Tribunal administratif Numéro 50958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50958 Inscrit le 21 août 2024 Audience publique du 3 septembre 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution présentée par Monsieur …, …, contre un acte du directeur de la Direction de l’Aviation civile en matière de licence de pilote
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50958 du rôle et déposée le 21 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KOHNEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant professionnellement à L-…, tendant à l’obtention d’un sursis à exécution par rapport à la décision, ainsi qualifiée, du directeur de la Direction de l’Aviation civile « d’annulation de la reconnaissance de sa licence de vol européenne comportant une qualification de type d’aéronefs … », cette requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation introduit le 21 août 2024 et inscrit sous le numéro 50957 du rôle, dirigé contre l’acte en question ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu la note de plaidoiries déposée le 26 août 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN au nom de l’Etat ;
Vu les pièces versées en cause ;
Maître Marc KOHNEN, pour le requérant, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 août 2024.
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En date du 29 septembre 2023, la Direction de l’Aviation civile, ci-après désignée par « la DAC », adressa une « dénonciation de faits susceptibles de constituer une infraction pénale » au Procureur d’Etat près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, à savoir que Monsieur … aurait « effectué des vols sur un avion de type … …, inscrit sur le relevé luxembourgeois des immatriculations des aéronefs et portant les plaques d’immatriculation …, sans disposer de la licence nationale requise ».
Par requête du 5 juin 2024, Monsieur … fit déposer un recours en annulation, enrôlé sous le numéro 50539, contre « la décision d’annulation de la reconnaissance de la licence de vol européenne » prise par le directeur de la DAC.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50540 du rôle, Monsieur … demanda à voir prononcer un sursis à exécution « de la décision d’annulation de la reconnaissance de la licence de vol européenne assortie de la qualification de type … de Monsieur …, décision, qui n’a jamais été notifiée ou communiquée sous une quelconque forme à la requérante » ainsi que de lui donner acte « que sa licence de vol européenne assortie de la qualification de type … restera reconnue par le Luxembourg jusqu’à décision définitive à intervenir dans le cadre du présent litige » et, subsidiairement « si par impossible il y aurait lieu d’ordonner d’une manière générale une mesure de sursis à exécution permettant à la requérante d’empêcher à ce que l’aéronef du type … … ne devienne une épave », recours qui fut rejeté par ordonnance du président du tribunal administratif du 28 juin 2024, cette ordonnance ayant notamment retenu que la dénonciation adressée au Procureur d’Etat par le directeur de la DAC en date du 29 septembre 2023 « ne paraît […] pas contenir un quelconque élément décisionnel, directement ou indirectement, tel qu’une interdiction, un retrait d’autorisation ou autre, mais semble uniquement soumettre à l’appréciation du Parquet et au-
delà, le cas échéant, à l’appréciation du juge pénal, des faits que la Direction de l’Aviation civile estime « susceptibles de constituer une infraction aux termes de l’article 18 de la loi modifiée du 31 janvier 1948 relative à la réglementation de la navigation aérienne » ».
Par requête déposée en date du 21 août 2024, enrôlée sous le numéro 50957, Monsieur … a fait déposer un nouveau recours en annulation contre « la décision d’annulation de la reconnaissance de la licence de vol européenne » prise par le directeur de la DAC.
Par requête séparée déposée et enregistrée le même jour sous le numéro 50958 du rôle, Monsieur … a demandé dans l’attente de la décision sur le mérite de son recours au fond, de constater que « le certificat de navigabilité du … … est émis sur base du règlement 216/2008 CE », de constater à titre subsidiaire que « l’exploitation du … … est conforme à l’article 5 du règlement 216/2008 », de sorte que « l’exploitation du … … ne tombe pas sous la réglementation nationale mais la règlementation européenne » et que « la question de la validité d’une licence est une question totalement indépendante de la question de la réglementation régissant le … … », de sorte que « la licence européenne de Monsieur … est automatiquement reconnue par le Luxembourg sans possibilité de contestation aucune et que l’annulation de cette reconnaissance est donc parfaitement illégale », sollicitant, dès lors, l’instauration d’un sursis à exécution « de la décision d’annulation de la reconnaissance de la licence de vol européenne assortie de la qualification de type … de Monsieur …, décision, qui n’a jamais été notifiée ou communiquée sous une quelconque forme à la requérante » ainsi que de lui donner acte « que sa licence de vol européenne restera reconnue par le Luxembourg jusqu’à décision définitive à intervenir dans le cadre du présent litige ».
Monsieur … expose au préalable que pour soutenir qu’une licence nationale luxembourgeoise en cours de validité serait nécessaire afin de pouvoir piloter un « … », la DAC argumenterait, de manière erronée, que l’immatriculation du « … … » serait régie par la législation nationale du pays d’immatriculation au motif qu’il serait référencé parmi les avions prévus à l’annexe II du règlement (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) n° 1592/2002 et la directive 2004/36/CE, ci-après désigné par « le règlement 216/2008 », et constituant dorénavant l’annexe I du règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2018 concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne, et modifiant les règlements (CE) n° 2111/2005, (CE) n° 1008/2008, (UE) n° 996/2010, (UE) n° 376/2014 et les directives 2014/30/UE et 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) n° 552/2004 et (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil ainsi que le règlement (CEE) n° 3922/91 du Conseil, ci-après désigné par « le règlement 2018/1139 ». Monsieur … confirme qu’il s’agit-là effectivement du principe, remis en cause par des « actes positifs » émis par la DAC. Selon le requérant, l’exploitation du « … … » entrerait donc dans le champ d’application de la législation européenne, et ce, indépendamment du fait qu’il s’agirait d’un aéronef désigné à l’annexe I du règlement 2018/1139, ancienne annexe II du règlement 216/2008. Après avoir cité les articles 2 (3) d) et 5 (2) c) et (4) a) et b) du règlement 216/2008, le requérant met, en effet, en avant que la DAC aurait choisi de faire application des paragraphes (4) et (5) de l’article 5 du règlement 216/2008 par l’émission d’un certificat de navigabilité spécial (« CdN-S ») restreint pour le « … … », sur lequel figurerait la mention que ce certificat serait émis en application du règlement 216/2008. L’accomplissement de toutes les démarches ainsi que le respect de toutes les conditions prévues à l’article 5 (5) du règlement 216/2008 seraient encore démontrés par l’établissement d’un « Datasheet », en coopération avec et sous le contrôle de la DAC.
Au vu de ce qui précède, Monsieur … conclut qu’il bénéficierait du mécanisme de reconnaissance automatique de tous titres, certificats et documents prévus à l’article 67 du règlement 2018/1139.
Monsieur … estime ensuite que malgré le fait qu’il aurait été retenu dans l’ordonnance du 28 juin 2024, inscrite sous le numéro 50540 du rôle, qu’il n’aurait « pas fait l’objet d’une décision administrative alors qu’une plainte pénale déposée à son encontre n’en constituerait pas une », il est d’avis qu’il aurait « bel et bien » fait l’objet d’une décision administrative de la DAC au sujet de sa licence européenne, décision qui aurait été exécutée par la DAC en France. En effet, jusqu’en janvier 2022, le laissez-passer qui lui aurait été délivré de la part de la Direction générale de l’Aviation civile française, ci-après désignée par « la DGAC », ayant pour effet de valider les CdN-S émis par la DAC sur base du règlement 216/2008, n’aurait jamais comporté la moindre mention relative à la licence que devrait prétendument détenir le pilote de l’aéronef en question. Il s’avèrerait cependant que depuis lors, les laissez-passer comporteraient des « Conditions générales » selon lesquelles le pilote de l’aéronef devrait être « titulaire d’un titre aéronautique délivré ou reconnu par l’État d’immatriculation ». Ainsi, le nouveau laissez-passer modifierait de manière directe et négative ses droits et intérêts, alors qu’il ne disposerait pas d’une licence nationale luxembourgeoise. Monsieur … reproche à la DAC d’être à l’origine de ces changements, se basant, à ce propos, sur un courrier électronique lui adressé par un membre de la DGAC. Il en conclut que la DAC « poursui[vrait] même à l’étranger l’exécution d’une décision administrative » qu’elle aurait prise à son insu, et ce « pour le priver de ses droits ».
Monsieur … expose qu’il déduirait « forcément » l’existence d’une décision d’annulation de la reconnaissance de sa licence de vol européenne de la modification des laissez-passer français, tel que relevé ci-dessus, la DAC étant intervenue, selon lui, auprès de la DGAC pour faire ces modifications.
Il estime qu’une telle décision d’annulation aurait nécessairement dû être prise antérieurement, sans ne lui avoir pourtant été notifiée à aucun moment et dont il ignorerait la teneur et la motivation exacte.
Il explique encore présumer l’existence d’une telle décision d’annulation du fait de la modification de ses droits en rapport avec les laissez-passer émis par la DGAC et qui le mettraient dans l’impossibilité de piloter l’aéronef … ….
Monsieur … fait encore exposer que l’exécution de la décision déférée, ainsi qualifiée, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.
Reprenant à cette fin les moyens développés dans son recours au fond, il estime encore que ceux-ci seraient suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution sollicité.
L’Etat conclut à titre principal à l’irrecevabilité de la requête en sursis à exécution telle que présentée par la partie requérante, au motif de l’inexistence d’une décision d’annulation, ainsi qualifiée, de la licence du requérant, la DAC n’ayant jamais procédé à une quelconque reconnaissance, implicite ou non, de la licence de Monsieur …, mais l’aurait informé dès 2014 que des licences nationales luxembourgeoises seraient nécessaires pour piloter des avions du type …. Le délégué du gouvernement relève encore qu’un avion du type … … immatriculé au Luxembourg ne pourrait pas être piloté légalement, position qui aurait été confirmée par le tribunal administratif dans un jugement du 29 mai 2018, inscrit sous le numéro 35229 du rôle.
En outre, le laissez-passer remis par les autorités françaises serait constitutif d’une décision souveraine d’une administration d’un autre Etat membre, de sorte qu’il ne serait pas en mesure de se prononcer ni sur la légalité ni sur le contenu de celui-ci.
A titre subsidiaire, le représentant de l’Etat conclut au rejet du recours au motif que les conditions du caractère sérieux des moyens et d’un risque de préjudice grave et définitif ne seraient pas remplies en cause.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
En l’espèce, l’affaire au fond a été introduite le 21 août 2024, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999 précitée, l’affaire au fond ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Ensuite, comme indiqué ci-dessus, une mesure provisoire ne peut être décrétée en vertu de l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999 qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, ces deux conditions devant impérativement être remplies cumulativement.
En ce qui concerne la condition du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés et accorder le sursis lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.
L’irrecevabilité du recours, question discutée contradictoirement à l’audience après avoir été plus particulièrement soulevée par le représentant étatique, ne vise cependant pas spécifiquement la mesure provisoire, mais le recours introduit au fond contre la décision, ainsi qualifiée, que le requérant entend voir annuler, sinon réformer.
Ce moyen touche partant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et il est à examiner sous ce rapport.
Ceci dit, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen devrait être favorablement accueilli par les juges du fond.
A cet égard, il convient de constater que Monsieur … sollicite le sursis à exécution par rapport à une décision, ainsi qualifiée, « d’annulation » de sa licence de pilote de la part de la DAC dont il déduit l’existence de la seule décision de la DGAC d’insérer dans ses laissez-
passer l’exigence de conditions générales, et plus particulièrement de celle que « Le pilote doit être titulaire d’un titre aéronautique délivré ou reconnu par l’autorité de l’État d’immatriculation », tel que cela résulterait d’ores et déjà du laissez-passer du 25 juin 2024.
La soussignée constate cependant qu’il est constant en cause pour ne pas être contesté par le requérant que le laissez-passer du 25 juin 2024, ainsi que, d’ailleurs, tous les autres laissez-passer versés en cause, a été délivré par la DGAC et non pas par la DAC, de sorte à être une décision émise par une autorité française.
Si, pour sous-tendre son affirmation suivant laquelle la décision des autorités françaises d’insérer dans leurs laissez-passer l’exigence de conditions générales qui affecteraient directement et négativement ses droits et intérêts trouverait nécessairement ses origines dans l’ingérence de la DAC qui poursuivrait « même à l’étranger » l’exécution d’une prétendue « décision d’annulation » de sa licence de pilote prise à son encontre et à son insu, Monsieur … se base sur un échange de courriers électroniques entre lui-même et la DGAC, il résulte cependant d’un examen nécessairement sommaire de cet échange de courriers électroniques que la DGAC, après avoir indiqué que « l’autorisation de vol primaire luxembourgeoise n’autorise pas les activités commerciales. Notre validation de ce document pour les opérations en France en autorise certaines dans des conditions spécifiques », l’informe uniquement avoir été « officiellement saisi[e] par la DAC-LX concernant cette problématique de divergence du cadre entre leur autorisation primaire de pays d’immatriculation et notre validation. Après analyse interne, incluant des vérifications juridiques, nous en sommes arrivés à la conclusion que cette situation doit être revue afin de revenir à un cadre d’exploitation en France conforme à l’autorisation luxembourgeoise (suppression des activités commerciales) ».
S’il ressort de cet échange que la DAC a officiellement contacté la DGAC pour la rendre attentive à l’existence d’une divergence entre l’« autorisation primaire de pays d’immatriculation » de la DAC et la « validation » de la DGAC, cet échange ne permet à première vue pas de conclure à l’existence d’une « décision d’annulation » de la licence de pilote de Monsieur … qui aurait été prise par la DAC. En effet, il apparaît à première vue que les autorités françaises ont pris elles-mêmes la décision de mettre en conformité leurs laissez-
passer après avoir effectué une analyse interne, dont entre autres des vérifications juridiques.
Suivant un examen nécessairement sommaire des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée, le raisonnement du requérant suivant lequel cette décision de la DGAC aurait été émise sur le fondement d’une prétendue « décision d’annulation » de la licence de pilote de Monsieur … qui aurait été prise implicitement ou explicitement par la DAC ne semble pas avoir des chances sérieuses d’être suivi par les juges du fond.
Or, en ce qui concerne la question de la recevabilité du recours au fond, la soussignée se doit de rappeler que l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, aux termes duquel « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
Selon la jurisprudence constante, l’acte émanant d’une autorité administrative, pour faire l’objet d’un recours contentieux, doit dès lors constituer dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2. Il a ainsi été jugé que n’ont pas cette qualité de décisions faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires à une décision3. Ainsi, une lettre par laquelle une autorité se borne à exprimer une intention ou à s’expliquer sur une intention qu’elle révèle ne constitue pas un acte administratif de nature à faire grief, qu’elle soit adressée à un administré ou à une autre autorité4. De même, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques5. Dans le même ordre d’idées, il a été jugé que l’annonce de la prise éventuelle de décision ne peut pas être déférée au juge administratif, seule la décision effective étant susceptible de l’être6.
1 Trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 5 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 45 et les autres références y citées.
3 Cour adm., 24 juillet 2013, n° 32031C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 69 et les autres références y citées.
4 J. Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 30, p.41.
5 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 2018, n° 10263C, Pas. adm.
2023, V° Actes administratifs, n° 69 et les autres références y citées.
6 Cour adm. 20 janvier 2015, n° 34959C, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 61 et les autres références y citées.
Il est, par ailleurs, admis que lorsque l’administration se borne à exprimer ses prétentions, essentiellement lorsque, à propos d’un litige, elle indique les droits qui lui paraissent être les siens ou dénie ceux dont se prévaut son adversaire, un tel acte ne constitue qu’une prise de position qui ne lie ni le juge ni les intéressés et qui ne saurait dès lors donner lieu à un recours7. Toujours dans le même ordre d’idées, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer le requérant sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique8 n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.
De même, le seul fait pour une administration de répondre à des contestations formulées par rapport à un avis exprimé n’est pas suffisant à lui seul pour conférer à la réponse fournie le caractère d’une décision administrative, étant donné qu’une simple prise de position n’est pas de nature à affecter l’ordonnancement juridique, mais ne fait qu’expliciter un point de vue déterminé par rapport à une situation déterminée9.
Enfin, même une invitation adressée à un administré à se conformer aux règles en vigueur avec comme conséquence la cessation de l’activité illicite a été jugée comme ne constituant pas des décisions autonomes de nature à faire grief10.
Dans ces conditions et au vu de la jurisprudence, il semble en l’état actuel du dossier et au terme d’une analyse nécessairement sommaire que le recours au fond paraît à première vue être irrecevable, la modification des laissez-passer par les autorités françaises, à défaut de toute autre décision formelle des autorités luxembourgeoises, ne véhicule, à première vue, ni une décision d’« annulation » non matérialisée de la part de la DAC, ni ne traduit une telle décision d’« annulation » existante mais non notifiée de la part de la DAC, alors qu’aucun lien avec la licence de pilote du requérant ne semble être établi. Au contraire, la décision de la DGAC semble uniquement refléter la position de l’administration française de conformer ses laissez-
passer avec les résultats obtenus dans le cadre de son analyse interne.
La soussignée ne saurait dès lors déceler dans la modification des laissez-passer par les autorités françaises, directement ou indirectement, l’existence d’une « décision d’annulation » de la licence de pilote du requérant, et en tout état de cause pas de décision administrative modifiant d’une quelconque façon, à ce stade, l’ordonnancement juridique, de sorte que la soussignée ne saurait, directement ou indirectement, déceler une décision administrative de nature à faire grief, conclusion rejaillissant sur le caractère sérieux global de la requête en obtention d’une mesure provisoire.
Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, 7 J. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, 1962, T. II, n° 1014, p. 463 8 J. Falys, op.cit., n° 34, p.45.
9 Trib. adm., 28 septembre 2009, n° 25262, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 83 et les autres références y citées.
10 Cour adm. 14 juin 2011, n° 27726C, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 130 et les autres références y citées.
la soussignée, premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, légitiment empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;
condamne le requérant aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 septembre 2024 par Annemarie THEIS, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc WARKEN.
s.Marc WARKEN s.Annemarie THEIS Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 8