Tribunal administratif N° 52028R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52028R Inscrit le 29 novembre 2024 Audience publique du 13 décembre 2024 Requête en instauration d’un sursis à exécution et d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame (A), …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière d’exercice de l’activité d’assistante parentale
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 52028R du rôle et déposée le 29 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc MAJERUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le …, demeurant à L-…, tendant à pouvoir bénéficier d’un sursis à exécution par rapport à la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 20 juin 2024 ayant suspendu avec effet immédiat l’agrément ministériel n° … du … 2023 l’ayant autorisé à exercer l’activité d’assistante parentale, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation sinon en réformation ayant été déposé le même jour , inscrit sous le numéro 52027 du rôle, dirigé contre cette même décision ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu la note de plaidoiries déposée le 3 décembre 2024 par Madame le délégué du gouvernement Aurore GIGOT pour l’Etat ;
Vu les pièces versées et notamment la décision déférée ;
Maître Züleyha KAN, en remplacement de Maître Luc MAJERUS, pour la partie requérante, et Madame le délégué du gouvernement Aurore GIGOT entendues en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 4 et 11 décembre 2024.
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En date du … 2023, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé le « ministre », accorda à Madame (A) sous la référence … l’agrément pour l’exercice de l’activité d’assistance parentale tel que prévu par la loi du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale à partir du … 2023 pour une durée de 5 ans, soit jusqu’au … 2028.
En date du 20 juin 2024, le ministre adressa à Madame (A) une décision portant suspension avec effet immédiat l’agrément ministériel n° … du … 2023 l’ayant autorisé à exercer l’activité d’assistante parentale, ladite décision étant motivée comme suit :
« […] Par la présente, je tiens à vous informer de ce qui suit :
1En date du 11 juin 2024, le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse fût informé par écrit que vous auriez prétendument porté des coups à un enfant qui est accueilli auprès de vous en votre qualité d’assistante parentale.
La représentante légale de l’enfant concerné était à l’origine de cette information. Pour étayer ses propos, elle a annexé à son courriel :
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des photos du corps d’un enfant sur lequel des hématomes étaient visibles ;
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un rapport médical émanant du médecin en charge des urgences pédiatrique de la «Kannerklinik» du 11 juin 2024 constatant la présence de 5 hématomes sur le corps de l’enfant concerné et -
un certificat du médecin susmentionné du 11 juin 2024 constatant l’incapacité de l’enfant de fréquenter l’école le 11 juin 2024.
Les faits qui vous sont reprochés se seraient déroulés le 10 juin 2024.
Après avoir récupéré l’enfant concerné, la représentante légale aurait constaté l’existence d’hématomes sur son corps.
Suite à cela, elle aurait interrogé son enfant afin de déterminer l’origine des blessures.
L’enfant concerné aurait fini par affirmer que vous l’auriez frappé, et que ce ne serait pas la première fois.
A cela s’ajoute qu’il aurait également avoué à sa représentante légale que vous auriez également frappé deux autres enfants au paravent pendant les heures d’accueil.
Vous auriez d’ailleurs avoué avoir donné deux claques sur les fesses de l’enfant concerné le jour en question.
Suite à cela, le représentant légal de l’enfant concerné se serait présenté le jour même au commissariat de … pour dénoncer les faits.
L’enfant fût examiné par un médecin le 11 juin 2024, vers ….
Les informations reçues de la part de la représentante légale de l’enfant concernés sont prises très au sérieux par le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse.
Par ailleurs et conformément à l’article 23, paragraphe 2 du Code de procédure pénale, toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, ainsi que tout salarié ou agent chargés d’une mission de service public, qu’il soit engagé ou mandaté en vertu de dispositions de droit public ou de droit privé, qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance de faits susceptibles de constituer un crime ou un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur d’Etat et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs, et cela nonobstant toute règle de confidentialité ou de secret professionnel lui étant applicable le cas échéant.
S’ils s’avéreraient être exactes, les faits dénoncés par la représentante légale sont susceptibles de constituer une infraction pénale. Par conséquent, et en application de l’article 23, paragraphe 2 du Code de procédure pénale, nous allons transmettre les informations que 2nous avons reçues de la part de la représentante légale de l’enfant concerné au procureur d’Etat.
Conformément à l’article 8, paragraphe 1er, alinéa 4 de la loi modifiée du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse peut, en cas d’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis par l’assistant parental ou par son remplaçant, suspendre sans délai l ’assistant parental de l’exercice de son activité jusqu’à l’aboutissement des procédures ayant pour objet d’établir les faits en question.
Par ailleurs, la suspension de l’activité d’assistance parentale entraîne de plein droit la suspension de la convention conclue entre l’Etat représenté par le ministre ayant le chèque-
service accueil dans ses attributions et l’assistant parentale.
* En l’espèce et au vu de ce qui précède, force est de constater que le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse a reçu un signalement faisant présumer l’existence de fait graves susceptibles de constituer un risque imminent pour la santé physique et morale des enfants accueillis auprès de vous dans le cadre de votre activité d’assistance parentale.
Dans un pareil cas, l’article 8, paragraphe 1er, alinéa 4 de la modifiée du 15 décembre 2017 précité confère au Ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse la faculté de suspendre l’activité d’assistance parentale, sans pour autant lui retirer l’agrément, en attendant l’issue de l’instruction et du jugement à intervenir et ce, afin de garantir, le cas échéant, l’intérêt supérieur des enfants.
Il s’ensuit que le Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse décide de ce qui suit :
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conformément à l’article 8, paragraphe 1er, alinéa 4 de la loi modifiée du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale, votre agrément ministériel n° … du … 2023 est suspendu avec effet immédiat en attendant l’issue de l’instruction et, le cas échéant, du jugement à intervenir.
Je tiens également à vous informer qu’en raison de la suspension de votre activité d’assistance parentale, l’accord de collaboration que vous avez signé en date du … 2018 avec le ministre ayant le chèque-service accueil dans ses attributions est également suspendu de plein droit, et ce également, en application de l’article 8, paragraphe 1er, alinéa 4 de la loi modifiée du 15 décembre 2017 précité.
Par conséquent, à compter de la notification de la présente, il vous est formellement interdit d’exercer votre activité d’assistance parentale et d’accueillir des enfants dans le cadre de cette activité. Tout accueil sans agrément et passible de poursuites pénales. […] » Par courrier de son mandataire du 2 juillet 2024, Madame (A) fit adresser un recours gracieux au ministre, libellé comme suit :
3« […] J’ai l’honneur de vous informer que je suis le conseil juridique de Madame (A), assistante parentale, demeurant à L-….
Vous avez retiré, sur base de simples affirmations, étayées par des photos non datées et sans aucune pertinence, l’agrément N. … à ma cliente par courrier recommandé du 20 juin 2024.
Veuillez noter que votre volonté d’éviter tout risque potentiel aux enfants dont avait la garde ma cliente ne doit pas primer sur la présomption d’innocence de cette dernière et/ou comporter des conséquences professionnelles, personnelles et financières exagérées et non justifiables au vu de la situation en fait.
Je vous remercie dès lors de bien vouloir considérer la présente comme recours gracieux contre ladite décision avec prière de me faire parvenir votre réponse définitive dans les meilleurs délais afin de ne pas priver plus longtemps ma mandante de toute ressource professionnelle et d’éviter le dépôt d’une requête en référé devant le Tribunal administratif.
Je vous donne de plus amples informations quant aux faits reprochés à ma mandante.
Cette dernière fût entendue par la Police en date d’hier, lundi 1er juillet 2024. Après avoir entendu la version des faits de ma mandante la Police était d’avis qu’il devait y avoir d’autres explications plus plausibles pour les bleus sur (B) que des coups de Madame (A) et qu’il y aurait de fortes probabilités que le dossier sera classé par le Parquet. Afin d ’essayer de minimiser le préjudice de Madame, le policier en charge du dossier a même promis de finaliser le PV dans les meilleurs délais.
Lors de l’interrogatoire Madame (A) a expliqué, notamment ce qui suit :
Elle exerce sans aucun écart la fonction d’assistante parentale depuis 2011, à la pleine satisfaction de tous les enfants et de tous les parents jusqu’en date de ce jour.
Elle a des enfants dont elle devait s’occuper à partir de ce mois-ci, qui sont les enfants de ceux dont elle s’est elle-même occupée en début de carrière ; grand signe de confiance et de reconnaissance.
Les parents des 4 autres enfants dont s’occupait Madame (A) veulent tous rester auprès de cette dernière et se sont portés volontaires afin d ’être entendus dans le cadre de cette affaire.
(B) est un garçon très difficile, souvent fâché et en crise.
Il se dispute souvent avec les autres enfants et l’école a déjà dû appeler plusieurs fois les parents suite à des disputes et bagarres, et notamment le jour des faits.
Les bleus photographiés ne peuvent en aucun cas résulter de coups donnés par Madame (A), alors que premièrement elle n’a pas donné de coups violents aux endroits visés et que deuxièmement l’état évolutif de ces bleus laisse penser qu’ils sont plus anciens que quelques heures seulement.
4Il est tout à fait probable que ces bleus soient la conséquence d’une des nombreuses chutes de (B) (il se laisse tomber lors de ses crises ou se jette par terre) ou d’une de ses bagarres à l’école.
Madame (A) a relaté en détail le déroulement de la journée du 10 juin et a indiqué que (B) n’obéissait pas, poussait (C) et donnait des coups de pieds sur les jambes et les mains de ma mandante quand elle a essayé de le calmer respectivement de le sortir de sa crise.
Ce n’est pas parce qu’un enfant manque d’éducation ou d’obéissance que Madame (A), qui fait un travail remarquable et honorable depuis plus de dix ans, risque maintenant de tout perdre ! Il faut quand-même réussir à faire la différence entre un risque même minime que les autres enfants encourraient chez Madame (A), sa présomption d’innocence, en l’absence du moindre antécédent, et les déclarations unilatérales de parents qui n’étaient pas présents lors des faits et qui se permettent de produire des photos non datées de « bleus ».
Sachez que moi aussi, ayant des enfants de 7 et de 9 ans, je pourrai vous faire presque quotidiennement des photos de bleus, conséquence de chutes dans la cour de récréation, du sport, des séances de gymnastique, de bousculades à l’école ou de simples accidents (cognement contre un meuble, coup dans le tibia lors d’un match de foot, etc.) Ces photos ne prouvent rien et sont dépourvues de toute pertinence.
Ma cliente conteste formellement toute responsabilité dans la genèse de ces bleus.
Je vous prie dès lors de bien vouloir noter que les 4 autres enfants n’encourent aucun risque (et n’en ont jamais encouru) chez ma cliente de sorte que je vous remercie de bien vouloir revenir sur votre décision de retrait avec effet immédiat de l’agrément.
Vous avez fait ce que vous deviez faire, dans un premier réflexe, mais au vu de ces explications, cette mesure ne fait plus de sens alors qu’elle est complètement disproportionnée à la situation. […] ».
Par décision du 2 septembre 2024, le ministre rejeta ledit recours gracieux en les termes suivants :
« […] Par la présente, j’accuse bonne réception du recours gracieux introduit en date du 2 juillet 2024 contre une décision datée du 20 juin 2024 suspendant avec effet immédiat l’agrément n° … pour l’exercice de l’activité d’assistante parentale de votre mandante la dame (A) demeurant à L-….
A l’appui de votre recours, vous contestez les accusations de violence physique nous dénoncées.
Je suis malheureusement au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de donner une suite favorable à ce recours et que je confirme ma décision de suspension de l’agrément n° … aux motifs suivants :
5L’article 8 (1) paragraphe 4 de la loi du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale dispose que « en cas d’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis par l’assistant parental ou par son remplaçant, le ministre peut suspendre sans délai l’assistant parental de l’exercice de son activité jusqu’à l’aboutissement des procédures ayant pour objet d’établir les faits en question. La suspension de l’activité d’assistance parentale entraîne de plein droit la suspension de la convention conclue entre l’Etat représenté par le ministre ayant le chèque-service accueil dans ses attributions et l’assistant parental. » En date du 11 juin 2024 le ministère de l’Education national, de l’Enfance et de la Jeunesse a été informé par écrit que votre mandante aurait porté des coups à un enfant. Les faits présumés étaient étayés de pièces dont notamment des photos et des rapports médicaux.
Vous contestez ces faits et invoquez une prétendue violation de la présomption d’innocence ainsi qu’une disproportion de la mesure.
Vous invoquez en effet une entrevu avec la police, sans pour autant fournir de procès-
verbal.
Il n’appartient pas au ministère de se prononcer sur la véracité des faits qui ont fait l’objet d’une plainte déposée par les représentants légaux de l’enfant visé et d’une dénonciation au parquet par les agents du ministère.
Force est de constater qu’il existe un doute sérieux faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique des enfants accueillis et ce d’autant plus que vous ne fournissez aucune pièce de nature à étayer vos dires.
L’article 19 de la convention relative aux droits de l’enfant fait obligation aux Etats qui y sont parties de prendre toutes les mesures législatives administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales.
Il appartient dès lors aux autorités judiciaires de se prononcer quant aux faits reprochés à votre mandante.
Ce faisant, le législateur à donner la possibilité de suspendre l’activité d’assistance parentale sans pour autant retirer l’agrément, en attendant l’issue de l’instruction.
Partant il ne saurait être fait état d’une prétendue violation de principe de la présomption d’innocence.
Une telle mesure ne saurait en aucun cas être qualifié de disproportionnée. En effet, il importe de garantir la sécurité physique et psychique des enfants, dès lors la présomption de fait de violence opéré par une assistante parentale sur les enfants sous sa garde constitue une mise en danger des enfants concernés.
Il importe partant de garantir la sécurité physique des enfants en attendant l’issue des procédures.
6Partant, en l’absence d’éléments de nature à infirmer les faits dont votre mandante s’est prétendument rendue coupable, il y lieu de maintenir la suspension de l’agrément … décidée en date du 20 juin 2024.
Ce faisant, il est dans l’intérêt des enfants, de suspendre l’agrément …, jusqu’à l’aboutissement des procédures ayant pour objet d’établir les faits en question.
Vu ce qui précède, je me vois malheureusement dans l’obligation de vous faire part que votre recours est recevable en la forme mais que quant au fond, il n’est pas fondé.
Je ne suis dès lors, dans l’état actuel du dossier, pas en mesure de donner une suite favorable au recours gracieux introduit en date du 2 juillet 2024 contre la décision du 20 juin 2024 suspendant l’agrément n° … avec effet immédiat, conformément aux dispositions de l’article 8 de la loi du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale. […] » Par requête déposée le 29 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 52027 du rôle, Madame (A) fit introduire un recours en annulation, sinon en réformation, à l’encontre de la prédite décision de suspension, datée du 20 juin 2024, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 52028 du rôle, elle sollicite le sursis à exécution de la décision de suspension en question ainsi que l’instauration d’une mesure de sauvegarde, consistant à se voir autorisée au provisoire, à titre de mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts, à exercer l’activité d’assistance parentale jusqu’au jour où le Tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Madame (A) estime que les conditions requises par la loi pour obtenir un sursis à exécution et une mesure de sauvegarde par rapport à cette décision seraient remplies en l’espèce, à savoir que l’exécution de celle-ci risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable et que par ailleurs, les moyens invoqués contre ladite décision apparaîtraient comme sérieux.
En ce qui concerne le préjudice grave et définitif, Madame (A) affirme qu’à défaut de sursis imposé à l’exécution de la décision de suspension et à défaut de se voir autorisée à exercer à titre provisoire l’activité d’assistance parentale, elle serait privée de toute ressource. Elle expose exercer depuis treize ans l’activité d’assistante parentale, laquelle constituerait sa seule source de revenu, tandis qu’elle ne disposerait d’aucun autre diplôme lui permettant de retrouver rapidement un emploi dans un autre domaine. Agée de … ans, il serait évident qu’une intégration dans le milieu professionnel serait extrêmement compliquée. Par ailleurs, depuis la suspension de son agrément la requérante se retrouverait sans revenus alors qu’elle ne peut même pas bénéficier du chômage.
Enfin, outre l’aspect financier, la suspension de l’agrément lui causerait un réel préjudice dans la mesure où elle verrait sa réputation mise à mal pour des faits non établis, de sorte qu’il serait probable qu’elle éprouve des difficultés à retrouver une clientèle après cette procédure, tandis qu’au vu de l’incertitude quant à la durée de l’instruction respectivement au vu de la lenteur de la procédure au fond, la requérante devrait très certainement attendre un long moment avant d’être fixée sur son sort.
En ce qui concerne les moyens d’annulation, sinon de réformation, dont Madame (A) soutient le caractère sérieux, elle reprend dans ce contexte ses arguments développés dans son recours au fond, consistant, en substance, à contester d’abord la légalité externe de la décision 7déférée aux juges du fond, pour ensuite, au niveau de la légalité interne, contester tant la proportionnalité de la décision, que son bien-fondé, alors que selon la requérante, il existerait de véritables doutes quant aux circonstances et quant à l’imputabilité des faits.
Au titre d’un moyen d’illégalité externe, elle allègue que l’auteur de la mesure ne bénéficiait pas de la délégation de signature requise pour édicter la décision de suspension et que cette décision violerait l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'état et des communes pour être dénuée de toute motivation, dans la mesure où la décision reposerait sur des allégations qui laisseraient d'être établies.
Elle donne ensuite à considérer, en guise de moyen d’illégalité interne, en ce qui concerne le défaut de caractère proportionné de la décision incriminée, l’absence de tout antécédent dans son chef ainsi que le fait qu’elle devrait pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence eu égard au fait qu’une enquête serait toujours en cours.
Elle relève encore que la décision de suspension aurait été prise uniquement sur base des déclarations de la mère de l’enfant qu’elle aurait prétendument frappé, tandis que les déclarations et pièces fournies à l’appui des allégations ne permettraient pas de retenir avec certitude que les hématomes retrouvés sur le corps de l’enfant proviendraient de violences qu’elle lui aurait fait subir, la requérante estimant encore que les déclarations de la mère seraient contradictoires et confuses.
Quant au certificat médical produit par les parents de l’enfant, émis le lendemain des prétendues violences, elle relève que celui-ci ne préciserait pas si les hématomes sont récents ou non, tout comme il n’indiquerait pas si les hématomes proviennent d’une chute, d’un cognement avec un objet ou une personne comme un autre enfant par exemple.
Par ailleurs, l’enfant concerné souffrirait d’une maladie qui elle-même, respectivement son traitement pourrait avoir des conséquences notamment sur la coagulation du sang et pourrait provoquer l’apparition d’hématomes.
Outre l’imprécision et l’absence de preuve d’un lien direct et incontestable entre les hématomes et la violence qu’elle aurait prétendument commise, Madame (A) considère dès lors que la mesure prise à son égard paraîtrait excessive sinon disproportionnée.
Enfin, aurait été rendue avant que la requérante n’ait été entendue par la police pour s’exprimer au sujet des faits qui lui sont reprochés, de sorte que sa défense n’aurait pas été prise en compte par le ministre avant la décision litigieuse ; or, cette façon de procéder aurait porté atteinte à ses droits de la défense.
Le représentant étatique expose que les conditions légalement prévues pour ordonner un sursis à exécution ne seraient pas remplies en l’espèce, en contestant tant l’existence d’un préjudice grave et définitif que le sérieux des moyens invoqués.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
8Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Or, en vertu de l’article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée par devant les juges du fond risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
L’affaire au fond a été introduite le 29 novembre 2024, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En l’espèce, il appert toutefois que se pose directement la question de la recevabilité même de la requête telle que libellée, respectivement de sa portée, question soulevée et débattue contradictoirement lors de l’audience publique du 4 décembre 2024.
Force est en effet de relever que la partie requérante sollicite, cumulativement, tant l’octroi d’un sursis en exécution que d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision ayant suspendu l’agrément autorisant la requérante à exercer l’activité d’assistante parentale.
Or la requérante ne saurait solliciter tant un sursis à exécution qu’une mesure de sauvegarde, s’agissant de deux mesures provisoires non cumulables, visant deux cas de figure bien distinct, le sursis ne pouvant être accordé que par rapport une décision exécutoire et la mesure de sauvegarde que par rapport à une décision négative1.
Force est ensuite au soussigné de constater que la requête sous analyse pose encore une question de compétence du juge du provisoire, également soulevée d’office conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999.
En effet, comme indiqué ci-dessus, une mesure provisoire ne peut être décrétée en vertu de l’article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, ces deux conditions devant impérativement être remplies cumulativement.
Il convient en effet de relever que la seule décision déférée, à savoir la décision de suspension de l’agrément, s’analyse, à première vue, comme une mesure provisoire et conservatoire.
1 Trib. adm. (prés.) 8 juillet 2022, n° 47651 ; trib. adm. (prés.) 8 juillet 2022, n° 47657.
9En effet, aux termes de l’article 8, paragraphe 1er, alinéa 4, de la Loi du 15 décembre 2017 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale, « En cas d’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis par l’assistant parental ou par son remplaçant, le ministre peut suspendre sans délai l’assistant parental de l’exercice de son activité jusqu’à l’aboutissement des procédures ayant pour objet d’établir les faits en question ».
Cet alinéa 4 a ainsi pour objet de donner au ministre, dans l’hypothèse de l’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis par l’assistant parental, la faculté de suspendre sans délai l’assistant parental de l’exercice de son activité jusqu’à l’aboutissement des procédures ayant pour objet d’établir les faits en question2. Il résulte encore à cet égard des travaux parlementaires afférents, qu’à défaut d’une telle mesure de suspension, entre le moment du signalement des faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants aux autorités judiciaires et administratives, le déclenchement d’une mesure d’instruction à la demande du parquet et le jugement à intervenir, l’assistant parental continue d’exercer son activité d’assistance parentale, ce qui, en cas de signalement aux autorités administratives de l’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis, est susceptible de constituer une mise en danger des enfants concernés, alors pourtant que l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant fait obligation aux Etats Parties de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde notamment de toute autre personne à laquelle il est confié. Le législateur a dès lors décidé de conférer à l’autorité administrative dans l’hypothèse de l’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants accueillis par l’assistant parental une faculté de suspendre l’activité d’assistance parentale, sans pour autant lui retirer l’agrément, en attendant l’issue de l’instruction et du jugement à intervenir, de sorte à sauvegarder l’intérêt supérieur des enfants accueillis est sauf, même si cette suspension se solde par un arrêt imposé à l’activité professionnelle de l’assistant parental, le législateur ayant manifestement estimé que le recours à cette mesure de suspension se justifierait en cas de l’existence de faits graves faisant présumer l’existence d’un risque imminent pour la santé physique ou morale des enfants3.
Ainsi, il résulte des travaux parlementaires que cette suspension constitue une mesure d’urgence à caractère conservatoire, destinée à interdire à titre provisoire l’exercice de l’activité d’assistante parentale, non destinée à sanctionner le bénéficiaire d’un agrément pour l’activité d’assistante parentale, mais justifiée par des motifs relevant de l’intérêt supérieur des enfants dans l’attente de l’issue d’une enquête administrative et /ou pénale.
Il s’agit dès lors encore d’une mesure provisoire.
Cette double qualité de décision provisoire et conservatoire a des conséquences directes sur l’office du juge du référé administratif.
2 Projet de loi n° 640912 portant réglementation de l’activité d’assistance parentale, Amendements gouvernementaux, Commentaires des articles, p. 9-10.
3 Idem.
10Ainsi, s’agissant d’une décision provisoire, les effets, du moins matériels, de celle-ci, sont nécessairement également de même nature, de sorte à ne pas pouvoir être considérés comme définitifs.
En effet, si la requérante met en avant un préjudice économique et moral, il convient d’une part de rappeler que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, ou qu’un rétablissement de la situation antérieure, ne seront pas possibles, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi du 21 juin 19994.
Or, une telle impossibilité de réparation n’existe en l’espèce pas : en effet, outre, comme retenu ci-dessus, que les effets matériels de la décision incriminée ne sont pas destinés à perdurer, s’agissant par définition d’une décision provisoire, le rétablissement éventuel de Madame (A) dans le plein bénéfice de son agrément - dans l’hypothèse notamment d’un classement sans suite par le parquet tel qu’annoncé par la requérante - sera de nature à mettre un terme immédiat au préjudice immatériel prétendument actuellement subi ; par ailleurs, indépendamment d’une telle issue administrative, en cas de réformation ou d’annulation de la décision de suspension, la requérante sera a priori rétroactivement remise dans une situation telle que toutes les conséquences matérielles de la décision seront effacées et le jugement ou arrêt afférent permettra en principe également de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation, la requérante disposant par ailleurs toujours de la possibilité de réclamer de ce chef des dommages et intérêts, respectivement d’agir pénalement contre la personne ayant initié ladite procédure.
Dès lors, le préjudice moral d’ores et déjà subi, respectivement celui auquel elle serait éventuellement exposée durant la procédure d’instruction ne saurait être considéré comme admissible pour prétendre au bénéfice d’une mesure provisoire, s’agissant d’un préjudice d’ores et déjà largement consommé, auquel une mesure provisoire ne saurait porter remède, sinon d’un préjudice par nature temporaire, le cas échéant terminé par un jugement d’annulation définitif, partant un préjudice non définitif.
Au-delà de ces considérations, comme relevé ci-avant, la décision de suspension en question constitue surtout une mesure conservatoire, destinée notamment, comme relevé ci-
dessus, à préserver l’intérêt supérieur des enfants confiés à la garde de l’assistante parentale.
Or, en ce qui concerne une demande de suspension, le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond, le juge devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-ci.
4 Trib. adm. (prés.) 28 mai 2001, n° 13446 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 687, et les autres références y citées.
11La même limite s’impose d’ailleurs au président lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, ledit article limitant explicitement la compétence du président à des mesures provisoires qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond.
La mesure provisoire est par définition celle qui présente un caractère réversible, celle qui peut être remise en cause par le juge du fond. Toutefois, pour que la mesure prononcée présente bel et bien un caractère réversible, il est nécessaire que la possibilité de remise en cause de la décision ne soit pas seulement virtuelle mais effective, ce qui suppose, par conséquent, que le litige ne s’éteigne pas par le seul prononcé de cette décision5.
En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.
Or, le soussigné, à admettre qu’il puisse accorder la suspension de la mesure conservatoire en cause, permettrait à la requérante de créer une situation de droit et de fait définitive : le juge siégeant au provisoire aurait de la sorte épuisé le fond, en ce sens que le futur jugement au fond relatif à ladite décision conservatoire et provisoire aurait totalement, sinon très largement perdu son objet à la date des plaidoiries devant les juges du fond, en ce sens qu’une éventuelle confirmation ex post de cette décision aurait perdu tout objet et toute utilité, puisque la requérante aurait, à cette date, pu continuer son activité d’assistante parentale, avec des éventuelles conséquences fâcheuses pour les enfants, sans aucune possibilité pour l’administration, en cas de confirmation de cette décision, de revenir sur ledit exercice par la requérante de son activité d’assistante parentale et de voir celui-ci mise à néant.
En d’autres termes, la suspension de la décision de suspension déférée entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision serait rejeté par le tribunal, une éventuelle confirmation de cette décision conservatoire n’ayant plus aucune incidence matérielle et juridique sur la situation de fait entretemps créée, le maintien en activité de l’assistante parentale et son éventuelle incidence sur l’intérêt des enfants ne pouvant plus être révoqués nonobstant l’éventuelle confirmation de la décision déférée. Ainsi, en l’espèce, le sursis d’une décision de suspension provisoire, respectivement l’octroi de la mesure de sauvegarde telle que sollicitée équivaudrait à son annulation.
Partant le soussigné ne saurait accueillir une telle demande incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire6.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation par la partie requérante d’une ordonnance7 ayant accordé une mesure de sauvegarde par rapport à une décision de suspension d’un médecin, s’étant agi en l’espèce d’une décision de suspension du droit d’exercer pour cause d’inaptitude prononcée pour une période déterminée, partant d’une décision certes limitée dans le temps, mais définitive et partant ni provisoire, ni conservatoire.
Il suit de toutes les considérations qui précèdent que la demande est à rejeter.
5 Trib. adm (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 587.
6 Voir en ce sens : trib. adm. (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954 ; trib. adm. (prés.) 9 mars 2017, n° 39148 ; trib.
adm. (prés.) 24 août 2017, n° 40046 ; trib. adm. (prés.) 3 octobre 2017, n° 40218, ainsi que tout particulièrement trib. adm. (prés.) 14 novembre 2017, n° 40323, trib. adm. (prés.) 17 janvier 2022, n° 46876 ou encore trib. adm.
(prés.) 8 février 2023, n° 48470.
7 Trib. adm. (prés.) 27 juin 2002, n° 15047.
12 Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours tendant à l’obtention d’une mesure provisoire ;
condamne la requérante aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 décembre 2024 par Marc SÜNNEN, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.
s. Xavier DREBENSTEDT s. Marc SÜNNEN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 13