alors même que ce pays est signataire et a ratifié la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Selon vos propres déclarations, vous y avez résidé et exercé une activité professionnelle à … pendant une période de deux ans avant de rejoindre l'Europe par voie maritime en 2023 (page 7/17 du rapport d'entretien). Cette inaction manifeste ne correspond en rien au comportement attendu d'une personne véritablement persécutée dans son pays d'origine, qui aurait dû, dès sa première arrivée en territoire sûr, engager les démarches nécessaires pour solliciter une protection internationale si sa crainte avait été fondée.
Dans cette continuité, il importe de souligner que, bien que vous ayez effectivement introduit une demande de protection internationale après votre arrivée en Italie, vous avez quitté ce pays de manière prématurée, sans attendre la décision des autorités italiennes quant à votre demande. À ce sujet, vous indiquez que « Les autorités italiennes voulaient lancer une procédure de relocalisation avec un autre État membre. Mais cela n'a pas abouti et j’ai finalement quitté l'Italie en décembre 2023 » (page 5/7 du rapport d'entretien Dublin III). Ce comportement laisse entrevoir une démarche davantage orientée par des considérations personnelles que par une recherche urgente de protection, ce qui apparaît difficilement compatible avec l'attitude attendue d'une personne réellement exposée à un danger pour qui la priorité serait d'obtenir une protection internationale, indépendamment du pays dans lequel celle-ci serait accordée.
En outre, vos propres déclarations mettent en évidence une stratégie de forum shopping, consistant à introduire une demande de protection internationale dans l'État que vous estimez le plus favorable à vos intérêts personnels. En effet, vous avez expressément déclaré souhaiter que votre demande soit traitée par le Luxembourg, estimant que ce pays vous offrirait davantage de facilités d'intégration, notamment en raison de la langue et de la culture (page 5/7 du rapport d'entretien Dublin III). Ce choix, motivé par des considérations subjectives et personnelles, constitue un élément supplémentaire démontrant que vous sélectionnez délibérément le pays qui répond le mieux à vos attentes individuelles, sans lien direct avec un besoin réel de protection.
Cette attitude est par ailleurs corroborée par d'autres propos que vous avez tenus lors de votre entretien « Dublin III », où vous justifiez votre départ de l'Italie par des motifs purement personnels « Le traitement des demandeurs n'est pas bon en Italie. J'avais des soucis de santé qui ont été complètement ignorés » (page 5/7 du rapport d'entretien Dublin III).
Or, votre comportement remet en question la sincérité de votre démarche et par le biais la véracité des motifs de fuite que vous avancez dans le cadre de votre demande de protection internationale.
Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne saurait vous être accordée.
9 Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée dans le cadre d'une procédure accélérée.
Suivant les dispositions de l'article 34 (2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Côte d'Ivoire, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 18 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 18 avril 2025, telles que déférées. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours et au-delà des faits exposés ci-avant, le demandeur explique être de nationalité ivoirienne, d’ethnie baoulé, de religion chrétienne et avoir vécu de 2016 à 2020 avec une amie dans la commune de … à …. Il relate ensuite être né avec une malformation congénitale au niveau du pied gauche, consistant en une duplication partielle d’un orteil, raison pour laquelle son père aurait renié sa paternité. Il continue en expliquant que depuis l’âge de sa majorité, il aurait été recherché par son père biologique et des membres de sa famille qui souhaiteraient l’initier à des pratiques spirituelles et rituelles, liées à leur croyance animiste.
Au fil des années, cette pression serait devenue de plus en plus grande, de sorte qu’il aurait dû se déplacer au sein du territoire ivoirien, notamment à … en février 2019 et quitter temporairement le pays pour le Ghana. Il expose ensuite être retourné en Côte d’Ivoire en juillet 2020 en raison de difficultés financières avant de quitter ledit pays définitivement en décembre 2020, traversant le Mali et l’Algérie, et de s’installer en Tunisie jusqu’en 2023. En avril 2023, il aurait rejoint Lampedusa en bateau, avant d’être envoyé à Bari. En décembre 2023, il aurait finalement pris le train de Bari jusqu’au Luxembourg via Zürich et Strasbourg.
En droit et quant à la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur, après avoir cité les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, prend d’abord position par rapport aux doutes émis par le ministre quant à son identité. A ce sujet, il fait valoir, d’une part, qu’il disposerait de documents d’identité en Côte d’Ivoire et, d’autre part, qu’il tenterait toujours actuellement de trouver une personne qui pourrait les lui faire parvenir, en précisant qu’il n’aurait retrouvé qu’une photo de son passeport qu’il verse à l’appui de son recours. En prenant appui sur la jurisprudence des juridictions administratives, il en 10déduit que le bénéfice du doute, tel que prévu par l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, devrait lui être appliqué.
Quant au reproche ministériel tenant à un défaut de cohérence entre les motifs avancés lors de son entretien devant l’agent du ministère, ceux indiqués sur sa fiche de motifs manuscrite et ceux évoqués lors de son audition auprès du service de police judiciaire, le demandeur soutient que, même si les motifs qu’il aurait indiqués sur sa fiche de motifs manuscrite peuvent être considérés comme étant assez généraux, il aurait néanmoins déjà exprimé « dans des termes vagues » les faits qu’il aurait ensuite détaillés lors de son entretien ministériel. Quant à ses déclarations faites auprès du service de police judiciaire, il donne à considérer que, bien qu’il ait exposé le premier motif à la base de sa demande de protection internationale et négligé le second, ce dernier serait néanmoins « amplement documenté » dans sa fiche de motifs manuscrite. Il en conclut que la crédibilité de son récit ne serait pas ébranlée.
Le demandeur continue en soutenant, en substance, qu’il remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié, telles que prévues aux articles 2, point f), 39, 40 et 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015. A cet égard, il fait valoir que la famille de son père biologique serait à sa recherche afin de le forcer à une initiation rituelle en lien avec des pratiques ancestrales et religieuses, tout en ajoutant qu’il s’agirait d’acteurs non étatiques au sens de l’article 39, point c) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné que les acteurs visés aux points a) et b) dudit article ne pourraient, respectivement ne voudraient pas lui accorder une protection contre lesdites persécutions et qu’il ne pourrait, respectivement ne voudrait pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur se prévaut des articles 2, point q) et 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et sollicite la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire, en tant que conséquence de la réformation de la décision portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale. Il fait encore valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Côte d’Ivoire constituerait, au vu de l’ensemble des éléments qu’il aurait exposés, un danger pour sa vie et sa liberté.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer. », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
11Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
1) Quant à la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant d’abord de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
12L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
13valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Il y a ensuite lieu de préciser que dans la présente matière, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.
Or, l’analyse de la pertinence des faits invoqués, au regard des conditions d’octroi d’une protection internationale rappelées ci-avant, nécessite en premier lieu d’apprécier la valeur des éléments de preuve et de vérifier la crédibilité du récit du demandeur.
A cet égard, la soussignée précise que l’examen de la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si ce dernier a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, ou risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi3.
Il s’ensuit qu’il appartient à la soussignée de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit du demandeur, d’autant plus qu’en l’espèce, c’est la crédibilité générale dudit récit qui est mise en doute par la partie étatique, influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont la soussignée est saisie.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves4.
Or, la soussignée partage en l’espèce les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit de Monsieur (A), lequel comporte manifestement de nombreuses incohérences et contradictions.
En effet, la soussignée constate que sur la fiche de motifs manuscrite de sa demande de protection internationale, le demandeur a indiqué qu’il aurait quitté son pays d’origine « […] pour un problème d’[extraction] d’or sur la terre de [s]a mère qui va créer un conflit entre civil et la gendarmerie nationale », d’une part, ainsi qu’en raison d’un « […] second cas […] lié à une succession ancestrale initiation et [s]a religion pratiqué[e] », d’autre part.
Si, par la suite, le demandeur a déclaré auprès du service de police judiciaire qu’il aurait dû quitter la Côte d’Ivoire au motif que sa mère aurait hérité de terres contenant de l’or et que, suite à cette découverte, la gendarmerie nationale s’en serait « mêlée » et l’aurait brutalisé lors 3 Trib. adm., 27 novembre 2006, n° 21556 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 151 et les autres références y citées.
4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.
14d’une confrontation, force est néanmoins de constater que lors de son entretien au ministère sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, l’intéressé a présenté un récit totalement différent.
En effet, à cette occasion, le demandeur a déclaré qu’il serait, depuis qu’il aurait atteint l’âge de la majorité en …, recherché par son père biologique et la famille de celui-ci en vue de son initiation forcée à des pratiques ancestrales et religieuses dans la région de …. Si ces déclarations peuvent certes être considérées comme rejoignant dans une certaine mesure ce que Monsieur (A) a indiqué sur sa fiche des motifs manuscrite, il n’en demeure pas moins (i) qu’il n’y a fait référence que de manière très vague, ce que concède d’ailleurs le demandeur lui-
même dans sa requête introductive d’instance, et (ii) qu’il n’en a fait aucune mention lors de son audition devant l’agent du service de police judiciaire. A l’inverse, le concerné n’a aucunement mentionné les problèmes en lien avec les terres héritées par sa mère lors de son audition ministérielle.
Or, la soussignée partage à cet égard l’appréciation de la partie étatique selon laquelle le fait que sur la fiche des motifs de sa demande de protection internationale et auprès du service de police judiciaire, le demandeur s’est limité à faire état de violences subies de la part de gendarmes dans le cadre d’un litige relatif à des terres contenant de l’or et héritées par sa mère, sans faire la moindre allusion aux agissements dont il craindrait de faire l’objet de la part de son père biologique, jette manifestement un doute considérable sur la crédibilité générale de son récit. En effet, cette crainte ne représente pas un élément secondaire, mais constitue, au contraire, l’élément clef du récit de Monsieur (A), de sorte qu’il n’est pas cohérent qu’il n’en ait pas fait état dès le début de la procédure, mais se soit borné, dans sa fiche de motifs, à évoquer vaguement un « second cas […] lié à une succession ancestrale initiation et [s]a religion pratiqué[e] ».
La soussignée rejoint à cet égard encore le ministre dans son constat que l’explication fournie par le demandeur dans le cadre de son entretien ministériel, selon laquelle « le policier [lui] a dit d'être bref »5 laisse de convaincre, étant donné que si les explications fournies par un demandeur sur la fiche des motifs de sa demande et lors de son audition par un agent du service de police judiciaire quant aux motifs de sa demande ne doivent, certes, pas être exhaustives, il n’en reste pas moins qu’un demandeur doit rester cohérent quant aux éléments principaux de son récit tout au long de la procédure, ce qui n’est, au vu des considérations qui précèdent, manifestement pas le cas en l’espèce.
Le doute quant à la crédibilité générale du récit du demandeur est encore renforcé par de nombreuses autres incohérences relevées par le ministre, par rapport auxquelles aucune explication convaincante n’a été fournie par l’intéressé dans le cadre de sa requête introductive d’instance.
Ainsi, il n’est notamment guère crédible que le demandeur ait été recherché par son père biologique depuis qu’il a atteint l’âge de la majorité en …, mais qu’il n’ait d’aucune manière été inquiété par ce dernier entre 2014 et son départ de son pays d’origine en 2020. Il ressort, en effet, des déclarations du demandeur qu’il a librement vécu en Côte d’Ivoire durant cette période, et qu’il a notamment travaillé dans une brasserie à … entre 2014 et 2016, puis dans une société « … » pendant dix mois, ainsi que dans la librairie de son cousin pendant trois 5 Page 10 du rapport d’entretien de Monsieur (A).
15mois, sans rencontrer le moindre problème en relation avec son père ou la famille de celui-ci6, étant encore relevé que le demandeur a lui-même reconnu, dans le cadre de son entretien au ministère, que son père biologique aurait dû être à même de le retrouver entre 2014 et 2020 s’il avait réellement eu l’intention de lui nuire7.
Par ailleurs, la soussignée constate, à l’instar de la partie étatique, que le demandeur se limite à affirmer que sa mère lui aurait dit qu’il serait recherché par son père biologique et la famille de celui-ci, sans toutefois être en mesure d’expliquer concrètement quelles personnes seraient à sa recherche8 et sans faire état d’un quelconque incident concret qu’il aurait personnellement vécu dans ce contexte. De même, le demandeur n’a pas pu préciser la nature exacte des rites et pratiques ancestrales qui pourraient lui être imposées par son père, ni expliquer concrètement ce qu’il craint de subir lors de son initiation rituelle ou religieuse par ce dernier. Or, un tel manque de détails flagrant dans le récit du demandeur nuit manifestement à la crédibilité de celui-ci.
Partant, au vu de ces considérations et plus particulièrement du constat que la requête introductive d’instance du demandeur reste en grande partie muette face aux multiples incohérences et contradictions a priori valablement mises en avant par le ministre, la soussignée conclut que la crédibilité générale du récit du demandeur est irrémédiablement compromise.
La soussignée est dès lors amenée à retenir que Monsieur (A) n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que les conditions pour l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies en l’espèce.
Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour être manifestement infondé.
2) Quant à la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la crédibilité générale du récit de Monsieur (A) est manifestement ébranlée, de sorte qu’il est évident que l’intéressé ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale sur base de ce même récit.
Dans ces circonstances, la soussignée conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
6 Pages 2 et 3 du rapport d’entretien de Monsieur (A).
7 Page 14 du rapport d’entretien de Monsieur (A) : « Selon vous, ne pensez-vous pas que votre « père géniteur » et « sa famille » comme vous les appelez auraient réellement chercher à vous nuire, ils en auraient eu la possibilité avant votre départ de Côte d’Ivoire en décembre 2020 ? Je … je … si en six ans, ils auraient pu me retrouver, mais je me déplaçais… à l’intérieur du pays, dans d’autres villes. ».
8 Page 10 du rapport d’entretien de Monsieur (A) : « […] De quels « membres de sa famille » parlez-vous ? Ses frères, ses sœurs… moi, je ne sais pas. […] ».
16 3) Quant à la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Finalement, quant à la décision portant ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, et que c’est partant à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que le retour de ce dernier en Côte d’Ivoire ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tel qu’avancé par le demandeur.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est, à son tour, à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre celle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2025 par la soussignée Sibylle Schmitz, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Sibylle Schmitz Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 17