Tribunal administratif N° 52480R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52480R Inscrit le 5 mars 2025 Audience publique du 14 mars 2025 Requête en instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par la société à responsabilité limitée (AA), …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière d’agrément
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 52480 du rôle et déposée le 5 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Brice OLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA), établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’obtention du sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 14 février 2025 portant révocation de l’agrément de cours de langues luxembourgeoises du 22 octobre 2020 avec effet au 15 mars 2025, sinon à l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à cette même décisions consistant à lui permettre « de continuer à dispenser les formations en e-learning jusqu’à ce que le tribunal administratif ait pu statuer sur le fond du litige, respectivement jusqu’à la fin de validité de l’agrément le 22 octobre 2025 », un recours en annulation sinon en réformation contre la même décision, inscrit sous le numéro 52479 du rôle ayant été introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Maître Brice OLINGER ainsi que Madame le délégué du gouvernement Patricia SONDHI entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2025.
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En date des 7 septembre et 22 octobre 2020, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par le « ministre », accorda deux agréments à la société à responsabilité limitée (AA), ci-après désignée par « la société (AA) », comme organisateur de cours de langue luxembourgeoise en vue de l’obtention de la nationalité luxembourgeoise sur base de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, ci-après désignée par « la loi du 8 mars 2017 ».
Par courrier du 18 novembre 2024, le ministre informa la société (AA) de son intention de procéder à la révocation de ses agréments de programmes de cours de langue luxembourgeoise, ledit courrier est libellé comme suit :
1 « […] Après que le Service de la formation des adultes (ci-dessous « SFA ») s’est rendu compte que les formations de cours de langue luxembourgeoise dispensées par votre société sont proposées sous un nouveau format « e-learning », une entrevue a eu lieu en date du 19 juillet 2024 dans les locaux du SFA. Cette entrevue a eu lieu entre Monsieur (A), directeur de ETIC, Monsieur …, directeur du SFA, Madame …, directrice adjointe du SFA, Monsieur …, coordinateur de projets au sein du SFA, Madame …, gestionnaire des cours Vivre Ensemble/Nationalité au sein du SFA et Monsieur …, juriste du Service de la formation professionnelle.
Durant cette entrevue, Monsieur (A) a fait une présentation du contenu des cours dispensés sous formation « e-learning ». En effet, Monsieur (A) s’est efforcé à démontrer que les cours respectent les mêmes niveaux de qualité qu’un cours en présentiel. De même, Monsieur (A) a assuré que le SFA profitera d’un accès au portail de ETIC pour analyser les contenus du cours afin de faire une évaluation de la qualité des vidéos enregistrées.
Malheureusement, cet accès n’a pas encore été mis en place et les constats suivants ont été faits par le SFA:
- Les cours dispensés ne respectent pas les exigences de qualité en vertu desquelles les deux agréments ont été délivrés ;
- Dans le cadre de la délivrance d’un agrément pour un programme de cours de langue luxembourgeoise, le prestataire s’engage à signaler tout changement du programme de formation au SFA. Toutefois, le SFA n’a pas été averti du changement des cours initialement proposés et décrits dans la demande en vue de l’octroi de l’agrément ;
- Durant les cours, il n’y a aucune interaction entre le formateur et la personne qui suit les cours ; Malgré la mise en place d’une double authentification afin de pouvoir obtenir un certificat de participation et malgré l’impossibilité de faire avancer ou d’accélérer les vidéos, il n’y aucune possibilité de vérifier si le participant a effectivement participé en personne à la formation.
Ainsi, en absence d’un contrôle effectif et en absence d’une interaction avec le formateur, la plus-value de la formation est fortement remise en question. Par conséquent, il est douteux, voire à nier que le suivi de ce format des cours remplisse les conditions légales en place en vue de l’octroi de la nationalité luxembourgeoise.
Afin d’éviter que le format de votre cours n’ait des répercussions négatives sur la qualité des formations de langue luxembourgeoise dispensées en vue de l’octroi de la nationalité luxembourgeoise, je vous fais part de mon intention de procéder à la révocation de vos deux agréments datant respectivement du 7 septembre 2020 et du 22 octobre 2020.
Finalement, je tiens à vous informer du fait qu’en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, vous disposez d’un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne. Dans ce dernier cas, je vous prie de bien vouloir contacter le SFA […] en vue de la fixation d’une date pour cet entretien.
2De même, conformément à l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, vous avez le droit de vous faire accompagner et assister par un avocat ou par un conseil technique. […] ».
Par courrier du 29 novembre 2024, la société (AA) fit parvenir ses observations au ministre tout en demandant d’être entendue en personne.
En date du 19 décembre 2024, une entrevue eut lieu avec la société (AA) auprès du Service de la formation des adultes du ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par le « Service de la formation des adultes ».
Par décision du 14 février 2025, le ministre révoqua l’agrément de programmes de cours de langue luxembourgeoise de la société (AA) du 7 septembre 2020.
Par décision du 14 février 2025, le ministre révoqua également l’agrément de programmes de cours de langue luxembourgeoise de la société (AA) du 22 octobre 2020, ladite décision est libellée comme suit :
« […] Par la présente, je reviens vers vous suite à mon courrier du 18 novembre 2024 par lequel je vous ai informé de mon intention de procéder à la révocation de vos deux agréments datant respectivement du 7 septembre 2020 et du 22 octobre 2020.
En date du 29 novembre 2024, vous m’avez adressé un courrier dans lequel vous avez indiqué votre souhait d’être entendu en personne conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes.
Suite à votre lettre, une réunion a été organisée le 19 décembre 2024 dans laquelle vous avez énoncé vos observations. Dans le cadre de cette réunion, vous avez été invité à fournir par écrit des propositions en vue d’une amélioration du format des cours proposés et des mesures à entreprendre pour vous conformer aux agréments susmentionnés.
Puis, en date du 13 janvier 2025, vous m’avez adressé un courrier avec des propositions d’amélioration de la qualité et des contenus des cours proposés par votre société.
Toutefois, suite à une analyse de votre courrier et de vos propositions, je suis au regret de vous informer que j’ai pris la décision de révoquer votre agrément de cours de langue luxembourgeoise du 22 octobre 2020 pour les motifs énoncés dans ma lettre du 18 novembre 2024. La révocation produit ses effets à partir du 15 mars 2025 afin de permettre aux personnes actuellement inscrites de suivre leurs formations à terme. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 mars 2025, inscrite sous le numéro 52479 du rôle, la société (AA) a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du ministre du 14 février 2025 lui révoquant l’agrément de programmes de cours de langue luxembourgeoise du 22 octobre 2020, précitée, et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 52480 du rôle, elle a encore introduit un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde consistant à lui permettre « de continuer à dispenser les formations en e-learning jusqu’à ce que le tribunal administratif ait pu statuer sur le fond du litige, respectivement jusqu’à la fin de validité de l’agrément le 22 octobre 2025 » par rapport à la même décision.
3 A l’appui de son recours, la requérante fait tout d’abord valoir que la décision ministérielle lui causerait un préjudice grave et définitif dans la mesure où la révocation de l’agrément du 22 octobre 2020 ne lui permettrait plus d’amortir ses investissements, de sorte qu’elle tomberait inévitablement en faillite. Elle précise à cet égard qu’au cours de l’année 2024, 56,41 % de son chiffre d’affaires aurait été composé des cours en e-learning, qui aurait augmenté à 67,76 % pour les deux premiers mois de l’année 2025, ce qui équivaudrait à un montant de … euros par rapport au chiffre d’affaires total de … euros. Elle aurait encore procédé à des investissements significatifs pour pouvoir proposer son cours par voie d’e-
learning sur la plateforme « Moodle », lesquels se seraient élevés à … euros en 2024 et à … euros pour les deux premiers mois de l’année 2025.
Elle ajoute que le préavis de révocation d’un mois serait encore incompatible avec les cours dispensés dans la mesure où les étudiants inscrits disposeraient de six mois à compter de leur inscription pour terminer leur formation. En cas de révocation de l’agrément du 22 octobre 2020, il serait dès lors inévitable que de nombreux étudiants ne pourraient pas terminer leur formation, de sorte qu’ils devraient être remboursés de leur frais d’inscription, ce qui lui causerait un préjudice supplémentaire inévitable de nature à accélérer sa faillite.
La requérante conclut encore au caractère sérieux des moyens invoqués au fond, lesquels seraient de nature à entraîner l’annulation sinon la réformation de la décision litigieuse.
A cet égard, elle fait tout d’abord valoir que ni la loi du 8 mars 2017 ni l’annexe B de la demande d’agrément, prévoyant certaines conditions à respecter, n’interdiraient de tenir les cours de langue luxembourgeoise en ligne sous le format d’e-learning. De même, aucune disposition légale ne prévoirait que le changement de format des cours (présentiel vers e-learning) devrait être signalé au Service de la formation des adultes alors que le programme de cours n’aurait pas changé. Il n’aurait pas non plus été prévu d’informer le ministre si les cours sont donnés en présentiel ou via e-learning dans la cadre de sa demande d’agrément, la requérante soulignant dans ce contexte que la seule différence par rapport à la période antérieure à mai 2024 consisterait à ce que les cours ne seraient plus donnés en présentiel mais sous le format d’e-learning via la plateforme « Moodle », laquelle serait utilisée par de nombreuses universités et lycées. La décision de révocation du 14 février 2025 devrait dès lors être annulée en ce qu’elle soumettrait le maintien de l’agrément du 22 octobre 2020 à une condition non prévue par la loi, ni par la demande d’agrément.
En second lieu, la requérante se prévaut d’un défaut de motivation dans le chef du ministre, en ce que la décision de révocation du 14 février 2025 n’expliquerait pas en quoi ses propositions adressées au ministre en date du 13 janvier 2025 n’auraient pas été suffisantes pour garantir la qualité de la formation, et n’énoncerait ainsi aucun motif de nature à expliquer la décision litigieuse.
Dans ce contexte, et si le ministre lui reprochait que les cours dispensés ne respecteraient pas les exigences de qualité en vertu desquelles l’agrément a été accordé, la requérante donne à considérer que le programme des cours, ainsi que les cours en tant que tels, n’auraient pas été modifiés et que seul le format de communication des cours aux étudiants aurait changé, dans la mesure où les cours donnés via e-learning seraient des enregistrements des cours qui auraient été tenus en présentiel et que pour les besoins de l’enseignement via e-
learning, des plages de silence auraient été introduites afin de laisser le temps aux étudiants de faire les exercices pendant le cours, c’est-à-dire de répéter les mots énoncés par l’enseignant.
4 Si un défaut de signalement d’un changement du programme de formation lui était reproché, la requérante souligne qu’aucune disposition légale ne prévoirait un signalement du changement du format d’enseignement.
Si un défaut d’interaction entre le formateur et l’étudiant lui était reproché, la requérante explique qu’une interaction entre le formateur et l’étudiant ne serait pas absolument nécessaire dans le cadre du cours en question, lequel serait uniquement destiné à initier les étudiants à la langue luxembourgeoise en expression orale et en compréhension de l’oral, tout en soulignant qu’un bon nombre de professeurs d’université ne permettraient pas aux étudiants de poser des questions pendant les cours pour les autoriser uniquement à la fin du cours. Par ailleurs, elle aurait, dans son courrier du 13 janvier 2025, proposé plusieurs solutions au ministre pour améliorer l’interaction entre le formateur et l’étudiant dans les cours d’e-learning, propositions, qui n’auraient pas été prises en compte par le ministre dans la décision litigieuse.
Si le ministre reprochait au système mis en place par ses soins qu’il n’y aurait aucune possibilité de vérifier si l’étudiant aurait effectivement participé en personne à la formation, la requérante explique que la plateforme « Moodle » disposerait d’un système intégré performant qui analyserait si l’étudiant suit effectivement le cours ou non. Ce système d’analyse se ferait par des « logs » très poussés toutes les 5 secondes, au cours desquels, le système contrôlerait par exemple si l’étudiant se trouve sur la bonne page, si l’écran n’est pas en mode veille ou encore si l’étudiant visualise un document ou la vidéo selon les nécessités du cours. Au terme de son analyse, la plateforme conclurait si l’étudiant a effectivement suivi le cours et si le module est validé.
Elle conclut dès lors à l’annulation de la décision litigieuse par les juges du fond pour défaut de motivation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il conteste tout d’abord tout risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la requérante, en soulignant que les chiffres présentés par celle-ci laisseraient présumer qu’aucun cours en présentiel n’aurait été organisé en 2025. La requérante ne démontrerait pas non plus quelle partie de ce chiffre d’affaires correspondrait aux cours visés par l’agrément litigieux et que la révocation dudit agrément aurait pour conséquence la faillite de la requérante.
Il estime encore que l’argument de la requérante relatif aux investissements significatifs réalisés ne serait pas pertinent en l’espèce, étant donné que ces investissements auraient eu lieu avant toute concertation de la requérante avec le Service de la formation des adultes, le délégué du gouvernement soulignant encore que l’agrément litigieux ne lui aurait de toute façon été délivré que pour une période de 5 ans et sans garantie de renouvellement, de sorte qu’un investissement conséquent quelques mois avant l’expiration de l’agrément constituerait certes un risque indéniable, mais non imputable à l’Etat.
La partie étatique souligne finalement que l’Etat prendre en charge les frais d’inscription aux cours à hauteur de 750 euros et que le recours au système d’e-learning sans la présence d’un enseignant constituerait un business model lucratif basé sur des fonds publics qui n’aurait pas été dans l’intention du législateur.
5Quant au sérieux des moyens invoqués au fond, la partie étatique cite tout d’abord l’article 28 de la loi du 8 mars 2017, suivant lequel « l’organisateur certifie la participation aux cours » ainsi que les travaux parlementaires relatifs à ladite loi, pour souligner que le texte de loi aurait été rédigé à une époque où le recours régulier à des programmes d’e-learning n’aurait pas encore été connu, de sorte que le législateur n’aurait pas pu les exclure. Il serait par ailleurs illogique d’admettre que les personnes qui entendraient obtenir la nationalité luxembourgeoise sur base de l’article 15 de la loi du 8 mars 2017 devraient suivre un test de langue en présentiel et que ceux qui obtiendraient la nationalité luxembourgeoise sur base de l’article 28 de la même loi, seraient dispensées non seulement de tout examen, mais encore de toute interaction avec un enseignant.
Elle fait ensuite valoir que le point 8 de l’annexe B de la demande d’agrément imposerait au prestataire à signaler tout changement concernant les données fournies lors de la demande d’agrément (représentant légal, siège, programme de formation…) au Service de la formation des adultes, de sorte que tout changement des données fournies lors de la demande d’agrément devrait être signalé, ce qui n’aurait pas été fait par la requérante, et ce qui constituerait déjà en soi une raison de révocation de l’agrément en vertu du point 11 de ladite annexe B.
La circonstance que les cours devraient avoir lieu en présentiel ressortirait encore des points 5 et 6 de l’annexe B de la demande d’agrément, suivant lesquels « un contrôle de présences est effectué sur base de listes de signatures » et « un certificat de participation est délivré sur base du contrôle des présences ».
Le moyen de la requérante suivant lequel la notification d’un changement du format des cours et l’indication du format proposé ne ferait pas partie des conditions de l’agrément ne serait dès lors pas justifié.
Par ailleurs, l’article 25 de la loi du 8 mars 2017 préciserait que les cours auraient comme objectif d’initier les apprenants à l’expression et à la compréhension orales en luxembourgeois, de sorte que l’enseignant devrait être en mesure d’apprécier la qualité de l’expression orale de ses participants et que sans garantie du suivi de la participation au cours, il ne pourrait être établi que les étudiants auraient acquis les connaissances prévues au programme de formation. Dans la mesure où l’utilisation de la plateforme « Moodle » ne permettrait ni une interaction directe avec l’enseignant ni une évaluation efficace de ses compétences linguistiques, et que le format e-learning se limiterait à la simple visualisation d’une vidéo sans aucune possibilité d’interaction, la révocation de l’agrément serait justifiée.
Le délégué du gouvernement réfute ensuite le moyen de la requérante ayant trait à un défaut de motivation de la décision ministérielle litigieuse en rappelant la jurisprudence des juges du fond en la matière et en soulignant que la décision litigieuse énoncerait clairement comme motif que les cours dispensés sous format e-learning ne respecteraient pas les exigences de qualité et que la non-signalisation de ce changement substantiel constituerait un manquement aux devoirs et obligations du prestataire résultant de la demande d’agrément.
En vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des 6personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Il échet de constater que l’affaire au fond a été introduite le 5 mars 2025 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Il y a encore lieu de souligner que la décision litigieuse a pour objet la révocation d’un agrément expirant en tout état de cause le 22 octobre 2025 et que la portée du recours sous examen est dès lors forcément limitée jusqu’à cette date. La soussignée ne saurait partant accorder une mesure de sauvegarde allant largement au-delà de l’objet même de la décision déférée en ordonnant une mesure de sauvegarde jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro 52479 du rôle, une telle mesure de sauvegarde devrait ainsi être limitée jusqu’au 22 octobre 2025.
En ce qui concerne les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision litigieuse, il convient de rappeler que le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait analyser et discuter les moyens invoqués à l’appui du recours au fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
7Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution, respectivement une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte1, dans le sens que l’on peut pressentir une possible, voire probable annulation ou réformation.
Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.
Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.
C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction2.
Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs3.
1 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 658, et les autres références y citées.
2 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.
3 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.
8En l’espèce, objectivement, l’argumentation par la société requérante afin d’énerver la décision litigieuse ne s’impose en l’état actuel d’instruction du dossier et des éléments soumis au juge du provisoire d’évidence pas à première vue.
En effet, force est tout d’abord de constater que la loi du 8 mars 2017 n’interdit certes à première vue pas de donner des cours de langue luxembourgeoise sous le format d’e-learning, dans la mesure où la possibilité de la tenue des cours via e-learning n’y semble pas prévue, cette circonstance ayant encore été confirmée par la partie étatique qui a déclaré que le texte de loi aurait été rédigé à une époque où le recours régulier à des programmes d’e-learning n’aurait pas encore été connu.
Il ne ressort par ailleurs pas non plus à l’évidence du libellé du point 8 de l’annexe B de la demande d’agrément, disposant que : « le prestataire s’engage à signaler tout changement concernant les données fournies lors de la demande d’agrément (représentant légal, siège, programme de formation …) au Service de la formation des adultes », que la requérante était obligée de signaler le changement de la tenue des cours au Service de la formation des adultes, tel que lui reproché par le ministre, dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que le programme de formation a changé.
De l’autre côté, il se dégage toutefois d’une lecture de l’annexe B de la demande d’agrément que la requérante s’est engagée à respecter certaines conditions pour ses cours, dont notamment celle prévue au point 5, à savoir d’effectuer un contrôle de présences sur base de listes de signatures et celle prévue au point 6, à savoir de délivrer le certificat de participation sur base du contrôle des présences, et qu’à première vue, ces conditions sont libellées d’une manière à lui imposer une tenue des cours en présentiel à l’exclusion d’une tenue des cours via e-learning.
Au-delà de ces constatations, il semble que le ministre ne s’oppose pas per se à une tenue des cours via e-learning à condition toutefois que la qualité des cours est garantie.
En effet, d’un côté, il se dégage des éléments soumis à la soussignée que le Service de la formation des adultes s’est, en date du 25 juin 2024, adressé à la requérante afin d’avoir de plus amples informations quant à la tenue des cours via e-learning afin d’évaluer « si elle pourra être en adéquation avec la législation » et que suite à des échanges de courriels et par téléphone, ledit service a proposé à la requérante de présenter le contenu du cours en ligne en « live » lors d’une réunion du 19 juillet 2024 et a également eu un accès au portail de la requérante pour analyser le contenu du cours.
De l’autre côté, il ressort du courrier ministériel du 18 novembre 2024, qu’après une analyse détaillée du cours litigieux, la partie étatique semble essentiellement critiquer la circonstance que la tenue des cours via e-learning empêcherait toute interaction entre le formateur et l’étudiant ainsi qu’une évaluation efficace des compétences linguistiques et qu’il n’y aurait, par ailleurs, aucune possibilité de vérifier si l’étudiant avait effectivement participé en personne à la formation, de sorte que la tenue des cours ne respecterait pas les exigences de qualité en vertu desquelles l’agrément aurait été délivré à la requérante.
Il s’agit partant en l’espèce de la question concrète de la qualité des cours offerts par la requérante via e-learning au regard des doutes ministérielles, et non pas du principe de la tenue des cours via e-learning.
9Or, force est de constater que premièrement, la requérante conteste les critiques ministérielles concernant les modalités du e-learning et verse, en tant que pièce, un descriptif concernant le fonctionnement de la plateforme « Moodle » utilisée pour la tenue des cours en ligne, comprenant notamment un descriptif détaillé des « logs », par lesquels le système contrôle à différents niveaux la présence effective de l’étudiant devant son écran et son suivi effectif du cours.
Deuxièmement, il ressort du dossier administratif que lors d’une deuxième réunion du 19 décembre 2024, la requérante a expliqué la fiabilité et la sécurité de la plateforme « Moodle » par rapport aux critiques ministérielles dans son courrier du 18 novembre 2024, tout en soulignant sa volonté de réaliser des ajustements au contenu et d’ajouter de nouvelles fonctionnalités dans son programme de formation. Lors de cette réunion, il a encore été convenu que la requérante formalisera ses propositions d’amélioration par écrit, et que ces propositions feront l’objet d’une analyse par le ministre et seront suivies d’une réponse.
Il ressort en troisième lieu d’une lecture sommaire du courrier du 13 janvier 2025, que la requérante a, suite à la réunion du 19 décembre 2024, concrètement proposé la mise en place (i) d’une interaction asynchrone avec les formateurs consistant dans une possibilité pour les étudiant de poser des questions par e-mail, ainsi que dans la mise en place des vidéos préenregistrées présentant des échanges interactifs entre formateurs et étudiants, (ii) de sessions synchrones périodiques en direct avec les formateurs, permettant aux étudiants de poser des questions en temps réel et de bénéficier d’un échange interactif, (iii) des mécanismes renforcés d’interactivité consistant dans des tests périodiques à intervalles réguliers afin de garantir une évaluation continue des connaissances acquises par les étudiants, et (iv) d’un mécanisme renforcé d’identification consistant dans la confirmation de la participation de l’étudiant par la prise d’un « selfie », pour répondre aux préoccupations ministérielles concernant l’interactivité et la traçabilité de la formation en ligne.
Il suit de ce qui précède que la soussignée est partant, essentiellement, confrontée d’une part, à des questions comportant une analyse détaillée des modalités pratiques des tenues des cours via e-learning et du mode de fonctionnement effectif de la plateforme « Moodle » mise en balance avec les critiques étatiques, et d’autre part, des questions d’appréciation de la qualité du cours ainsi mis en place, lesquelles requièrent toutefois une analyse poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder.
Il en résulte qu’au niveau actuel d’instruction du dossier, le juge du provisoire ne dispose pas, objectivement, d’un éclairage suffisant et évident lui permettant d’apprécier de manière autonome le sort éventuellement réservé par les juges du fond au recours.
Toutefois et nonobstant ce constat, la soussignée relève également que malgré son engagement à la réunion du 19 décembre 2024 d’analyser les propositions de la requérante et d’y répondre, le ministre s’est, dans sa décision litigieuse, limité à un simple renvoi aux motifs énoncés dans son courrier du 18 novembre 2024, précité, sans prendre position par rapport aux explications circonstanciées du fonctionnement de la plateforme « Moodle » et des propositions d’amélioration concrètes de la requérante dans son courrier du 13 janvier 2025.
Une prise de position ministérielle par rapport aux explications et propositions lui adressées aurait toutefois permis de relativiser la technicité du dossier soumis à la soussignée, de sorte d’éviter à l’administré l’écueil de l’absence de moyens pouvant être soupesés prima facie, le juge du provisoire, plutôt que de devoir évaluer les chances de succès d’une 10argumentation unilatérale, pouvant alors procéder à un examen sommaire en confrontant les deux argumentations antagonistes et en soupesant les moyens avancés de part et d’autre4, sans devoir, tel qu’en l’espèce à défaut de toute prise de position ministérielle circonstanciée rencontrant les explications et propositions de la requérante, faire œuvre d’administration par rapport à une situation factuelle technique spécifique donnée.
Il est donc patent en cause que le ministre, en ne répondant pas concrètement aux explications et propositions lui adressées en réponse à son courrier du 18 novembre 2024, a fait obstacle à l’intervention du juge du provisoire et a très largement réduit les chances de l’administré de prospérer classiquement dans sa requête en obtention d’une mesure de sauvegarde, de sorte à vider la protection juridictionnelle de l’administré d’une partie de sa substance.
Au-delà de la constatation d’une défaillance dans le chef du ministre, il convient encore de souligner que la communication d’une décision motivée doit également permettre à l’administré de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose le ministre sur lesquels il se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour l’administré de saisir le tribunal.
En d’autres termes, la communication de la décision doit permettre à l’administré de connaître exactement sa situation administrative et de juger ainsi de l’opportunité d’un recours contentieux de sa part, ainsi que, en vertu du principe général du droit du respect des droits de la défense, d’être en mesure de connaître la motivation gisant à la base d’une telle décision afin de pouvoir utilement préparer sa défense.
Il est certes vrai que la jurisprudence admet que l’administration produise ou complète les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse.
Cette jurisprudence ne saurait toutefois trouver application devant le juge du provisoire.
En effet, la requête en effet suspensif sinon en institution d’une mesure de sauvegarde s’appuie directement et uniquement sur les moyens invoqués au fond, le juge statuant au provisoire est uniquement appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués au fond. Il y a en effet lieu de distinguer entre les moyens nouveaux proposés en cours d’instance devant le juge du fond, admissibles comme constituant la contrepartie du droit de l’autorité qui a pris une décision litigieuse de fournir, en cours d’instance, des motifs non invoqués dans la décision critiquée mais de nature à la justifier légalement, et ceux invoqués devant le seul magistrat appelé à prendre une mesure provisoire, ce dernier ne pouvant avoir égard à ces moyens, étant donné que sa juridiction s’inscrit étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond5, c’est-à-dire les moyens figurant à ce stade dans la requête introductive d’instance enrôlée devant le juge au fond, le juge du provisoire ne pouvant plus particulièrement pas tenir compte de moyens qui pourraient figurer postérieurement à sa saisine dans de futurs et hypothétiques mémoires ampliatifs6 : c’est en effet par rapport aux seuls moyens développés dans le recours au fond que le juge de référé appréciera la demande de suspension.
4 Pour une application concrète, voir trib. adm. (prés.) 2 décembre 2019, n° 43812.
5 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2002, n° 15086.
6 Trib. adm. (prés.) 30 août 2012, n° 31142.
11Ce constat a pour corollaire logique de refuser également à l’administration de compléter sa motivation devant le juge du provisoire, puisque celui-ci ne saurait avoir égard à pareils motifs additionnels, non invoqués dans la décision attaquée, que la partie étatique se propose éventuellement d’invoquer en cours d’instance devant le juge du fond afin de justifier sa décision, mais qui n’existent, à défaut de mémoire en réponse utilement déposé par l’administration, pas encore : la juridiction du juge du provisoire s’inscrivant étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond et qu’il n’est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens d’ores et déjà produits devant le juge du fond7, il ne saurait baser son analyse sur d’éventuels motifs complémentaires, non encore procéduralement formalisés au moment où il statue.
En d’autres termes, si devant les juges du fond les droits du requérant sont certes préservés par l’effet évolutif du litige tel que consacré par la jurisprudence, qui permet, d’une part, à l’administration de compléter ou modifier ses motifs, et, d’autre part, au requérant, de faire évoluer en conséquence son propre argumentaire, le cas échéant dans un mémoire supplémentaire, une telle possibilité n’existe pas devant le juge du provisoire.
Dès lors, au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, de l’absence de toute prise de position ministérielle par rapport aux explications et propositions concrètes de la requérante au niveau précontentieux, la soussignée retient que les moyens de la requérante présentent à ce stade, subjectivement et globalement, le sérieux nécessaire pour justifier une mesure de sauvegarde tel que sollicitée.
En ce qui concerne ensuite la condition du préjudice grave et définitif, il convient de rappeler que l’existence du préjudice allégué, sa gravité et son caractère difficilement réparable doivent s’apprécier au cas par cas, sur le vu de l’exposé du demandeur d’une mesure provisoire, ensemble les pièces justificatives produites par celui-ci8.
Si un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable, pour être, en principe, compensable par l’allocation de dommages et intérêts, il en est différemment lorsque le requérant établit l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable, étant souligné toutefois qu’il incombe au requérant de démontrer concrètement non seulement l’envergure de la dépense, mais aussi les répercussions graves risquant de le placer dans une situation financière intenable, le contribuable plus précisément étant appelé à préciser sa propre situation financière que ce soit en actif ou en passif et à procéder à une mise en perspective de ses dettes fiscales par rapport à sa situation patrimoniale9, tandis que la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience10.
7 Trib. adm. (prés.) 30 avril 2014, n° 34403.
8 Trib. adm. (prés.) 16 mai 2012, n° 30478, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 671.
9 Voir trib. adm. (prés.) 18 novembre 2022, n° 48148.
10 Trib. adm. (prés.) 5 mars 2021, n° 45711.
12Il est vrai, tel que soulevé par la partie étatique, que la requérante, en-dehors de la circonstance que 56.41% de son chiffre d’affaires de 2024 et 67.76% de son chiffre d’affaire pour les deux premiers mois de 2025, est composé des cours relevant de l’agrément litigieux et qu’elle a procédé à des investissements à hauteur de … euros en 2024, respectivement … euros pour les deux premiers mois de 2025, n’a pas établi à suffisance les conséquences néfastes de la révocation de son agrément expirant de toute façon le 22 octobre 2025 et, a fortiori, de son risque inévitable de tomber en faillite.
La soussignée retient toutefois que nonobstant ce défaut patent, l’importance objective des cours relevant de l’agrément litigieux par rapport au chiffre d’affaires total de la requérante ne saurait être niée.
Il convient ensuite de rappeler que le ministre a, malgré son engagement en ce sens en date du 19 décembre 2024, refusé d’examiner les explications et propositions lui soumises au niveau précontentieux ; or, cette absence de réponse a eu pour conséquence de porter le débat afférent directement devant la soussignée, ce qui à son tour a eu pour effet que le ministre, nonobstant l’existence d’explications et de propositions manifestement non dépourvues de tout sérieux, peut théoriquement, en application de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, maintenir son privilège du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives en se prévalant de l’absence de la preuve d’un préjudice grave et définitif. En d’autres termes, en omettant de rencontrer les explications et propositions de la requérante à un stade précontentieux, forçant ainsi le justiciable à se prémunir devant les juridictions administratives et plus précisément devant le juge des référés, le ministre s’est octroyé un moyen de défense -
la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif - lui permettant, le cas échéant, de passer outre à un examen de la légalité de ses décisions : il s’agit, ce faisant, d’une perversion de la voie de recours ouverte par-devant le juge des référés, censée, en tant que palliatif ou tempérament apporté à l’omnipotence de l’administration, permettre à un administré sous certaines conditions de bloquer provisoirement l’exécution de la décision contestée et l’action administrative11.
Enfin, concrètement, une décision ministérielle dûment motivée aurait en l’espèce permis à la requérante d’être confrontée aux moyens actuels de défense du ministre dès la phase précontentieuse, et lui aurait permis de réagir en conséquence, et, le cas échéant, de présenter un recours contentieux complété de ce point de vue : en ne répondant pas à l’administré, le ministre a encore directement porté atteinte aux droits de la défense de ce dernier12.
Compte tenu de toutes ces circonstances d’espèce, le risque d’un préjudice grave et définitif paraît dès lors donné.
La dernière condition légale pour justifier une mesure de sauvegarde est donc également vérifiée : il suit des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de faire droit à la demande en instauration d’un sursis à exécution.
11 Trib. adm. (prés.) 13 janvier 2023, n° 48337.
12 Trib. adm. (prés.) 22 mars 2024, n° 50146R.
13 Par ces motifs, la soussignée, vice-président du tribunal administratif, agissant en remplacement du président du tribunal administratif légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;
déclare la requête en instauration d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde recevable ;
la dit encore justifiée ;
partant dit qu’il sera sursis à l’exécution de la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 14 février 2025 portant révocation de l’agrément de cours de langues luxembourgeoises du 22 octobre 2020 de la société à responsabilité limitée (AA), jusqu’à l’expiration de validité dudit agrément ;
réserve les frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2025 par Géraldine Anelli, vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Shania Hames.
s. Shania Hames s. Géraldine Anelli Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 14