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03/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52597

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 avril 2025, 52597


Tribunal administratif Numéro 52597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52597 Inscrit le 28 mars 2025 Le 3 avril 2025, Marc SÜNNEN, président du tribunal administratif, assisté de Xavier DREBENSTEDT, greffier en chef, a rendu le

JUGEMENT

sur la régularité d’une décision de prolongation de rétention administrative qui suit, au vu du dossier lui soumis :

Vu la requête du ministre des Affaires intérieures réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 27 mars 2025 et enrôlée sous le numéro 52597, tendant à la vérification de la

régularité d’un arrêté du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation du placement en réten...

Tribunal administratif Numéro 52597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52597 Inscrit le 28 mars 2025 Le 3 avril 2025, Marc SÜNNEN, président du tribunal administratif, assisté de Xavier DREBENSTEDT, greffier en chef, a rendu le

JUGEMENT

sur la régularité d’une décision de prolongation de rétention administrative qui suit, au vu du dossier lui soumis :

Vu la requête du ministre des Affaires intérieures réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 27 mars 2025 et enrôlée sous le numéro 52597, tendant à la vérification de la régularité d’un arrêté du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation du placement en rétention administrative de :

Monsieur, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, avisé par télécopie ;

Entendues Maître Naïma EL HANDOUZ pour Monsieur (A), ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries à l’audience publique du 2 avril 2025.

__________________________________________________________________________

Vu les articles 120 (3) et 123 (6) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 novembre 2022 portant refus de la protection temporaire dans le chef de Monsieur (A), confirmée sur recours gracieux, par une décision du 6 février 2023 ;

Vu l’arrêté du 10 novembre 2022 pris par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, à l’encontre de Monsieur (A), déclarant son séjour irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours ;

Vu la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 mars 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, de refuser de faire droit à sa demande de protection internationale et lui ayant ordonné de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 16 mai 2023, inscrit sous le n° 48840 du rôle, rejetant le recours contentieux introduit par Monsieur (A) contre la prédite décision ministérielle du 30 mars 2023 ;

Vu l’arrêté du ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », du 21 novembre 2024, pris à l’encontre de Monsieur (A), lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, à partir de la sortie de l’Espace Schengen ;

1Vu l’arrêté du ministre du 21 novembre 2024 ordonnant le placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu l’arrêté du ministre du 17 décembre 2024 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 21 décembre 2024 ;

Vu l’arrêté du ministre du 20 janvier 2025 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu l’arrêté du ministre 19 février 2025 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu l’arrêté du ministre du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu la requête du ministre tendant à la vérification de la régularité du prédit arrêté du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation du placement en rétention, réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 28 mars 2025, enrôlée sous le numéro 52597 ;

Vu le dossier administratif ;

Vu la convocation émise par le greffe du tribunal administratif le 27 mars 2025 convoquant les parties à l’audience publique du 2 avril 2025, notifiée en mains propres à Monsieur (A) en date du 27 mars 2025 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2025 par Maître Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A).

___________________________________________________________________________

Quant à la recevabilité de la requête :

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2025 et enrôlée sous le numéro 52597, le ministre a saisi le président du tribunal administratif d’une demande tendant à la vérification de la régularité d’un arrêté ordonnant la 4ème prorogation du placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision.

Conformément à l’article 123 (6) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », « Lorsque le ministre décide de prolonger la durée de rétention en vertu de l’article 120, paragraphe (3), alinéa 2, il doit saisir d’office, par requête introduite dans les cinq jours ouvrables de la notification de la décision, le président du Tribunal administratif qui statue d’urgence comme juge du fond et en tout cas dans les dix jours du dépôt de la requête, la personne retenue dûment convoquée par les soins du greffe ».

2Il ressort du dossier administratif et des pièces versées en cause que Monsieur (A) s’est vu notifier en date du 21 mars 2025 un arrêté du ministre daté du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation de son placement en rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision.

La requête, introduite le 28 mars 2025, est partant à déclarer recevable pour avoir été introduite endéans cinq jours ouvrables conformément aux dispositions de l’article 123 (6) de la loi du 29 août 2008.

Quant à la procédure :

Conformément à l’article 121 (1) de la loi du 29 août 2008, « La notification des décisions visées à l’article 120 est effectuée par un membre de la Police grand-ducale qui a la qualité d’officier de police judiciaire. La notification est faite par écrit et contre récépissé, dans la langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés », ladite notification devant faire l’objet, conformément au paragraphe (2) de cette même disposition, d’un procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire qui y a procédé, mentionnant la date de la notification de la décision, la déclaration de la personne retenue qu’elle a été informée de ses droits mentionnés, ainsi que toute autre déclaration qu’elle désire faire acter, la langue dans laquelle la personne retenue fait ses déclarations, ledit procès-verbal devant soit être signé par la personne retenue, soit, en cas de refus de signature, devant mentionner le refus et les motifs du refus.

Conformément à l’article 122 (2) et (3) de la loi du 29 août 2008, « (2) La personne retenue est immédiatement informée, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés, de son droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix. Un téléphone est mis à sa disposition à titre gratuit à cet effet. (3) La personne retenue est immédiatement informée, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés, de son droit de se faire examiner dans les vingt-quatre heures de son placement en rétention, par un médecin et de choisir un avocat à la Cour d’un des barreaux établis au Grand-Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg. Le mineur non accompagné d’un représentant légal se voit désigner, dans les meilleurs délais, un administrateur ad hoc ».

Il ressort du dossier administratif et des pièces versées en cause que la notification opérée en date du 21 mars 2025 l’a été conformément aux prescriptions légales, il se dégage encore du dossier administratif que la personne s’est régulièrement vu rappeler les droits qui lui sont reconnus pendant la période de rétention.

L’article 123 (6) de la loi du 29 août 2008 prévoit que le président s’assure que la personne retenue a été touchée par la convocation.

Il résulte à cet égard des pièces versées en cause que Monsieur (A) s’est bien vu notifier en mains propres la convocation du 27 mars 2025 pour l’audience publique du 2 avril 2025.

3Quant au fond :

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […] l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

4Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de trois conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme1, il faut que l’éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste.

Enfin, en vertu de l’article 120 (3), in fine, de la même loi, si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut encore être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire.

En l’espèce, il résulte des éléments de la cause que la personne retenue se trouve toujours actuellement en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

En effet, comme indiqué ci-avant, par arrêté du 10 novembre 2022 portant décision de retour, le ministre constata que le séjour de la personne retenue sur le territoire luxembourgeois était irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire endéans 30 jours.

Il est constant en cause que cette décision n’a à ce jour pas été énervée et qu’elle doit être considérée comme coulée en autorité de chose décidée.

Il est encore constant en cause que la demande de protection internationale de Monsieur (A) a été refusée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 mars 2023, décision lui ayant encore ordonné de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours, décision coulée en autorité de chose jugée suite au jugement du tribunal administratif du 16 mai 2023, inscrit sous le n° 48840 du rôle, ayant rejeté le recours contentieux introduit par Monsieur (A) contre la prédite décision ministérielle du 30 mars 2023.

Les explications du litismandataire de Monsieur (A) faites à l’audience des plaidoiries, selon lesquelles la personne retenue ne devrait pas être éloignée du territoire compte tenu de sa situation personnelle, et de sa volonté de retourner en Ukraine une fois le conflit actuel terminé, sont dès lors à rejeter pour être inopérantes au vu de l’ordre de quitter le territoire coulé en autorité de chose jugée.

Il est enfin constant en cause que le ministre prit encore en date du 21 novembre 2024 un arrêté à l’encontre de Monsieur (A), lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen Il est encore constant en cause que la personne retenue ne disposait, à la date de la prise de l’arrêté actuellement déféré, toujours pas d’autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’elle ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34 de la loi du 29 août 2008.

1 CourEDH, 25 juin 2019, Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (n° 2), req. n° 10112/16.

5Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111 (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi.

Il s’ensuit que les conditions initiales ayant justifié que le ministre ait placé l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement perdurent actuellement.

En ce qui concerne ensuite les diligences effectuées en vue de l’éloignement de la personne retenue, le soussigné relève, tout d’abord, qu’il est uniquement saisi d’une requête tendant au contrôle d’office de la décision du ministre de proroger une 4ème fois la mesure de rétention de Monsieur (A), de sorte qu’il lui appartient seulement d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire et que les conditions spécifiques à une telle 4ème prorogation, à savoir qu’il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, sont données, le tribunal étant appelé toutefois, le cas échéant, à relever d’office, sur la base des éléments du dossier portés à sa connaissance, tels que complétés ou éclairés lors de la procédure contradictoire devant lui, l’éventuel non-respect d’une condition de légalité qui n’a pas été invoquée par la personne concernée2.

À cette fin, l’autorité judiciaire statuant sur une demande de prolongation de rétention doit être en mesure de prendre en considération tant les éléments de fait et les preuves invoqués par l’autorité administrative ayant ordonné la rétention initiale que toute observation éventuelle du ressortissant concerné d’un pays tiers. En outre, elle doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. Il s’ensuit que les pouvoirs détenus par l’autorité judiciaire dans le cadre d’un contrôle ne peuvent, en aucun cas, être circonscrits aux seuls éléments présentés par l’autorité administrative concernée3.

Les dispositions de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, citées ci-avant, sont à entrevoir, notamment, à l’aune de l’article 15 (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », aux termes duquel « Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres […] la personne concernée est immédiatement remise en liberté ».

Selon la Cour de Justice de l’Union européenne4, l’article 15 (4) de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes (5) et (6) de ce même article correspond à une perspective raisonnable d’éloignement et que cette dernière n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais. Afin de constater que l’État membre concerné a entrepris les efforts raisonnables pour réaliser l’opération d’éloignement et qu’il existe un manque de coopération de la part du ressortissant concerné d’un pays tiers, un examen détaillé des éléments factuels relatifs à l’ensemble de la période de rétention initiale est nécessaire.

2 CJUE, grande chambre, 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid contre C. et X., C-704/20 et C-39/21.

3 CJUE 5 juin 2014, Bashir Mohamed Ali Mahd, C-146/14 PPU, points 62 et 64.

4 CJUE, grande chambre, 30 novembre 2009, Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov), C-357/09 PPU.

6Il résulte, à cet égard, du dossier administratif, que par courrier du 9 décembre 2024, les autorités ministérielles luxembourgeoises ont contacté le Consulat Général de Tunisie à Bruxelles en vue de l’identification de Monsieur (A) en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans son chef, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales, deux photos d’identité, ainsi qu’une copie du passeport du concerné. Il ressort ensuite du dossier administratif que par la suite, les services ministériels ont régulièrement contacté les autorités consulaires tunisiennes afin de s’enquérir de l’état d’avancement du dossier de Monsieur (A), à savoir par courriers des 2, 16 et 30 janvier, 13 et 27 février ainsi que le 6 et 19 mars 2025. Il ressort encore d’une note au dossier administratif que lors d’un entretien téléphonique en date du 18 mars 2025 avec le consulat général de Tunisie, que celui-ci aurait informé les autorités luxembourgeoises que le dossier de Monsieur (A) serait toujours en cours d’instruction.

Conformément au considérant 16 de la directive 2008/115, « Le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».

Or, le principe de proportionnalité exige que la rétention d’une personne contre laquelle une procédure d’éloignement est en cours ne se prolonge pas pendant un laps de temps déraisonnable, c’est-à-dire n’excède pas le délai nécessaire pour atteindre le but poursuivi5 .

Au vu de cet impératif, les autorités compétentes doivent, pendant toute la période de rétention, activement et de manière continue et non-interrompue poursuivre les démarches afin d’obtenir, de la part des autorités diplomatiques compétentes, la délivrance de documents de voyage et elles sont tenues de négocier l’admission de la personne retenue dans son pays d’origine dans les meilleurs délais6 : même dans l’hypothèse où les faits indiquent un retard pour obtenir les documents nécessaires de la part du pays tiers, un Etat membre est tenu de poursuivre activement et de manière continue et non-interrompue ses efforts en vue de l’exécution de l’opération d’éloignement7, étant rappelé que toute rétention d’un ressortissant d’un pays tiers constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté, consacré à l’article 6 de la Charte des droits des droits fondamentaux de l’Union européenne 8.

Si les autorités compétentes n’ont certes pas de mainmise sur les autorités de pays tiers saisies de demandes de délivrance de documents de voyage et qu’elles sont tributaires de la collaboration desdites autorités, la personne retenue ne doit pas non plus pâtir d’un défaut total de collaboration des autorités compétentes du pays d’origine mettant à néant toute perspective d’une exécution de la mesure d’éloignement : l’incertitude et l’impuissance n’étant pas conciliables avec la privation de liberté, un étranger ne peut être placé et maintenu en rétention que si son éloignement forcé demeure une perspective raisonnable.

Il convient par ailleurs, à titre surabondant, de rappeler qu’une mesure de prorogation en tout état de cause, ne saurait, conformément à l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

5 Voir Cour EDH, grande chambre, 29 janvier 2008, Saadi c. Royaume-Uni, no 13229/03, § 74.

6 Prise de position de l’avocat général M. Maciej SZPUNAR, affaire C-146/14 PPU, présentée le 14 mai 2014.

7 CJUE, 5 juin 2014, Mahdi c. Bulgarie, C 146/14 PPU.

8 CJUE, grande chambre, 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid contre C. et X., C 704/20 et C 39/21, point 72.

7Aussi, lorsque le ministre entend solliciter une énième prorogation de la rétention d’un ressortissant étranger au motif que les autorités consulaires n’ont pas encore délivré de laisser-

passer, il doit non seulement justifier de ses relances auprès de ces autorités, mais il doit encore justifier que la délivrance du laissez-passer consulaire interviendra vraisemblablement à bref délai9. En effet, dès lors qu’elle est privative de liberté, le placement en rétention administrative et sa prolongation ne se conçoivent que dans la mesure où il existe des perspectives raisonnables de départ de l’étranger vers le pays dont il a la nationalité ou qui lui a délivré un titre de voyage en cours de validité, ou encore tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible. Pour le dire autrement, c’est parce que, eu égard aux circonstances de fait et éventuellement de droit, l’administration pense pouvoir exécuter dans des délais raisonnables la mesure d’éloignement qu’elle peut envisager la rétention administrative.

Le soussigné constate toutefois d’un autre côté que la prorogation sous analyse s’inscrit toutefois précisément dans les hypothèses prévues à l’article 120, paragraphe (3), in fine, de la même loi, à savoir lorsque « malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires », tandis la possibilité de retenir l’intéressé expirera définitivement seulement le 21 mai 2025, de sorte qu’un délai à première vue suffisant en vue de l’identifier et d’exécuter son éloignement vers son pays d’origine avant cette date subsiste à ce jour.

S’il est certes constant qu’entre le 21 novembre 2024 et la date du présent jugement, les autorités tunisiennes n’ont toujours pas reconnu Monsieur (A) alors qu’elles étaient saisies par l’autorité ministérielle depuis le 9 décembre 2024, il ne peut toutefois être jugé à ce jour qu’elles s’abstiendront de répondre à la demande d’identification et de délivrance de laissez-

passer formée le 9 décembre 2024 d’ici le 21 mai 2025, la procédure d’identification étant, selon les autorités consulaires tunisiennes, toujours en cours, étant encore relevé à cet égard qu’il ressort d’un document intitulé « Retours forcés réalisés » figurant au dossier administratif que 3 retours forcés en Tunisie ont déjà pu être exécutés par les autorités luxembourgeoises depuis le début de l’année 2025.

Il échet dans ce contexte encore de rappeler que la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure d’éloignement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une mesure de rétention10 mais il suffit qu’il existe une perspective raisonnable que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés par la loi, puisqu’il appartient au tribunal d’apprécier concrètement au regard des données de chaque situation à la date où il statue, si la mesure de rétention et sa poursuite sont justifiées par des perspectives raisonnables de mise à exécution de la mesure d’éloignement, étant précisé que ces perspectives doivent s’entendre comme celles qui peuvent être réalisées dans le délai maximal de rétention applicable à l’intéressé.

Le soussigné ne constate à cet égard à ce jour pas de défaut total de collaboration des autorités consulaires tunisiennes, défaut qui mettrait effectivement à néant toute perspective d’une exécution de la mesure d’éloignement, mais que celles-ci semblent au contraire coopérer à l’identification de Monsieur (A), le seul retard, à ce jour, dans la délivrance d’un laissez-

passer, ne signifiant pas que ces démarches seraient à ce jour vouées à l’échec, les autorités consulaires étant d’ailleurs tenues par le droit international de réadmettre leurs ressortissants.

9 Trib. adm. 9 février 2024, n° 50026.

10 Trib. adm. 6 septembre 2007, n° 23392 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 877 et l’autre référence y citée.

8Il ne saurait en effet être retenu que la seule absence à ce jour de réponse positive à une demande de délivrance d’un laissez-passer - étant constant en cause que les autorités tunisiennes œuvrent actuellement en ce sens - constitue ipso facto un obstacle à l’exécution de la mesure d’éloignement insusceptible d’être surmonté durant le temps de la rétention ; or, comme retenu ci-avant, la possibilité de retenir l’intéressé expirera définitivement seulement le 21 mai 2025, de sorte qu’un délai à première vue suffisant en vue d’exécuter l’éloignement de celui-ci vers la Tunisie avant cette date subsiste, le soussigné ne s’étant pas vu soumettre d’éléments concrets susceptibles d’énerver ce constat.

Si le litismandataire de la personne retenue a certes critiqué l’attitude des autorités ministérielles luxembourgeoises, consistant selon lui à adresser épisodiquement au consulat de Tunisie le même courrier de relance, ce qui constituerait selon lui des démarches insuffisantes, et qu’il a estimé qu’au vu de l’absence concrète de réponse de la part des autorités consulaires tunisiennes, il n’y aurait pas de perspective réaliste, il convient toutefois de rappeler que les autorités luxembourgeoises n’ont pas de mainmise sur les autorités de pays tiers saisies de demandes de délivrance de documents de voyage, et en particulier pas de mainmise sur les processus administratifs d’identification propres à ces pays, et qu’elles sont tributaires de la collaboration et de la bonne volonté desdites autorités, de sorte que lorsque celles-ci, comme en l’espèce, font preuve de collaboration, les services ministériels ne sauraient incessamment les relancer sous peine de heurter les limites des convenances et usages diplomatiques.

Il convient ensuite de rappeler qu’un délai à première vue suffisant en vue d’exécuter l’éloignement de la personne retenue vers la Tunisie avant le 21 mai 2025 subsiste.

Dès lors, l’absence totale de perspectives d’éloignement de Monsieur (A) à destination de la Tunisie durant la période restante de rétention, telle qu’alléguée, n’est en l’espèce et à ce jour pas justifié par un élément objectif concret.

Au vu de l’ensemble de ces éléments et compte tenu de ces circonstances spécifiques du cas sous examen, le soussigné est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, dans les circonstances de l’espèce, comme encore suffisantes, à charge pour les autorités ministérielles de poursuivre, activement et de manière continue et non-interrompue leurs efforts auprès des autorités consulaires tunisiennes, de manière que dans ces conditions la nécessité requise au sens de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention reste vérifiée en l’espèce.

Concernant finalement la possibilité d’application de mesures moins coercitives, les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1), à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125 (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

9L’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3), de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes propres à prévenir le risque de fuite.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que les raisons avancées par la partie étatique pour justifier le recours à la mesure de rétention plus particulièrement en raison d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur (A) résident dans l’absence dans son chef de tout document d’identité et de voyage valables et dans le défaut de celui-ci de pouvoir justifier d’une adresse légale au Luxembourg.

Or, en l’espèce, Monsieur (A) ne possède toujours aucun document d’identité et de voyage valables, propres à être remis aux services ministériels, tout comme il ne justifie toujours pas d’une adresse fixe et stable à laquelle il pourrait être considéré comme étant à la disposition des autorités luxembourgeoises pour les besoins de son éloignement et il n’a pas non plus présenté un quelconque autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes s’impose, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions préalables afin de bénéficier d’une mesure moins coercitive.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention de Monsieur (A) est à confirmer.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

déclare recevable la requête du ministre des Affaires intérieures tendant à la vérification de la régularité de la décision de prolongation de la rétention administrative ;

quant au fond, confirme l’arrêté ministériel du 19 mars 2025 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention de Monsieur (A).

Ainsi jugé et prononcé au tribunal administratif, date qu’en tête.

s.Xavier DREBENSTEDT s.Marc SÜNNEN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52597
Date de la décision : 03/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-03;52597 ?

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