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17/10/2024 | LUXEMBOURG | N°51404R

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2024, 51404R


Tribunal administratif N° 51404R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51404R Inscrit le 27 septembre 2024 Audience publique du 17 octobre 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution par la société (AA), …, et par la société (BB), …, par rapport à des décisions du FONDS DU LOGEMENT, Luxembourg, en présence de la société (CC), …, en matière de marchés publics

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 51404 du rôle et déposée le 27 septembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Benjamin MARTHOZ, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour 1. la société (AA), ét...

Tribunal administratif N° 51404R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51404R Inscrit le 27 septembre 2024 Audience publique du 17 octobre 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution par la société (AA), …, et par la société (BB), …, par rapport à des décisions du FONDS DU LOGEMENT, Luxembourg, en présence de la société (CC), …, en matière de marchés publics

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 51404 du rôle et déposée le 27 septembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Benjamin MARTHOZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour 1. la société (AA), établie et ayant son siège à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son conseil de gérance actuellement en fonctions, 2. la société (BB), établie et ayant son siège à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, regroupées dans le cadre de l’association momentanée (AB) tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à 1) la décision de rejet de son offre par rapport au marché public pour les travaux d’assainissement et de renaturation relatif au projet d’urbanisation « Wunne mat der Wooltz » à Wiltz, « Lot 2 : assainissement Hotspot A », notifiée par un courrier daté du 12 août 2024, envoyé via le portail des marchés publics le 13 août 2024, et à 2) la décision corrélative d’adjudication de ce marché public à la société à responsabilité limitée (CC), un recours en réformation, sinon en annulation ayant été par ailleurs introduit contre les mêmes décisions du FONDS DU LOGEMENT par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 51403 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Laura GEIGER, demeurant à Luxembourg, du 2 octobre 2024, portant signification de ladite requête au FONDS DU LOGEMENT, établissement public autonome institué par la loi du 25 février 1979 portant modification et coordination des dispositions légales et réglementaires en matière d’aide au logement, telle que modifiée par la loi du 24 avril 2017 portant réorganisation de l’établissement public nommé « FONDS DU LOGEMENT », établi à L-1311 Luxembourg 52, Boulevard Marcel Cahen, représenté par son comité-directeur actuellement en fonction, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée (CC), établie et ayant son siège à …, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de et à Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonction ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 octobre 2024 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le FONDS DU LOGEMENT ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2024 par Maître François DELVAUX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la société à responsabilité limitée (CC) ;

Vu la note intitulée « Eléments de plaidoiries » communiquée en cause par Maître Marc THEWES en date du 9 octobre 2024 ;

Vu la note de plaidoiries communiquée en cause par Maître Marc THEWES en date du 11 octobre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Maître Benjamin MARTHOZ, pour l’association momentanée (AB), Maître Marc THEWES, assisté de Maître Hicham RASSAFI, pour le FONDS DU LOGEMENT, ainsi que Maître Lionel SPET, en remplacement de Maître François DELVAUX, pour la société à responsabilité limitée (CC), entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2024.

___________________________________________________________________________

Le 18 mars 2024, l’établissement public FONDS DU LOGEMENT publia un avis de marché sur le site internet du portail des marchés publics intitulé «Travaux d’assainissement -

Wunne mat der Wooltz à Wiltz - LOT 2 ASSAINISSEMENT HOTSPOT A ».

L’association momentanée (AB), réunissant les sociétés (AA) et (BB), ainsi que deux autres concurrents, dont les sociétés (CC) et (DD), déposèrent des offres, lesquelles furent ouvertes en date du 23 avril 2024, l’association momentanée (AB) ayant déposé l’offre la moins-disante avec un montant de 2.028.123,50.- euros, suivie par la société (DD) avec un montant de 2.382.984,37.- euros, la société (CC) ayant présenté une offre d’un montant de 2.486.320,25.- euros.

Par un courrier du 12 août 2024 2023 envoyé par le portail électronique des marchés publics, le FONDS DU LOGEMENT informa l’association momentanée (AB) du rejet de son offre pour les motifs suivants :

« […] Le Fonds du logement a le regret de vous informer que malgré les qualités de votre offre pour la soumission sous rubrique, celle-ci n’a pas été retenue pour le (ou les) motif(s) suivant(s) :

Votre offre n’était pas l’offre économiquement la plus avantageuse.

Nous vous informons également que le Fonds du logement a attribué ledit marché à la société (CC), qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse en application des 2 critères de jugement énoncés dans les documents de soumission. Une copie du courrier d’adjudication est annexée à la présente.

Conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, je vous informe que la conclusion du contrat avec l’adjudicataire ne peut avoir lieu qu’après un délai d’au moins 10 jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés.

Nous tenons à vous informer qu’un recours contentieux peut être introduit contre la présente décision devant le tribunal administratif. Ce recours doit être intenté par requête signée d’un avocat à la Cour dans les trois mois à compter de la notification de la présente.

Dans le même délai, vous pouvez adresser un recours gracieux par écrit au [Ministre ou l’Administration ayant pris la décision]. Dans ce cas, le délai pour introduire le recours contentieux est suspendu. Si dans les trois mois à compter de l’introduction du recours gracieux une nouvelle décision intervient ou si aucune décision n’intervient, un nouveau délai de trois mois pour introduire le recours contentieux devant le tribunal administratif commence à courir.

Vous pouvez également introduire une réclamation auprès du Médiateur-Ombudsman. Veuillez noter que cette réclamation n’interrompt ni ne suspend les délais légaux des recours gracieux et contentieux. Le médiateur ne peut pas modifier la décision prise, mais peut intervenir auprès de l’autorité compétente afin d’essayer de trouver un arrangement. […] ».

En annexe à ce courrier figurait la décision d’adjudication adressée à la société (CC), portant la même date, et libellée comme suit :

« […] Conformément à l’article 97 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, nous vous informons que vous venez d’être déclaré adjudicataire pour la soumission sous rubrique, l’offre que vous avez remise pour le montant de 2.486.320,25.- HTVA ayant été considérée comme offre économiquement la plus avantageuse en application des critères de jugement énoncés dans les documents de soumissions.

Enfin, nous vous précisons que cette décision d’adjudication n’emporte pas automatiquement conclusion du contrat. En effet, en application des dispositions de l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, celle-ci ne peut avoir lieu avant l’expiration du délai de suspension de signature de 10 jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés.

En cas de conclusion effective du contrat, vous en serez avisés par courrier séparé en date à compter du 30 septembre 2024 […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2024, inscrite sous le numéro 50980 du rôle, la société (AA) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de rejet de son offre telle que matérialisées par le courrier du 12 août 2024 et de la décision corrélative d’attribution du marché à la société (CC), tandis que par requête séparée déposée concomitamment le même jour, inscrite sous le numéro 50981 du rôle, elle sollicita encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2024, inscrite sous le numéro 51404 du rôle, l’association momentanée (AB), a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de rejet de son offre telle que matérialisées par le courrier du 12 août 2024 et de la décision corrélative d’attribution du marché à la société (CC), ci-après « la société (CC) ».

Par requête séparée déposée concomitamment le même jour, inscrite sous le numéro 51403 du rôle, l’association momentanée (AB) sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.

L’association momentanée (AB), respectivement la société (AA) se désista en date du 11 octobre 2024 de ses recours enrôlés sous les numéros 50980 et 50981.

En ce qui concerne le rôle n° 51404, l’association momentanée (AB) estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision de rejet risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

L’association momentanée (AB), pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, expose qu’à défaut de suspension des décisions querellées, elle serait injustement privée d’un marché en raison de l’adjudication erronée à une société qui, en plus d’avoir remis une offre qui aurait dû être rejetée comme n’étant pas la moins-disante, aurait dû voir son offre éliminée pour des distorsions de concurrence patentes.

Elle relève que le marché litigieux constituerait un marché très important, d’une valeur de plusieurs millions d’euros, puisque sa propre offre se serait élevée à 2.028.123,50.- euros HTVA.

La société (AA) donne à considérer que l’absence de réalisation d’une telle opportunité commerciale serait particulièrement sévère dans son chef, ladite perte représentant plus de 30% de son chiffre d’affaires, de sorte qu’au vu des incidences d’un point de vue commercial, combinées à l’absence d’une réparation adéquate et en temps utile, un tel préjudice serait à caractériser de définitif, la société requérante relevant que son chiffre d’affaires moyen et cumulé sur les trois dernières années s’élèverait à … euros.

Il en irait de même pour la société (BB), puisque l’absence de réalisation d’une telle opportunité commerciale représenterait une perte de 5 à 10 % de son chiffre d’affaires cumulé.

Même si la répartition entre les membres de l’association momentanée serait de 80/20, l’impact se ferait ressentir sur chacun des membres, ceux-ci ne pouvant pas agir seuls et étant solidaires tant dans la passation, que dans les recours et l’exécution des marchés.

Au-delà du montant particulièrement substantiel, l’association momentanée (AB) relève également qu’il s’agirait d’une question d’image de marque et de prestige pour elle qui serait empêchée injustement de pouvoir réaliser ce marché particulièrement représentatif dans le cadre de la construction et de la réhabilitation des rives et des friches industrielles bordant la rivière à Wiltz.

4 Dès lors, une simple réparation par équivalent, qui interviendrait au terme d’une procédure civile, longue et coûteuse, ne saurait lui procurer une quelconque satisfaction. Par ailleurs, si le contrat était signé, malgré les informations transmises au pouvoir adjudicateur endéans la période de stand-still, le juge administratif serait incompétent pour annuler postérieurement le marché, ce qui occasionnerait un préjudice définitif dans son chef.

Enfin, dans un dernier ordre d’idées, l’association momentanée (AB) souligne que la privation d’une telle référence diminuerait également ses chances de pouvoir se voir attribuer des marchés ultérieurs, pour lesquels une telle référence d’envergure pourrait être requise.

A l’appui de son recours au fond, elle expose d’abord avoir soumis une offre classée première en terme de compétitivité lors de l’ouverture des offres, partant devant celle de la société (CC), et que l’écart de points entre son offre et celle de la société (CC) n’aurait été que de 8,30 points, soit moins de 10 points sur 100.

Elle rappelle ensuite que les critères d’attribution du marché auraient été les suivants :

-

le prix : 50 points sur 100 -

les critères techniques : 30 points sur 100 o Sous-critères :

-

Planification prévisionnelle des travaux (10 points sur 30) -

Optimisation du volume de terres à évacuer en décharge (10 points sur 30) -

Analyse des risques (10 points sur 30) -

le critère planning : 20 points sur 100 Pour le critère du prix, il aurait été facile de comprendre qu’elle aurait obtenu 50 points sur 100. Toutefois, il ressortirait finalement de l’application de la formule définie par le FONDS DU LOGEMENT que le critère prix n’aurait pas eu l’importance déterminante qu’il semblait avoir (50 points sur 100), alors que la différence de points lui attribués et à la société (CC) ne serait finalement que de 9,2 points suite à l’application de ladite formule. Il se poserait par conséquent la question de la fiabilité de la formule et, surtout, au regard de l’utilisation rationnelle des deniers publics, du leurre que constituerait finalement l’évaluation de ce critère d’attribution, par rapport aux autres critères, qui sembleraient évalués de manière beaucoup plus subjective et pénalisante que le critère du prix.

En droit, l’association momentanée (AB) se prévaut devant les juges du fond des moyens d’annulation suivants :

1.

L’association momentanée entend en premier lieu se prévaloir d’une violation du principe de recours effectif.

Ce principe du droit à un recours effectif impliquerait nécessairement une collaboration procédurale de l’autorité administrative, dans le cadre de son obligation de motivation et de transparence, afin de permettre à l’administré, d’une part, de se convaincre du bienfondé des décisions qui ont été prises à son égard, et, d’autre part, d’apprécier de l’opportunité d’introduire un recours contentieux contre les décisions l’affectant, l’association momentanée 5 soulignant que les principes sous-tendant l’exercice effectif d’un recours émaneraient tant des principes de la procédure administrative non contentieuse, consacrés par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, que des principes généraux de droit.

Or, elle estime qu’en l’espèce, elle aurait été empêchée d’exercer son droit à un recours effectif, dans la mesure où le FONDS DU LOGEMENT ne lui aurait pas communiqué spontanément les motifs des décisions, en ne lui donnant accès qu’au dossier administratif composé de sa propre offre et en ne lui donnant pas accès et ne lui transmettant qu’un tableau comparatif partiel retravaillé par le pouvoir adjudicateur, comportant des éléments incohérents et incompréhensibles, sans donner accès au rapport d’évaluation établi par le bureau d’ingénieur (EE), dont l’existence serait incontestable , en ne lui donnant pas accès au dossier technique et à l’offre, le cas échéant anonymisés sur les mentions qui relèvent du secret des affaires et finalement, en ne produisant pas, dans le cadre du recours en référé, le dossier administratif complet permettant, d’un côté, aux parties requérantes de se convaincre du bienfondé ou non de leur recours et/ou décisions entreprises et, d’autre part, au Président de faire son office, l’association momentanée considérant que ce refus de collaboration procédurale serait directement destiné à empêcher la juridiction et les parties requérantes de mener à bien leur recherche de légalité, de sorte qu’il devrait être sanctionné par l’annulation des décisions déférées.

2.

Elle s’empare d’abord de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics en relevant que le FONDS DU LOGEMENT avait fixé 3 critères d’attribution afin de déterminer l’importance de chacun de ceux-ci dans le cadre de l’évaluation et de la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse, dont le critère le plus important aurait été celui du prix, représentant 50 points sur 100.

Toutefois, il se serait avéré que l’application de la formule fixée par le FONDS DU LOGEMENT pour déterminer l’attribution des points relatifs au critère le plus important aurait eu pour effet de n’accorder qu’une importance relative au critère du prix, dès lors que le fait qu’elle aurait proposé un prix de plus de 450.000.- euros en-dessous de celui de son concurrent, soit 18,50 % plus compétitif que son concurrent, la société (CC), n’aurait finalement permis d’obtenir qu’un avantage très relatif de 8,30 points sur 100 sur la note finale, tandis que le « pire-offrant » aurait obtenu une moyenne de points plus qu’honorable avec 40,80 points sur 100.

L’association momentanée (AB) en conclut que contrairement à ce qu’aurait fait croire le cahier des charges, le critère du prix serait finalement, du fait de la formule de calcul définie et employée par le FONDS DU LOGEMENT, devenu assez insignifiant, sinon à tout le moins non déterminant, dans la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse sur un total de 100 points.

Or, ce critère du prix aurait toutefois été le seul critère pleinement objectivé dans son évaluation, de sorte que son application concrète aurait laissé toute la latitude à une appréciation subjective pour la seconde moitié des points les plus importants à octroyer, dès lors que l’essentiel de l’évaluation aurait reposé sur l’attribution de notes subjectives entre les différents dossiers techniques, limités à une dizaine de pages, qui devaient être produits par les soumissionnaires.

6 Ainsi, pour les deux autres critères d’évaluation, à savoir les « critères (et sous-critères) techniques » et le « planning optimisé », le cahier des charges aurait prévu d’apprécier les mémoires « au regard de la clarté et de l’exhaustivité des information », ce qui aurait laissé une latitude très importante au FONDS DU LOGEMENT qui, face à ce pouvoir subjectif conservé, se serait dû d’autant plus de justifier chaque point de son évaluation avec des explications claires, détaillées, objectives et transparentes, de sorte à permettre au soumissionnaire de comprendre où son offre aurait rencontré d’éventuels écueils par rapport aux autres offres et par rapport aux éventuelles attentes - non détaillées - du FONDS DU LOGEMENT.

Or, cette notion de « au regard de la clarté et de l’exhaustivité des informations » n’aurait pratiquement jamais été reprise dans les commentaires d’évaluation des offres, de même qu’elle n’aurait jamais fait l’objet de renvois à la description de ce qui était attendu des soumissionnaires pour justifier que ce qu’ils ont produit serait insuffisant, ce qui conforterait l’impression que le FONDS DU LOGEMENT n’aurait finalement déterminé ses attentes qu’a posteriori, l’association momentanée (AB) relevant encore que les critères auraient été décrits de manière très sommaire dans le cahier des charges, pour donner lieu à des évaluations « radicales », tenant en à peine deux ou trois phrases.

Ainsi en ce qui concerne les critères autres que le prix, l’article 2.1.4.3 du cahier des charges stipulerait que : « Concernant le critère valeur technique ainsi que le critère planning optimisé, la méthode de notation suivante sera appliquée à chaque critère/sous-critère : Par critère / sous-critère – Excellent 100% des points - Très bien 75% des points – Bien 50% des points – Insuffisant 25 % des points - Très insuffisant 0 points ».

En ce qui concerne les critères techniques, si le cahier des charges permettait ainsi une gradation logique se répartissant en 5 niveaux de notes, c’est-à-dire 10, 7.5, 5, 2.5 ou 0, il aurait toutefois permis une très grande subjectivité d’évaluation de ces critères.

Quant au critère du « planning optimisé » qui aurait dû être coté de manière parfaitement objective et mathématique, l’association momentanée (AB) estime que ce critère aurait été coté en pratique de manière totalement incohérente et qu’il n’aurait pas été logique de le soumettre à la grille de gradation applicable aux critères portant sur la « valeur technique ».

Elle estime en effet qu’à partir du moment où le pouvoir adjudicateur aurait été conscient que les critères quantitatifs devaient faire l’objet d’une cotation mathématique par une « règle de trois », il ne serait ni compréhensible, ni admissible, au regard de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, que le critère du planning optimisé fasse l’objet d’une cotation « binaire » liée au tableau de gradation repris dans le cahier des charges, sans que le FONDS DU LOGEMENT n’ait estimé nécessaire d’exposer en quoi une optimisation quantitative substantielle du planning ne devrait pas être valorisée de manière proportionnelle, pour des raisons de « cohérence » ou de « qualité » de l’optimisation proposée.

Ainsi, en ce qui concerne le critère du « planning optimisé », elle aurait obtenu pour le lot 2 la moitié des points, alors que son offre aurait permis une réduction de 40 % du délai, passant de 20 à 15 semaines, de sorte qu’il apparaitrait que les points attribués ne seraient nullement proportionnels par rapport aux constatations faites par le FONDS DU LOGEMENT, qui aurait failli à son obligation d’évaluation égalitaire et non discriminatoire des mémoires, tout autant qu’il aurait failli à justifier ses cotations.

7 Cette fixation distributive et non linéaire d’évaluation des critères d’attribution se heurterait ainsi frontalement aux principes d’égalité de traitement, de transparence, de non-

discrimination et de proportionnalité édictés par l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, dès lors qu’elle laisserait une part déterminante à la subjectivité. Même s’il est habituellement reconnu que les soumissionnaires sont supposés accepter les règles du jeu qui ont été fixées dans le cadre du cahier des charges, en l’espèce, ce ne serait qu’à l’issue de l’application des règles du jeu que l’irrégularité, sinon l’illégalité, des règles fixées, sinon l’application irrégulière qui en aurait été faite, serait apparu manifestement et explicitement aux yeux des soumissionnaires.

3.

L’association momentanée (AB) se prévaut ensuite d’une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, des articles 97 et 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que de l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions.

Elle rappelle ses critiques relatives à la formulation vague et sommaire des critères d’évaluation « critères (et sous-critères) techniques » et « planning optimisé », à la difficulté voire à l’impossibilité de retracer leur application aux offres respectives ainsi que l’impossibilité de comprendre leur application en comparant les offres respectives entre elles, ce qui ouvrirait largement la possibilité d’une application subjective par le FONDS DU LOGEMENT.

Elle estime encore que les justifications transmises a posteriori par le FONDS DU LOGEMENT en réponse à la demande de son litismandataire ne seraient ni transparentes, ni proportionnées, tant en ce qui concerne les notes attribuées que les justifications avancées.

Ainsi, le cahier des charges prévoirait une notation précise dans le tableau de l’article 2.1.4.3, mais cette notation n’aurait finalement jamais été reprise et le maximum de points serait régulièrement attribué à la société (CC), sous-entendant ainsi une « excellence », qui ne serait toutefois pas établie dans les commentaires du tableau d’évaluation communiqué.

L’association momentanée (AB) expose qu’en ce qui concerne le critère technique valant 30 % de la note finale, le cahier des charges précise que : « Le critère technique vaut 30 points et est pondéré à hauteur de 30% de la note finale. Le critère technique porte sur la méthodologie de réalisation des travaux ».

En ce qui concerne le sous-critère technique « Qualité et cohérence de la planification prévisionnelle des travaux, appréciées au regard de la clarté et de l’exhaustivité des informations fournies dans le dossier technique », valant un maximum de 10 points, elle aurait fourni, à l’appui de son offre, un dossier technique de 14 pages hors annexes et se serait vue attribuer une note de 2,5 sur 10 pour ce sous-critère, soit un échec cuisant, alors que la société (CC) se serait vue attribuer une note de 7,5 sur 10.

En effet, la notation de 2,5/10 correspondrait à une appréciation « Insuffisant », sans que les clauses contractuelles ou la décision d’attribution ne permettent toutefois de comprendre si cette « insuffisance » s’apprécie, abstraitement, au regard d’exigences non autrement identifiées du pouvoir adjudicateur ou si elle s’établit concrètement par comparaison avec les propositions des autres soumissionnaires.

8 En termes de justifications fournies, il ressortirait du tableau transmis par le FONDS DU LOGEMENT que la note de 2,5/10 reposerait sur l’appréciation suivante : « la planification prévisionnelle des travaux n’est pas complète, seulement une description des différentes phases, dont les travaux préparatoires et les préparatifs ; Aucune indication de la durée des différentes tâches. Pas de détail des zones de travail ou des accès », sans qu’il ne soit possible de comprendre à la lecture de cette justification générale ce qui était précisément attendu de la part du FONDS DU LOGEMENT et, notamment, pourquoi une note si basse de 2,5/10 avait été octroyée.

L’association momentanée (AB) considère en tout état de cause que cette note et ces justifications seraient erronées, dès lors que son tableau prévisionnel aurait bien repris les différentes phases et leur durée. Si le FONDS DU LOGEMENT attendait des précisions supplémentaires relatives à l’utilisation individuelle de machines ou d’hommes, il lui aurait appartenu d’être plus précis dans le cadre de son cahier des charges.

Elle relève encore qu’il ne serait pas justifié pourquoi l’offre de (AA) devait recevoir une note de 2,5 et non une note de 7,5, en tant que deuxième « meilleur » restant. De la même manière, il ne serait pas expliqué pourquoi le « meilleur », à savoir la société (CC), n’aurait obtenu qu’un 7,5/10 et non pas un 10/10.

L’association momentanée (AB) souligne que la note de 2,5/10 lui attribuée serait d’autant plus incompréhensible en considération de la note et du commentaire relatifs au critère du planning optimisé. En effet, le FONDS DU LOGEMENT aurait relevé qu’au niveau du planning, l’association momentanée (AB) aurait réussi une optimisation à qualifier de parfaite, en faisant une économie de 3 jours par rapport au planning estimatif du FONDS DU LOGEMENT, alors pourtant qu’elle ne se serait vue allouer que 10/20 pour ce troisième critère, où la société (CC) aurait obtenu 15/20.

En ce qui concerne le sous-critère « Qualité et cohérence de l’optimisation des volumes de terres à évacuer en décharges, appréciées au regard de la clarté et de l’exhaustivité des informations fournies dans le dossier technique » valant un maximum de 10 point, elle se serait vue attribuer une note de 7,5 sur 10 pour ce sous-critère, alors que la société (CC) se serait vue attribuer une note de 10 sur 10, soit le maximum de points sur base d’éléments de comparaison non chiffrés, au soi-disant « meilleur dossier technique », alors que la motivation transmise par le FONDS DU LOGEMENT par rapport à sa propre offre aurait été très positive : « La description de l’optimisation du volume de terres à excaver en décharge est bien détaillée au moyen d’un maillage. Bonne description du traitement à la chaux en centrale mobile ou traitement surplace avec uniquement une mention du criblage et aucune mention du concassage ».

Il serait encore impossible de comprendre en quoi le dossier technique de la société (CC) aurait été meilleur que le sien à la lecture de cette justification générale, tout comme il serait impossible de comprendre ce qu’il était précisément attendu de la part du FONDS DU LOGEMENT et, notamment, pourquoi une note de 7,5/10 aurait finalement été octroyée à la société (AA). Par ailleurs, sans possibilité de consulter le dossier technique de notamment la société (CC) pour pouvoir comparer les éléments fournis, il serait encore plus compliqué de pouvoir apprécier l’évaluation réalisée.

9 En ce qui concerne le sous-critère « Qualité et cohérence de l’Analyse des risques, appréciées au regard de la clarté et de l’exhaustivité des informations fournies dans le dossier technique » pour un maximum de 10 points, l’association momentanée (AB) se serait vue attribuer une note de 5 sur 10 pour ce sous-critère, alors que la société (CC) se serait attribuer une note de 10 sur 10, à savoir le maximum de points, alors que la motivation transmise par le FONDS DU LOGEMENT relative à sa propre offre aurait été par ailleurs tout sauf négative :

« Seulement une analyse de risques sur le site, l’analyse détaillée n’est effectuée qu’en phase de préparation; Aucune mention de nuisances. Mention d’une mesure de sécurité pour chaque risque identifié. Mention des mesures générales pour réduire l’ensemble des risques et description des risques liés aux produits dangereux », de sorte qu’il serait impossible de comprendre en quoi le dossier technique de la société (CC) aurait été à ce point meilleur que le sien en termes d’analyse des risques, tout comme il serait impossible de comprendre ce qu’il était précisément attendu de la part du FONDS DU LOGEMENT et, notamment, pourquoi une note de 5/10 lui aurait finalement été octroyée, l’association momentanée (AB) relevant par ailleurs que si le FONDS DU LOGEMENT lui reprocherait de ne pas parler des nuisances, une analyse des risques serait une chose différente des nuisances.

En ce qui concerne le critère du « Planning optimisé », représentant 20 % de la note finale, l’association momentanée (AB) rappelle que l’écart de points entre son offre et l’offre de la société (CC) n’aurait été que de 8,30 points, soit moins de 10 points sur 100.

Elle rappelle encore qu’en ce qui concerne ce critère, le cahier des charges préciserait que : « Le critère planning optimisé vaut 20 points et est pondéré à hauteur de 20% de la note finale. Qualité et cohérence du planning optimisé, appréciées au regard de la clarté et de l’exhaustivité des informations fournies dans le planning optimisé (20 points)», tandis que la justification transmise par le FONDS DU LOGEMENT indiquerait que « La qualité et la cohérence du planning remis sont adéquates. Plusieurs phases ont été optimisées avec 34 jours gagnés. Mais prise en compte limitée de la coactivité. » Ainsi, elle aurait indiqué que ce marché pourrait être réalisé en 15 semaines au lieu des 20 semaines prévues par le FONDS DU LOGEMENT, alors que le commentaire du FONDS DU LOGEMENT indiquerait un gain de seulement 3 jours, dans que ce chiffre, qui paraitrait à tout le moins erroné, ait été expliqué.

Elle relève ensuite avoir seulement obtenu une note de 10/20 pour ce critère nonobstant le gain de temps indiqué, alors que la société (CC) aurait obtenu de manière incompréhensible 15/20, l’association momentanée requérante estimant que l’on aurait pu à tout le moins s’attendre à ce qu’un respect du délai prévu par le FONDS DU LOGEMENT donne lieu à la moyenne (10/20) et que tout gain par rapport à ce délai permette d’obtenir des notes supérieures à 10/20, soit 15/20 sinon de 20/20 pour les deux meilleurs résultats.

Il aurait dès lors appartenu au FONDS DU LOGEMENT d’étayer de façon précise et circonstanciée une cotation aboutissant à expliquer la logique d’appréciation de ce critère et des chiffres retenus par lui.

L’association momentanée (AB) conclut dès lors à une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, des articles 97 et 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que de l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, sinon un défaut inacceptable de motivation équivalent 10 à une absence de motivation, en ce que les notes attribuées ne répondraient à aucune logique évaluative et le FONDS DU LOGEMENT aurait octroyé des notes contraires aux justifications transmises, sinon nullement justifiées dans les écarts de cotation imposés.

Elle estime qu’en considération du fait que l’écart consacré par le FONDS DU LOGEMENT dans son évaluation entre sa propre note et celle accordée à la société (CC) ne serait que de 8,30 points et qu’en considération des erreurs de notations manifestes sinon de l’absence de justification permettant objectivement et en toute transparence de comprendre les écarts de points octroyés en les deux soumissionnaires, il s’imposerait qu’elle aurait dû obtenir un nombre de points plus élevé que la société (CC) et donc, se voir attribuer le marché sous référence, tandis que le résultat final ne serait que l’aboutissement de normes d’évaluation non précises permettant une évaluation reposant sur une appréciation purement subjective et arbitraire des dossiers techniques, dont les constatations ne seraient nullement justifiées par le FONDS DU LOGEMENT et qui auraient donc violé tant les principes généraux des marchés publics fixés que l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, les articles 97 et 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions en termes d’obligation de motivation.

4.

L’association momentanée (AB) soulève finalement, en guise de dernier moyen, l’incompétence, l’excès et le détournement de pouvoir, la violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, ainsi que « la violation de toutes autres dispositions de la LMP ou du RGD du 8 avril 2018, sinon de toute autre norme entraînant l’annulation des décisions ».

Elle expose que comme le contrat judiciaire serait défini par l’acte introductif d’instance, il se poserait une question d’effectivité de pouvoir exercer un recours en justice compte tenu des contraintes de temps (délai de stand-still de 10 jours) et de matérialité (mise à disposition du seul dossier de soumission de l’association momentanée (AB) lors de la consultation « transparente » du dossier administratif de la procédure au siège social du FONDS DU LOGEMENT), dès lors que les moyens à faire valoir par elle seraient limités par le temps octroyé par la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions et limités par l’attitude du pouvoir adjudicateur marquant une réticence à la communication transparente des informations pertinentes supposées permettre au soumissionnaire concerné de comprendre les décisions administratives prises et, en conséquence, les accepter ou les contester devant le juge administratif.

Or, comme dans le cadre du recours en suspension formé devant le Président du Tribunal administratif, l’analyse de celui-ci serait circonscrite aux moyens développés par le requérant dans sa requête introductive d’instance, le pouvoir adjudicateur pourrait largement être tenté de procéder à une rétention du dossier administratif de la soumission, laissant la possibilité à la partie requérante de déceler d’autres irrégularités et d’autres moyens à un stade de la procédure où il ne serait éventuellement plus possible d’empêcher la signature du contrat, de sorte que l’association momentanée (AB) entendrait soulever également un moyen pour « incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés (…) », qui résulterait des pièces mises à sa disposition postérieurement au dépôt des requêtes introductives d’instance et en obtention d’un sursis à exécution, sinon des informations révélées postérieurement à cet évènement, dans le cadre d’échanges sinon au cours de l’audience de sursis à exécution.

11 Le FONDS DU LOGEMENT, rejoint en ce moyen par la société (CC), conteste d’abord tout risque de préjudice grave et définitif dans le chef des membres de l’association momentanée en contestant avec véhémence les chiffres avancés par l’association momentanée.

Ainsi il résulterait des pièces comptables figurant dans l’offre de l’association momentanée que le chiffre d’affaires moyen de la société (AA) ne serait pas de … euros mais plutôt de … euros, tandis que par application du taux de marge bénéficiaire au gain indiqué par cette société, le gain manqué net ne représenterait que 1,72% du chiffre d’affaires moyen sur les 4 derniers exercices.

Quant à la société (BB), son gain net manqué serait de l’ordre de … euros, soit 0,03% de son chiffre d’affaires moyen sur les 4 derniers exercices.

Tant le FONDS DU LOGEMENT que la société (CC) s’opposent ensuite à l’argumentation contenue dans la requête en obtention d’un sursis à exécution en contestant le caractère sérieux des moyens de l’association momentanée (AB).

A cet égard, le FONDS DU LOGEMENT soulève d’abord que l’association momentanée (AB) ne saurait se prévaloir d’une violation alléguée du droit au recours effectif, dans la mesure où elle aurait manœuvré, à travers les requêtes enrôlées sous les numéros 50980 et 50981, afin de prolonger artificiellement en suspens le délai de stand-still, et, ce, afin d’introduire nouvelles requêtes, ce qui constituerait un abus de droit, sous la forme d’un abus de procédure.

Il explique ensuite que contrairement aux accusations de l’association momentanée, il n’existerait aucune disposition imposant la communication spontanée des motifs dans les marchés du Livre II de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, tandis que l’association momentanée aurait bien, à sa demande, obtenu accès au dossier administratif contenant les éléments ayant permis au FONDS DU LOGEMENT d’évaluer et de noter son offre.

Il insiste encore sur le fait que l’association momentanée (AB) aurait disposé de tous les éléments nécessaires à la compréhension des notes attribuées.

Le FONDS DU LOGEMENT reproche ensuite à l’association momentanée de contester pour la première fois dans le cadre du présent recours la méthode de notation des offres, alors que la formule de notation de prix, ainsi que la pondération de critère et celle des autres critères, aurait été parfaitement connue de la partie requérante avant la remise de son offre. Il relève encore que l’association momentanée (AB) n’aurait à aucun moment sollicité des explications ou précisions avant l’ouverture des soumissions. Il souligne en particulier s’être rigoureusement conformé aux spécifications du cahier des charges et aux critères y prévus, en ayant évalué et noté leurs offres uniquement au regard des attendus du cahier des charges et sur la base de la grille de notation y indiquée, et non pas en comparant l’offre de l’association momentanée à celles de ses concurrents.

Ainsi, et en substance, la quasi-totalité des calculs effectués par l’association momentanée serait fausse, l’association momentanée commettant encore une erreur de perspective rédhibitoire dans son raisonnement en estimant que les documents techniques des offres respectives des soumissionnaires auraient dû être appréciés et évalués les uns par rapport aux autres, alors qu’au contraire le FONDS DU LOGEMENT aurait évalué les différentes 12 offres « en silo », c’est-à-dire en fonction de leur contenu propre, évalué à la lumières des attentes du FONDS DU LOGEMENT, et non, comme soutenu, par rapport au contenu des autres offres.

Il explique ensuite les différents critères d’attribution et leur pondération respective, tout en exposant l’analyse et l’évaluation effectuée des différentes offres sur base des critères spécifiés dans le cahier spécial des charges.

La société (CC), pour sa part, estime que l’association momentanée n’aurait pas compris l’application des différents critères d’attribution, tout en ayant pourtant concédé ne pas avoir soumis de question afférente au pouvoir soumissionnaire.

Elle considère qu’en réalité, les recours auraient été introduits afin d’accéder aux mémoires techniques de ses concurrents afin d’en tirer un enseignement pour mieux finaliser à l’avenir ses offres ; elle relève encore qu’en ce qui la concerne, la motivation et les justifications fournies par le FONDS DU LOGEMENT, ensemble l’article 2.1.4 des clauses contractuelles particulières, auraient été suffisantes.

L’association momentanée (AB) invoque à la base de ses prétentions l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions ainsi que l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 en question dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 », tandis que l’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit : « La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés. Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».

Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en 13 justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.

Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill1.

Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19992, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.

Il a en l’espèce été confirmé par le FONDS DU LOGEMENT que le contrat avec le soumissionnaire retenu n’a pas encore été signé, de sorte que le droit commun reste d’application.

Or, en vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

Ces conditions doivent être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Force est d’abord de retenir que comme l’affaire au fond a été introduite le 27 septembre 2024et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.

1 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14.

2 Trib. adm. (prés.) 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. (prés.) 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 645.

14 Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le requérant apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, au terme d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction3.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs4.

3 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

4 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

15 En présence de plusieurs moyens invoqués, le juge n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant. Dans cette optique le juge du provisoire procédera d’abord à l’analyse des moyens de l’association momentanée (AB) ayant trait aux critères d’attribution, et en particulier au moyen ayant trait à la justification de l’application de ces critères par le FONDS DU LOGEMENT et au défaut de motivation reproché à ce dernier, la réponse apportée à ces moyens ayant une incidence directe sur les deux moyens tirés en substance d’une absence de recours effectif.

1.

A cet égard, le moyen de l’association momentanée tiré d’une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics n’entraine pas la conviction dans le chef du soussigné d’une annulation probable sur cette base des décisions déférées.

Comme indiqué ci-avant, l’association momentanée (AB) fait plaider, en substance, que si le FONDS DU LOGEMENT aurait formellement édifié le critère du prix en tant que critère essentiel, dès lors qu’il représente 50 points sur 100, l’application de la formule fixée par le FONDS DU LOGEMENT pour déterminer l’attribution des points relatifs à ce critère aurait toutefois pour conséquence que l’importance de ce dernier serait plus que relative, l’association momentanée (AB) illustrant cette affirmation par le fait que si sa propre offre aurait été de 450.000 euros en-dessous de celle de son concurrent, soit une différence de 18,50 %, cette différence ne lui aurait valu qu’un avantage très relatif de 8,30 points sur 100 sur la note finale, tandis que le « pire-offrant » aurait encore obtenu une moyenne honorable de 40,80 points sur 100.

L’association momentanée (AB) en conclut que le critère principal du prix serait finalement, du fait de la formule de calcul définie et employée par le FONDS DU LOGEMENT, devenu assez insignifiant, sinon à tout le moins non déterminant, de sorte à accentuer l’importance des deux autres critères, subjectifs, reposant sur une évaluation et sur l’attribution de notes subjectives.

Aux termes de l’article 12, intitulé « Principes de la passation de marchés », « (1) Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée. Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente loi ou d’un Livre en particulier, ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques ».

En l’espèce, il appert, au terme d’une analyse nécessairement sommaire du moyen de la société (AA), que celle-ci n’invoque pas une erreur de calcul du FONDS DU LOGEMENT, ou encore une erreur d’application de la formule inscrite à l’article 2.1.4.2 des clauses particulières du cahier des charges, aux termes duquel « Le critère prix vaut 50 points et est pondéré à hauteur de 50% de la note finale. Concernant le critère prix, la méthode de notation suivante sera appliquée au vu du montant total des bordereaux des prix, calculé en multipliant les quantités estimatives desdits bordereaux de prix par le montant des prix unitaires correspondant : Note = (Prix le plus bas / prix examiné) * 50 points », ou encore une application inique de cette formule, mais qu’il conteste, d’une part, le résultat, celui-ci n’ayant pas été le résultat escompté par la société requérante, et, d’autre part, la formulation même de ce critère, dont la formule de calcul (Prix le plus bas / prix examiné) * 50 points) aboutirait à une pondération différente que la seule prise en compte du prix « brut » offert.

16 Il appert encore que le FONDS DU LOGEMENT n’a pas appliqué cette formule de manière différente entre les concurrents respectifs - une telle accusation n’ayant par ailleurs pas été formulée - mais qu’au contraire, de manière non énervée, la formule de calcul a été appliquée de façon identique à tous les concurrents.

Il n’appert dès lors pas, de manière manifeste, que le FONDS DU LOGEMENT se soit rendu coupable, en appliquant cette formule de façon identique à tous les concurrents, d’une distorsion de concurrence afin de soustraire le marché en question aux législation et règlementation applicables, dans le sens d’une limitation artificielle de la concurrence ou afin de favoriser ou défavoriser l’un des concurrents.

Enfin, dans la mesure où ce moyen tendrait à critiquer la formule telle que figurant à l’article 2.1.4.2 des clauses particulières du cahier des charges, il résulte de la jurisprudence régulière des juges du fond, sur base de l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, au contenu identique à l’actuel article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, aux termes duquel « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », tel que relevé par le FONDS DU LOGEMENT, que cette disposition implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres.

Les juges du fond insistent à ce égard plus particulièrement sur le fait que cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’achèvement des travaux publics.

En aucun cas, d’après cette jurisprudence, il ne serait admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue, un tel soumissionnaire pouvant se voir reprocher une attitude incohérente et contradictoire, consistant à accepter dans un premier temps, du moins en apparence, les règles régissant une soumission publique, pour ensuite, en se prévalant de prétendues illégalités à ce point criantes et évidentes qu’elles ne pouvaient pas lui avoir précédemment échappé, chercher à annuler l’intégralité de ladite soumission alors que son offre n’a pas été retenue, faisant ainsi encore preuve de mauvaise foi manifeste, violant ainsi l’exigence de bonne foi entre parties, et ce tant au niveau précontentieux que contentieux. Un tel comportement doit, selon les juges du fond, être sanctionné en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment 17 d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant5.

De même, la jurisprudence a encore retenu qu’une contestation du cadre légal choisi par le pouvoir adjudicateur levée par un soumissionnaire qui a participé sans réserve à la procédure soumission publique querellée constitue l’adoption d’une attitude incohérente et contradictoire et une violation de l’exigence de bonne foi entre parties6.

Il est dès lors possible que les juges du fond, plutôt que d’annuler la décision déférée du fait d’une prétendue illégalité affectant la formule consacrée par le cahier des charges, renvoient le soumissionnaire à son obligation telle que figurant à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité - article explicitement référencé sous le point 1.9.5 du cahier des charges -, et ce d’autant plus que la société requérante disposait, sinon dans le cadre de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, sinon dans celui du droit commun, d’une voie de recours directe qui lui aurait permis le cas échéant de faire écarter les exigences du cahier des charges auxquelles elle reproche d’être discriminatoires.

En effet, l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 précitée donne la possibilité aux opérateurs économiques dans le cadre des marchés visés par les livres II et III - à savoir les marchés d’une certaine envergure et les marchés publics dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux -, d’agir contre des irrégularités au niveau des documents de soumission et qui par le biais de ce référé précontractuel, peuvent être corrigées par ordonnance du président du tribunal administratif : en d’autres termes, ledit article 3 donne la possibilité aux opérateurs économiques d’introduire par voie de référé un recours déjà avant toute décision d’adjudication, afin de corriger des irrégularités au niveau des dossiers de soumission, sans qu’une nouvelle procédure de mise en concurrence ne doive être lancée, tandis que le droit commun prévoit en tout état de cause la possibilité d’agir contre un cahier des charges, acte règlementaire, pressenti comme irrégulier ou illégal, par le biais d’un recours au fond doublé d’un recours en suspension.

Le moyen afférent ne paraît dès lors pas présenter le sérieux nécessaire en l’état actuel d’instruction du dossier.

2.

La même conclusion provisoire s’impose quant au moyen tiré d’une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, des articles 97 et 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que de l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, et plus généralement d’un défaut de motivation.

Les dispositions applicables en la matière se retrouvent d’abord à l’article 97 (2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics qui « […] De même, le pouvoir adjudicateur informe par écrit dans les meilleurs délais 5 Trib. adm. 26 mai 2014, n° 32374; trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 ;

trib. adm. 16 mars 2016, n° 35736, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 90.

6 Trib. adm. 26 janvier 2015, n° 33531, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 227.

18 les autres concurrents qu’il ne fait pas usage de leur offre, avec l’indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci. Il leur est restitué les échantillons, projets et autres pièces dont ils ont accompagné leur offre. […] », cette disposition figurant dans le Livre I du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, applicable à tous les marchés publics, sauf si des règles différentes figurent dans le Livre II qui est, quant à lui, applicable aux marchés d’envergure dépassant les seuils fixés au niveau européen.

Les parties sont toutefois concordantes à considérer le marché en cause comme constituant un marché d’envergure, pour dépasser le seuil afférent prévu à l’article 52 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, de sorte qu’il est régi par les dispositions spéciales du livre II de la loi du 8 avril 2018 ainsi que par celles du livre II du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, et plus particulièrement, en ce qui concerne la question des obligations d’information et de motivation du pouvoir adjudicateur par l’article 193 du règlement grand-

ducal du 8 avril 2018, sis au livre II applicable aux marchés publics d’une certaine envergure, ainsi que par les dispositions de la loi du 10 novembre 2010, laquelle ne s’applique pas à tous les marchés publics mais concerne uniquement les marchés des livres II et III.

Or, selon l’article 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, applicable aux marchés relevant du Livre II de la loi du 8 avril 2018 : « (1) Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais chaque candidat et chaque soumissionnaire des décisions prises concernant […] l’attribution du marché […]. (2) À la demande du candidat ou du soumissionnaire concerné, les pouvoirs adjudicateurs communiquent, dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite : […] b) à tout soumissionnaire écarté, les motifs du rejet de son offre, […] c) à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable, les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom du titulaire ou des parties à l’accord-cadre […] ».

De même, selon l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, elle aussi applicable aux marchés publics du Livre II : « La décision d’attribution est communiquée à chaque soumissionnaire et candidat concerné, accompagnée :- d’un exposé synthétique des motifs pertinents à communiquer par le pouvoir adjudicateur sur demande de la partie concernée tel que prévu par règlement grand-ducal, sauf exceptions y prévues, […] - d’une mention précise de la durée exacte du délai de suspension applicable. » Il appert dès lors, à première vue, qu’en ce qui concerne les marchés publics relevant exclusivement du Livre I, soit les marchés de plus faible envergure, le pouvoir adjudicateur est tenu d’informer les candidats qu’il ne fait pas usage de leur offre et de leur indiquer spontanément les motifs à la base de la non-prise en considération de leur offre.

En ce qui concerne les marchés d’envergure, le pouvoir adjudicateur communique, d’abord, à tous les soumissionnaires évincés que leur offre a été rejetée et les motifs de ce rejet.

Ces motifs peuvent a priori être sommaires compte tenu de la possibilité prévue par cette même disposition pour le soumissionnaire évincé de demander une motivation plus précise. Ensuite, en vertu de ces mêmes dispositions, si un soumissionnaire évincé en fait la demande par écrit, le pouvoir adjudicateur communique, le plus tôt possible et dans tous les cas dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande, les motifs de rejet de son offre ainsi que les caractéristiques et les avantages relatifs à l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

19 Il a été jugé7 à cet égard que cette divulgation des motifs en deux temps n’est pas contraire à la finalité de l’obligation de motivation consistant à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, au juge d’exercer son contrôle.

Cette divulgation en deux temps se retrouve ainsi à l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, applicable aux marchés publics du Livre II, qui prévoit la communication spontanée de la décision d’attribution et, sur demande de la partie concernée, la communication « d’un exposé synthétique des motifs pertinents ».

En l’espèce, le FONDS DU LOGEMENT a indiqué par courrier du 12 août 2024 avoir écarté l’offre de l’association momentanée (AB) pour ne pas avoir été l’offre économiquement la plus avantageuse, mais d’avoir attribué ledit marché à la société (CC), « qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse en application des critères de jugement énoncés dans les documents de soumission », une copie du courrier d’adjudication ayant été annexé à cette communication.

Il appert ensuite, que sur demande afférente du mandataire de la société (AA), le FONDS DU LOGEMENT, outre de permettre la consultation sur place du dossier administratif de soumission afférent, lui a communiqué les tableaux comparatifs d’analyse des offres, à savoir des tableaux Excel comportant par rapport aux deux offres en lice, à savoir celle de la société requérante et de celle de la société (CC), pour chaque critère le nombre maximum de points, le nombre de points attribués ainsi qu’un bref commentaire relatif aux points forts respectivement faibles des offres, étant rappelé que la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions n’exige qu’un exposé synthétique des motifs et que la jurisprudence8 précise que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’exposer « les motifs de ses motifs », c’est-à-dire d’expliquer les raisons pour lesquelles il a formulé telle appréciation plutôt qu’une autre, même s’il doit indiquer, dans sa décision de refus de l’offre d’un soumissionnaire, quels étaient les éléments positifs et négatifs caractérisant les différentes offres et qu’il ressorte du rapport d’analyse des offres que l’offre du concurrent évincé présentait moins d’aspects positifs et/ou plus d’aspects négatifs que celle de l’attributaire du marché contesté.

La jurisprudence étrangère semble à cet égard admettre que la motivation de la décision d’attribution du marché public est adéquate lorsque le soumissionnaire évincé connait les points forts et les points faibles de son offre par rapport aux offres des autres soumissionnaires9 ou comprend les raisons de son éviction. Ainsi, il a été jugé qu’un tableau des points accompagné de brefs commentaires est suffisant10.

Il appert enfin que la pondération effectuée, respectivement les points attribués, trouvent de prima facie une explication par comparaison, d’une part, entre les critères d’attribution tels qu’explicités par l’article 2.1.4 des clauses contractuelles particulières, relatif 7 Voir p.ex. TUE 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a. / Agence, T-392/15, points 78 et 79.

8 Trib. adm. 14 novembre 2022, n° 45470, citant : Coenraets, P. et Schneider, Y., « Le choix des critères de sélection et d’attribution : la clef de voûte des marchés publics » in Jaarboek Overheidsopdrachten 2010-2011 / Chronique des Marchés Publics 2010-2011, 1ère édition, Bruxelles, EBP Consulting, 2011, p. 371-398, point 61.

9 CdE belge, 16 décembre 2005, n° 152.843 ; CdE belge, 30 janvier 2003, n° 115.269; CdE belge, 11 janvier 2010, n°199.416; CdE belge, 16 décembre 2005, n° 152.843.

10 CdE belge, 2 avril 2003, n°117.877.

20 au contenu des pièces à verser, et les commentaires du pouvoir adjudicataire, et, d’autre part, entre les commentaires relatifs aux deux offres concurrentes, une telle comparaison ex post permettant en effet de situer les offres respectives et de comprendre les notes attribuées.

Il résulte d’abord des explications du FONDS DU LOGEMENT que l’application du barème de points à attribuer par critères ou sous-critères ne conduit pas nécessairement à l’attribution de « 10, 7.5, 5, 2.5 ou 0 » points. Ainsi, lorsque le nombre de points maximum attribuable pour un critère ou sous-critère donné est de 10, les offres pourraient effectivement se voir attribuer 10, 7.5, 5, 2.5 ou 0 points ; toutefois, lorsque le critère est noté sur 20 points le nombre de points que peuvent obtenir les offres serait de 20, 15, 10, 5 ou 0 points. Par ailleurs, le FONDS DU LOGEMENT n’aurait pas noté les documents techniques des offres les uns par rapport aux autres, de sorte que la meilleure offre n’obtiendrait pas nécessairement 100% des points attribuables à ce critère ou sous-critère ; les autres offres n’auraient par ailleurs pas été notées par rapport à cette meilleure offre, mais auraient obtenu les points que le FONDS DU LOGEMENT estimerait que cette offre mériterait objectivement et isolément, en valeur absolue.

Ainsi, en ce qui concerne le critère de la planification prévisionnelle des travaux, les clauses contractuelles particulières exigent à cet égard que « Le soumissionnaire précise toutes les tâches à exécuter pour chaque phase d’exécution des travaux (travaux préliminaires et préparatifs, durées, détail des zones de travail et des accès, etc…) ».

L’offre de l’association momentanée (AB), ayant obtenu 2,50 points, est commentée comme suit : « La planification prévisionnelle des travaux n’est pas complète, seulement une description des différentes phases, dont les travaux préparatoires et les préparatifs ; Aucune indication de la durée des différentes tâches. Pas de détail des zones de travail ou des accès », tandis que celle de la société (CC), évaluée à 7,50 points, reçoit le commentaire suivant : « La planification prévisionnelle des travaux est bien détaillée avec une description de différentes phases dont travaux préliminaires et préparatifs. Descriptif et indication des durées des différentes tâches, Les quantités et cadences indiquées pour chaque tâche sont bien décrites.

Détail des zones de travail ou des accès pour chaque phase (plans soumission) ».

Les notations respectives semblent dès lors a priori s’expliquer par la soumission, par la société (AA), d’un descriptif incomplet et par la société (CC), d’un descriptif non seulement complet, mais encore détaillé.

A cet égard, le FONDS DU LOGEMENT a expliqué de manière convaincante que si le dossier technique de l’association momentanée faisait bien apparaitre des phases de travaux, telles que les travaux préparatoires, les démolitions, la phase d’assainissement, etc, les différentes tâches traditionnellement réalisées au sein de ces phases, pour tous les chantiers du même type, n’auraient pas été précisées. Ainsi, à titre d’exemple, concernant la démolition, il n’y aurait eu aucune indication quant aux opérations de décapage des chaussées, aux démolitions des éléments en maçonnerie, à l’analyse des matériaux, aux évacuations, etc, de sorte que le FONDS DU LOGEMENT n’aurait pas été en mesure d’apprécier concrètement le travail qui sera fait, ni comment, ni à quelles échéances, ni, par conséquent, d’apprécier la fiabilité ni la faisabilité de l’offre de l’association momentanée.

Quant au critère « Optimisation du volume de terres à évacuer en décharge », l’article 2.1.4 des clauses contractuelles particulières exige que « Le soumissionnaire précise comment il compte optimiser le volume de terres à excaver, notamment au travers du criblage, etc … ».

21 L’offre de la société (AA), cotée à 7,50 points, est commentée comme suit « La description de l’optimisation du volante de terres à excaver en décharge est bien détaillée au moyen d’un maillage. Bonne description du traitement à la chaux en centrale mobile ou traitement sur place avec uniquement une mention du criblage et aucune mention du concassage », tandis que celle de la société (CC), valant 10 points, est appréciée comme suit :

« La description de l’optimisation du volume de terres à excaver en décharge est très bien détaillée, dont démarche pour terres polluées et terres inertes, Description du traitement à la chaux, du criblage et du concassage bien détaillée avec cadences, quantités et durées des ateliers de criblage et concassage ».

La différence de cotations semble là s’expliquer ex post par une offre « bien détaillée » de l’association momentanée (AB) et une offre « très bien détaillée » de la société (CC).

Le FONDS DU LOGEMENT a plus précisément justifié de manière cohérente que cette exigence du volume de terres à excaver en décharge rendait le concassage particulièrement nécessaire, puisque ce ne serait qu’après concassage et analyse que les matériaux « inertes » pourraient être réutilisés sur site, permettant ainsi de réduire les volumes évacués : or, comme retenu au niveau de la motivation, l’offre technique de l’association momentanée n’aurait pas fait mention de ce concassage.

Le critère « Analyse des risques » exige des soumissionnaires que « Le soumissionnaire établit une analyse des risques des répercussions de l’exécution des travaux sur les autres chantiers à proximité et précise les mesures de sécurité prévues à chaque étape du chantier ».

L’offre de l’association momentanée (AB), rétribuée à raison de 5 points, est commentée comme suit : « Seulement une analyse de risques sur le site, l’analyse détaillée n’est effectuée qu’en phase de préparation; Aucune mention de nuisances. Mention d’une mesure de sécurité pour chaque risque identifié. Mention des mesures générales pour réduire l’ensemble des risques et description des risques liés aux produits dangereux », tandis que celle du concurrent, obtenant 10 points, reçoit le commentaire suivant : « L’analyse de risques avec méthode mathématique et la description des nuisances poussières et sonores sont très bien détaillés ; Mention d’une mesure de sécurité pour chaque risque identifié. Sécurité de chantier assurée par des contrôles Internes et externes et formations ».

Là également, la différence de cotations semble là s’expliquer par une offre plus sommaire et moins détaillée de l’association momentanée (AB) et une offre plus complète et précise de la société (CC), couvrant une approche plus détaillée des nuisances les plus évidentes d’un tel chantier, à savoir les nuisances sonores et la poussière, ainsi que des mesures de contrôles et de formation du personnel.

Enfin, quant au critère « Planning optimisé », l’article 2.1.4 des clauses contractuelles particulières prévoit que « Les documents de soumission fixent impérativement le délai maximum d’exécution des travaux. Le Fonds attend du soumissionnaire qu’il propose un planning optimisé. Cette optimisation peut notamment porter sur la date de fin des travaux et/ou sur les phases d’exécution des travaux, tout en tenant compte de la coactivité avec les chantiers à proximité (= optimisation du délai de réalisation des travaux et/ou optimisation des phases d’exécution des travaux). Sans négliger les normes de sécurité, le Fonds attend du 22 soumissionnaire des propositions cohérentes qui permettront d’achever les travaux avant l’échéance ».

Si l’offre de l’association momentanée (AB) obtient 10 points sur 20, son offre est jugée juste « adéquate » (« La qualité et la cohérence du planning remis sont adéquates.

Plusieurs phases ont été optimisées avec 3 jours gagnés. Mais prise en compte limitée de la coactivité »), sans que la coactivité avec les chantiers à proximité n’ait été prise en compte, tandis que l’offre de la société (CC), tout en n’ayant pas prévu un gain de temps aussi important, a à première vue été jugée plus réaliste, la société (CC) ayant manifestement présenté un planning plus convaincant, tenant compte de la coactivité (« La qualité et la cohérence du planning remis sont très bien appréhendées. La majorité des phases a été optimisée avec 12 jours gagnés. Bonne prise en compte de la coactivité »), l’importance d’un tel planning ne résidant, manifestement, pas seulement dans le gain de temps théorique annoncé, mais aussi et surtout dans ses effectivité et exécutabilité.

A cet égard, il résulte des explications circonstanciées du FONDS DU LOGEMENT que l’association momentanée n’aurait pas tenu compte de sa propre activité sur le site, puisque sur la zone censée être assainie, l’association momentanée aurait encore prévu les opérations de concassage ainsi qu’un stockage temporaire des matériaux concassés et un trafic de camion qui déposent et emportent les matériaux à concasser, de sorte que ces opérations de concassage, le stockage et le trafic gêneraient nécessairement les travaux d’assainissement de la zone concernée.

Par ailleurs, il serait apparu, dans le cadre de l’instruction de l’affaire au niveau contentieux, sans que cette circonstance n’ait motivé la décision de rejet à la date de sa prise par le FONDS DU LOGEMENT, que le planning prévisionnel indiqué par l’association momentanée serait de facto irréalisable. Ainsi, le site du chantier, qui dispose originellement d’un double accès, à savoir par le CR319 et par un pont, serait, à la date de début des travaux telle qu’indiquée par l’association momentanée, à savoir le 7 octobre 2024, inaccessible, la route d’accès originelle étant alors coupée du fait des travaux y prévus par l’association momentanée, tandis que la route d'accès de remplacement, dont la construction serait prévue entre le 26 septembre 2024 et le 31janvier 2025, pas encore achevée. Quant au pont, celui-ci subirait des travaux de réfection, de sorte à ne pas disponible, de telle façon que la proposition de planning prévisionnel de l’association momentanée se serait avérée irréaliste et son offre n’aurait en tout état de cause pas pu être acceptée.

Il n’appert dès lors pas, au terme d’un premier examen sommaire, qu’il y ait eu, de la part du FONDS DU LOGEMENT, une violation des articles 97 et 193 du règlement grand-

ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que de l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions.

A fortiori, il n’appert pas, à première vue, qu’il y ait eu une évaluation ou appréciation biaisée en faveur ou en défaveur de l’un ou l’autre des concurrents, de sorte que le moyen de l’association momentanée (AB) tiré d’une violation de l’article 12 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics n’entraine en l’état pas non plus la conviction dans le chef du soussigné d’une annulation probable de ce chef des décisions déférées.

23 Enfin, en tout état de cause, la demande tendant à voir le FONDS DU LOGEMENT condamné, le cas échéant par le soussigné, à communiquer les pièces, même à admettre, quod non, que pareille mesure entre dans les attributions du juge du provisoire, serait à rejeter, les pièces réclamées ayant manifestement été communiquées.

En ce concerne finalement la demande tendant à voir le FONDS DU LOGEMENT condamné par le soussigné, à communiquer certaines pièces, il convient de rappeler que l’exécution d’une ordonnance qui impose la divulgation de certaines informations a des effets irréversibles en ce que la situation existant avant cette divulgation ne saurait plus être recréée, puisque la connaissance acquise à partir d’informations divulguées ne saurait être annihilée11.

En d’autres termes, la réalisation de la communication sollicitée entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision de refus serait rejeté par le tribunal.

Aussi, ordonner, sous le couvert d’une mesure provisoire, la divulgation des documents sollicités revient en fait à accorder une mesure définitive incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire, de sorte que le soussigné se doit, au vu du caractère irréversible, de décliner sa compétence.

Par ailleurs, si, au vu du moyen sous analyse et des critiques afférentes relatives aux notations accordées par le pouvoir adjudicateur à l’offre de l’association momentanée (AB), l’association momentanée requérante entendait procéder, respectivement faire procéder par les juges du fond, à une réévaluation en détail des notations attribuées par le pouvoir adjudicateur sur base d’explications fournies par le FONDS DU LOGEMENT ou par la société (CC), il convient de relever, en ce qui concerne l’appréciation des arguments factuels avancés par la requérante, qu’il s’agirait là essentiellement d’une question d’appréciation technique requérant une analyse plus poussée et une discussion au fond, sur la toile de fond d’une appréciation nécessairement subjective des qualités des deux offres concurrentes ayant amené le pouvoir adjudicateur à accorder telle notation plutôt qu’une autre, un tel choix impliquant en effet intrinsèquement une part de subjectivité.

Or, même à admettre que les juges du fond, statuant en tant que juges de l’annulation, puissent y procéder - alors qu’il n’incombe pas à la juridiction administrative en tant que juge de la légalité de substituer son appréciation à celle du commettant, mais de contrôler si l’appréciation de ce dernier repose sur des critères objectifs et s’est opérée d’une manière non arbitraire -, le juge du provisoire ne saurait pas procéder à une telle appréciation et réévaluation, étant rappelé que la législation luxembourgeoise, en l’état actuel, soumet l’obtention d’une mesure provisoire à l’existence d’un « moyen sérieux » se confondant quasiment avec celle de « moyen fondé », c’est-à-dire que l’illégalité devrait être établie, ou, à tout le moins rendue crédible, et non pas seulement possible ou envisageable, et partant non à la condition d’un « doute sérieux ».

Cet éventuel moyen ne présente dès lors non plus, au stade actuel d’instruction de l’affaire et au terme d’une analyse nécessairement sommaire, le sérieux requis.

3.

Enfin, tel que relevé ci-avant, l’association momentanée (AB) soulève en guise de dernier moyen l’incompétence, l’excès et le détournement de pouvoir, la violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, ainsi que « la violation de toutes autres 11 Voir trib. adm. (prés.) 16 juin 2006, n° 21452a.

24 dispositions de la LMP ou du RGD du 8 avril 2018, sinon de toute autre norme entraînant l’annulation des décisions », au vu de l’ineffectivité alléguée du recours compte tenu des contraintes de temps lui imposées, conjuguées au manque de transparence de la part du FONDS DU LOGEMENT.

Deux remarques préliminaires s’imposent :

D’une part, dans la mesure où la société requérante entend se prévaloir de « la violation de toutes autres dispositions de la LMP ou du RGD du 8 avril 2018, sinon de toute autre norme entraînant l’annulation des décisions », sans indication de la norme précisément visée, un tel moyen est à rejeter pour être inopérant, et à tout le moins, devant le juge du provisoire, comme étant manifestement non sérieux.

En effet, si en matière de contentieux ordinaire, l’adage da mihi factum, dabo tibi jus (donnez-moi les faits, je vous donnerai le droit), transcrit dans l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile, trouve application, cet adage étant censé traduire la répartition des tâches entre le juge et les parties en ce qui concerne la direction du procès : les parties devraient ainsi seulement invoquer et prouver les faits à l’appui de leur demande ou de leur défense, tandis que le juge, ensuite, y appliquerait le droit, sans que les parties aient l’obligation de prouver, ni même d’invoquer des règles de droit, cet adage n’est toutefois pas d’application en contentieux administratif, contentieux objectif, et encore moins dans le contentieux plus particulier de la légalité, lequel présuppose de la part de la partie requérante une qualification juridique précise pour éviter de se voir déboutée à cause de l’imprécision de sa demande (obscuri libelli). Par ailleurs, le recours au juge de la légalité - le juge de l’annulation - présuppose par définition la formulation d’un moyen de droit susceptible de mettre en cause la légalité de la décision déférée pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : or, l’exposé d’un moyen de droit requiert tant de désigner la règle de droit qui serait violée, que la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué12.

En ce qui concerne le moyen davantage précisé, formulé en tout premier lieu, il convient d’abord de relever que d’après la jurisprudence, les bases légale et règlementaire y indiquées, à savoir la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ne sont, a priori, pas d’application en la matière des marchés publics.

En effet, conformément à l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, les règles établies par le règlement grand-ducal précité s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré.

Il résulte à ce sujet que la clé de répartition prévue par l’article 4 se lit en ce sens que la procédure spéciale est appelée à s’appliquer lorsqu’elle revêt pour l’administré des garanties supérieures à celles prévues par la réglementation générale du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de même que dans l’hypothèse où les garanties prévues pour l’administré sont équivalentes dans les deux sortes de procédure. Cependant, si les garanties prévues par la 12 Trib. adm. (prés.) 17 décembre 2021, n° 46757.

25 procédure administrative non contentieuse issue du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont supérieures à celles prévues par la règle spéciale, ce sont celles de la réglementation générale de la procédure administrative non contentieuse qui s’appliquent par préférence à celles de la réglementation spéciale13.

Or, si la législation sur les marchés publics prévoit des dispositions particulières, à savoir les articles 97 et 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, il résulte de la jurisprudence14 que les garanties prévues pour l’administré par les dispositions de l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 et celles prévues par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont au moins équivalentes.

Il s’ensuit qu’à première vue la base juridique invoquée par l’association momentanée à l’appui de son premier moyen n’est pas applicable en l’espèce : ledit moyen ne présente dès lors pas le sérieux nécessaire.

D’autre part, le moyen sous analyse repose factuellement en son essence sur le reproche d’un manque de transparence du FONDS DU LOGEMENT, reproche qui toutefois vient, ci-

dessus, d’être rejeté au provisoire comme non suffisamment sérieux.

Au-delà de ces considérations, justifiant d’ores et déjà le rejet à ce stade de ce moyen pour ne pas présenter le sérieux nécessaire, il convient toutefois de relever qu’effectivement, la contrainte temporelle propre à la matière des marchés publics, exigeant de facto d’un requérant qu’il introduise un recours en obtention d’une mesure provisoire en un délai très court -

essentiellement 10 jours - afin de pouvoir bénéficier de l’effet utile du délai de stand-still, alors pourtant qu’il dispose théoriquement - mais non pratiquement - d’un délai de trois mois pour introduire son délai au fond, conjugué le cas échéant à une motivation inadéquate ou insuffisante, est de nature à soulever des questions d’effectivité par rapport au recours tel que prévu par la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, appelant le cas échéant une intervention du législateur afin de réaménager les voies de recours dans le sens de leur effectivité. En effet, d’une part, le juge du provisoire est appelé à statuer de manière sommaire le cas échéant sur base d’un dossier incomplet, respectivement sur une argumentation incomplète du requérant, lequel n’aurait ainsi pas nécessairement disposé de tous les éléments pour préparer sa défense. D’autre part, , le juge du provisoire ne dispose à ce stade pas de l’éventuel éclairage que fournira l’échange des mémoires subséquents devant les juges du fond, puisque le juge du provisoire statue sur base d’un dossier figé par la requête introductive d’instance et les réponses y apportées par le défendeur et éventuellement un tiers-intéressé, alors que les juges du fond disposeront, pour leur part, d’un dossier ayant éventuellement évolué.

Toutefois, si sur cette toile de fond une insuffisance de motivation antérieurement au dépôt du recours est susceptible de constituer, dans le cadre particulier du recours en obtention d’une mesure provisoire, une lésion vérifiée des droits de la défense justifiant per se précisément l’obtention de la mesure provisoire recherchée15, le soussigné vient d’arrêter ci-

avant la conclusion provisoire, à ce stade et au terme d’un examen sommaire des moyens, 13 Voir trib. adm. 14 novembre 2022, n° 45470 du rôle.

14 Idem.

15 Voir en ce sens notamment trib. adm. (prés.) 13 décembre 2021, n° 46731 ; trib. adm. (prés.) 13 janvier 2023, n° 48337 ; trib. adm. (prés.) 22 mars 2024, n° 50146.

26 précisément de l’absence de lésion manifeste des droits de la défense, de sorte que le moyen présentement sous analyse, en dépit de son potentiel théorique, doit, compte tenu des circonstances d’espèce, être considéré comme non suffisamment sérieux.

L’association momentanée (AB) est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait nécessairement lieu d’examiner davantage la question de l’existence éventuelle d’un risque de préjudice grave et définitif, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros tel que demandé par l’association momentanée (AB) laisse également d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Le FONDS DU LOGEMENT a de son côté également formulé une demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000.- euros.

Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue et du fait que le FONDS DU LOGEMENT a été obligé de se pourvoir en justice sous l’assistance d’un avocat, il serait inéquitable de laisser à charge de la partie défenderesse l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.

Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du soussigné, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que des montants respectivement réclamés, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à payer par l’association momentanée (AB) à la partie défenderesse, à savoir au FONDS DU LOGEMENT, à un montant de 1.500.- euros.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours tendant à l’obtention d’un sursis à exécution ;

rejette également la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’association momentanée (AB) ;

condamne les deux sociétés composant l’association momentanée (AB) à payer in solidum au FONDS DU LOGEMENT une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.-

euros ;

condamne les deux sociétés composant l’association momentanée (AB) aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 27


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51404R
Date de la décision : 17/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-17;51404r ?

Source

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