Tribunal administratif N° 52689 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52689 Inscrit le 10 avril 2025 Audience publique du 2 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52689 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 avril 2025 par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Côte d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 3 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 avril 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le président de la quatrième chambre du tribunal administratif entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 avril 2025, Maître Marcel MARIGO s’étant excusé.
En date du 17 octobre 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait irrégulièrement franchi la frontière italienne le 5 juillet 2023, sans avoir introduit, par après, une demande de protection internationale en Italie.
Par courrier ministériel du 17 octobre 2023, Monsieur (A) fut convoqué à un examen médical afin de déterminer son âge, examen qui donna lieu à un bilan d’estimation d’âge établi par le Dr. R.D. en date du 2 novembre 2023, ainsi qu’à l’établissement d’un « Rechtsmedizinisches Gutachten zur Alterschätzung » par le Laboratoire nationale de Santé en date du 7 novembre 2023 retenant que Monsieur (A) était, au moment de l’analyse, âgé d’au moins 25 ans avec une très haute probabilité.
Monsieur (A) fit l’objet d’un deuxième entretien par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, le 15 novembre 2023, afin d’être confronté avec le résultat des examens médicaux effectués afin de déterminer son âge et afin d’exposer son parcours depuis avoir quitté son pays d’origine, ainsi que les motifs de sa fuite.
Par un courrier du 15 décembre 2015, les autorités ministérielles luxembourgeoises adressèrent une demande de prise en charge de Monsieur (A) à leurs homologues italiens sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ». Bien que ladite demande fit l’objet d’une acceptation tacite par les autorités italiennes sur le fondement de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, Monsieur (A) n’avait pas pu être transféré endéans le délai légal vers l’Italie, de sorte que par courrier du 29 août 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps compétent, ci-
après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) de la compétence du Grand-Duché de Luxembourg pour l’examen de sa demande de protection internationale.
Le 13 mars 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 3 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre annula une première décision prise en date du 1er avril 2025 et informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision résuma les faits et rétroactes procéduraux ainsi que les déclarations de Monsieur (A) comme suit :
« (…) Il ressort de votre dossier administratif et plus précisément de la base de données « Eurodac » que vous avez introduit une demande de protection internationale auprès de l'Etat italien le 5 juillet 2023. En date du 15 décembre 2023, les autorités luxembourgeoises ont partant adressé une demande de prise en charge aux autorités italiennes conformément aux dispositions de l'article 13§1 du règlement (UE) n°604/20131.
Etant donné que l'Etat italien n'a pas répondu à ladite demande de la part des autorités luxembourgeoises, et que par conséquent, votre transfert n'a pas pu être exécuté dans les délais légalement prévus, un courrier vous a été notifié le 29 août 2024, afin de vous informer que le Grand-Duché de Luxembourg était devenu responsable de l'examen et du traitement de votre demande de protection internationale en vertu des dispositions de l'article 29 (2) du règlement précité.
Il ressort encore de votre dossier administratif que le 17 octobre 2023, vous vous êtes présenté au Ministère sous le nom de (A), en affirmant être mineur d'âge et être né le … à …, en Côte d'Ivoire. Afin de justifier de votre identité, vous avez présenté un extrait d'acte de naissance certifié comme conforme daté au 17 août 2023. Toutefois, ce document ne comportant aucune photographie vous concernant et ne répondant pas aux critères d'un document officiel et présentant des erreurs tant matérielles que substantielles, l'agent du Service de Police Judiciaire a émis des doutes sur votre minorité, votre apparence physique laissant également aucune ambigüité à ce sujet.
Le même jour, vous vous êtes alors vu remettre une convocation pour le 2 novembre 2023, selon laquelle vous deviez vous présenter à un examen médical dans le cadre d'une procédure médico-légale en vue de la détermination de votre âge.
En date du 7 novembre 2023, à la suite d'un test osseux, votre âge a été estimé à minimum 25 ans.
Confronté à ce résultat par l'agent du Service de Police Judiciaire, vous tentez de vous justifier en affirmant : « Ce n'est pas mon âge. Je n'ai pas vingt-cinq ans. Le test peut dire ce qu'il veut. C'est une machine, elle peut dire ce qu'elle veut. Je n'ai pas 25 ans. J'ai seize ans, comme je vous l'ai dit la première fois » (p.2/2 du rapport du Service de Police judiciaire). Pareil constat s'impose lors de votre entretien individuel sur les motifs sous-
tendant votre demande de protection internationale, au cours duquel l'agent vous a sollicité pour prendre position par rapport aux résultats de votre test osseux, et où vous avez répondu : « (…) je ne connais même pas mon âge » (p.6/10 du rapport d'entretien).
Vous avez été entendu sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale en date du 13 mars 2025.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, vous déclarez être de nationalité ivoirienne, d'ethnie Malinké, de confession musulmane, être né à … et avoir vécu à … avec votre grand frère (p.2/10 du rapport d'entretien).
D'une part, lors de votre audition avec l'officier de la Police judiciaire, vous étayez les raisons motivant l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg, notamment le fait qu'il vous était impossible de poursuivre votre scolarité dans votre pays d'origine. Vous précisez également qu'en raison des circonstances, vous ne souhaiteriez pas devenir un délinquant, une situation à laquelle vous auriez été presque forcé de vous soumettre pour pouvoir survivre, selon vos dires. Par ailleurs, vous invoquez des raisons économiques car vous souhaiteriez travailler au Luxembourg afin de notamment soutenir financièrement votre mère très âgée. Vous mentionnez également avoir toujours souhaité venir au Luxembourg, estimant qu' « (…) il y a moins d'étrangers ici qu'en France (…) » (p.2/2 du rapport du Service de Police Judiciaire).
D'autre part, lors de votre entretien individuel, vous expliquez avoir quitté Abidjan par crainte de subir de nouvelles violences physiques suite à la découverte par votre belle-sœur, de relations intimes que vous auriez eues avec votre nièce, la fille de votre grand frère (p.7/10 du rapport d'entretien). A cet égard, vous ajoutez que « (…) les gens sont sortis sur moi, et ils ont commencé à me tabasser avec du bois, des trucs…et ils voulaient me tuer, donc je pouvais pas rester là-bas » (p.6/10 du rapport d'entretien). Vous complétez cette affirmation par le fait que cet acte est prohibé dans votre religion en soutenant que « Dans l'Islam, ça se fait pas » (p.7/10 du rapport d'entretien).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez seulement un extrait de votre acte de naissance qui vous a été délivré par les autorités ivoiriennes en date du 17 août 2023. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 3 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions précitées du ministre du 3 avril 2025, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait, tout d’abord, valoir que ce serait à tort que le ministre aurait pris sa décision dans le cadre de l'application de la procédure accélérée sur base des points a) et c) de l'article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Ainsi, en ce qui concerne le cas d’ouverture du point c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur donne à considérer que ses déclarations effectuées au sujet de son identité et son âge auraient été faite dans des circonstances de détresse, alors qu’il aurait échappé à la mort tant dans son pays d'origine qu'en traversant la méditerranée, ce traumatisme le rendant incapable de se situer dans le temps et dans l'espace.
Il insiste finalement sur la circonstance d’avoir été de bonne foi au moment de ses déclarations et ne jamais avoir eu l'intention d'induire les autorités ministérielles en erreur.
Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir procédé à une analyse erronée de son récit. Dans ce contexte, il donne à considérer qu’il aurait quitté son pays d’origine contre son gré et renvoie à cet égard au rapport sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale tout en estimant que les faits exposés par lui à cette occasion seraient pertinents, de sorte à échapper à l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015.
Quant au refus du ministre de lui accorder l’un des statuts prévus par la protection internationale, Monsieur (A) réitère, tout d’abord, son argumentation relative à sa bonne foi, en ce qui concerne ses déclarations au sujet de son âge et de son identité, lesquelles devraient être appréciées en prenant en considération les traumatismes vécus dans son pays d’origine matérialisés par des persécutions subies de la part de sa famille en raison de sa relation intime avec sa nièce. Par ailleurs, ses difficultés de trouver un emploi, en cas de retour dans son pays d’origine seraient liées à cet incident familial, de sorte que, contrairement aux conclusions ministérielles, ces deux séries de problèmes ne seraient pas contradictoires mais complémentaires.
Le demandeur reproche encore au ministre d’avoir procédé à une analyse « simpliste et superficielle » de sa situation personnelle, ce qui serait contraire au « principe de minutie », lequel imposerait au ministre de veiller à ce que « les aspects de faits et de droit du dossier » soient dûment pris en compte lors de l’examen d’une demande de protection internationale, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, alors que le ministre n’aurait pas pris en compte les éléments concrets exposés par lui à l’appui de sa demande de protection internationale, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer les décisions déférées.
Quant au refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié en particulier, le demandeur fait valoir que les actes qu’il aurait subis dans son pays d’origine, le demandeur les qualifiant comme étant « d’ordre mentale », devraient être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève » et de la loi du 18 décembre 2015, tout en estimant qu’il risquerait, en cas de retour en Côte d’Ivoire, de subir les mêmes violences et qu’il ne serait « pas impossible » que celles-ci revêtent une gravité suffisante et aboutissent à « une situation irrémédiable » pour lui. Sur base d’un extrait du site internet des services diplomatiques français, le demandeur affirme encore que la situation politique de son pays d’origine serait caractérisée par une violation constante des droits les plus élémentaires de l’Homme. Sur base de ces éléments, le demandeur conclut à la réformation de la décision du ministre lui refusant l’octroi du statut de réfugié.
Quant au refus du ministre de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, Monsieur (A), tout en se référant aux articles 39 et 48, points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, estime remplir les conditions pour pouvoir prétendre audit statut.
Le demandeur conclut finalement encore à la réformation de l’ordre de quitter le territoire émis à son encontre, alors qu’il serait « impossible de procéder à [son] éloignement forcé » vers son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en ces deux volets.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en son triple volet.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé.
En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné relève que la décision ministérielle déférée a été prise sur base des dispositions des points a) et c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-
fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) c) le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) et c) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Le soussigné est dès lors amené à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
S’agissant plus particulièrement du point a) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 et afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :
« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».
Aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves ».
Finalement, l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».
Il suit de ces dispositions légales que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il convient de souligner qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48, précité, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2 g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine, au cas où les auteurs des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, sont des personnes privées sans lien avec l’Etat, ce qui est le cas en l’espèce, dans la mesure où le demandeur déclare être la victime des agissements de sa famille, laquelle aurait commis des actes de violence physique à son égard après avoir découvert sa relation intime avec sa nièce, ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet pas au soussigné de retenir que le demandeur aurait apporté une raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée contre les agissements de sa famille.
Il y a, en effet, lieu de rappeler dans ce cadre que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.
Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.
L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.
En l’espèce, force est toutefois au soussigné de constater que le demandeur n’a pas effectivement recherché l’aide des autorités ivoiriennes. En effet, sur question de l’agent ayant mené son entretien, le demandeur a expliqué par rapport aux agissements subis de la part de sa famille qu’il n’aurait pas déposé de plaintes à l’encontre de cette dernière auprès des forces de l’ordre ivoiriennes, tout en expliquant qu’une telle démarche ne ferait qu’aggraver sa situation à cause de sa relation intime avec sa nièce. Or, le soussigné doit relever que la législation répressive ivoirienne considère la violence à l'encontre d'une personne comme un délit ou un crime punissable, tel que mis, à bon droit, en avant par le ministre, élément qui contredit manifestement les affirmations du demandeur que les autorités ivoiriennes ne seraient pas capables, respectivement disposées à lui offrir une protection contre les agissements de sa famille.
Ainsi le soussigné doit retenir que le demandeur, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, n’a pas fourni des éléments suffisants permettant de conclure que de manière générale, les autorités ivoiriennes seraient impuissantes ou non disposées à lui offrir une protection contre les problèmes dont il fait état dans le cadre de sa demande de protection internationale.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est de rappeler que le soussigné vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire, dans la mesure où il est resté en défaut d’invoquer un quelconque fait concret de nature à pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave, respectivement un quelconque indice qu’il risquerait de faire l’objet de tels actes.
Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre refusant l’octroi de la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu que le recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur (A) est manifestement infondé et qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, ne l’expose dès lors ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, Le premier vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 3 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2025 par le soussigné, Paul Nourissier, premier vice-président présidant la quatrième chambre, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 12