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21/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52738

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mai 2025, 52738


Tribunal administratif N° 52738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52738 5e chambre Inscrit le 22 avril 2025 Audience publique du 21 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52738 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2025 par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité...

Tribunal administratif N° 52738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52738 5e chambre Inscrit le 22 avril 2025 Audience publique du 21 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52738 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2025 par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy REDING en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 mai 2025, Maître Samira MABCHOUR s’étant excusée.

En date du 4 février 2025, Monsieur (A), de nationalité algérienne, introduisit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 20215 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 7 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, Direction générale de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour et remis le 8 avril 2025, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accéléréeen se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :

« (…) Vous déclarez être de nationalité algérienne, célibataire et originaire de …, où vous auriez vécu auprès de votre famille et travaillé dans la construction jusqu'en … 2023. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez de vous faire tuer par vos oncles et parce que vous n'auriez pas voulu continuer à vivre et travailler clandestinement en Europe.

Vers 2019, un conflit serait né dans votre famille autour d'une question d'héritage alors que vos quatre oncles maternels auraient voulu prendre de force une partie d'un terrain qui « nous » (p. 6 du rapport d'entretien) appartiendrait, voire, ils auraient voulu forcer votre mère à signer des papiers concernant un terrain et une maison et auraient « même essayé de donner de l'argent à ma mère » (p. 10 du rapport d'entretien). Vous vous seriez opposé à vos oncles et, en 2019, vous auriez alors à deux reprises été agressé par trois de ces oncles qui vous auraient une fois blessé avec un couteau et l'autre fois avec un bâton. Suite à votre première agression, vous auriez été hospitalisé et on vous aurait remis un certificat médical pour déposer plainte mais le fils d'un de ces oncles vous l'aurait volé à votre sortie d'hôpital. Vous auriez par la suite tout de même déposé plainte mais les policiers vous auraient dit qu'ils auraient besoin d'une preuve, à savoir un certificat médical. Ils auraient noté vos déclarations mais ne vous auraient plus contacté. Trois jours après votre sortie d'hôpital, vous auriez demandé une copie du certificat médical à votre médecin mais il vous aurait signalé qu'il serait trop tard pour cela alors que vous auriez dépassé le délai des vingt-quatre heures.

Après ces deux agressions, vous auriez été menacé par vos oncles « environ une fois tous les mois » (p. 9 du rapport d'entretien) par téléphone ou par le biais d'amis pendant un an et demi. Mi 2020, vous auriez déposé plainte à cause de ces menaces. La police vous aurait questionné sur des preuves ou des témoins et « j'ai répondu non » (p. 9 du rapport d'entretien).

Par la suite, les menaces auraient diminué. A un moment donné, vous et vos oncles auriez été convoqués dans le cadre de cette plainte mais vos oncles ne se seraient pas présentés. La police aurait alors encore une fois enregistré votre déposition et vous aurait informé que vous seriez reconvoqué mais plus rien ne se serait passé. Depuis, il n'y aurait plus eu de menaces. Vous dites toutefois aussi qu'à cause de leur non-présentation, l'affaire aurait été porté devant un tribunal.

Vos oncles auraient été convoqués au tribunal et se seraient présentés fin 2020 « et ils avaient un avocat. Chez nous ces affaires durent entre 3 à 5 ans pour avoir une décision. (…) Cette affaire est suspendue actuellement car on sera tous convoqués pour nous présenter au Tribunal auprès d'un juge. Il faut attendre les convocations, je ne sais pas quand on aura la convocation (…) » (p. 10 du rapport d'entretien). Après le dépôt de cette plainte, vous auriez continué à travailler « mais je me suis dit que c'était difficile de continuer à travailler et j'avais toute une famille à charge et je ne pouvais pas faire ma vie, me marier » (p. 9 du rapport d'entretien).

Trois ans plus tard, en juin 2023, vous vous seriez du coup senti obligé d'arrêter de travailler alors que vous n'auriez plus réussi à vous concentrer à cause des pressions exercées et des menaces proférées par des membres de famille. Vous seriez par la suite encore resté pendant deux mois au pays bien qu'il ressorte de votre passeport qu'en date du …, vous êtes entré en Espagne, où vous avez séjourné jusqu'au …, avant de retourner en Algérie.

Vous ajoutez avoir également introduit une demande de protection internationale pour des raisons financières alors que les conditions de vie auraient été compliquées en Algérie, où vous auriez vécu tous ensemble avec vos six frères, dont deux mariés, dans une maison à troispièces. Vous n'y pourriez pas bien dormir, ni bien manger. A cela s'ajoute que vous auriez des dettes en Algérie à hauteur d'environ 3 000 euros auprès de vos amis et que vous ne pourriez pas rembourser.

Le 22 décembre 2023, moyennant un visa, vous avez une deuxième fois officiellement quitté l'Algérie à bord d'un bateau à destination de l'Espagne où vous êtes arrivé le lendemain.

Vous seriez resté environ sept mois à … avant de vous installer ailleurs en Espagne pendant trois mois. Vous seriez ensuite parti en France, où vous seriez resté pendant environ quatre mois.

Vous auriez aussi bien travaillé clandestinement en Espagne comme en France. Le 3 février 2025, vous seriez arrivé au Luxembourg en bus en provenance de la France, sur conseil d'amis d'Alicante qui vous auraient expliqué qu'au Luxembourg, on pourrait passer une « vie tranquille » (rapport du Service de Police Judiciaire) et aisément trouver un emploi. Vous auriez par ailleurs fui l'Algérie pour trouver un nouvel emploi qui vous permettrait de subvenir aux besoins de votre fratrie. Vous ajoutez être venu au Luxembourg « car ici (…), nous sommes protégés, il y a de l'aide aux demandeurs d'asile. Ici, les conditions de vie sont bien » (p. 5 du rapport d'entretien).

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez une copie de votre passeport algérien émis le 13 mars 2022. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation (i) de la décision du ministre du 4 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 4 avril 2025, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en insistant sur le fait qu’il aurait fui l’Algérie, son pays d’origine, en raison des menaces de mort proférés par ses oncles maternels à son encontre en raison d’un conflit portant sur une question de succession. Ainsi, lesdits oncles auraient voulu prendre de force une partie d’un terrain dont la propriété aurait dû échoir à sa mère en héritage.

Les oncles l’auraient physiquement agressé à deux reprises de manière tellement violente qu’il aurait dû être hospitalisé suite à la première attaque. Le demandeur explique avoir porté plainte contre ses oncles au cours de l’année 2020, lesquels auraient été convoqués au commissariat de police et au tribunal, sans qu’une décision ne soit intervenue depuis lors. Finalement il aurait décidé de quitter l’Algérie en direction de l’Espagne, d’abord provisoirement en juin 2023, puisofficiellement en décembre 2023 En droit, le demandeur estime d’abord que le recours à la procédure accélérée, en application du point a) de l’article 27(1) de la loi du 18 décembre 2015, serait injustifié, étant donné qu’elle reposerait sur une lecture partielle, réductrice et juridiquement erronée du dossier.

Ainsi, les deux agressions violentes qu’il aurait subi de la part de ses oncles en Algérie constitueraient des faits graves et concrets, d’autant plus qu’ils s’inscriraient dans un climat d’impunité. Les faits subis seraient graves et constitueraient des motifs de persécution prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Quant à la décision déférée ayant refusé de lui accorder le statut de réfugié le demandeur fait valoir qu’il aurait subi une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine au sens de l’article 1er, section 1, paragraphe (2) de la Convention de Genève ainsi que des articles 2, point (f), 39, 41 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, respectivement une crainte d’être victime de traitements inhumains et dégradants. L'analyse de sa situation démontrerait que l'ensemble des conditions légales et jurisprudentielles seraient réunies dans son chef pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié.

Il explique à cet égard de prime abord avoir subi une persécution avérée de gravité suffisante et se réfère dans ce contexte aux agressions physiques graves qu’il aurait subies de la part de ses oncles et lesquelles auraient été suivies de menaces mensuelles et répétées pendant plus d’un an et demi. Selon un jugement du tribunal administratif du 14 janvier 2016, inscrit sous le numéro 38421 du rôle, un comportement récurrent, ciblé et violent, même exercé par des acteurs privés, pourrait être considéré comme une persécution lorsque l'État n'y mettrait pas fin efficacement.

Dans le même contexte le demandeur affirme encore avoir été persécuté en raison de son appartenance à un groupe social déterminé, à savoir sa famille. Le conflit successoral à l'origine de cette situation ne se limiterait pas à un litige civil mais il s’inscrirait dans un contexte où l'honneur familial, la domination sociale et le contrôle des terres prendraient « une dimension quasi-clanique ». Le demandeur estime avoir été persécuté en raison de sa position de défenseur actif des intérêts fonciers de sa mère et de ses frères, contre les volontés de ses oncles maternels.

Il se réfère dans ce contexte à l’arrêt « X, Y et Z c/ Minister voor Immigratie » rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013, inscrit sous les numéros C-199/12, C-

200/12 et C-201/12.

Le demandeur fait encore état de l’absence manifeste et prolongé d’une protection dont il aurait pu bénéficier en Algérie.

A son avis, l'incapacité de l'État algérien à agir efficacement serait patente. Il aurait, en effet tenté en vain à plusieurs reprises d'obtenir une protection légale. Ainsi, après la première agression, il aurait été hospitalisé, mais le certificat médical nécessaire pour porter plainte lui aurait été dérobé. Lorsqu'il aurait tout de même tenté de déposer plainte, il aurait été confronté à une réponse administrative passive, et les agents auraient exigé une preuve matérielle qu'il n’aurait plus été en mesure de fournir. Enfin, il aurait été convoqué, tout comme ses agresseurs, dans une procédure judiciaire qui, selon ses déclarations, serait toujours suspendue, sans qu'aucune suite effective n’y aurait été réservée depuis 2020. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) aurait pourtant jugé dans son arrêt « son arrêt A.F. c. France (2018) » que lemanquement persistant d'un État à réagir à des atteintes graves constitue une forme de participation indirecte à la persécution. Il se réfère dans le même contexte à un jugement rendu par le tribunal administratif le 25 juin 2015 inscrit sous le numéro 37652 du rôle.

Enfin, concernant la décision portant refus de lui accorder le statut de réfugié, le demandeur fait valoir que sa crainte serait actuelle, sérieuse et justifiée. Contrairement à ce que soutient l'administration, les faits invoqués ne seraient pas dépassés ou résolus. Les menaces, même si elles auraient cessé d'être explicitement proférées depuis 2020, n’auraient jamais donné lieu à une résolution judiciaire et sa famille attendrait toujours une audience. Cette situation de flou juridique, combinée à l'impunité des agresseurs, le laisserait dans une position de vulnérabilité extrême. Il se réfère encore à un arrêt de la Cour EDH pour affirmer que l'élément déterminant ne serait pas tant la date des faits, mais la réalité du danger encouru en cas de retour.

Le demandeur estime, enfin, remplir les conditions d’octroi de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015, au vu de la situation prévalant actuellement au Cameroun En tout dernier lieu, le demandeur fait valoir en substance que l’ordre de quitter le territoire émis à son encontre serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation particulière au regard de la situation prévalant en Algérie en renvoyant notamment à l’article 3 CEDH Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que la décision ministérielle déférée a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel :

« (…) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27(1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, notamment s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27(1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement ledit point a) de l’article 27(1) précité et afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il y a ensuite lieu de préciser que dans la présente matière, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

Or, la soussignée partage en l’espèce l’analyse du ministre selon laquelle le demandeur n’a, en déposant sa demande de protection internationale et en exposant les faits, soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Il se dégage en effet sans équivoque du dossier administratif, ainsi que de la requête introductive du demandeur que celui-ci base sa demande de protection internationale tout d’abord sur sa situation économique en Algérie. Sur question afférente lors de son audition par un agent ministériel, le demandeur a ainsi déclaré qu’il avait notamment quitté son pays d’origine en raison des « conditions de vie dans la maison, nous étions 3 garçons qui dormaient dans une chambre ainsi que ma sœur (…) Je voulais fuir cette pression de la maison parce que les conditions de vie ne sont pas favorables, vu qu’on est une grande famille (…) Je voulais quitter mon pays pour partir en Europe, pour travailler et ainsi aider ma famille financièrement et aussi pour construire mon avenir, me marier et fonder une famille ». Dans le même contexte, le demandeur a encore expliqué : « Je ne peux pas continuer à vivre dans cette maison, les conditions ne sont propices. Je ne peux pas bien dormir, pas bien manger. En plus, j’ai des dettes là-bas que je ne peux pas régler J’ai emprunté de l’argent et je n’arrive pas à les rembourser.

(…) ». En deuxième lieu, il se dégage du dossier administratif, ainsi que de la requête introductive du demandeur qu’il fonde sa demande de protection internationale sur sa crainte d’être persécuté par ses oncles maternels en raison d’un litige portant sur un terrain qui devraitéchoir à sa mère en héritage. Enfin, le demandeur explique fonder sa demande de protection internationale sur la situation générale régnant en Algérie.

En ce qui concerne tout d’abord les conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, et indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, c’est d’abord manifestement à bon droit que le ministre a relevé que l’ensemble des faits soulevés par le demandeur lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale ne sont pas motivés par un des critères de fond prévus par la Convention de Genève sinon par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un groupe social.

En effet, en ce qui concerne la situation économique précaire du demandeur, de tels motifs de convenance personnelle ne sauraient manifestement justifier l’octroi du statut de réfugié pour ne pas répondre aux critères prévus par la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 en matière de protection internationale.

En ce qui concerne ensuite les craintes du demandeur liées aux agissements de ses oncles maternels, le demandeur reste tant dans le cadre de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, que dans le cadre de sa requête introductive d’instance en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir que lesdits agissements seraient liés à l’un des motifs sus visés, ledit conflit étant manifestement un conflit familial d’ordre privé. Il convient de préciser à cet égard que l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait été persécuté en raison de son appartenance à un groupe social déterminé, à savoir sa famille, est à rejeter. En effet, la famille du demandeur n’est pas à considérer comme tombant sous la définition du groupe social tel que prévue par l’article 43, paragraphe (1), alinéa d) de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel : « (…) un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier:

- ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce; et - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. (…) ». Il ne ressort en effet d’aucun élément concret du dossier soumis au tribunal que la famille maternelle du demandeur dispose en Algérie d’une identité propre pour y être perçue comme différente par la société algérienne.

Au-delà des considérations qui précèdent, la soussignée constate qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à son appréciation qu’à l’heure actuelle, soit approximativement 5 ans après les agressions de la part de ses oncles maternels, que le demandeur déclare avoir subis en 2020, il courrait toujours un risque réel de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves en relation avec lesdits faits. Bien au contraire, le demandeur a lui-même déclaré que suite aux deux agressions subies, il aurait continué de vivre en Algérie jusqu’en 2023 sans rencontrer de problème similaire.

Enfin, quant à la situation générale régnant en Algérie, force est de constater qu’à cet égard, le demandeur se borne à se prévaloir dans le cadre de sa requête introductive d’instance de manière vague et affirmative de la « situation prévalant actuellement au Cameroun ». Outre le fait que cette affirmation est manifestement entachée d’une erreur matérielle en ce qu’elle se réfère au Cameroun au lieu de l’Algérie en tant que pays d’origine du demandeur, il échet encore de constater qu’il s’agit d’une simple affirmation corroborée par aucun élément concret versé à son appui, tels que par exemple des rapports d’organisations internationales, de sorte à mettre la soussignée dans l’impossibilité d’en apprécier la pertinence dans le cadre du présent litige.

En tout dernier lieu, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque dans l’hypothèse où la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, elle n’a pas besoin de la protection internationale.

Dans ce contexte, il y a lieu de souligner qu’une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions – cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal que les autorités algériennes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité d’assurer la protection du demandeur. Bien au contraire, il ressort des explications du demandeur qu’il a pu déposer une plainte auprès de la police contre ses oncles maternels en raison des agressions proférées à son égard et qu’à défaut par lesdits oncles de comparaître au commissariat de police, ils ont été convoqués devant le tribunal. Le seul fait qu’aucune décision de justice ne soit intervenue depuis la convocation au tribunal est insuffisant pour emporter le constat que les autorités algériennes seraient dans l’incapacité de fournir une protection au demandeur au sens de la loi du 18 décembre 2015. Il ressort encore des explications du demandeur que le conflit entre ses oncles maternels et sa mère portant sur leur héritage a été porté en justice et qu’ils sont dans l’attente d’un procès dans ce contexte. Il s’ensuit qu’il n’est manifestement pas établi que le demandeur n’aurait pas pu bénéficier d’une protection des autorités algériennes dans son pays d’origine.

Eu égard aux considérations qui précèdent, la soussignée conclut que le recours de Monsieur (A) dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence sont visiblement dénués de tout fondement.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement infondé.

2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur (A), la soussignée retient, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre du volet du recours visant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par le demandeur ne justifient manifestement pas l’octroi, à l’intéressé, d’un statut de protection internationale, de sorte que c’est à bon droit, que le ministre a refusé de faire droit à la demande afférente du demandeur.

Dès lors, le recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder au demandeur une protection internationale est à rejeter pour être manifestement infondé.

Il s’ensuit que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que c’est partant à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, impliquant qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non refoulement dont le demandeur se prévaut dans ce contexte. Il en va de même en ce qui concerne une éventuelle violation des articles 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte.

Il s’ensuit et à défaut de tout autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier vice-président présidant la cinquième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2025 par la soussignée, Françoise EBERHARD, premier vice-président au tribunal administratif, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52738
Date de la décision : 21/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-21;52738 ?

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