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17/12/2024 | LUXEMBOURG | N°51997

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2024, 51997


Tribunal administratif N° 51997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51997 3e chambre Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 17 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51997 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Madame (A), née le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L...

Tribunal administratif N° 51997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51997 3e chambre Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 17 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51997 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 13 novembre 2024 de statuer sur le bien-

fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus d’octroi d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 décembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 décembre 2024.

Le 16 septembre 2022, les parents de Madame (A), alors mineure d’âge, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, tant en leur nom personnel qu’en son nom et pour son compte, ainsi que de celui de son frère et ses deux sœurs, également mineurs, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 », les six étant ci-

après désignés par les « consorts (A) ».

Le même jour, le père de Madame (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC, que les consorts (A) avaient franchi irrégulièrement la frontière croate le 4 septembre 2022 et introduit une demande de protection internationale en Croatie à la même date.

1Le 20 septembre 2022, les parents de Madame (A) furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 27 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues croates une demande de reprise en charge des consorts (A) basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités croates en date du 11 octobre 2022, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.

Par décision du 23 février 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa les consorts (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner leur demande de protection internationale et de les transférer dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.

Le recours contentieux introduit par les parents de Madame (A) contre ladite décision ministérielle de transfert, tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, fut définitivement rejeté par un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2023, inscrit sous le numéro 48682 du rôle.

Une première tentative de transfert des consorts (A) vers la Croatie fut organisée pour le 26 juillet 2023, laquelle échoua cependant en raison de la disparition de Madame (A) du foyer où elle était logée avec sa famille.

Par arrêté du 16 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », ordonna le placement de Madame (A), dans l’attente de son transfert, au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.

Par arrêté du 18 juillet 2024, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de Madame (A) décidé en date du 16 juillet 2024.

Il ressort ensuite des éléments du dossier administratif qu’après l’échec d’une deuxième tentative de transfert des consorts (A) en date du 19 juillet 2024, ces derniers furent transférés vers la Croatie le 13 septembre 2024, à l’exception de Madame (A), celle-ci ayant de nouveau disparu du foyer où elle était logée avec sa famille.

Par arrêté du 18 septembre 2024, le ministre ordonna le placement de Madame (A), dans l’attente de son transfert, au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.

En date du même jour, le ministre chargea la police grand-ducale de procéder au signalement national de l’intéressée en vue de la notification d’une mesure de placement en rétention en son chef.

2Par décision du 15 octobre 2024, notifiée à l’intéressée par affichage public, le ministre informa Madame (A) que sa demande de protection internationale était provisoirement clôturée, conformément à l’article 23, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Le 28 octobre 2024, Madame (A) sollicita la réouverture de son dossier conformément aux dispositions de l’article 23, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.

Par arrêté du même jour, le ministre ordonna le placement de Madame (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le 5 novembre 2024, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, ci-après désigné par le « ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par arrêté du 13 novembre 2024, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de Madame (A) décidé en date du 28 octobre 2024.

Par décision du même jour, notifiée à l’intéressée en mains propres également le même jour, le ministre, après avoir passé en revue les faits et rétroactes se trouvant à la base de sa décision, résuma les déclarations de Madame (A) comme suit :

« […] Madame, vous déclarez vous nommer (A), être née le … à … en Turquie, être de nationalité turque, de confession musulmane et d'ethnie Kurde. En Turquie, vous auriez vécu toute votre vie à … avec vos parents et votre fratrie.

À l'appui de votre demande de protection internationale, vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine avec votre famille en raison d'une « persécution » exercée par l'Etat turc contre les personnes d'ethnie Kurde, ce qui vous aurait constamment mise « sous pression » (p.6/13 du rapport d'entretien). Vous précisez que cette « persécution » inclut des mauvais traitements et des insultes, tandis que par « pression » vous sous-entendez l'obligation de se conformer aux attentes de l'Etat.

Dans ce contexte, vous rapportez que durant votre scolarité, vos professeurs de primaire vous auraient interdit de parler kurde alors qu'il se serait agi de la seule langue que vous connaissiez. Au collège, les professeurs vous auraient frappée avec une règle ou tiré les cheveux en raison de votre origine kurde. De manière générale, vous expliquez que les professeurs turcs auraient nourri des préjugés contre les Kurdes et vous auraient exclue, vous et d'autres élèves kurdes, car « ils ne nous aiment pas » (p.6/13 du rapport d'entretien). Malgré vos efforts pour apprendre le turc, vous auriez constamment été rejetée en classe, et les élèves, influencés par l'attitude hostile des professeurs, vous auraient harcelée physiquement. Vos tentatives de plaintes, que ce soit auprès du directeur de l'établissement scolaire ou auprès de la police, où vous vous seriez rendue avec votre mère, auraient été ignorées au motif que vous seriez d'ethnie Kurde et votre famille originaire de …. Certains professeurs kurdes, à qui vous auriez confié votre situation, auraient parfois discrètement alerté la police face aux abus, mais les policiers auraient considéré, une fois sur place, que les comportements dénoncés auraient été « tout à fait norm[aux] » (p.7/13 du rapport d'entretien).

Vous relatez par ailleurs avoir rendu visite à votre grand-mère paternelle à …, dans la ville de …, alors que vous étiez au collège, âgée de 10 à 11 ans. Vous y seriez allée avec votre 3oncle paternel pour une visite temporaire, mais en raison des violences, que vous ne contextualisez aucunement, vous y seriez restée une année entière. Durant votre séjour, vous auriez été témoin de la présence oppressante des policiers, qui auraient circulé dans les maisons, lancé des bombes lacrymogènes, exercé une surveillance intense et compté chaque matin les habitants. Bien que vous auriez souhaité partir, la peur et l'absence de moyens pour quitter la ville vous auraient poussée à rester confinée chez votre grand-mère. Vous précisez que vous n'auriez subi aucun préjudice personnel, mais vous auriez été profondément marquée par les scènes de violences : des personnes seraient décédées sous vos yeux, et les familles, interdites d'enterreur leurs morts, auraient été contraintes de conserver les corps dans des réfrigérateurs.

À …, vous expliquez que la police serait venue à trois reprises à votre domicile familial au fil des années. Ces interventions policières auraient commencé alors que vous étiez très jeune, la première — dont vous n'auriez que peu de souvenirs — se serait produite avant vos 11 ans, la deuxième se serait déroulée lorsque vous aviez 11 ans, et la troisième lorsque vous aviez 15 ou 16 ans. La police aurait généralement fouillé votre domicile, jetant vos affaires au sol, et frappé vos parents. En essayant de vous interposer pour les défendre, vous-même auriez été giflée ou tirée par les cheveux. Vous mentionnez en l'occurrence la troisième intervention qui se serait produite un an avant votre départ de votre pays d'origine. Alors que votre père aurait déjà été parti travailler, la police serait venue tôt le matin et elle aurait brutalement frappé votre mère, qui était enceinte de quatre ou cinq mois, en lui donnant des coups de pied dans le ventre. Le lendemain, vous l'auriez accompagnée à l'hôpital où vous auriez appris qu'elle avait perdu son enfant. Les médecins auraient reproché à votre mère de ne pas savoir parler le turc et d'avoir besoin de votre aide en tant qu'interprète. De plus, vous n'auriez pas osé leur expliquer que cette perte était liée aux violences subies par la police étant donné qu'il serait « difficile de dénoncer quelqu'un de l'Etat » (p.6/13 du rapport d'entretien). Vous pensez que votre mère aurait porté plainte, mais cela n'aurait donné aucun résultat.

Interrogée sur les raisons de ces interventions policières, vous répondez « je ne sais pas » (p.8/13 du rapport d'entretien), tout en estimant qu'elles auraient été motivées par l'origine kurde de votre famille étant donné que les autorités se seraient comportées de la même manière avec d'autres Kurdes. Il en découle que votre famille aurait déménagé à quatre reprises pour échapper à de telles interventions.

Finalement, vous évoquez le meurtre de vos grands-parents maternels, eux-mêmes ciblés en raison de leur appartenance ethnique : votre grand-père car il aurait aidé des Kurdes, et votre grand-mère, qui aurait été frappée alors qu'elle était enceinte, entraînant un accouchement fatal. Vous ajoutez également qu'avant votre naissance, votre père aurait été arrêté avec d'autres jeunes par la police et emprisonné pendant deux semaines.

Par conséquent, le 31 août 2022, vous auriez quitté avec vos parents et votre fratrie la Turquie, alors que cette volonté se serait notamment concrétisée après la troisième intervention policière, pour éviter que « nous vivions la même chose qu'elle avait vécu » et « qu'on se fasse tuer à notre tour » (p.6/13 du rapport d'entretien).

En cas de retour dans votre pays d'origine, vous craindriez de « mourir (…) parce que je suis kurde » (p.9/13 du rapport d'entretien) et redouteriez de devoir revivre les expériences passées, respectivement être maltraitée par des professeurs ou des habitants de votre quartier, ou subir des violences et insultes de la part des policiers.

4À l'appui de votre demande de protection internationale, vous versez uniquement une photocopie de votre carte d'identité turque, valable jusqu'au 29 août 2030, ainsi que les photocopies des cartes d'identité turques de vos parents, de vos deux sœurs et de votre frère.

[…] ».

Le ministre informa ensuite Madame (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015.

Pour arriver à cette conclusion, le ministre motiva sa décision de refus de la demande de protection internationale de Madame (A) comme suit :

« […] Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée. Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu'une d'elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Madame, il échet de relever en premier lieu que votre comportement adopté depuis votre arrivée dans l'espace Schengen, avec vos parents alors que vous étiez mineure, n'est aucunement compatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée ou de devenir victime d'atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale.

En effet, il sied de rappeler à cet égard que vos parents ont introduit pour leur compte ainsi que pour le vôtre et celui de votre fratrie, alors que vous étiez tous les quatre mineurs, des demandes de protection internationale en Croatie le 4 septembre 2022. Toutefois, vos parents auraient décidé de ne pas y attendre l'issu de vos demandes de protection 5internationale puisque vous avez tous les six rapidement quitté la Croatie pour rejoindre le Luxembourg le 14 septembre 2022, en passant notamment par l'Italie et l'Allemagne. Or, un tel comportement désinvolte n'est aucunement assimilable à celui de personnes qui seraient réellement confrontées à des persécutions ou à des atteintes graves dans leur pays d'origine et dénonce déjà un manque de réelle urgence ou de danger immédiat. De plus, le fait que vos parents ont poursuivi avec vous et votre fratrie leur parcours pour rejoindre le Luxembourg, en traversant d'autres pays sûrs tels que l'Italie et l'Allemagne, sans y introduire de nouvelles demandes de protection internationale, témoignent indubitablement d'un choix réfléchi et prémédité, guidé par des motifs de pure convenance personnelle et non pas par des motifs ayant trait à l'existence d'une menace contre vos vies ou vos intégrités physiques. Vos déclarations issues de votre entretien ministériel du 5 novembre 2024 selon lesquelles l'introduction de vos demandes de protection internationale en Croatie aurait été « contre notre volonté » (p.5/13 du rapport d'entretien) corroborent d'ailleurs le constat que le seul et unique objectif de votre famille en quittant la Turquie était de rejoindre le Luxembourg.

Madame, vous avez par ailleurs voulu justifier ce départ de Croatie par le fait que « les policiers se sont comportés mal avec nous. Ma mère a été frappée. Elle a un bleu sur la jambe. On a été traité comme des animaux » (p.5/13 du rapport d'entretien). Dans ce contexte, il sied tout d'abord de constater que vous ne versez aucun document probant à l'appui de vos déclarations de sorte que vos accusations contre les autorités croates restent en l'état de pure allégation. De plus, une telle prétendue maltraitance imputée aux autorités croates est difficilement envisageable alors que la Croatie est liée à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « Charte UE »), et est partie à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »), à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (ci-après « Conv. torture »), et à la Convention de Genève. Ainsi, la Croatie bénéficie, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen. Par ailleurs, le comportement déplacé de certains agents étatiques ne reflète pas nécessairement la volonté de tout un système, qui peut rester engagé envers l'intégrité et le respect des droits. Il n'en demeure pas moins qu'il convient sérieusement de ne pas exclure l'hypothèse du caractère fictif de vos allégations accusatrices alors qu'il ne ressort aucunement de la lecture des rapports d'entretien « Dublin III » du 20 septembre 2022 de vos parents, et en l'occurrence de celui de votre mère, qu'elle aurait été victime d'une maltraitance physique en Croatie. Or, si de tels actes avaient effectivement eu lieu, il est raisonnable de supposer que vos parents les auraient évoqués de manière détaillée, et ce dans leur intérêt. Or, l'absence de toute allusion à ces faits laisse légitimement planer un doute quant à leur véracité.

En fin de compte, Madame, il est essentiel de ne pas se laisser duper par vos accusations infondées à l'encontre des autorités croates puisque vous utilisez ces allégations fallacieuses pour dissimuler la véritable raison du départ de votre famille de la Croatie, qui résidait dans le désir manifeste et inéluctable, tant de votre part que de celui de vos parents, de rejoindre d'autres membres de votre famille au Luxembourg : « Toute la famille de ma mère vit ici : …, …, …, …. Ce sont les oncles, les tantes ou des cousins de ma mère. Ma tante maternelle … » (p.3/13 du rapport d'entretien). Or, un demandeur de protection internationale n'est ni censé, ni autorisé à opérer un choix par rapport au pays d'introduction de sa demande pour s'installer là où cela lui conviendrait le mieux, ce qui est pourtant clairement le cas en l'espèce. Partant, il est indéniable que vos parents ont pratiqué du « forum shopping » en soumettant leurs demandes de protection internationale dans l'Etat qui leur semblait personnellement le plus favorable et qui satisferait au mieux leurs attentes.

6 En deuxième lieu, Madame, il est impératif de souligner que votre comportement personnel au Luxembourg, en tant que personne majeure depuis le …, n'est également pas compatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée dans son pays d'origine ou d'y devenir victime d'atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale.

Il convient de rappeler dans ce contexte que les autorités croates ont accepté le 11 octobre 2022 la demande de reprise en charge sollicitée par la Direction générale de l'immigration le 27 septembre 2022 après avoir découvert que vous y aviez tous les six déjà introduit des demandes de protection internationale le 4 septembre 2022. Le 13 juillet 2023, vous avez été informée avec votre famille que votre transfert vers la Croatie était fixé au 26 juillet 2023, mais il a toutefois dû être annulé puisque vous n'étiez pas présente dans le foyer à cette date. Un deuxième transfert a alors été programmé pour le 19 juillet 2024, mais il a aussi dû être annulé en raison des problèmes médicaux de votre mère. Un troisième transfert a ensuite été programmé au 13 septembre 2024 et, à cette date, vos parents et votre fratrie ont été transférés en Croatie. Toutefois, étant donné que vous aviez disparu depuis le 12 septembre 2024, et que les tentatives pour vous retrouver avaient échoué, votre transfert n'a pas pu être effectué. De plus, vous ne disposiez plus d'une adresse de résidence officielle au Luxembourg depuis le 24 septembre 2024, ce qui est contraire aux obligations incombant à un demandeur de protection internationale.

Le 30 septembre 2024, en vertu de l'expiration des délais établis par le règlement « Dublin III » le Luxembourg est devenu responsable du traitement de votre demande de protection internationale. Celle-ci a ensuite été clôturée provisoirement car vous n'aviez pas renouvelé votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 9 août 2024 et vous n'aviez pas répondu à la convocation du Ministère sollicitant de vous présenter à la Direction générale de l'immigration. Le 28 octobre 2024, date coïncidant avec le retour au Luxembourg de votre mère et de votre fratrie, vous avez demandé la réouverture de votre dossier. Au cours de votre entretien ministériel du 5 novembre 2024, vous reconnaissez qu'entre le 13 septembre et le 28 octobre 2024, vous vous seriez abritée chez votre tante maternelle au Luxembourg pendant une journée après avoir appris que votre famille aurait été transférée vers la Croatie. Vous auriez ensuite décidé de fuir son domicile lorsqu'elle aurait envisagé de vous livrer aux autorités luxembourgeoises à la suite d'une concertation avec votre mandataire.

Vous auriez alors contacté une personne dont vous ne citez pas le nom « et je suis restée chez elle jusqu'à ce que ma famille soit revenue » (p.6/13 du rapport d'entretien), respectivement jusqu'au retour au Luxembourg de votre mère et de votre fratrie qui ont introduit une deuxième demande de protection internationale le 30 octobre 2024.

Eu égard à ce qui précède, Madame, force est de constater que les démarches répétées et coûteuses mises en œuvre pour organiser votre transfert vers la Croatie ont été annulées à deux reprises en raison de votre absence volontaire et calculée au moment des opérations.

Cette conduite, par laquelle vous avez donc cherché à vous cacher intentionnellement pour éviter un transfert légitime, trahit une volonté manifeste d'échapper aux procédures légales, sans considération pour les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises pour organiser votre transfert. En refusant de coopérer avec les autorités luxembourgeoises, vous sabotez non seulement les efforts mis en œuvre pour traiter votre demande de protection internationale conformément au cadre juridique européen, mais vous manifestez également un mépris flagrant vis-à-vis des procédures administratives européennes. Or, ceci marque inexorablement une rupture avec l'esprit de bonne foi et de coopération qui peut être attendu 7d'un demandeur de protection internationale authentiquement persécuté dans son pays d'origine.

En évitant donc un transfert en Croatie pour chercher à privilégier le Luxembourg, vous démontrez une préférence de confort personnel plutôt qu'une nécessité de protection. Or, c'est une démarche qui entame votre crédibilité, puisque si votre situation dans votre pays d'origine était réellement aussi urgente et grave que vous le prétendez, vous seriez encline à accepter toute forme de sécurité en Europe, sans vous engager dans des stratégies d'évitement subversives pour rester dans le pays de votre choix. En conséquence, cette conduite soulève des doutes légitimes quant à l'authenticité de votre récit et la gravité des risques que vous affirmez encourir, et met en lumière une attitude qui suggère davantage une recherche de conditions de vie optimisées qu'un besoin de protection effective contre des prétendues persécutions. En d'autres termes, votre refus de respecter les décisions des autorités relatives à votre transfert et vos tentatives d'obstruction deviennent des indices comportementaux tangibles de l'absence de sincérité de vos déclarations de persécution ou de danger personnel alors que si les risques encourus étaient réellement aussi graves que vous ne le prétendez, vous vous conformeriez sans hésitation aux procédures administratives pour assurer votre sécurité, plutôt que de persister dans des manigances fortement répréhensibles pour imposer un lieu de résidence privilégié.

Finalement, Madame, il est également important de souligner que vos justifications relatives à vos absences lors des deux transferts planifiés manquent de crédibilité et renforcent les doutes quant à votre manque de sincérité de manière générale. Tout d'abord, l'explication que vous avez invoqué pour le premier transfert, prévu le 26 juillet 2023 vers la Croatie, semble peu plausible. En effet, vous affirmez que vous n'auriez pas été informée de ce transfert en déclarant que « je n'étais pas au courant » (p.5/13 du rapport d'entretien). Cependant cette affirmation est fatalement fausse, étant donné que ce transfert a officiellement été organisé par la Direction générale de l'immigration qui vous en a informée, avec l'ensemble de votre famille, le 13 juillet 2023. Ensuite, cette justification est d'autant moins recevable que vous l'invoquez pour justifier votre absence lors du deuxième transfert, prévu pour le 13 septembre 2024. Il semble en effet invraisemblable qu'une personne ne soit informée ni de son premier transfert, ni de son second, qui a pourtant eu lieu à une date ultérieure et selon des modalités de communication officielles et rigoureux. La récurrence de cet argument dénonce clairement le fait que vous ne jouez pas franc-jeu avec les autorités luxembourgeoises et révèle un mépris flagrant des procédures légales, que vous semblez écarter au profit de vos propres intérêts.

Enfin, un autre élément majeur renforce cette impression puisqu'il est évident que vos autres membres de famille étaient parfaitement informés des dates et des conditions de leur transfert vers la Croatie. Il paraît donc difficilement concevable que vous auriez été la seule à ne pas avoir été mise au courant, alors que vos proches, eux, disposaient de toutes les informations nécessaires.

De surcroît, il convient de condamner fermement votre comportement lorsque vous avez délibérément choisi de vous soustraire aux autorités luxembourgeoises après le transfert de votre famille en Croatie, du 13 septembre au 28 octobre 2024. En refusant de répondre aux convocations de la Direction générale de l'immigration et en omettant de renouveler votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 9 août 2024, vous avez enfreint les obligations légales liées à votre statut. Votre décision ne plus disposer d'une adresse de résidence officielle au Luxembourg à partir du 24 septembre 2024 et de vous cacher impliquent que vous avez résidé illégalement sur le territoire luxembourgeois, ce qui constitue une violation de la législation en vigueur.

8 En troisième lieu, Madame, il convient de retenir que les motifs que vous invoquez à l'appui de votre demande de protection internationale ne sont manifestement pas d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution ou ne vous visent par personnellement.

En effet, en ce qui concerne les maltraitances et insultes que vous auriez subies lors de votre scolarité, il sied de relever que les comportements relatés de la part des élèves et professeurs sont certes préoccupants, mais ils n'atteignent pas un seuil de gravité suffisant pour constituer des actes de persécution au sens de la Loi de 2015. Ces incidents, bien que déplorables, apparaissent davantage comme des actes de discrimination aléatoires ou de harcèlement scolaire, plutôt que comme une persécution contre vous en tant qu'individu kurde.

De plus, il apparaît clairement que vous n'étiez nullement persécutée au sein de cet établissement scolaire en raison de votre origine kurde car, non seulement vous avez pu y mener une vie relativement normale en y étant régulièrement inscrite, mais il ressort de vos déclarations que des professeurs d'origine kurde y auraient exercé leur fonction sans restriction. Ces éléments démontrent que votre présence dans cet établissement ne faisait l'objet d'aucune discrimination notable et que vous n'étiez pas exposée à des actes de persécution fondés sur votre origine ethnique.

S'agissant ensuite des trois interventions policières qui se seraient produites à votre domicile familiale ce qui constitue une faible fréquence sur une période de plus de dix années - et au cours desquelles vos parents auraient prétendument subi des violences graves, notamment votre mère enceinte qui aurait perdu un enfant, voire vous-même lorsque vous vous seriez interposée, il sied de retenir que votre incapacité à fournir un quelconque élément de preuve tangible pour étayer vos déclarations, comme des rapports médicaux, des plaintes déposées, ou d'autres documents officiels, jette un sérieux doute sur la crédibilité de vos propos. La Direction générale de l'immigration est légitimement en droit d'estimer que votre famille devrait détenir des pièces probantes, et en l'occurrence votre mère à la suite de la perte de son enfant, et ce quand bien même vous déclarez que vous n'auriez pas « pu expliquer pourquoi cela est arrivé [aux médecins] car c'est difficile de dénoncer quelqu'un de l'Etat » (p.6/13 du rapport d'entretien). Or, un tel manquement à apporter des éléments probants, notamment dans une situation aussi grave, soulève des interrogations légitimes sur la véracité de vos allégations. Par ailleurs, le manque de détails clairs concernant les raisons de ces interventions, couplée à votre propre incertitude quant à une plainte déposée par votre mère nuisent à la crédibilité de vos déclarations. En effet, vous semblez méconnaître les raisons précises de ces interventions, ayant indiqué lors de votre entretien avec l'agent ministériel ne pas savoir pourquoi la police turque aurait ciblé votre domicile, tout en suggérant vaguement que cela pourrait être lié à votre origine kurde. Or, dans le cas de telles violences subies, cette hésitation, voire méconnaissance compromettante, semble difficilement compatible avec la probabilité d'une persécution ciblée en raison de votre origine kurde. De plus, si votre famille avait effectivement été victime de telles violences policières répétées, il serait vraisemblable que des preuves aient été conservées ou que des démarches formelles aient été entreprises pour signaler ces abus, à l'image de vos deux demandes de protection que votre famille aurait introduites « auprès de deux mairies du quartier » (p.10/13 du rapport d'entretien). Or, l'absence de telles preuves et la nature imprécise de vos déclarations poussent à sérieusement s'interroger sur la crédibilité de vos déclarations.

Dans ce contexte, Madame, il est nécessaire de rajouter que le manque de crédibilité de vos déclarations s'étend également à celles de vos parents et de votre fratrie, et plus particulièrement à celles de votre mère, qui a fait le choix de revenir au Luxembourg avec votre 9fratrie mineure pour introduire une deuxième demande de protection internationale le 30 octobre 2024, soit un mois et demi après son transfert. À leur retour au Luxembourg, le 28 octobre 2024, votre sœur a justifié cette démarche à travers son mandataire en formulant des allégations graves, mais non prouvées, telles que des attouchements subis en Croatie de la part d'un agent de police. En effet, si votre sœur avait effectivement été victime d'attouchements sexuels, la Direction générale de l'immigration est avec discernement en droit de s'attendre à ce qu'elle ait déposé une plainte au Croatie, sinon qu'elle entame des démarches depuis le Luxembourg. Or, force est de constater qu'à ce jour, accompagnée par un mandataire, elle n'a entrepris aucune démarche en ce sens.

Ce recours répété à des accusations sans fondement démontre clairement un mépris pour le cadre juridique, les décisions des autorités européennes et les règles régissant le système d'asile. Cette stratégie systématique, qui consiste à « réinventer » des faits à chaque étape de la procédure, visant à semer le doute et à contourner les décisions légales, révèle une volonté manifeste de manipuler le système à des fins purement personnelles, sans jamais étayer les allégations avec des preuves tangibles.

Outre la faiblesse intrinsèque de vos déclarations et des motifs que vous invoquez pour justifier votre demande de protection internationale, exacerbée par votre comportement répréhensible affiché au Luxembourg depuis votre majorité, il apparaît clairement que vos craintes relatives aux violences policières sont non seulement exagérées, mais également non fondées. Force est en effet de constater que rien ne vous est jamais arrivé personnellement, mais que les événements que vous relatez concernent vos parents et non vous-même. Or, des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de votre famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est clairement pas le cas en l'espèce, alors que vous restez en défaut d'étayer un lien entre le prétendu traitement de vos parents ou grands-

parents et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. En effet, il ne ressort pas de vos déclarations que vous auriez été spécifiquement visée par les autorités turques lors de ces interventions policières, que vous auriez personnellement été recherchée pour vous être interposée ou pour une quelconque autre raison ou que vous auriez été en interaction avec la police à d'autres reprises, outre ces trois interventions qui constituent une fréquence relativement faible sur une période de plus de quinze années.

À toutes fins utiles, Madame, il échet également de noter que les Kurdes représentent plus de 20% de la population totale en Turquie et que la majorité d'entre eux vivent de manière intégrée et participent activement à la vie économique, sociale et politique du pays, et ce d'autant plus dans des grandes villes turques comme Istanbul, où leur population est significative, ou encore à Izmir, Ankara et Adana. Les Kurdes sont présents dans tous les domaines de la société turque, que ce soit dans les secteurs de l'éducation - comme le corrobore vos propres déclarations — du commerce, de la santé et même dans la fonction publique. Des Kurdes peuvent également participer aux élections et être élus au Parlement ou dans les gouvernements locaux.

L'ensemble des conclusions ci-dessus permettent dès lors de retenir que votre comportement ne correspond nullement à celui d'une personne à la recherche d'une protection internationale. Ce constat, combiné au multiples contradictions et incohérences constatées par rapport à vos déclarations en lien avec vos motifs de fuite allégués, permet de retenir que vous n'avez manifestement pas quitté la Turquie alors que votre vie y aurait été menacée d'une 10manière ou d'une autre, mais pour des considérations de pure convenance personnelle, cherchant à vous installer au Luxembourg en abusant des procédures prévues en matière d'asile.

Au vu des considérations ci-dessus, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Au vu des considérations qui précèdent, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour en Turquie, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Turquie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, sinon des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Enfin, vous restez également en défaut d'établir qu'il existerait dans votre chef un risque réel d'être la victime de menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Au vu des conclusions ci-dessus, le statut conféré par la protection subsidiaire ne saurait pas vous être accordé. […] ».

Le ministre conclut finalement au rejet de la demande de protection internationale de Madame (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 13 novembre 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

11 Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 13 novembre 2024, telles que déférées. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, en précisant qu’elle aurait, accompagnée de ses parents et de sa fratrie, quitté son pays d’origine le 31 août 2022 et qu’elle-même et ses membres de famille auraient été appréhendés le 4 septembre 2022 par les autorités croates et forcés d’introduire une demande de protection internationale en Croatie. Elle relève par ailleurs que sa mère souffrirait de troubles psychologiques graves, raison pour laquelle celle-ci aurait dû être hospitalisée au Luxembourg en juillet 2024, et qu’elle-même souffrirait, depuis une intervention policière au sein de son domicile en Turquie, d’un hoquet chronique.

En se référant à son rapport d’entretien du 5 novembre 2024, Madame (A) fait ensuite valoir qu’elle n’aurait pas été informée du transfert en Croatie prévu pour le 13 septembre 2024 et qu’elle se serait trouvée à son lieu de travail au secrétariat de l’administration communale de … à cette date, de sorte qu’elle n’aurait pas pu être transférée avec sa famille. Tout en citant quelques extraits dudit rapport d’entretien, elle explique que sa vie serait en danger en Turquie, en mettant en exergue que l’ensemble de sa famille se trouverait au Luxembourg, et notamment sa tante, Madame …, laquelle aurait obtenu le statut de réfugié suivant un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2015, inscrit sous le numéro 36708C du rôle. Elle insiste, dans ce contexte, sur la situation dramatique de sa famille maternelle, laquelle aurait toujours subi des persécutions de la part des autorités turques, tel que cela aurait d’ailleurs été retenu par la Cour administrative dans son arrêt du 20 octobre 2015.

En droit et s’agissant d’abord de la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la demanderesse reproche au ministre de s’être livré à une fausse application de la loi, sinon à une appréciation erronée des faits d’espèce, en ce qu’il aurait, à tort, retenu que les faits qu’elle aurait relatés seraient sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié, respectivement au statut conféré par la protection subsidiaire.

A cet égard, elle fait valoir qu’elle ne se serait plus sentie en sécurité en Turquie face aux menaces, aux violences physiques et mentales, aux harcèlements et aux discriminations dont elle aurait fait l’objet en raison de son appartenance à l’ethnie kurde et de l’activité politique de sa famille, de sorte qu’elle n’aurait eu d’autre choix que de fuir son pays d’origine.

De l’avis de la demanderesse, dans la mesure où les persécutions, respectivement les atteintes subies seraient liées tant à son appartenance ethnique qu’aux activités politiques de sa famille, celles-ci seraient incontestablement pertinentes au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre à un statut de protection internationale.

12S’agissant ensuite de la décision de refus de lui accorder une protection internationale, et plus particulièrement le statut de réfugié, la demanderesse rappelle les faits relatés dans le cadre de son audition au ministère le 5 novembre 2024, à savoir, d’une part, qu’elle aurait subi des agressions physiques et morales de la part de ses instituteurs et professeurs et qu’elle aurait été exclue par ses camarades de classe en raison de son appartenance ethnique kurde et, d’autre part, qu’à plusieurs reprises, ses parents auraient été frappés et leur domicile saccagé par les policiers turcs, tout en relevant l’absence de protection de la part des autorités turques.

Après avoir énoncé les définitions et conditions prévues aux articles 2, points f) et h), 39 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse critique l’argumentation ministérielle suivant laquelle son comportement adopté en Croatie, consistant à ne pas attendre l’issue de la procédure relative à sa demande de protection internationale y introduite, ne serait pas compatible avec celui d’une personne se trouvant réellement à la recherche d’une protection internationale, en soutenant qu’elle-même et sa famille auraient fait l’objet de traitements inhumains et dégradants en Croatie, tout en renvoyant à cet égard aux témoignages de ses membres de famille, lesquels feraient état des violences physiques et verbales subies de la part des autorités croates, ainsi que des conditions de vie indignes dans ledit pays, notamment en termes d’hébergement.

La demanderesse conteste, par ailleurs, le manque de crédibilité retenu par le ministre quant à son récit, en faisant valoir que sa vie aurait été marquée, depuis son plus jeune âge, par des événements traumatisants, survenus aussi bien en Turquie qu’en Croatie, qui auraient affecté sa santé mentale, de même que celle de sa mère, tel qu’en attesteraient différents certificats médicaux versés en cause. Elle ajoute à ce sujet que le Centre de rétention, où l’entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale se serait tenu, aurait influencé sa présentation des faits, alors qu’il s’agirait d’un environnement anxiogène qui ne favoriserait pas un dialogue libre et détaillé. Enfin, elle estime qu’une analyse croisée entre ses déclarations et celles de ses proches, notamment de ses parents et de sa tante, permettrait de confirmer la véracité de ses dires.

Elle en conclut que son récit devrait être considéré comme crédible, contrairement aux interprétations erronées du ministre.

En prenant appui sur l’article 10, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse reproche encore au ministre de ne pas avoir procédé à une analyse individuelle, objective et impartiale de sa situation, alors qu’il aurait omis de prendre en considération celle de ses membres de famille.

Quant aux conditions relatives au statut de réfugié, elle précise qu’elle craindrait avec raison de subir des persécutions dans son pays d’origine, alors qu’elle y aurait déjà subi des violences en raison de son ethnie kurde et qu’elle aurait été témoin de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », subis notamment par sa famille.

En effet, son arrière-grand-père aurait notamment logé des personnes appartenant au mouvement PKK, ses grands-parents auraient été assassinés en raison des activités politiques de son grand-père, ses oncles et grand-oncle auraient été recherchés par les autorités turques, sa tante aurait fait l’objet de graves persécutions, son père aurait fait l’objet d’un emprisonnement et sa mère et sa fratrie auraient subi des violences de la part des autorités turques. La demanderesse en déduit qu’elle risquerait également de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine en raison des activités politiques des membres de sa 13famille et conclut qu’elle devrait, dès lors, se voir accorder le statut de réfugié, à l’instar de sa tante, Madame …. Elle rappelle encore, dans ce contexte, avoir été victime, d’une part, de violences policières à son domicile en Turquie et, d’autre part, de violences tant physiques que morales exercées à l’école par ses instituteurs et ses camarades de classe en raison de son appartenance ethnique kurde.

La demanderesse considère encore que les conditions de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies en l’espèce, alors que l’acteur des persécutions en question serait l’Etat turc, représenté, d’une part, par les policiers chargés d’exécuter les ordres du gouvernement turc et, d’autre part, par l’établissement scolaire comprenant le personnel étatique. Elle estime, par ailleurs, remplir les conditions de l’article 42, paragraphes (1) et (2), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et relève qu’elle ne saurait prétendre à aucune protection de la part des autorités turques.

Il y aurait dès lors lieu de réformer la décision ministérielle litigieuse et de lui accorder le statut de réfugié.

S’agissant de la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse soutient qu’elle risquerait, à l’instar de ses grands-

parents maternels, tués par des policiers, de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) dudit article 48, en raison de l’engagement politique de sa famille, tout en soulignant l’absence de toute protection par les autorités turques.

En se référant à l’article 3 de la CEDH et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH » y relative, elle ajoute qu’elle risquerait également de faire l’objet de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, tels que prévus par le point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. A cet égard, elle se prévaut encore des dispositions de l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la même loi, en faisant valoir que les actes qu’elle aurait subis en Turquie seraient suffisamment graves et répétés pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme et en conclut qu’elle devrait, dès lors, se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

Enfin, en se référant à l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire suite à la réformation de la décision de refus d’octroi de la protection internationale à son encontre et demande le renvoi de son affaire devant une composition collégiale du tribunal administratif.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soulignant que ce serait à bon droit que le ministre aurait rejeté la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre de la procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, alors que celle-ci n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, constat qui serait confirmé à la lecture de la requête introductive d’instance de cette dernière.

Quant au refus d’octroi à la demanderesse du statut de réfugié, le délégué du gouvernement fait, en premier lieu, valoir que le comportement adopté par l’intéressée depuis son arrivée en Europe, et notamment le fait pour celle-ci d’avoir quitté la Croatie sans attendre l’issue de la demande de protection internationale y introduite, ne serait pas compatible avec 14celui d’une personne qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale, constat qui ne serait pas remis en cause par les explications de la demanderesse contenues dans sa requête introductive d’instance.

En second lieu, le délégué du gouvernement fait plaider que l’absence de besoin de protection dans le chef de la demanderesse serait encore confirmée par le fait qu’elle se serait soustraite à plusieurs reprises à son transfert vers la Croatie, le délégué contestant à cet égard l’explication de la demanderesse suivant laquelle elle n’aurait pas été informée du transfert prévu et ne se serait, dès lors, pas volontairement soustraite à son transfert. Il en conclut que le comportement ainsi adopté par la demanderesse porterait nécessairement atteinte à la crédibilité de son récit.

En troisième lieu, le délégué du gouvernement estime que les motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas d’une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, respectivement ne la viseraient pas personnellement. En effet, les maltraitances et insultes qu’elle aurait subies à l’école de la part des élèves et des instituteurs n’atteindraient, selon le délégué, pas le seuil de gravité suffisant pour constituer des actes de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant des trois interventions policières qui se seraient déroulées au domicile de la famille (A), le délégué du gouvernement fait valoir qu’outre le fait qu’il s’agirait d’une fréquence relativement faible sur une période de plus de quinze années, l’absence d’un quelconque élément de preuve, ainsi que le manque de précision des déclarations de la demanderesse, laquelle ne connaitrait notamment pas la raison des interventions policières, remettraient en cause tant la crédibilité de son récit que la gravité des problèmes qu’elle invoquerait. A ce titre, le délégué du gouvernement conteste encore les explications y relatives de la demanderesse, tenant à son état de santé mental et à l’environnement anxiogène dans lequel son audition du 5 novembre 2024 se serait tenue.

Il considère, par ailleurs, que les événements relatés par la demanderesse constitueraient des faits non personnels, alors qu’ils auraient été vécus par d’autres membres de sa famille et que la demanderesse resterait en défaut d’expliquer dans quelle mesure elle risquerait de subir des actes similaires, de sorte qu’ils ne seraient pas susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son chef.

Il conclut, au regard de ce qui précède, que ce serait à bon droit que le ministre aurait refusé d’accorder le statut de réfugié à la demanderesse.

Quant au refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire et tout en citant les articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement estime qu’il ressortirait à suffisance du dossier administratif que les raisons ayant amené la demanderesse à quitter son pays d’origine ne rentreraient pas dans le champ d’application dudit article 48. A cet égard, il relève que l’argumentation de la demanderesse relative à un risque, dans son chef, de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) dudit article 48, en raison de l’engagement politique de sa famille ou de son appartenance ethnique kurde serait purement hypothétique pour n’être étayée par aucun élément de preuve concret. S’agissant de l’invocation, par la demanderesse, d’un risque de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, tels que prévus par le point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’elle aurait déjà subi des atteintes suffisamment graves et répétées pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, le délégué 15du gouvernement rétorque que la demanderesse resterait en défaut d’établir qu’elle aurait déjà subi de telles atteintes graves en Turquie, en soulignant que le seul fait qu’elle aurait été giflée ou tirée par les cheveux lors d’une intervention policière, aussi condamnable qu’il soit, ne saurait suffire pour établir que cette dernière aurait subi des atteintes graves, ce d’autant plus qu’il ne serait pas établi qu’elle serait personnellement visée ou recherchée par les autorités turques.

Il en conclut que ce serait également à juste titre que le ministre aurait refusé d’accorder à la demanderesse le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut dès lors au caractère manifestement infondé des moyens présentés par la demanderesse à l’appui de son recours à l’encontre des décisions ministérielles déférées, tout en se référant, par ailleurs, à ses développements précédents pour conclure également au rejet des moyens de la demanderesse dirigés à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire.

Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer. », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour la demanderesse de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire 16en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet, étant encore relevé qu’à l’audience des plaidoiries, le mandataire de l’intéressée a affirmé avoir reçu l’ensemble des éléments du dossier administratif.

Il y a ensuite lieu de rappeler qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et plus précisément du moyen tiré d’une violation de l’article paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement […] », au motif que le ministre aurait omis de prendre en considération la situation de ses membres de famille, force est au tribunal de constater que, contrairement à ce que fait plaider la demanderesse, le ministre a expressément fait référence et pris position par rapport aux persécutions qu’auraient subies les membres de famille de celle-

ci, en retenant notamment qu’il ne s’agirait pas de faits personnels susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef de l’intéressée, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter pour être manifestement infondé.

S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision déférée, sous l’angle de son premier volet, à savoir celui relatif à la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si la demanderesse n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa 17résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

18 Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il y a ensuite lieu de préciser que le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre, malgré le fait d’avoir examiné par pure hypothèse les motifs à la base de la demande de protection internationale de la demanderesse, est finalement arrivé à la conclusion que le récit de celle-ci ne serait pas crédible dans son ensemble pour conclure à l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, approche confirmée par le délégué du gouvernement.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-

ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves3.

En l’espèce, étant donné que la demanderesse prend position de manière assez circonstanciée dans sa requête introductive d’instance par rapport à la mise en doute de la crédibilité de son récit et que cette argumentation ne saurait d’ores et déjà être considérée, à ce stade, comme étant visiblement dénuée de toute pertinence, un examen plus poussé excédant le cadre de l’analyse de la soussignée est nécessaire.

Par ailleurs, et pour autant que le ministre se serait, outre sur son constat d’une absence de crédibilité du récit de la demanderesse, également entendu baser sur son analyse au fond des motifs à la base de la demande de protection internationale de l’intéressée pour conclure à l’application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, la soussignée constate que cette dernière fonde sa demande sur sa crainte de faire l’objet de persécutions, sinon d’atteintes graves du fait de son appartenance à l’ethnie kurde, en faisant notamment état de discriminations et de violences policières qu’elle aurait subies dans son pays d’origine de la part d’entités étatiques, et notamment des forces de l’ordre turques en raison de son appartenance à l’ethnie kurde. Or, à cet égard, il échet à la soussignée de constater que les faits ainsi invoqués par la demanderesse ne sont manifestement pas dénués de toute pertinence au regard des conditions d’octroi d’une protection internationale, telles que rappelées ci-avant, 3 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 135 et les autres références y citées.

19lesdits motifs nécessitant dès lors un examen plus poussé dépassant le cadre de l’analyse de la soussignée.

Au vu de toutes ces considérations, la soussignée conclut que le recours sous analyse ne saurait être considéré comme étant manifestement infondé, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer le dossier à la formation collégiale de la troisième chambre du tribunal administratif pour statuer plus en avant, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner, à ce stade, le recours quant aux deux autres volets de la décision.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 novembre 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre celle portant ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire à la troisième chambre du tribunal administratif pour y statuer ;

fixe l’affaire à l’audience publique de la troisième chambre du mardi, 25 mars 2025 à 09.00 heures pour plaidoiries ;

rejette la demande en communication du dossier administratif comme étant devenue sans objet ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2024 par la soussignée Sibylle Schmitz, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Sibylle Schmitz Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51997
Date de la décision : 17/12/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-12-17;51997 ?

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