Tribunal administratif N° 51804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51804 2e chambre Inscrit le 11 novembre 2024 Audience publique extraordinaire du 11 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 novembre 2024 par Maître Marlène AYBEK, avocat à la Cour, assistée de Maître Christ MOUSSONI-NGAMBOU, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 25 octobre 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Christ MOUSSONI-NGAMBOU, en remplacement de Maître Marlène AYBEK, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 novembre 2024.
Le 18 décembre 2023, Monsieur (A), déclarant être mineur, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Afin de déterminer l’âge de Monsieur (A), le ministre de l’Immigration et de l’Asile demanda en date du même jour au Laboratoire National de Santé – service médico-judiciaire – département médecine légale, ci-après désigné par le « LNS », une expertise médico-légale, le rapport médico-légal (« Rechtsmedizinisches Gutachten zur Altersschätzung ») y relatif du 12 janvier 2024 ayant attesté un âge minimal de 17 ans dans le chef de l’intéressé.
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, dans un rapport du 23 décembre 2023.
Une recherche menée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) y était enregistré comme ayant irrégulièrement franchi la frontière italienne en date du 1er septembre 2023.
Le 23 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande d’information à leurs homologues italiens, qui répondirent le 22 février 2024 que Monsieur (A) leur avait indiqué être né le … et qu’il n’avait pas déposé de demande de protection internationale en Italie.
Par requête du 26 avril 2024, le litismandataire de Monsieur (A) demanda au juge aux Affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg d’être désigné en tant qu’administrateur ad hoc de Monsieur (A), demande à laquelle le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », s’est formellement opposé en date du 22 mai 2024.
Par ordonnance du 13 juin 2024, le juge aux Affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg déclara la demande de nomination d’un administrateur ad hoc pour Monsieur (A) comme non fondée.
En date du 27 août 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, ci-
après désigné par « le ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 25 octobre 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 29 octobre 2024, le ministre refusa de faire droit à sa demande de protection internationale pour les motifs suivants :
« […] En date du 18 décembre 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Le 18 décembre 2023, vous vous êtes présenté au Ministère des Affaires intérieures, affirmant vous nommer (A), être né le … et donc être mineur d’âge. Toutefois, les agents du Ministère ont exprimé de sérieux doutes quant à votre âge réel, en raison de votre apparence physique et de l’absence de pièces d’identités. Par conséquent, une convocation pour un examen médical visant à déterminer votre âge vous a été remise ce même jour.
Ainsi, le 11 janvier 2024, vous vous êtes présenté au Centre Hospitalier Emile Mayrisch pour réaliser cet examen médico-légal. Selon le rapport du Dr. (B), il ressort que « l’âge osseux est à considérer comme de l’ordre de 18 ans avec une très haute probabilité ». Le rapport du Laboratoire National de Santé confirme également que vous auriez au moins 17 ans et que « Das wahrscheinliche Alter liegt in der Regel deutlich über dem Mindestalter und beträgt in diesem Fall 18 bis 19 Jahre ». Il apparaît donc clairement que vous n’êtes pas mineur, mais au contraire une personne ayant atteint la majorité.
Le 6 mars 2024, votre mandataire a fait parvenir par courriel des photocopies d’un carnet scolaire, d’un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, d’un acte de naissance et d’un extrait d’acte de naissance visant à appuyer votre argument selon lequel vous seriez bel et bien mineur d’âge. Après examen desdits documents, plusieurs irrégularités ont été relevées, de sorte qu’une entrevue concernant votre situation administrative a été organisée en date du 5 avril 2024, afin de vous permettre de présenter vos explications concernant ces irrégularités.
Le 26 avril 2024, votre mandataire a introduit une requête devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg en vue d’être désigné en tant que votre administrateur ad hoc. Le 22 mai 2024, le Ministère s’est formellement opposé à cette demande, réitérant sa position selon laquelle vous ne seriez pas mineur d’âge, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de nommer un administrateur ad hoc. Le 18 juin 2024, la juge aux affaires familiales, Madame (C), a rendu une ordonnance jugeant la demande de votre mandataire comme étant non fondée.
Il ressort encore de votre dossier administratif que, selon les recherches effectuées dans la base de données « Eurodac » le 18 décembre 2023, vous avez irrégulièrement franchi la frontière italienne le 1er septembre 2023. En date du 23 janvier 2024, en application de l’article 34 du règlement Dublin III, les autorités luxembourgeoises ont adressé une demande de renseignement vous concernant à leurs homologues italiens. Par courrier du 22 février 2024, les autorités italiennes ont indiqué que, d’après leur base de données, vous avez indiqué être né le … et vous n’avez pas introduit de demande de protection internationale en Italie. Lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire, vous précisez ne pas avoir introduit une demande en Italie en raison de la proximité du camp de réfugiés avec la mer, celle-ci vous ayant traumatisée. En outre, vous partagiez une chambre avec une personne qui aurait consommé des stupéfiants, ce qui vous aurait fait ressentir un sentiment d’insécurité. Dans la mesure où la procédure de transfert vers l’Italie n’a pas pu être menée à bien dans les délais légalement prévus, le Luxembourg est devenu responsable de l’examen de votre demande de protection internationale.
Par conséquent, en date du 27 août 2024, vous avez été convoqué pour assister à un entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez vous nommer (A), être prétendument né le … à …, en Guinée et être de nationalité guinéenne. Vous déclarez également être d’ethnie Malinké, de confession musulmane et avoir vécu à …, en Guinée (p. 2/11 de votre rapport d’entretien).
Quant aux raisons qui vous auraient poussé à fuir votre pays d’origine, vous évoquez votre relation tumultueuse avec votre père en raison de son opposition ferme à ce que vous alliez à l’école. Vous citez deux événements qui vous auraient particulièrement marqué. La première fois, en 2014, alors que vous vous seriez rendu à l’école, votre père serait venu vous chercher, vous frappant et insultant, vous ainsi que votre mère, qui aurait tenté de prendre votre défense. Il vous aurait dit qu’il vous détestait et que vous auriez suivi « la route des mécréants » (p. 5/11 de votre rapport d’entretien). La deuxième fois, en 2016, votre père vous aurait emmené voir un Imam, prétendant lui avoir donné votre main « pour la vie et pour la mort » (p. 6/11 de votre rapport d’entretien). Il vous aurait menacé que, si vous ne partiez pas avec cet Imam, votre mère devrait quitter le domicile familial. Néanmoins, votre mère aurait appelé vos voisins, qui auraient réussi à calmer la situation.
Votre père serait décédé en mai 2021 (p. 6/11 de votre rapport d’entretien) des suites d’un accident de voiture et plus précisément de « la fracture causée par l’accident » (p. 6/11 de votre rapport d’entretien). Après son décès, vous seriez resté avec votre mère et l’auriez aidée à « cultiv[er] » (votre fiche des motifs). Vous évoquez ensuite les problèmes d’ordre financier que votre mère aurait connus, les problèmes de santé que vous auriez rencontrés et votre accès limité aux soins, étant donné que votre mère n’aurait pas eu les moyens de vous emmener dans une autre « préfecture » (votre fiche des motifs).
En outre, vous mentionnez le coup d’Etat survenu dans votre pays d’origine en 2021.
Ce faisant, le conflit entre les groupes ethniques Peuls et Malinkés se serait intensifié, entraînant des grèves et un sentiment d’insécurité chez vous. Vous précisez qu’en raison de votre appartenance à l’ethnie Malinké, vous auriez fait l’objet de discriminations, d’injures raciales et de violences physiques de la part des habitants Peuls de votre village (p. 6/11 de votre rapport d’entretien). Plus particulièrement, lors d’une manifestation en 2021, vous vous seriez fait agresser car vous n’auriez pas su comment dire « veau » en pular (p.6/11 de votre rapport d’entretien). En septembre 2022, lors d’un match auquel vous auriez participé, une « manifestation raciale » aurait éclaté (p. 6/11 de votre rapport d’entretien) et des supporteurs Peuls vous auraient donné « un coup en dessous de l’œil » (p. 8/11 de votre rapport d’entretien).
Concernant vos craintes en cas de retour en Guinée, vous expliquez craindre « toutes ces personnes qui sont aujourd’hui encore dans notre village, qui me discriminaient, et qui me tabassaient » (p. 6/11 de votre rapport d’entretien) et que vous ressentez encore un certain « traumatisme, et de la violence que mon père m’avait fait subir » (p. 6/11 de votre rapport d’entretien). Compte tenu des éléments qui précèdent, vous ne vous sentiriez pas en sécurité en y retournant.
Vous précisez également que, suite aux événements susmentionnés, vous n’auriez pas pu porter plainte auprès des autorités de votre pays d’origine car « il n’y a pas de police dans notre village » (p. 8/11 de votre rapport d’entretien). De même, il vous aurait été impossible de fuir vers un autre village en Guinée car vous ne connaîtriez personne ailleurs (p. 8/11 de votre rapport d’entretien).
A l’appui de votre de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- La copie d’un livret scolaire au nom d’(A) ;
- la copie d’un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance émis par la Justice de Paix de … du 11 janvier 2024 ;
- la copie d’un extrait du registre de l’état civil (naissance) du 11 décembre 2024 en Guinée ;
- la copie d’un acte de naissance certifié conforme émis en date du 6 février « 2004 » en Guinée ;
- une preuve d’accompagnement psychologique établie par la psychologue (D).
[…] ».
Le ministre informa ensuite Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 25 octobre 2024 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 25 octobre 2024, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose tout d’abord les faits et rétroactes gisants à la base des décisions déférées.
En ce qui concerne la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre lui aurait reproché d’avoir tenté d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en dissimulant son vrai âge. Il indique, à cet égard, qu’il aurait communiqué aux autorités italiennes la date du … comme étant sa date de naissance, ce qui correspondrait à la seule date de naissance qu’il aurait toujours connue. En conséquence, les autorités italiennes l’auraient enregistré en tant que mineur et placé dans un « centre d’accueil pour mineur ». Les autorités luxembourgeoises, quant à elles, auraient refusé de l’enregistrer en tant que mineur et ordonné un test osseux afin de déterminer son âge, et ce malgré le fait qu’il leur aurait renseigné la même date de naissance qu’aux autorités italiennes.
Suivant ce test osseux, son âge minimum serait 17 ans et son âge probable serait compris entre 18 et 19 ans. Il y aurait toutefois lieu de constater qu’un âge probable ne serait pas un âge réel, de sorte qu’il existerait toujours un doute quant à sa majorité. Dans pareille hypothèse, et pour respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, « la logique probatoire prévue par le droit positif » commanderait l’application de la présomption de minorité, et ce, d’autant plus qu’en l’espèce, les experts n’auraient pas totalement exclu qu’il soit mineur. Il serait, par ailleurs, un fait que les tests osseux ne seraient pas fiables dans la détermination de l’âge des migrants, notamment en raison de leur imprécision et de leur inadaptabilité par rapport aux adolescents proches de la majorité.
Monsieur (A) conteste encore avoir produit sciemment de faux documents, respectivement des documents manipulés pour prouver son identité. Il explique qu’à défaut d’avoir possédé de documents attestant son identité et dans un souci de coopération avec les autorités ministérielles, il aurait contacté son ancien professeur qui, muni de son livret scolaire, aurait entrepris toutes les démarches nécessaires afin d’obtenir ses documents d’état civil pour les lui transmettre par courrier électronique, tout en précisant qu’un envoi postal serait pratiquement impossible au vu du manque d’infrastructures postales dans la localité de …. Le demandeur reproche, dans ce contexte, au ministre d’avoir procédé à une analyse sommaire de ces documents et estime que les irrégularités y relevées seraient des erreurs matérielles « comme cela survien[drait] souvent pour tant d’autres documents administratifs », de sorte que ces irrégularités ne permettraient pas, à elles seules, de conclure à la contrefaçon des documents en question. Il soutient encore que le ministre aurait dû procéder à des analyses supplémentaires en contactant les autorités guinéennes ayant délivré ces documents, respectivement en diligentant une expertise permettant d’établir la contrefaçon ou non desdits documents. Il se considère comme étant victime « d’une fraude généralisée au niveau de l’état civil de son pays tant au niveau des administrations que des tribunaux » et estime « qu’il ne saurait être pénalisé par les dysfonctionnements de son pays [d’origine] au niveau de son état civil ».
En outre, le demandeur reproche au ministre d’avoir mal apprécié l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et de ne pas avoir analysé les faits exposés par lui en profondeur.
Il énonce comme motifs à la base de sa demande de protection internationale le risque de discriminations et de persécutions dans son chef, ainsi que la crainte réelle d’être victime d’un traitement dégradant et inhumain en cas de retour dans son pays d’origine. Il souffrirait, par ailleurs, d’un syndrome de stress post-traumatique consécutif aux abus de violence commis par son père et aux discriminations et persécutions subies depuis son enfance de la part des habitants peuls de son village. Toutefois, au vu de l’absence d’une structure médicale et de personnel médical qualifié en Guinée, capable de prendre en charge son état de santé mentale, son renvoi dans son pays d’origine revêtirait un degré de gravité, comparable à un traitement dégradant et inhumain au sens de l’article 3 de la « Convention de Genève ». Il reproche, dans ce contexte, au ministre de ne pas avoir analysé minutieusement les faits à la base de son récit, ni de lui avoir posé des « questions bien ciblées » pour qu’il précise mieux ces faits à la base de sa demande de protection internationale et qu’il aurait procédé à une application littérale de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, sans « chercher à creuser amplement les motifs au soutien de sa demande » de protection internationale.
En ce qui concerne le bien-fondé de sa demande de protection internationale, et plus particulièrement le statut de réfugié, le demandeur estime, tout d’abord, quant à la remise en cause de son âge par le ministre, avoir produit un ensemble de documents prouvant son âge à suffisance. Ensuite, pour sous-tendre son motif relatif aux persécutions et discriminations subies en raison de son appartenance à l’ethnie malinkée, il se prévaut d’une cicatrice sous son œil gauche survenue lors de l’agression physique subie après le coup d’Etat de 2021 au cours d’un évènement sportif, qu’il aurait également montré à l’agent ministériel, lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale. Il aurait, par ailleurs, produit à l’appui de sa demande de protection internationale une attestation d’accompagnement psychologique établissant sa souffrance due à un stress post-traumatique consécutif aux discriminations subies de la part des Peuls de son village, ainsi qu’aux abus et violences infligées par son père. Il fait encore état de sa crainte que son retour dans son pays d’origine ne l’exposerait à nouveau à des actes de discriminations et de persécution – les auteurs de ces actes étant toujours « sur place » – et que sa maladie mentale ne s’aggraverait en conséquence, aggravation qui serait renforcée par le manque de structures médicales appropriées en Guinée.
Le demandeur considère de ce qui précède que sa situation serait spécifique en raison de son appartenance au groupe ethnique malinké, lequel serait systématiquement exposé à une pratique contraire à l’article 3 de la « Convention de Genève », et que le ministre aurait dû, compte tenu de son appartenance à cette ethnie, s’enquérir de la « situation interne » de la Guinée auprès des institutions humanitaires internationales. Il ajoute que le risque d’être agressé et « battu à mort » en cas de retour dans son pays d’origine serait bien réel et que de tels actes de violence inhumains et dégradants répétés pourraient « s’apparenter à de la torture » contre lesquels il ne pourrait se prévaloir d’aucune protection de la part des autorités de son pays d’origine. Le demandeur explique encore qu’il n’aurait quitté son pays d’origine que deux ans après l’agression subie lors d’un évènement sportif, en raison du fait qu’il n’aurait été âgé, lors de ladite agression, que de 14 ans et qu’il n’aurait, à ce moment, par ailleurs, pas disposé des moyens lui permettant de quitter son village et encore moins son pays d’origine.
Les discriminations et persécutions n’auraient pourtant jamais cessé pendant cette période.
Le demandeur fait ensuite valoir qu’il risquerait de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 en raison de son appartenance à l’ethnie malinkée, traitements qui susciteraient chez lui des sentiments de crainte « pour sa vie, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier et à l’avilir ». Il estime encore que le ministre aurait adopté une interprétation trop étroite de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, avant de reprendre les mêmes motifs que ceux invoqués à la base du volet relatif au statut de réfugié. Il ajoute également qu’il n’existerait qu’un seul service de psychiatrie dans la capitale de la Guinée, comptant environ trois psychiatres, sans infirmières spécialisées ni psychologues, pour l’ensemble du pays. Or, compte tenu de la gravité de sa maladie mentale et de la nécessité pour lui de poursuivre sa thérapie, et eu égard à l’impossibilité pour lui d’accéder à des soins appropriés, un renvoi dans son pays d’origine serait incompatible avec l’article 3 de la « Convention de Genève ». Après avoir encore renvoyé aux articles 4 et 19 (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », interprétés à la lumière de l’article 3 de la « Convention de Genève », le demandeur expose que le ministre aurait dû accorder une attention particulière à sa vulnérabilité, dont les souffrances psychologiques risqueraient d’être exacerbées de manière significative et irrémédiable en cas d’éloignement, étant donné que ces souffrances auraient été causées par des traitements inhumains et dégradants subis dans son pays d’origine. Au vu de ce qui précède, il devrait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire.
Enfin, en s’appuyant sur l’article 33 (1) de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après désigné par « la Convention de Genève », le demandeur souligne que le respect du principe de non-refoulement serait repris en droit interne luxembourgeois à travers l’article 54 (1) de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur considère qu’il y aurait lieu de réformer la décision du ministre portant sur l’ordre de quitter le territoire, comme conséquence de la reconnaissance, dans son chef, du statut conféré par la protection subsidiaire. En outre, l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 ». La Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») aurait, d’ailleurs, déjà retenu dans des cas exceptionnels tels que le sien, où le demandeur serait atteint d’une maladie grave, que l’éloignement de ce dernier vers son pays d’origine, dans lequel les traitements adéquats n’existeraient pas, constituerait une méconnaissance du principe de non-refoulement et partant une violation de l’article 5 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE ». Finalement, eu égard au principe de précaution, il resterait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elle encourrait un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.
Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé et, dans la négative de renvoyer le recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La soussignée n’est pas tenue de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse, mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.
Quant à la légalité externe des décisions déférées, la soussignée relève qu’en reprochant au ministre une analyse sommaire de sa demande de protection internationale, sans solliciter des informations supplémentaires sur la « situation interne » en Guinée auprès des institutions humanitaires internationales, le demandeur semble invoquer une violation de l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « […] Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés ; d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre ».
Il ne se dégage toutefois pas des éléments à la disposition de la soussignée que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement. Il ne se dégage pas non plus du dossier que des informations précises et actualisées sur la situation du pays d’origine du demandeur n’aient pas été obtenues auprès de différentes sources, telles que celles mentionnées à l’article 10 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015, ni que l’agent ayant mené l’entretien et l’autorité de décision n’aient pas eu accès à ces informations, ni qu’ils n’aient pas eu les moyens mentionnés aux points c) et d) de l’article 10 (3) de ladite loi. La seule circonstance selon laquelle l’instruction de la demande Monsieur (A), respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations n’a pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne lui permet, en tout état de cause, pas de soutenir valablement que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 est rejeté.
Quant à la légalité interne des décisions déférées, la soussignée constate, à titre préliminaire, par rapport à l’âge de Monsieur (A), qu’il ressort du rapport d’expertise du LNS, établi en date du 12 janvier 2024, que « In der Zusammenschau der Ergebnisse der radiologischen Untersuchungen der Hand, der Schlüsselbeine und des Gebisses ergibt sich für (A) zum Zeitpunkt der Untersuchung am 11.01.2024 ein Mindestalter von 17 Jahren. Bei dem Mindestalter handelt es sich zugunsten des Untersuchten um das niedrigste anzunehmende Alter. Das wahrscheinliche Alter liegt in der Regel deutlich über dem Mindestalter und beträgt in diesem Fall 18 bis 19 Jahre. Als Geburtsdatum wurde der 28.02.2007 angegeben. Dies entspricht einem chronologischen Alter zum Untersuchungszeitpunkt am 11.01.2024 von 16 Jahren und 10 Monaten. Das angegebene Alter ist aus rechtsmedizinischer Sicht nicht ohne Weiteres mit den erhobenen Befunden vereinbar. ». Il échet encore de relever que par une 1 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
ordonnance du juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 13 juin 2024, portant le numéro 2024TALJAF/001979, inscrite sous le numéro TAL-2024-03495 du rôle, le juge aux affaires familiales a déclaré non fondée la demande de nomination d’un administrateur ad hoc pour Monsieur (A). Il se dégage de cette ordonnance que le juge aux affaires familiales, après avoir relevé que Monsieur (A) « déclare ne pas connaître sa date de naissance exacte. La date du … lui aurait toujours été indiquée comme étant celle de sa naissance.
Les ratures sur son carnet scolaire s’expliqueraient par le fait que le carnet fut antérieurement utilisé par un autre enfant. », a retenu que :
« […] (A) produit différents documents pour établir sa date de naissance, à savoir un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance de la justice de paix de … du 11 janvier 2024, un extrait du registre de l’état civil de … du 6 février 2024, une copie intégrale de son acte de naissance certifiée conforme en date du 6 février « 2004 », ainsi qu’un livret scolaire.
Il résulte toutefois des renseignements fournis par le Ministre qu’en Guinée le jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance est rendu par le tribunal de première instance et non par la justice de paix.
Comme le jugement produit en cause est ainsi manifestement un faux, la copie de l’acte de naissance qui fait état de la transcription du jugement, respectivement l’extrait qui en fait la transcription ne peuvent valoir preuve de la date de naissance.
Pour ce qui est du livret scolaire produit par (A), celui-ci renseigne sur le couvercle le nom de (A), sans plus de précisions.
La page intérieure qui indique une naissance en date du … présente toutefois de nombreux signes de manipulation tant au niveau du nom, qu’à celui du sexe ou de la date de naissance.
Ce document ne saurait en ces circonstances valoir preuve d’une date de naissance.
L’inscription d’(A) en Italie ne vaut preuve que de ce que lors de son arrivée il a fait état de la même date de naissance que celle dont il a fait état au Luxembourg.
Selon l’expertise médicale qui fut réalisée le 12 janvier 2024, l’âge probable de (A) se situe en tenant compte de toutes les analyses faites et de tous les autres paramètres pris en considération entre 18 et 19 ans.
Les experts déclarent totalement exclu qu’au moment de l’expertise, (A) ait été âgé, tel qu’il le prétendait, de moins de 17 ans.
Le résultat de cette expertise ensemble avec le fait qu’aucune foi ne peut être aux documents remis par (A), font présumer qu’à la date de ce jour, soit plus de quatre mois après la rédaction du rapport d’expertise, (A) est manifestement âgé de plus de 18 ans.
Il est ainsi habilité à entreprendre toutes les démarches prévues par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire sans qu’il ait besoin d’être représenté par un administrateur ad hoc. […] ».
Dans la mesure où, dans le cadre du recours sous analyse, Monsieur (A) reprend, en substance, les mêmes motifs qu’il a fait valoir devant le juge aux affaires familiales et s’appuie sur les mêmes documents, sur lesquels ce dernier s’est d’ores et déjà prononcé, la soussignée ne saurait se départir des conclusions du juge aux affaires familiales.
Au vu de toutes ces considérations, la soussignée est amenée à retenir que le demandeur n’était manifestement pas mineur au moment du dépôt de sa demande de protection internationale, de sorte que les moyens relatifs à sa prétendue minorité sont d’ores et déjà rejetés pour être non fondés.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou […] c) le demandeur a induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable; […] ».
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Concernant plus particulièrement le point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, visant l’hypothèse où le demandeur de protection internationale n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour l’octroi du statut conféré par la protection internationale, il convient de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 392 et 403 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays 2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Il y a ensuite lieu de préciser que dans la présente matière, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.
En l’espèce, le demandeur avance comme motifs à la base de sa demande de protection internationale (i) des violences subies de la part de son père, (ii) sa crainte d’être exposé à des discriminations et des persécutions en raison de son appartenance à l’ethnie malinkée et (iii) des problèmes de santé, ainsi que des problèmes financiers de sa mère.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ainsi que des moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène la soussignée à conclure que Monsieur (A) reste manifestement en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions, respectivement un risque réel de subir des atteintes graves.
En effet, s’agissant du premier motif invoqué, à savoir les violences subies de la part de son père en raison de l’opposition formelle de ce dernier à ce que le demandeur aille à l’école, et indépendamment de la qualification des faits, la soussignée constate que le demandeur ne fait état que de deux incidents concrets, dont le premier a eu lieu le premier jour où il est allé à l’école, à savoir en 20144, et le deuxième a eu lieu en 2016 lorsque son père voulait le « donn[er] [à un] Imam pour la vie et pour la mort »5, lesquels sont toutefois trop éloignés dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2024. Par ailleurs, ces deux faits isolés, qui découlent d’une relation difficile entre le demandeur et son père ne revêtent pas une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves. En outre, au vu du décès de son père au mois de mai 2021, la soussignée constate que le demandeur n’encourt manifestement plus aucun risque, dans ce contexte, en cas de retour dans son pays d’origine.
En ce qui concerne, ensuite, la crainte invoquée par le demandeur en lien avec les tensions qui existeraient entre les groupes ethniques malinkés et peuls, la soussignée constate que le demandeur se prévaut tout d’abord du refus de la part d’une vendeuse de lui « vendre 4 Page 6 du rapport d’audition.
5 Page 7 du rapport d’audition.
[parfois] à manger »6, acte qui n’est toutefois manifestement pas assez grave pour être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave.
Ensuite, le demandeur indique (i) avoir été « tabassé et frappé »7 par des Peuls, qui manifestaient sur la route, après le coup d’Etat en 2021, au motif qu’il ne savait pas « dire le nom du « veau » en poular »8 et (ii) avoir reçu un coup d’œil lors d’un évènement sportif ayant pris une tournure de « manifestation raciale ». Si ces incidents sont, certes, condamnables, la soussignée se doit toutefois de relever qu’il s’agit de deux incidents isolés, commis par des personnes non identifiées et qui ne sont manifestement pas suffisamment graves pour retenir que Monsieur (A) a subi des actes de persécution ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine. En effet, la soussignée constate, à l’instar du ministre, que malgré le fait que le demandeur estime avoir été victime d’actes de persécution, sinon d’atteintes graves, il est resté deux ans dans son village, sans entreprendre une quelconque démarche pour fuir vers un village malinké plus sûr pour lui. L’explication fournie par le demandeur à ce sujet, à savoir qu’il n’aurait connu personne ailleurs, n’est manifestement pas convaincante au vu de sa fuite au Luxembourg deux ans plus tard, sans y connaître quelqu’un. En outre, il n’a pas porté plainte contre ses agresseurs peuls, tel que cela ressort de son entretien ministériel relatif à sa demande de protection internationale, pour le seul motif qu’il n’y aurait pas de police dans son village et que, dans la mesure où il n’aurait « jamais eu à faire avec la police »9, il n’a pas non plus déposé plainte dans un autre village. Or, l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur de protection internationale, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. Toutefois, pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. En l’espèce, le demandeur n’a manifestement pas tenté d’obtenir une protection dans son pays d’origine et reste en défaut de prouver par un quelconque élément objectif et tangible versé en cause que la police guinéenne ne pourrait pas le protéger contre des discriminations commises à son égard par les mêmes personnes en raison de son appartenance ethnique, ni qu’il ne puisse pas bénéficier d’une protection d’une autorité de son pays d’origine contre de tels actes. S’y ajoute que si les attestations d’accompagnement psychologique du 30 août 2024, respectivement du 5 novembre 2024 certifient que le demandeur souffre d’un syndrome de stress post-traumatique, qui est « en lien avec les violences subies du vivant de son père, avec la discrimination ethnique et avec de nombreuses expériences traumatisantes vécues le long de son voyage », il ne s’en dégage pas pour autant de manière claire et non équivoque, ni d’ailleurs d’un quelconque autre document, que le demandeur risquerait de subir de telles discriminations ou tout autre persécution, sinon atteinte grave en cas de retour en Guinée.
En ce qui concerne encore les développements du demandeur ayant trait à la situation sécuritaire régnante dans son pays d’origine et à l’exposition systématique des Malinkés à une pratique contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») – le litismandataire du demandeur ayant, à l’audience des 6 Page 6 du rapport d’audition.
7 Idem.
8 Idem.
9 Page 8 du rapport d’audition.
plaidoiries, rectifié son erreur matérielle en ce qu’il s’était référé, dans le cadre de son recours, à l’article 3 de la « Convention de Genève » au lieu de l’article 3 de la CEDH –, à défaut de les sous-tendre d’une quelconque manière, de sorte que le demandeur reste manifestement en défaut de prouver que le seul fait d’appartenir à l’ethnie malinkée en Guinée l’exposerait, en cas de retour dans ce pays, à des traitements inhumains et dégradants sans qu’il ne puisse se prévaloir d’une protection.
Il s’ensuit que la crainte du demandeur en lien avec les tensions qui existeraient entre les groupes ethniques malinkés et peuls est manifestement non fondée.
En ce qui concerne, enfin, les motifs du demandeur relatifs aux difficultés d’accès aux services de santé ainsi qu’aux problèmes financiers que sa mère aurait rencontrés en Guinée – dont il fait état dans le cadre de sa demande de protection internationale, sans y prendre plus amplement position dans le recours sous analyse –, force est de constater que de tels motifs d’ordre médical et financier ne sauraient manifestement justifier l’octroi ni du statut de réfugié ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015 et pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation du demandeur selon laquelle le fait d’être privé d’un accès aux soins médicaux dans son pays d’origine serait à qualifier de traitements inhumains et dégradants, au motif que son état de santé serait susceptible de se dégrader. Il y a, en effet, lieu de relever que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des actes de torture « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de santé à lui seul, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays de destination, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 201510. Ce constat s’impose également au moyen ayant trait à une prétendue violation de l’article 3 de la CEDH, prévoyant lui aussi des actes de blessure ou de torture « infligés », de sorte qu’il est à son tour à rejeter.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à l’analyse du point c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale 10 Trib. adm., 20 septembre 2022, n° 47637 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
Force est de rappeler que la soussignée vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Ainsi, au niveau de l’examen de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, la soussignée ne saurait, en l’absence d’autres éléments, que réitérer son analyse précédente, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, et au vu des pièces produites en cause, que Monsieur (A) ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale.
Dans ces circonstances, la soussignée conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir ci-avant que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur (A) et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer ni le principe de non-refoulement, ni le principe de précaution, ni l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tels qu’invoqués par le demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 octobre 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 11 décembre 2024, par la soussignée, Annemarie THEIS, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo ANICETO LOPES.
s. Paulo ANICETO LOPES s. Annemarie THEIS 17