Tribunal administratif N° 52467 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52467 5e chambre Inscrit le 4 mars 2025 Audience publique extraordinaire du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52467 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2025 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, assisté de Maître Elena FROLOVA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Arménie) et être de nationalité arménienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 17 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY et Maître Elena FROLOVA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2025.
Il ressort d’un rapport de la Police grand-ducale, …, du 6 décembre 2024, qu’en date du même jour Monsieur (A) fut interpellé dans un magasin au quartier … alors qu’il y était en train de faire du grabuge.
Par arrêté du même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », a déclaré irrégulier le séjour de Monsieur (A) au Luxembourg, tout en prononçant un ordre de quitter le territoire sans délai ainsi qu’une interdiction d’entrée et de séjour pour une durée de cinq années dans le chef du requérant.
Par arrêté séparé du même jour, le ministre a ordonné le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention en vue de son éloignement vers son pays d’origine, sur base des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après la « loi du 29 août 2008 », décision qui fut par la suite prolongée pour la durée d’un mois par décision ministérielle du 6 janvier 2025.
Il ressort des informations recueillies par les autorités ministérielles à l’époque auprès du Centre de Coopération Policière et Douanière du Luxembourg, désigné ci-après par « le CCPD », que Monsieur (A) est entré une première fois en Allemagne le … janvier 1994, qu’il y a introduit une demande de protection internationale laquelle a été refusée le … août 2018. Il ressort encore du dossier administratif que Monsieur (A) a introduit une seconde demande de protection internationale en Allemagne en date du … novembre 2018, laquelle a encore été refusée le … septembre 2021. Enfin, Monsieur (A) est entré de nouveau en Allemagne le … septembre 2024 et y a introduit une demande de protection internationale, laquelle a été déclarée irrecevable par décision de décembre 2024 au motif qu’il séjournait à l’époque au Luxembourg.
Par courrier électronique du 23 janvier 2025, le litismandataire de Monsieur (A) a informé le ministre du souhait de son mandant de vouloir « déposer maintenant une demande de protection internationale ».
Le 28 janvier 2025, Monsieur (A), introduisit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 » Par arrêté du même jour le ministre ordonna la mainlevée de la prolongation de la décision de placement au Centre de rétention et ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur (A) pour une durée maximale de trois mois à partir du 28 janvier 2025, sur base de l’article 22 (2) b) et c) de la loi du 18 décembre 2015.
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Les 6 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 février 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a), g) et h) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :
« (…) Vous déclarez être de nationalité arménienne, célibataire et originaire …, où vous auriez vécu seul entre 2022 et 2024. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez d’être tué en Arménie.
Vous ignoreriez qui voudrait vous tuer mais vous précisez qu’une semaine avant votre départ d’Arménie, une copine vous aurait mis en garde que vous feriez mieux de partir alors que quelqu’un voudrait vous tuer, sans être en mesure de vous donner plus d’informations.
Vous précisez encore que vous auriez eu des problèmes avec des gens en Arménie précédant votre arrivée en Allemagne en 2018 mais que vous n’y auriez plus connu de soucis lors de votre dernier séjour chez vous. Concernant ces problèmes anciens, vous dites avoir travaillé dans … à …, notamment fréquentée par des enfants de parlementaires ou le fils de l’ancien Président de l’Arménie, …. Un jour, ces jeunes auraient été impliqués dans une bagarre 2 au sein de la discothèque à laquelle vous auriez également pris part. Vous auriez ensuite été menacé et, un jour, des personnes inconnues auraient tenté de vous écraser avec une voiture équipée d’une plaque d’immatriculation du gouvernement. Vous supposeriez que lesdits jeunes auraient voulu se venger de vous. Vous auriez alors décidé de quitter l’Arménie et précisez avoir déjà fait part de ces soucis aux autorités allemandes dans le cadre de votre demande de protection internationale introduite en 2018.
En 2024, vous auriez à nouveau et officiellement quitté l’Arménie en voiture à destination de l’Union européenne. Vous ne sauriez pas quels pays vous auriez traversé avant votre arrivée en Allemagne. Vous ajoutez toutefois avoir aussi vécu en Italie à un moment donné, « In Italien habe ich einfach so gelebt. (…) Zuerst war ich dort legal angemeldet und alles war geregelt. Ich wollte dort offizielle Dokumente erhalten, aber es hat nicht geklappt. Dann war ich eine Zeit lang auf illegale Weise dort ».
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez pas de documents. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 17 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 17 février 2025, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en insistant sur le fait qu’après avoir fui son pays d’origine, l’Arménie, une première fois en 2018, à destination de l’Allemagne, il y aurait introduit une demande de protection internationale, laquelle aurait été rejetée en 2020.
Il reproche au ministre d’avoir rejeté sa demande de protection internationale sur base des points a), g), et h) de l’article 27(1) de la loi du 18 décembre 2015 sans même tenir compte de son état de faiblesse et de détresse morale lesquels seraient la conséquence de persécutions ou de mauvais traitements subis dans son pays d’origine sans avoir pu bénéficier de la moindre protection des autorités. Le demandeur conteste l’applicabilité en l’espèce des points a), g), et h) de l’article 27(1) de la loi du 18 décembre 2015.
Concernant plus particulièrement l’article 27 (1) point a) de la loi du 18 décembre 2015 le demandeur fait valoir qu’il ne serait pas applicable alors que le départ de son pays d’origine aurait été motivé par la crainte pour sa vie ainsi que par la crainte d’être persécuté par les autorités arméniennes en raison du manque de sécurité, respectivement en raison du défaut de protection, tout en estimant que ces faits soulèveraient des questions pertinentes, contrairement aux conclusions du ministre, et ne rentreraient pas dans le champ d’application des dispositions visées à l’article 27 (1) point a) de la loi de 2015.
Le demandeur fait encore valoir qu’il aurait subi une crainte fondée d’être « persécuté » dans son pays d’origine au sens de l’article 1er, section 1, paragraphe (2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après dénommée par « la Convention de Genève », ainsi que des articles 41 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, respectivement une crainte d’être victime de traitements inhumains et dégradants. Il estime avoir précisé en détail, les violences, les intimidations, les menaces et mauvais traitements qu’il aurait subis dans son pays d’origine.
Selon le demandeur l’appréciation du ministre aurait été erronée et superficielle. Il précise qu’une voiture aurait tenté de l’écraser, et qu’il pourrait de nouveau être victime de tels actes en cas de retour en Arménie.
Le demandeur reproche encore au ministre d’avoir violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », ainsi que les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH ». Selon le demandeur, un renvoi dans son pays d’origine l’exposerait à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir tenu compte, en violation de l’article 37(3) de la loi du 18 décembre 2015 de certains éléments. Ainsi, l’efficacité du système judiciaire resterait préoccupante en Arménie et la durée jusqu’au prononcé d’un jugement serait trop longue et resterait de ce fait une source de préoccupation. Par ailleurs, le droit à un procès équitable ne serait pas respecté en Arménie et même les avocats auraient « signalé avoir été victimes, dans le cadre de l’exercice de leur profession, de harcèlement et de mauvais traitements lors de visites à leurs clients dans des centres de détention gérés par la police » selon un rapport de l’organisation Amnesty International de l’année 2023/2024. Le demandeur conclut qu’il n’aurait eu aucune possibilité de recours contre des membres « de la diaspora politique arménienne », puisque « l’ensemble de la classe politique arménienne [serait] corrompue ».
Le demandeur argumente encore qu’en Arménie la mise en œuvre de la législation relative aux droits de l’homme ainsi que la supervision et la coordination des mécanismes de protection des droits de l’homme existants resteraient un défi surtout en raison du manque de ressources humaines, financières, administratives nécessaires et du manque de volonté politique.
Il insiste sur le fait que « l’administration judiciaire » ne fonctionnerait pas, et qu’il aurait été obligé de fuir son pays d’origine puisqu’il n’aurait pas pu demander de protection aux autorités arméniennes qui seraient « défaillantes, et voir plus que conciliantes avec ses agresseurs du milieu politique ».
Le requérant estime, enfin, avoir valablement fait état d’une crainte fondée de persécutions conformément aux exigences de la Convention de Genève et qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle déférée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que la décision ministérielle déférée a été prise sur base des dispositions des points a), g) et h) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels :
« (…) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) g) le demandeur ne présente une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement ; ou h) le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans 5 motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités ou n’a pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27(1) sous a), g) et h) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit que le demandeur n’a présenté une demande de protection international dans le seul but de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision qui entraînerait son éloignement, soit, s’il est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire, sans motif valable, et sans présenter une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27(1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Concernant plus particulièrement le point a) de l’article 27(1) précité et afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la 6 protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
En l’espèce, la soussignée constate qu’il ressort des déclarations du demandeur telles qu’actées au rapport d’audition qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, il invoque une crainte d’être tué dans son pays d’origine, sans pour autant pouvoir fournir des précisions sur les éventuels persécuteurs ni sur les motifs de ces derniers. Il se limite à expliquer qu’une amie l’aurait averti qu’on voulait le tuer (« dass man mich umbringen möchte ») et qu’il devrait quitter le pays (« dass ich das Land verlassen soll »).
Il s’ensuit que les affirmations du demandeur constituent de simples allégations corroborées par aucun élément concret et que les craintes invoquées sont simplement hypothétiques. De surplus, à défaut de précisions par le demandeur, le risque de persécution invoqué par lui n’est motivé par aucun des critères de fond définis par l’article 2 f) précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. La crainte invoquée n’est, dès lors, manifestement pas de nature à justifier l’octroi, à Monsieur (A), d’un statut de réfugié.
Si, dans sa requête introductive d’instance, le demandeur tente de lier l’appel téléphonique de l’amie l’ayant prévenu de ce qu’« on » voulait le tuer, à un incident ayant eu lieu en 2018 dans son pays d’origine, - lors duquel il aurait été en sa qualité d’agent de sécurité travaillant pour …, impliqué dans une bagarre avec le fils du président de l’Arménie, et que par la suite une voiture avec une plaque d’immatriculation du gouvernement aurait tenté de l’écraser - l’argumentation afférente est cependant à écarter, pour être en contradiction avec les déclarations du demandeur telles qu’actées au rapport d’audition. Il ressort en effet dudit rapport d’audition qu’interrogé sur un éventuel lien entre les faits de 2018 et sa crainte actuellement invoquée, le demandeur a répondu qu’un tel lien pourrait exister mais qu’il ne le savait tout simplement pas (« Es könnte sein, ich dachte es mir auch, aber ich weiẞ es einfach nicht »), de sorte qu’un tel lien ne ressort d’aucun élément du dossier.
Au-delà des considérations qui précèdent, la soussignée constate qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à son appréciation qu’à l’heure actuelle, soit approximativement 7 ans après l’incident que le demandeur affirme avoir subi en 2018, l’intéressé courrait un risque réel de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves en relation avec lesdits faits. Bien au contraire, le demandeur a lui-même affirmé avoir vécu sans avoir rencontré un quelconque problème en Arménie entre 2022 et 2024, soit durant une période de deux ans.
Enfin, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
En l’espèce, la soussignée constate qu’il ne ressort pas des déclarations du demandeur qu’il remplit la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire à savoir celle consistant en la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
La soussignée précise dans ce contexte qu’une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion . Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
En l’espèce, il ressort du rapport de l’audition du demandeur que ce dernier a explicitement admis ne pas avoir porté plainte ou sollicité une protection auprès des autorités de son pays, sans pour autant expliquer les raisons de ce défaut et sans fournir d’éléments probants, tel qu’un rapport d’une organisation internationale, dont il se dégagerait à suffisance que le système policier et judiciaire arménien serait défaillant à tel point que les victimes d’infractions pénales ne pourraient raisonnablement espérer obtenir une protection étatique suffisamment efficace, étant précisé à cet égard que le « Rapport Amnesty International 2023/2024 » auquel le demandeur se réfère pour affirmer que des avocats auraient « signalé avoir été victimes, dans le cadre de l’exercice de leur profession, de harcèlement et de mauvais traitements lors de visites à leurs clients dans des centres de détention gérés par la police », témoigne certes de certains problèmes dans le système policier, mais ne fait pas ressortir de manière générale que des victimes d’infractions ne pourraient pas bénéficier d’une protection en Arménie. Il convient encore de rappeler, dans ce contexte, que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répressiondes actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Eu égard aux considérations qui précèdent, la soussignée conclut que le recours de Monsieur (A) dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement infondé.
2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur (A), la soussignée retient, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre du volet du recours visant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par le demandeur ne justifient manifestement pas l’octroi, à l’intéressé, d’un statut de protection internationale, de sorte que c’est à bon droit, que le ministre a refusé de faire droit à la demande afférente du demandeur.
Dès lors, le recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder au demandeur une protection internationale est à rejeter pour être manifestement infondé.
Il s’ensuit que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire En ce qui concerne le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, la soussignée relève qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier vice-président présidant la cinquième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 31 mars 2025 par la soussignée, Françoise EBERHARD, premier vice-président au tribunal administratif, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 10